Kayseri
Halte de luxe dans un 2 étoiles, avec douche chaude, mini-bar, TV, etc. Agréable mais difficile d'avoir laissé nos deux totos dans leurs montagnes.
Donc, le 4 avril, excursion au barrage, un barrage en construction où nous n'aurions jamais dû aller. Mais nous avons été demander la permission au kaymakam, qui nous l'a accordé après une de ces visites de courtoisie où chacun se sonde et s'évalue, et où notre rôle est de jouer les french tourists "very sympathic". Après tout, notre guide, Ali, nous a dit qu'il était "iyi", kurde, quoique d'Antalya.
Par contre, tous les autres étaient aux anges ou sciés de nous voir. Donc, visite au barrage. C'est-à-dire bref coup d'oeil aux constructions et excursion dans la montagne, avec l'ours, le lézard, les villages brûlés, les militaires, des appelés, ébahis mais contents de nous trouver là, qui ont voulu regarder tout le matos uniquement pour prolonger. Moi, je calmais Suleyman qui était désolé et fou de rage, d'autant plus que le plus gradé n'arrêtait pas de me faire des compliments et lui demandait de me traduite. Et Suleyman n'arrêtait pas de répéter "Schwein, Schwein..." Mais on est reparti avec tout intact.
Le soir, bu bière et vin dans un restaurant d'Ovacik. Suleyman était pas mal égayé par son raki et Ali était mort de rire quand je disais qu'il faisait un sema. ça et la plaisanterie bien connue "d'aller à la mosquée" pour les chiottes. On s'est quitté en se serrant la main comme les partisans, spas.
Le lendemain, retour sur Dersim. Le chauffeur toujours partant pour nous servir de chauffeur et nous emmenant dans une belle route, en passant par le village de Suleyman, plein de maisons en ruine. Bombardé, trois morts. Il pleuvait à verse et des milliers de torrents ruisselaient d'une eau rouge sur les montagnes. Les eaux du Munzur étaient gonflées, boueuses.
Nous avons vu les deux endroits où des centaines de milliers de Dersimis ont été massacré en 38. Finalement, le contrôle le plus sérieux aura été en retournant à Dersim. Les keufs nous ont interrogées, ouvert nos bagages, regardé mon agenda. Sur mon carnet de notes, les dessins de ma mère m'ont sauvée la vie. Ils ont feuilleté le début, ont cru que c'était uniquement un carnet de croquis, et ne sont pas allés plus loin.
A Dersim, l'assoc nous fait un accueil plus déférent et plus amical. Ils se méfiaient moins, peut-être. Déjà à Ovacik, ils avaient téléphoné à l'hôtel et le dernier soir, au restau, un frère avait appelé Suleyman pour demander si tout s'était bien passé au barrage et si nous n'avions pas eu de problèmes avec les keufs. Revenus à l'hôtel, Ali propose de nous emmener à un sema. Tu parles si on voulait ! Surtout que c'était juste le lendemain de l'achoura. Cérémonie belle, émouvante et fascinante. Les sema sont interdits là-bas. Et en faire un ici, à Dersim, et ce jour-là !
Après, bon plan touriste, bu dans une discothèque. De retour à l'hôtel, vers minuit, alors que le couvre-feu était déjà passé. On leur fait une niche en nous cachant dans le couloir sombre, et en les laissant nous chercher dans une ville morte en proie au couvre-feu. Ils sont passés à trois mètres de nous sans nous voir. Puis le camion d'Ali est passé à toute allure, dans un crissement féroce de pneus. Nous, on est rentrées à l'hôtel, en nous marrant. Nous n'avions d'ailleurs pas fait 100 mètres que les garçons de la discothèque, nous ayant vu, se sont inquiétés de Suleyman et l'un d'entre eux nous a raccompagné. Nos deux brillants gardes du corps sont arrivés ensuite, fous et près de nous étrangler, puis déconfits quand on leur a fait remarquer que question vigilance, ils n'étaient pas forts.
Ensuite, Suleyman est parti pour être interrogé par la police et Ali est resté avec nous à l'hôtel. Dernière bière.
Le lendemain, dernier jour. Tristounet, nos deux totos, mais Ali nous a fait vraiment mal au coeur. Parce qu'il a fait ce qu'il a pu pour le cacher et y parvenait assez bien... surtout qu'il est parti très vite. C'est-à-dire qu'après notre dernier petit-déj' pris ensemble, Ali est resté en ville alors qu'il ordonnait à Suleyman de revenir avec nous. On l'a attendu au moins une heure, pendant que le patron de l'hôtel, qui est donc celui de l'association, nous vendait la vie culturelle de Dersim pour qu'on revienne. Il nous parle alors du festival de Dersim lnas, les 28, 29 et 30 juillet. Pourquoi pas, et puis on enchaîne ensuite sur le pèlerinage de Hadji Bektas les 16 et 18 août.
Quand Ali revient, on lui explique ça, il est d'accord bien sûr, mais ce n'était toujours pas "viva la vie". En sortant de l'hôtel, il nous dit qu'il rentre à Ovacik. Et alors il me tend un paquet cadeau, puis un à Roxane. Quel geste ! Avec ce regard de grand seigneur, même pas doux. Pour lui faire mes adieux, je lui fais la bise, mais pas en lui sautant au cou, avec gravité ( ses manières solennelles déteignent). Adieu rapide et précipité, sans chaleur, finalement, sans épanchement. Ils ne supportent pas.
Au restaurant, ensuite, Suleyman était sombre, et a même explosé : "Ihr haben gekommt ! Und heute ihr gehen ?" Presque avec colère, comme devant une injustice. .
En fin d'après-midi, à la gare routière (amenées par un flic en civil) nous avons revu Ali ! Son bus partant à quatre heures, comme le nôtre en final. Toujours cet air distant, impassible. De nouveau il a abrégé les adieux, et son bus part pour Ovacik à quatre heures moins dix. Tant pis pour ceux qui n'étaient pas là en avance. ça fait de la peine, c'est sûr.
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