les peuplades kurdes et les fous furieux selon Ghazalî
Parmi les lieux communs médiévaux des musulmans urbains et policés sur les Kurdes : ceux qui les mettent dans le même bocal que les Bédouins, c'est-à-dire des pillards, destructeurs, plus bêtes de proie qu'humains. al-Ghazalî (1058-1111) en fournit un exemple, dans son troisième chapitre du Tabernacle des Lumières (Mîchkat al-Anwâr) quand il aborde les trois catégories des "créatures voilées ", à savoir :
-Celles qui sont voilées par les seules ténèbres ;
- Celles qui sont voilées par la pure lumière ;
- Celles qui sont voilées par une lumière mêlées d'obscurité.
Dans la Première Catégorie, il met entre les athées et ceux qui courent après la fortune ou la gloire, ceux qui estiment que "le summum du bonheur consiste à vaincre, conquérir et tuer, ou attaquer à l'improviste, emmener des captives et faire des prisonniers. Telle était la conviction des Arabes bédouins (du paganisme) ; elle est celle aussi des peuplades kurdes et d'un grand nombre de fous furieux. Ils sont voilés par les ténèbres des tendances naturelles à la férocité, qui les dominent et qui, lorsqu'elles atteignent leurs fins, leur procurent les plus grandes voluptés. Ces hommes-là sont contents d'être au niveau des animaux féroces, et même plus bas encore."
Quant aux "peuplades turques", elles sont un peu mieux loties puisque placées dans la troisième catégorie, celle des "hommes voilés par une lumière mêlée d'obscurité", soit la catégorie des idolâtres et même un peu au-dessus, n'ayant "ni communauté (milla) ni loi (chari'a) religieuses. Ces hommes croient à un Seigneur, qui doit être la plus belle des choses. Quand ils voient un être humain, ou un arbre, ou un cheval, ou tout autre être, d'une très grande beauté, ils se prosternent devant lui en proclamant : "Voici notre Seigneur !" Ils sont voilés par la lumière de la beauté, mêlée à l'obscurité des sens. Mais ils perçoivent la lumière d'une façon plus pénétrante que les adorateurs des idoles. En effet, ils adorent la beauté en général et non pas sous la forme d'un personnage particulier auquel ils l'attribueraient en propre et, de plus, ils adorent la beauté naturelle et non pas la beauté qui serait fabriquée par eux-mêmes et de leurs propres mains."
Inépendamment de ces considérations ghazaliennes sur le chamanisme, on note encore la contradiction entre l'ethnie et l'appartenance religieuse ou sociale. Evidemment aux XI° et XII° siècles, les Turcs n'étaient pas tous chamanistes, surtout au Moyen-Orient, puisqu'ils gouvernaient une bonne partie du monde de l'islam. De même les Kurdes n'étaient pas tous nomades pillards et certains avaient déjà fondé quelques principautés prospères et raffinées. Mais les Kurdes ou les Turcs intégrés dans l'Umma et le monde urbain, dans la Cité si l'on peut dire, perdent leur ethnie, en tous cas on ne les qualifie pas ainsi, le terme Kurde et Turc sert à désigner un monde sauvage, barbare, ou pas encore assez instruit en religion. Il est évident que pour Ghazalî, ni son protecteur le sultan Malik-Shâh, ni tous les Seldjoukides qui le soutinrent, n'étaient des "Turcs" au sens d'originaire de cette peuplade "semi-voilée", mais des Turc des plus acceptables, très persanisés, si bien que ce n'était plus la peine de mentionner leur origine, pas plus que pour les Kurdes marwanides, hasanwayhides, et les futurs Ayyoubides. Hors de la norme sociale du citadin musulman médiéval, arabisé ou persanisé, on est désigné par son ethnie, avec les connotations négatives ou réservées qu'elles suscitent. La question est naturellement de savoir comment les Kurdes et les Turcs concernés, ceux qui n'étaient ni pillards ni idolâtres, se définissaient eux-mêmes et arrivaient à assumer cette contradiction dans les représentations culturelles qu'on offrait d'eux et dans leur liens familiaux ou tribaux.
-Celles qui sont voilées par les seules ténèbres ;
- Celles qui sont voilées par la pure lumière ;
- Celles qui sont voilées par une lumière mêlées d'obscurité.
Dans la Première Catégorie, il met entre les athées et ceux qui courent après la fortune ou la gloire, ceux qui estiment que "le summum du bonheur consiste à vaincre, conquérir et tuer, ou attaquer à l'improviste, emmener des captives et faire des prisonniers. Telle était la conviction des Arabes bédouins (du paganisme) ; elle est celle aussi des peuplades kurdes et d'un grand nombre de fous furieux. Ils sont voilés par les ténèbres des tendances naturelles à la férocité, qui les dominent et qui, lorsqu'elles atteignent leurs fins, leur procurent les plus grandes voluptés. Ces hommes-là sont contents d'être au niveau des animaux féroces, et même plus bas encore."
Quant aux "peuplades turques", elles sont un peu mieux loties puisque placées dans la troisième catégorie, celle des "hommes voilés par une lumière mêlée d'obscurité", soit la catégorie des idolâtres et même un peu au-dessus, n'ayant "ni communauté (milla) ni loi (chari'a) religieuses. Ces hommes croient à un Seigneur, qui doit être la plus belle des choses. Quand ils voient un être humain, ou un arbre, ou un cheval, ou tout autre être, d'une très grande beauté, ils se prosternent devant lui en proclamant : "Voici notre Seigneur !" Ils sont voilés par la lumière de la beauté, mêlée à l'obscurité des sens. Mais ils perçoivent la lumière d'une façon plus pénétrante que les adorateurs des idoles. En effet, ils adorent la beauté en général et non pas sous la forme d'un personnage particulier auquel ils l'attribueraient en propre et, de plus, ils adorent la beauté naturelle et non pas la beauté qui serait fabriquée par eux-mêmes et de leurs propres mains."
Inépendamment de ces considérations ghazaliennes sur le chamanisme, on note encore la contradiction entre l'ethnie et l'appartenance religieuse ou sociale. Evidemment aux XI° et XII° siècles, les Turcs n'étaient pas tous chamanistes, surtout au Moyen-Orient, puisqu'ils gouvernaient une bonne partie du monde de l'islam. De même les Kurdes n'étaient pas tous nomades pillards et certains avaient déjà fondé quelques principautés prospères et raffinées. Mais les Kurdes ou les Turcs intégrés dans l'Umma et le monde urbain, dans la Cité si l'on peut dire, perdent leur ethnie, en tous cas on ne les qualifie pas ainsi, le terme Kurde et Turc sert à désigner un monde sauvage, barbare, ou pas encore assez instruit en religion. Il est évident que pour Ghazalî, ni son protecteur le sultan Malik-Shâh, ni tous les Seldjoukides qui le soutinrent, n'étaient des "Turcs" au sens d'originaire de cette peuplade "semi-voilée", mais des Turc des plus acceptables, très persanisés, si bien que ce n'était plus la peine de mentionner leur origine, pas plus que pour les Kurdes marwanides, hasanwayhides, et les futurs Ayyoubides. Hors de la norme sociale du citadin musulman médiéval, arabisé ou persanisé, on est désigné par son ethnie, avec les connotations négatives ou réservées qu'elles suscitent. La question est naturellement de savoir comment les Kurdes et les Turcs concernés, ceux qui n'étaient ni pillards ni idolâtres, se définissaient eux-mêmes et arrivaient à assumer cette contradiction dans les représentations culturelles qu'on offrait d'eux et dans leur liens familiaux ou tribaux.
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