LIBAN : LES KURDES SE SENTENT TOUJOURS DES « CITOYENS DE SECONDE ZONE »


Un reportage du Daily Star se penche sur la situation des Kurdes du Liban, installés de longue date dans ce pays, mais qui sont une des populations les moins favorisées et les moins bien représentés dans ce pays. Si la première immigration kurde au Liban date de la fin de l’Empire ottoman, d’autres vagues de migrants ont continué d’affluer tout au long du 20ème siècle, tant pour des raisons économiques que politiques.

Ainsi, Bahaeddin Hassan, originaire du Kurdistan de Turquie est venu dans les années 70, alors qu’il était encore un adolescent de 15 ans, attiré par la réputation de prospérité pacifique du Liban. Mais il ne trouva pour subsister tout d’abord que de petits métiers, parmi les plus durs. Aujourd’hui âgé de 57 ans, ayant obtenu la citoyenneté libanaise, il a pu fonder une famille et est à la tête d’une entreprise d’exportation de vêtements. Il est aussi le président de l’Association philanthropique des Kurdes du Liban. Il explique que la situation des Kurdes au Liban est une des plus difficiles : « Nous avons obtenu la nationalité, mais c’est tout. Personne ne nous protège, ne nous défend. Personne n’entend notre voix. »

Les Kurdes ont mis longtemps à pouvoir obtenir la nationalité libanaise, car les chrétiens, craignant toujours un déséquilibre démographique en leur défaveur ont longtemps bloqué leur naturalisation, qu’ils accordaient volontiers aux Arméniens, Assyriens et autres chrétiens migrants. Finalement, en 1994, sous le gouvernement de Rafic Hariri, quelque 10 000 Kurdes, dont certains installés depuis trois générations, ont pu obtenir la citoyenneté libanaise, ce qui ne s’était plus produit depuis les années 1960, quand une poignée de Kurdes avaient été naturalisés, avec l’appui du leader druze Kamal Joumblatt dont la famille a des origines kurdes remontant au 19ème siècle. Quant aux musulmans, majoritairement arabes, ils s’intéressaient peu aux Kurdes. Dans ce pays essentiellement constitué de clans et qui ne fonctionnent que par le clientélisme, la situation singulière des Kurdes, musulmans mais non arabes, les a maintenus en marge de la vie sociale et politique du pays. Encore maintenant, c’est une des composantes ethniques de ce pays la moins bien éduquée, la plus touchée par le chômage et la moins bien représentée politiquement.

La plupart de ces Kurdes, peut-être en raison de ce manque d’accès à l’éducation, se sont peu assimilés dans ce monde arabe et se sentent encore kurdes avant tout. Ainsi, Fadia Mahmoud Ismaïl, 41 ans, amenée au Liban à l’âge de 13 ans pour y être mariée, se dit fière de son héritage kurde, même si elle n’envisage pas de quitter le Liban : « Je ne me sens pas libanaise. Ma culture et ma langue sont kurdes. Je sais que je suis kurde, et que cela ne changera jamais. » Mais comme beaucoup de Kurdes au Liban, elle souffre d’un manque de reconnaissance dans le pays où elle vit et regrette, notamment, qu’il n’y ait aucun Kurde pour les représenter au Parlement ou dans la vie publique.

En novembre dernier, un rapport écrit par Guita Hourani, chercheuse à l’université Notre-Dame du Liban, démontre que les naturalisations ont eu leur revers, les inféodant à une faction politique, puisque beaucoup de Kurdes pensent devoir être reconnaissants à un « patron » politique ou un autre, de leur nouvelle citoyenneté, ce qui les empêche de se regrouper en groupe d’influence autonome qui serait voué à défendre les intérêts spécifiques des Kurdes. Mais selon Lokman Meho, qui dirige la bibliothèque de l’université américaine de Beyrouth, lui-même kurde et qui travaille depuis des années sur sa communauté, la société libanaise n’est pas entièrement à blâmer quand il s’agit d’analyser le retard social des Kurdes : « Beaucoup d’entre eux sont illettrés, beaucoup de familles empêchent leurs filles d’aller à l’école, et les emplois subalternes se transmettent de génération en génération. »

Lokman Meho est donc un des rares Kurdes à s’être élevé dans la société jusqu’à atteindre un haut grade universitaire. Il a pour cela eu la chance de grandir au sein dune famille pour qui l’éducation était primordiale. Et parce qu’il avait la chance d’être né citoyen libanais, il a pu bénéficier d’une bourse pour ses études, venant de la Fondation Hariri. Ayant passé son master et son doctorat en sciences sociales et en technologie informatique aux Etats-Unis, il est revenu dans son pays d’origine il y a 3 ans pour diriger la bibliothèque de l’université américaine. Mais en dépit de cette réussite sociale et professionnelle, Lokman s’est toujours senti comme un citoyen de seconde zone au sein d’une société très sectaire où les Kurdes souffrent de préjugés et sont stigmatisés comme « étrangers ». « Tous les Kurdes sont fiers d’être Kurdes et Libanais. Ils ont en eux les deux identités à part égale. Cependant, s’ils n’avaient pas autant souffert (en tant que Kurdes) peut-être se seraient-ils davantage Libanais. »

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