KURDISTAN D’IRAK : AFFLUX DES DÉSERTEURS KURDES SYRIENS


Depuis 2003, le Kurdistan d'Irak sert de terre d'accueil à beaucoup de réfugiés d'Irak, principalement chrétiens, Mandéens, ainsi que les Kurdes, musulmans et yézidis, ayant fui Mossoul. À présent, le Kurdistan d'Irak s'attend à des vagues de réfugiés affluant de Syrie. De plus en plus de soldats kurdes syriens désertent et fuient en effet au Kurdistan d'Irak, « pour ne pas avoir à tuer ni à être tués ».

L'un d'eux, qui a déserté les forces spéciales, est interviewé cette semaine dans le Kurdish Globe, sous le pseudonyme de Berxwedan Selîm. Le jeune homme vit à présent à Erbil, avec son frère et trois autres Syriens, dont l'un d'eux a aussi déserté. Incorporé dans la 15ème Brigade, qui stationne dans le sud syrien, dans la province de Deraa (qui fut la première ville à manifester et qui a connu aussi les premiers bains de sang) il raconte ses conditions de vie sous le drapeau syrien : « Nous avions beaucoup de pressions de la part des officiers qui nous commandaient, pour tuer les manifestants. Mon officier nous disait toujours qu'il fallait tuer les manifestants. Il disait que c'était des terroristes armés. »

Les ordres étaient d'arrêter et de disperser les manifestants en leur tirant dessus, mais Berxwedan donne des indications sur les scissions au sein de l'armée, qui sont un concentré de ce qui divise la Syrie : Les soldats originaires de Homs et de Daraa refusaient de tuer les manifestants, comme les Kurdes et les Arabes sunnites, mais les alaouites et les fidèles du régime le faisaient. Berxwedan Selîm dit aussi que tout soldat qui refuse de tuer est soit arrêté, soit exécuté par l'armée. « Dans mon unité, deux soldats ont été tués par les fidèles de Bashar. Ces soldats étaient mes amis, Hozan de Qamişlo (une des principales villes kurdes de syrie) et Saleh de Hama. Ils ont été tués parce qu'ils refusaient d'obéir à l'ordre de notre commandant de tuer les manifestants." Leur exécution s'est faite de nuit, et en cachette.

Selon Berxwedan, les loyalistes du Baath leur ont tiré à chacun une balle dans la nuque et ont ensuite accusé les « terroristes ». « Le matin, les officiers nous ont dit : "Regardez, deux d'entre vous ont refusé de tuer les terroristes et maintenant les terroristes les ont tués. Mais nous savions qu'ils avaient été tués par les officiers. »

Après 6 mois de service, Berxwedan Selîm a obtenu une permission de 72 heures. Il est retourné alors chez lui, à Amude et de là, a décidé de fuir, recevant de l'aide à la fois en Syrie et de l'autre côté, au Kurdistan d'Irak, pour passer clandestinement la frontière et atteindre Erbil. Selon lui, l'armée d'Assad est encore forte, mais il croit qu'elle va s'effondrer dans 6 mois, en raison du grand nombre de déserteurs et du fait que les soldats en ont assez. « Nous n'avions pas assez de nourriture ni de tentes pour dormir, mais beaucoup d'armes nouvelles et de marque russe. Les soldats ont compris que la situation échappait au contrôle d'al-Assad. » Il précise aussi que sa brigade était encadrée par des mercenaires, alaouites ou Iraniens.

Une centaine de déserteurs syriens vivent à Duhok. Interrogés par le journal Rudaw, ils témoignent des mêmes expériences. Jihad Hassan, âgé de 19 ans, qui était depuis 9 mois dans l’armée syrienne a fini par déserter et passer la frontière. Un de ses frères a été tué par les services syriens et un autre gravement blessé : « Je ne voulais pas connaître le sort de mes frères. Je ne voulais pas être renvoyé dans un cercueil à ma famille, et c’est pourquoi je me suis enfui. » Jihad Hassan a assisté à de nombreux affrontements entre les forces syriennes et la foule. Il pense que le régime d’Al-Assad s’affaiblit de jour en jour. « Il est si facile de mourir en Syrie. La Syrie empire de jour en jour. Le régime est en train de perdre le contrôle du pays. Le peuple syrien est à la croisée des chemins. Ils doivent choisir entre soutenir le régime d’Al-Assad ou de s’y opposer. Vous devez tuer ou être tué. »

Hussein Mahmoud, lui aussi âgé de 19 ans et originaire de Dêrik servait depuis 6 mois dans la ville de Deraa, une des premières à se révolter en mars de l’année dernière. De là, il a fini par fuir le pays et a atterri au camp de Dumiz à Duhok. C’est seulement les scènes de meurtre et de torture quotidiennes, auxquelles les soldats assistaient dans le camp, qui lui ont fait prendre conscience de l’ampleur des événements. « À Deraa, j’était complètement isolé et je ne pouvais contacter ma famille. Nous n’avions pas le droit de téléphoner, de lire les journaux, d’écouter la radio et de regarder la télévision. Mais tous les jours, les forces de sécurité amenaient des personnes innocentes, les torturaient, les tuaient et faisaient disparaître leurs corps. » Posté à un check-point, il essuyait fréquemment les attaques de l’armée syrienne libre (les rebelles). « On nous disait que c’était des terroristes et que nous ne devions pas hésiter à les tuer. »

Hussein Mahmoud explique aussi que les manifestations de soutien à Assad qui sont filmées par les media officiels sont des mises en scène organisées par le pouvoir et que lui-même et les autres soldats avait reçu l’ordre d’y figurer : « Nous avons été emmenés quatre fois dans des manifestations pro-Assad. Ils nous habillaient en civil, nous donnaient des portraits de Bashar Al-Assad et des slogans à brandir. » Selon lui, beaucoup de soldats syriens se sentent pris au piège dans l’armée : « Tous les soldats cherchent une occasion de déserter. »
L’ampleur des désertions est confirmée par Ahmad Sulaiman, 20 ans, qui a servi un an à Damas : « Les forces du régime perdent le contrôle autour de Damas. La plupart des places sont libérées par l’armée syrienne de la Liberté. Les désertions des soldats augmentent chaque jour. » Ahmad Sulaiman explique aussi que les soldats kurdes sont systématiquement envoyés en première ligne des combats : « Ils ne peuvent faire retraite s’ils rencontrent une forte résistance parce qu’il y a une force spéciale dans l’armée qui est chargée de tuer ceux qui reculent. » 

«Nous les accueillons pour des raisons humanitaires, ils sont sous notre protection et nous leur avons donné le statut de réfugiés" a déclaré Anwar Haji Othman, adjoint du ministre des Peshmergas. « Nous ne les remettrons pas au gouvernement syrien parce qu'ils sont Kurdes et c'est notre droit de les protéger. » 

Selon Anwar Hajo Othman les premiers chiffres officiels parlent de 15 familles et 130 civils hommes, répartis entre deux camps à Duhok, où vivent déjà 1800 Kurdes de Syrie ayant fui les violences de 2004. Mais d'autres réfugiés vont suivre, selon les estimations du gouvernement kurde. Shaker Yassin, qui dirige le bureau de l'immigration du ministère de l'Intérieur, a ainsi déclaré à l'AFP qu'ils avaient installé un nouveau camp à Duhok, pour accueillir environ 1000 familles.

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