Le printemps de Suleimaniye : entre balles et narcisses
Depuis une semaine Suleimaniye s'agite, les partis kurdes se réunissent et s'accusent mutuellement et des communiqués de presse un peu hâtifs attendent que le Kurdistan d'Irak emboîte le pas à la Tunisie, l'Égypte, la Lybie et cie.
Pour le moment, on ne peut pas dire que ce soit un 'printemps kurde' très généralisé et très sanglant, puisqu'on ne compte qu'une poignée de victimes. La confusion et les prises de bec ressemblent plutôt à un règlement de compte entre partis, où certains y voient, bien sûr, les menées sournoises d'un 'grand pays voisin' cherchant à manipuler la jeunesse kurde, via 'un parti d'opposition'.
Le 17 février, une manifestation pacifique, d'environ 3000 personnes, principalement des jeunes gens, répondant à l'appel d'une organisation de jeunesse proche de Gorran, défile à Suyleimaniye pour protester contre la corruption et les insuffisances des services publics. Ce n'est pas la première fois et cela ne fait habituellement pas de morts.
À un moment, une petite fraction du cortège dévie soudain de sa route et tente de prendre d'assaut le quartier général du PDK, le parti de Massoud Barzani, qui a très peu de partisans dans cette province. Des assaillants pénètrent dans les locaux, qu'ils saccagent, détruisant aussi les ordinateurs. Réfugiés sur le toit, les gardes du bureau (au moins un, en tout cas) tirent en l'air. Puis les forces de sécurité de la ville se déploient. Il y a des tirs, de provenance incertaine, un adolescent de 14-15 ans est touché à la tête et tombe, vite évacué par les policiers. Parmi la centaine de manifestants autour du bâtiment (dont la plupart se contentaient de regarder), on parle de près de 50 blessés.
Les images filmées par les manifestants et les journalistes font très vite le tour d'Internet et des media proches de Gorran. La mort quasi directe d'une des jeunes victimes choque profondément les Kurdes, sans que les vidéos puissent indiquer vraiment qui a tiré.
Un couvre-feu est instauré le jour-même dans la ville, tandis qu'en représailles, des inconnus, sans doute sympathisants du PDK ou de l'UPK, attaquent et brûlent ou pillent des représentations de Gorran à Erbil et Duhok.
Très vite, les partis politiques s'accusent mutuellement. Le PDK, nouvellement dirigé par Nêçirvan Barzani, accuse l'UPK (dont les forces contrôlent Suleimaniye) de n'avoir pas envoyé ses forces protéger à temps ses locaux et empêcher les manifestants d'assaillir son QG. Aussi, Barham Salih, le soir même décide d'envoyer les forces du PDK (Zeravani) maintenir à Suleimaniye. Certes, cela ne semble pas très judicieux étant donné l'hostilité des manifestants envers le PDK et le peu d'amour que se portent mutuellement les forces PDK et UPK. Mais il semble que le Premier Ministre, lui-même UPK, craigne que les milices de son propre parti ne soient 'infiltrées' par le parti dissident Gorran (après tout, les liens entre Gorran et UPK sont familiaux).
De fait, on rapporte presque immédiatement un début d'affrontement entre les Zeravani et les forces UPK à Bazian, forces menées par Kosrat Rassoul, vétéran du bureau politique de l'UPK, qui avait été, durant la guerre civile, condamné à mort par contumace par la Cour pénale d'Erbil, pour son implication dans l'attentat de 1995 qui avait fait 96 victimes à Zakho. La peine avait été levée en 2002, lors de la réconciliation entre les deux factions et en vue de préparer la réunification des deux zones kurdes. En tout cas, les relations entre les deux milices ne sont pas toujours au beau fixe et la presse kurde fait état de rencontres plus ou moins houleuse entre le PDK et l'UPK pour se mettre d'accord.
Quoi qu'il en soit, le 18 février, les forces du PDK patrouillent la ville et celles de Kosrat Rassoul la cernent, ce qui n'empêchent pas d'autres manifestations d'avoir lieu, cette fois pour demander le retrait des forces du PDK.
Le 20 février, un autre adolescent meurt sur le coup à Suleimaniye dans un affrontement entre des manifestants et les forces du KDP, alors que de nouveau, les locaux du PDK sont pris d'assaut à fin, semble-t-il, de les brûler. Les Zerevani tirent et usent de gaz lacrymogène. Des arrestations ont lieu. Durant la nuit, une cinquantaine d'hommes armés attaquent une TV-radio privée, Nalia, à Suleimaniye. Les locaux sont dévastés et brûlés et le gardien blessé. Ce media avait été lancé 3 jours auparavant afin de couvrir les événements. Son propriétaire, Shaswar Abdulwahid affirme avoir été plusieurs fois menacé, mais que le Premier Ministre ainsi que Kosrat Rassoul l'avaient assuré de sa sauvegarde. Naturellement, les forces gouvernementales sont pointées du doigt.
Les manifestations se poursuivent les jours suivants à Suleimaniye mais de façon plus pacifique. Le 21 février, le mot d'ordre était même Peace and Love et Flower Power : Près de 5000 personnes ont à nouveau défilé. Cette fois, ce n'est plus uniquement un cortège de jeunes gens, mais aussi des personnalités, artistes, chanteurs et acteurs, brandissant des mots d'ordre pacifiques. Des fleurs ont été distribuées au passage, et ce même aux forces de l'ordre, ce qui vaut une photo particulièrement savoureuse :
AFP via Kurdistan Commentary |
Après la Révolution du Jasmin, celle du Narcisse… Maintenant, si l'opposition et les manifestants voulaient faire aux forces de sécurité la réputation de mercenaires lybiens, c'est un peu raté…
Les partis réunis d'urgence n'ont, pour le moment, pas pu se mettre d'accord sur une éventuelle réconciliation ni sur les réformes à instaurer. La presse proche du gouvernement accuse Nawshirwan Mustafa d'avoir agi à l'instigation de l'Iran, qui voulait ainsi se venger de manifestations tenues en janvier dernier devant son consulat pour protester contre l'exécution d'un Kurde à Ourmiah. Peyamner, l'agence de presse du PDK l'accuse même d'avoir rencontré les Sepah (services iraniens) trois jours avant les événements, alors que le leader de Gorran était à Penjwin, près de la frontière.
Gorran riposte en niant être à l'origine des troubles et réclame que les responsables de la 'tuerie' soient traduits en justice, tandis que ses sympathisants se rassemblent autour de ses locaux pour les 'protéger'. Les images des manifestations se propagent sur Facebook, twitter, les blogs, et la presse. Les partis kurdes, cependant, craignant une flambée de violence, tentent de calmer le jeu (tout en essayant de se faire porter mutuellement le chapeau) et l'on parle aussi de compromis avec Gorran, même si ce dernier multiplie les déclarations incendiaires contre les partis au pouvoir. Le gouvernement appelle au calme, condamne les violences des manifestants et des tireurs, et promet une enquête. Barhma Salih va rendre visite au père du premier adolescent tué, Massoud Barzani lui parle au téléphone, et ce dernier, s'exprimant sur les ondes, appelle à cesser la violence. La plupart des associations et ONG civiles appellent aussi à la cessation des violences et craignent la reprise de la guerre civile. Les étudiants et les lycéens s'agitent, font des sit-in, menacent de s'immoler si Massoud ne s'excuse pas pour la mort des manifestants, mais pour le moment, personne ne s'est suicidé.
Le 25 février doit avoir lieu une manifestation massive, cette fois dans tout l'Irak, pour protester contre la corruption. On verra cette fois si, à Suleimaniye, les narcisses prévaudront sur les fusils…
Attentat à Zaxo qu'on a longtemps imputé au PKK injustement... Beaucoup parlent surtout d'une attaque fait par le PDK lui même. Zaxo étant plutôt UPK à l'époque...
RépondreSupprimerCes manifestations sont justifiées et l'ensemble des demandes de Goran et des manifestants sont bonnes pour la démocratie.
On accuse les manifestants d'être manipulé par l'Iran mais ce sont pour la plupart ces mêmes manifestants qui manifestent contre la Turquie ou l'iran lorsqu'ils tuent des Kurdes. Pendant que chez les partis qui sont au pouvoir c'est le silence...
Aucun commentaire des serok.... On ferme les universités de Hewler de peur que ça se propage. On incendie une chaine "indépendante"... Vous appellez ça des partisans, lorsque l'on brûle des bureaux un peu partout dans le pays sans que personne soit arrêté et que l'on sait que ça va se dérouler c'est plutôt qu'ils sont responsables de ces actes.
En fait pour l'attentat de Zakho, à l'époque on avait plutôt accusé les Turcs.
RépondreSupprimerSinon le caractère 'UPK' de Zakho ne m'avait pas frappée en 1994, et puis le rapprochement entre l'UPK et le PKK ne date que de la fin août 10095 alors que l'attentat de Zakho a eu lieu en février si mes souvenirs sont bons.