Hayder Al-Abadi, 65ème Premier Ministre, sauvera-t-il l'Irak ?



Malgré des pressions internationales et nationales quasi-unanimes pour inciter le Premier Ministre irakien, Nouri Maliki, à ne pas exercer de troisième mandat, ce dernier campait sur ses positions depuis avril, arguant du droit « constitutionnel » à être reconduit dans ses fonctions, en raison de la victoire aux législatives de sa liste, État de droit. Mais la politique de Nouri Maliki lui ayant aliéné une large majorité des Irakiens, même les chiites, et étant jugé  responsable du désastre de Mossoul et de l’actuelle situation irakienne, plus aucun soutien politique sérieux ne pouvait plaider en sa faveur, sauf une fraction assez minoritaire au sein de son bloc parlementaire, État de droit.

Les chiites ont tenté, durant plusieurs semaines, de trouver une alternative à Nouri Maliki, qui serait acceptée par les arabes sunnites et les Kurdes, ces deux groupes étant en rupture avec Bagdad. Il fallait d’abord faire consensus au sein de leur coalition, et persuader le Premier Ministre de céder la place.

Entre temps, le président irakien a été élu le 24 juillet : le kurde Fouad Massoum avait, selon la constitution, 15 jours à partir de son élection pour choisir un Premier Ministre qui formerait son gouvernement soumis au vote du Parlement. Dès sa prise de fonction, Fuad Massoum avait d’abord indiqué que le 7 août serait une ligne rouge à ne pas dépasser, avant de rallonger ce délai jusqu’au 10. Finalement, devant les difficultés, l’assemblée nationale irakienne prolongea encore la nomination au 19 août, les négociations n’étant pas « achevées ». 

Quand Fouad Massoun réunit l’Alliance nationale, la principale coalition parlementaire après celle de Maliki, afin de se mettre d’accord sur un nom, on put remarquer la présence de membres d'État de droit, ce qui montrait que le parti du Premier Ministre ne soutenait plus unanimement son leader. Dans le même temps, le compte twitter officiel d’État de droit, publiait plusieurs avertissements s’opposant à tout « recours à la violence », ces allusions visant clairement Maliki, toujours à la tête de la Défense, des forces de sécurité et de l’armée, et qui était soupçonné d’avoir prévu un coup d’État pour garder son poste.

Nouri Maliki,  le 10 août, a déclaré son intention de porter plainte devant la Cour fédérale contre la présidence irakienne, maintenant assumée par Fouad Massoum, pour avoir violé la constitution sur deux points : 1/ avoir étendu le délai de 15 jours (jusqu’au 10 août) pour la désignation d’un Premier Ministre, lequel devait être la tête de la liste ayant remporté les législatives (lui-même, donc), et 2/ avoir à nouveau étendu ce délai (après le 10 août). Arguant, avec un certain aplomb, de la « situation dangereuse » dans laquelle se trouvait l’Irak face au danger d’EI et stigmatisant les politiciens « proches d’EI » (Maliki désigne volontiers ainsi tout opposant), le Premier Ministre a, très exactement 90 mn avant son intervention télévisée, soit à 22 h 30 GMT + 2, ordonné le déploiement des Forces de sécurité irakiennes et des Forces d’opération spéciale irakiennes pour « sécuriser » les entrées de Bagdad et la Zone verte, tout en bloquant un certain nombre de rues et de ponts à l’intérieur de la ville. Une source (anonyme) présente dans la Zone verte indiquait à la presse que les bâtiments de la Présidence étaient cernés par ces mêmes forces, mais cela a été démentie par d’autres sources, émanant de la Présidence, qui aurait en fait déployé ses propres gardes pour assurer sa sécurité.

La veille, le 9 août, une manifestation avait rassemblé au centre de Bagdad les supporters du Premier Ministre, qui avait aussi enjoint le grand Ayatollah Sistani (un de ses farouches adversaires) de ne pas « se mêler de politique » et ce message a été diffusé publiquement dans la manifestation.

Les Irakiens et les Kurdes ont immédiatement interprété ce déploiement de forces comme une menace de coup d’État. Les USA s’en sont aussi inquiétés et la porte-parole du Département d’État, Jen Psaki, a déclaré que son pays « rejetait tout effort de parvenir à ses fins par la coercition et la manipulation du processus constitutionnel et judiciaire », rappelant que Washington était prêt à « soutenir un nouveau gouvernement, inclusif » dans le combat contre EI. John Kerry alla même jusqu’à envisager une rupture du soutien international à l’Irak dans cette crise.

Alors même qu’un nouveau Premier Ministre, Hayder Al-Abadi, un chiite issu de la liste État de droit, a fini par être choisi, Nouri Maliki ne semblait toujours pas prêt à renoncer, en dépit du soutien des États-Unis et de l’Union européenne apporté à cette nomination, et le vote de 127 parlementaires dont presque la moitié de la liste État de droit (38) et 12 venant du bloc Mustaqilun, mené par Hussein Sharistani, qui fut pourtant le principal exécutant de la politique de Nouri Maliki contre les Kurdes en matière de gestion des ressources. Le reste du bloc État de droit s’est abstenu.

Nouri Maliki a commencé par refuser de reconnaître Hayder Al-Abadi comme son successeur, écrivant à la Cour fédérale que le bloc État de droit étant enregistré sous son nom, ses députés n’avaient pas le droit d’exprimer une position contraire à la sienne et qu’Al Abadi en tant que responsable de son parti, ne pouvait agir sans son autorisation.

Le 11 août, Nouri Maliki, de plus en plus désavoué, n'a pu rassembler autour de lui que 29 membres d’État de droit, quand il a donné une seconde allocution filmée, critiquant le caractère inconstitutionnel de son évincement. Cela n’empêcha pas le président Fouad Massoun de désigner enfin officiellement son Premier Ministre, dans une cérémonie officielle en présence de Hussein Al Sharistani, Al-Jafari (leader de l’Alliance irakienne), Baqir Jabur, (Alliance des citoyens ou Mowatin, une coalition religieuse chiite) Dhia Al Assad (sadriste) et un autre représentant d’une branche sadriste, Fadhila.

Les milices chiites irakiennes soutenues par l’Iran ont aussi retiré leur soutien à l’ancien Premier Ministre en le reportant sur Al-Abadi, ce qui indiquait une désaffection de Téhéran envers son principal « pion » politique sur le terrain bagdadi.

Mais cet isolement et ces désistements successifs n’ont pas empêché Nouri Maliki d’appeler ses supporters à manifester contre Al Abadi le 13 août. Cette fois, les rangs des manifestants s’étaient considérablement raréfiés.

Sur le plan international, les puissances occidentales comme les États voisins, dont l’Arabie saoudite et la Turquie, ont salué la nomination d’Al Abadi, qui a appelé le 12, jour de la cérémonie de sa désignation, à un « Irak unifié », tout en ménageant son prédécesseur, Nouri Maliki, dont il a loué « l’action contre le terrorisme ». Le lendemain, 13 août, plusieurs explosions mortelles secouaient Bagdad et Karbala, que cela vienne des cellules de l’EI ou de factions inconnues, qu’elles soient sunnites ou chiites, et une amélioration des conditions de sécurité les villes du sud semble incertaine.

Les Kurdes ont montré peu d’enthousiasme à se joindre au nouveau gouvernement et jusqu’au 8 septembre, l’incertitude a régné sur leur participation, alors qu’une ultime réunion avait lieu à Suleïmanieh, au siège du Gorran, entre les représentants des principaux partis kurdes, le PDK, l’UPK, et les deux partis islamiques, pour en décider : Nêçirvan Barzanî, le PM de la Région kurde, le secrétaire général adjoint de l’UPK, Kosrat Rassoul, le leader de Gorran, Nashirwan Mustafa, Mohammed Faradj, le secrétaire général adjoint de l’Union islamique du Kurdistan et le leader du Groupe islamique, Ali Baber. Selon le porte-parole de Gorran, le secrétaire d’État adjoint américain pour le Proche Orient Brett McGurk et le représentant des Nations Unies en Iraq, Nicklay Mladenov des États-Unis et de l’ONU étaient présents à cette rencontre. 

Le lendemain 9 septembre, alors que le Parlement irakien s’était déjà réuni pour approuver ou désavouer par vote le Premier Ministre, les députés kurdes attendaient encore à la cafétéria le feu vert de leurs leaders, et, arrivés un peu en retard, annoncèrent finalement la participation des Kurdes au futur gouvernement.

Hayder Al-Abadi a plaidé pour une résolution des conflits qui ont abouti à la partition de facto de l’Irak et a notamment assuré que son gouvernement était « déterminé à résoudre tous les problèmes en suspens avec le Gouvernement régional du Kurdistan ».

Le 8 septembre, Hayder Al-Abadi et son cabinet, composé de 24 ministres, étaient approuvés par le Parlement irakien. Seuls les postes de la Défense et de l’Intérieur n’ont pas  (encore) été pourvus, ce qui perpétue un peu l’ère Maliki, lequel assumait ces fonctions par interim depuis des années. Les trois vice-présidents choisis renouent aussi avec la tradition du « consensus » qui veut que tous les représentants des grandes factions soient représentées : Iyad Allawi, pour l’Alliance nationale irakienne, Osama Al-Nudjayfi, l’ancien président du Parlement, qui représente les sunnites et… Nouri Maliki, dont le rôle dans la crise irakienne ne sera finalement pas jugé et qui a peut-être négocié son ‘retrait sans effusion de sang’ en échange d’une fonction plus honorifique que politique mais qui lui permet de rester sur le banc de touche, sans sortir tout à fait du jeu irakien.

Au cabinet du Premier Ministre, trois vice-Premiers ministres : le Kurde Hoshyar Zebari, qui quitte ainsi son poste des Affaires étrangères, Saleh Al-Mutlaq, le leader sunnite du Front national irakien, et Baha Aradji, un sadriste.

Aux Finances c’est Roj Shaways, un Kurde du PDK, qui est nommé,  après avoir été vice-premier Ministre sous Jaffari et Maliki. La question du budget dû aux Kurdes par Bagdad étant le nerf de la guerre, cette nomination peut apparaître comme un geste envers les Kurdes. Aux Affaires étrangères, c’est un ancien Premier Ministre et ancien vice-président, Ibrahim Jaffari, porte-parole du Parti de Maliki.

Hussein Sharistani est relégué à l’Éducation nationale, ce qui peut laisser espérer une relance dans les négociations sur la gestion du pétrole kurde par le GRK.

Remplaçant Hussein Sharistani au ministère du Pétrole, Adi Abdul-Mahdi n’est pas « l’homme de Maliki » mais vient du Conseil islamique suprême d’Irak, un parti religieux chiite. C’est un économiste, ministre des Finances irakien en 2004 et 2005,  qui a la particularité d'avoir plus de liens avec la France que la Grande-Bretagne, puisqu’il a fait ses études en France, à partir de 1969, où il a travaillé pour plusieurs think tank françaises et a dirigé quelques revues franco-arabes. Le nouveau ministre du Pétrole peut amorcer une nouvelle politique, plus souple, rompant avec l’intransigeance du gouvernement Maliki-Sharistani sur cette question. Chiite, il n’appartient pas au part État de droit, mais est un haut responsable du Conseil suprême islamique, un parti religieux qui a toujours maintenu de bonnes relations avec les Kurdes et est considéré comme « un homme de dialogue » par ces derniers. 

Quant au Premier Ministre, Hayder Al-Abadi, il est né à Bagdad en 1952, où il a fait des études d’ingénieur, avant de partir à Manchester pour compléter son cursus. Membre du parti religieux chiite Al-Dawa dès 1967, il en occupe assez rapidement une position de leadership à la fin des années 70, notamment en tant que membre de l’exécutif, alors qu’il est à Londres, où il restera en exil jusqu’en 2003. En 1983, l’Irak lui confisque son passeport pour « conspiration contre le Parti Baath », et dans cette même décennie, trois de ses frères sont arrêtés pour appartenance à Dawa.

Revenu en Irak, il est ministre des Communications entre 2003 et 2004. Au début de 2005, il est conseiller auprès du Premier Ministre Iyad Allawi et à la fin de cette même année est élu au parlement, où il a présidé la commission de l'économie, de l'investissement et de la reconstruction, puis celle des finances. En juillet dernier, il a été élu vice-président du Parlement. Dès 2010, il avait été régulièrement mis en avant comme une alternative à Nouri Maliki, dont il est un des proches. Décrit comme un homme d’abord « ouvert, amical », il a la réputation d’être « accessible » ce qui peut trancher avec l’isolement et la défiance frôlant la paranoïa dans lequel s’est enfermé son prédécesseur, lui aliénant une bonne partie des milieux politiques irakiens et kurdes.

Mais dans un entretien avec le journal kurde Rudaw, daté du 10 septembre, le ministre des Affaires parlementaires du GRK, Mawlud Bawamurad, a révélé que la participation des Kurdes au gouvernement irakien a été décidée sous « une forte pression » des États-Unis,  conditionnant l’aide américaine dans la kutte contre l’EI, mais qu’il estimait que c’était « une bonne décision ».

Sur les rapports entre les Kurdes et les chiites, Mawlud Bawamurad fait part d’une hostilité de certains milieux chiites, notamment parmi les cercles proches de Nouri Maliki, les Kurdes étant vus comme les responsables directs de sa chute. Le soutien international à Erbil a fait naître aussi des rancœurs, du fait que les chiites se sentent, eux, dépourvus d’un tel soutien. Beaucoup de Kurdes, pour leur part, ne trouvent aucun avantage personnel à participer au nouveau gouvernement de Bagdad et sont enclins à se passer de l’Irak, maintenant qu’ils ont récupéré les territoires qu’ils réclamaient. Mais le soutien international et l’armement sophistiqué qu’ils ont reçu des puissances occidentales obligeaient quelque peu les leaders kurdes à ne pas « lâcher » l’Irak, tout en soumettant leur participation au gouvernement à une période « conditionnelle » de trois mois. Les chiites ont de même accepté ce partenariat kurde en raison de la faiblesse de leur position devant la menace d’EI et leur dépendance envers l’aide américaine. Ils ont dû également tenter une réconciliation quelque peu forcée avec les sunnites, dans le dessein de les détacher de la tentation de rester ou de basculer totalement du côté d’EI.

Un député kurde a même estimé auprès d’un journaliste du Monitor, Mohammad Al-Saleh, que le retour de son bloc politique au gouvernement était plus un accord entre Kurdes, d’une part, et USA et ONU, de l’autre, qu’avec des Irakiens dont ils estiment avoir peu à espérer. Selon Muthana Amin, autre parlementaire kurde à Bagdad, le Premier Ministre Al-Abadi mise d;ailleurs plus sur une alliance entre chiites et sunnites (pour autant qu’elle soit durable) qu’avec les Kurdes, qu’il souhaite laisser de côté, espérant recomposer au moins les deux parties arabes et séparées de l'Irak.

En tout cas, le principal point de litige entre Erbil et Bagdad, la question du pétrole, n’a cessé d’être alimentée par une bataille juridique exportée aux États-Unis, alors même que l’Irak et le Kurdistan faisaient face, au mois d’août, aux assauts d’EI.

Début août, en effet, Bagdad souhaitait toujours empêcher la vente d’une cargaison de pétrole brut, d’une valeur de 100  millions de $, en provenance du Kurdistan, convoyé sur la côte texane. L’Irak a déposé une plainte auprès de la cour fédérale de Houston, et a aussi demandé à sa propre cour suprême de bloquer toute nouvelle exportation de pétrole brut de Gouvernement régional du Kurdistan. 

Mais bien que Bagdad ait demandé la saisie des million de barils transportés par le pétrolier Kalavrta, et que cette saisie ait été préalablement ordonnée par une cour locale, la cour de Houston l’a levée car celui-ci stationne dans le golfe du Mexique en dehors des eaux territoriales américaines, à environ 97 km (60 miles)  des côtes. Mais le juge n'a pas tranché sur le fond de l’affaire, à savoir à qui appartient ce brut et qui a le droit d’en disposer. Le ministre irakien du Pétrole avait annoncé immédiatement son intention de contester la décision du tribunal, qui ne porte pourtant que sur un point du code maritime.

Par ailleurs, cela a incité le GRK à continuer ses exportations en utilisant plus volontiers de petits pétroliers, d’une capacité de 250 000 barils, afin de tromper la surveillance de Bagdad, multipliant les cargaisons vers différentes destinations, à partir du port turc de Ceyhan. Plusieurs de ces pétroliers ont ainsi opportunément disparu du réseau satellite avant de réapparaître quelques jours après, vides de leur cargaison : ainsi le Kamari, qui transportait à la fois du pétrole iranien et kurde, et qui s’évanouit des écrans au nord du Sinaï égyptien, pour réapparaître (vide) 2 jours plus tard, au large d’Israël.

Le Kalavrta s’est de même déplacé, fin août, et a disparu 24 h dans les eaux internationales en bordure de la côte texane. En juillet dernier, un autre pétrolier a transféré du brut kurde dans un autre cargo au sud de la mer de Chine.

Le 6 septembre, le gouvernement irakien, qui n’avait plus que 2 jours avant la formation d’un nouveau cabinet, refaisait une demande de saisie auprès des tribunaux américains, jusqu’à ce que la propriété du pétrole soit légalement établie. Dans le même temps, une compagnie grecque faisait l’objet de poursuites pour avoir exporté du brut kurde via 5 de ses navires. Bagdad réclame 318 millions de dommages et intérêts.

Maintenant, la suite de ces démêlés judiciaires appartient au nouveau Cabinet. Affaire à suivre…

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