Août 14 : La grande Guerre des Kurdes I. Le Kurdistan d'Irak
Le 1er août, en visite à Khanaqin, le président Massoud Barzani annonçait aux peshmergas l’arrivée imminente d’armes plus performantes que celles dont ils étaient actuellement équipés, afin d’être en mesure de lutter contre l’État islamique, lui-même en possession d'un armement sophistiqué de provenance américaine, laissé par l’armée irakienne dans sa fuite de Mossoul.
Dès le lendemain, 2 août, des combats éclataient entre l'État islamique et les Peshmergas autour des villes de Zummar (à l'ouest du barrage de Mossoul, au nord de Tell Afar), jusqu’à ce que ces derniers se retirent, que ce soit parce qu’ils étaient à court de munitions ou pour laisser l’aviation irakienne bombarder les positions ennemies. Dans le même temps, un convoyage de renforts militaires kurdes faisait route vers la zone des combats. Les habitants avaient déjà commencé de fuir vers des régions sécurisées.
Les attaques d’EI au début d’août, avaient, semble-t-il, deux objectifs :
D'abord la possession des puits de pétrole et de l’oléoduc de Mossoul. C’est ainsi que les champs d’Ain Zala et de Batma al Murtafa ont été conquis, et que le contrôle total de l’oléoduc reliant le nord de l’Irak à la Turquie tombait aussi dans leurs mains.
D'abord la possession des puits de pétrole et de l’oléoduc de Mossoul. C’est ainsi que les champs d’Ain Zala et de Batma al Murtafa ont été conquis, et que le contrôle total de l’oléoduc reliant le nord de l’Irak à la Turquie tombait aussi dans leurs mains.
Le second objectif était le barrage de Mossoul, tenu par les Peshmergas, auxquels EI donna un ultimatum de 2 h pour l’évacuer, dans le même temps où ses assauts commençaient. La perte du barrage de Mossoul soulevait, dans tout l’Irak, la crainte d’une noyade massive jusqu'à Bagdad, au cas où l'EI déciderait, dans un geste suicidaire, certes, de lâcher les eaux, ou bien s’ils s’avéraient incapables d’en assurer la maintenance.
Mais EI lança une autre attaque surprise à Şingal (Sindjar en arabe), région historique et sacrée des yézidis kurdes, mais située très à l’ouest de Mossoul, dans une zone sans frontière commune avec le Kurdistan, non loin de la Syrie, et facilement encerclé par l'EI au fur et à mesure qu’il prenait le contrôle de la province de Ninive-Mossoul.
Le 3 août, des unités djihadistes foncèrent soudain en direction de la ville de Şingal, surprenant les Peshmergas sur place, dont certains officiers et responsables s’enfuirent sans résistance, d’après les témoins oculaires. En quelques heures, le drapeau d’EI flottait sur le bâtiment anciennement occupé par les militaires kurdes. Immédiatement, des milliers de Yézidis et de Shabaks partirent, soit vers la province de Duhok, soit dans la direction des montagnes de Şingal, où ils se retrouvèrent très vite piégés, sans eau, ni vivres ni secours, et totalement assiégés par EI, alors que les djihadistes s’occupaient à détruire les lieux et bâtiments sacrés des yézidis, comme ils avaient fait aux monuments musulmans et chrétiens de Mossoul.
Les forces kurdes restés sur places (Peshmergas et Zeravani) se retrouvèrent eux aussi encerclées sur 3 côtés dans la région, alors que les forces YPG passaient la frontière syrienne pour participer au combat, du côté est.
Le 4 août, il était certain que Zummar et Şingal avaient été conquis par l'EI, tandis qu’au sujet du barrage de Mossoul, des rapports contradictoires faisaient tour à tour état de son contrôle par les Peshmergas, et de sa prise par EI, jusqu’à ce que, le 8 août, le chef du cabinet présidentiel du Kurdistan, Fouad Hussein, annonce la prise effective du barrage.
Dès le 5 août, de source officielle kurde, des renforts de Peshmergas étaient revenus dans la ville de Şingal et un correspondant de Rudaw indiquait qu’environ 10 000 hommes encerclaient la ville, et en avaient atteint le centre, en essayant d’en repousser les djihadistes. D’autres unités faisaient aussi route vers les monts pour essayer de briser le siège subi par les yézidis.
Le 8 août, à l'est de Şingal, les YPG du PKK syrien, passant la frontière, parvenaient à établir un corridor de sécurité et assuraient l’évacuation vers la Syrie de milliers de yézidis coincés dans les montagnes, alors que les largages humanitaires, américains, anglais ou irakiens, de vivres et d’eau, s'avéraient insuffisants en raison du terrain, du nombre des assiégés et de leur dispersion dans une vaste zone montagneuse. Les tirs d’EI contre les hélicoptères et les avions irakiens rendaient aussi difficile l’accès aux réfugiés et empêchaient les avions de descendre trop bas pour larguer les kit de survie, ce qui entraînait la destruction importante de beaucoup d’entre eux quand ils touchaient le sol. Les premières évacuations des réfugiés par hélicoptères eurent aussi lieu autour du 11 août mais furent rendus difficiles en raison du très grand nombre de personnes dans la montagnes et des tirs d’EI, contre les hélicoptères.
Le 8 août, à l'est de Şingal, les YPG du PKK syrien, passant la frontière, parvenaient à établir un corridor de sécurité et assuraient l’évacuation vers la Syrie de milliers de yézidis coincés dans les montagnes, alors que les largages humanitaires, américains, anglais ou irakiens, de vivres et d’eau, s'avéraient insuffisants en raison du terrain, du nombre des assiégés et de leur dispersion dans une vaste zone montagneuse. Les tirs d’EI contre les hélicoptères et les avions irakiens rendaient aussi difficile l’accès aux réfugiés et empêchaient les avions de descendre trop bas pour larguer les kit de survie, ce qui entraînait la destruction importante de beaucoup d’entre eux quand ils touchaient le sol. Les premières évacuations des réfugiés par hélicoptères eurent aussi lieu autour du 11 août mais furent rendus difficiles en raison du très grand nombre de personnes dans la montagnes et des tirs d’EI, contre les hélicoptères.
Des violents accrochages avaient aussi lieu pour défendre la frontière de Rabia dans des actions conjointes avec les YPG (qui tiennent le côté syrien de Yaroubia), comme aux premiers jours de juin.
Le 6 août, de Qandil, le commandant militaire du PKK, Murat Karayilan, appelait, dans le journal turc Radikal, « tous les groupes armés kurdes » à s’unir contre EI et souhaitait un « commandement conjoint », tandis que le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran préparait aussi ses unités de combat pour venir assister les Peshmergas.
Le 6 août, de Qandil, le commandant militaire du PKK, Murat Karayilan, appelait, dans le journal turc Radikal, « tous les groupes armés kurdes » à s’unir contre EI et souhaitait un « commandement conjoint », tandis que le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran préparait aussi ses unités de combat pour venir assister les Peshmergas.
Dans un discours où il s’adressait à toute la nation kurde, le président Massoud Barzani avait déjà annoncé une tactique offensive et non plus défensive, si bien que les Peshmergas se sont mis à attaquer plusieurs positions d’EI, que ce soit à Mossoul, dans la région de Kirkouk ou de Khanaqin. Mais l’importance de la ligne de front (plus de 1000 km) et les manques en armes et en munition des Kurdes eurent pour conséquence, dans un premier temps, le recul des Peshmergas de leurs positions initiales.
Les habitants des localités avoisinant Mossoul, (dont beaucoup de chrétiens) avaient commencé de fuir eux aussi vers les régions plus au nord, comme Sheikhan, tant en raison des bombardements de l’armée irakienne que par crainte des avancées de l’EI, notamment dans la région d'al Hamdaniya et Tell Kayf, où les Peshmergas et l’EI s’affrontaient durement sur le terrain, , alors qu’EI s’emparait peu à peu de ces régions habitées par les chrétiens, yézidis et shabaks, ce qui entraîna une autre vague massive de réfugiés vers les régions d’Erbil et de Duhok.
Le 7 août, les Peshmergas de la grosse ville chrétienne de Qaraqosh (Baghdida) (environ 50 000 habitants), probablement en danger d’être encerclés et de voir se répéter la catastrophe de Sinjar, reçurent subitement l’ordre de se retirer de la ville. Cette fois, ils ont pu avertir – même si très soudainement – les habitants, qui durent quitter les lieux en pleine nuit et marcher des heures jusqu’à Erbil, s’entassant dans la bourgade chrétienne d’Ankawa. Tell Kayf, Bartella, Al Qosh ont été de même évacués et, finalement, des dizaines de milliers de chrétiens viennent s’ajouter aux réfugiés yézidis et shabaks, entre les provinces d’Erbil et de Duhok.
Plus au sud, le 6, des attaques d’EI avaient commencé de menacer Makhmour, dans la région d’Erbil, et des accrochages lourds eurent lieu avec les Peshmergas, ainsi qu'avec les unités du PKK venues en renforts (Makhmour abrite un camp de réfugiés kurdes de Turquie, plus ou moins encadré par le PKK). Les femmes et les enfants furent évacués du camp et les PKK s’y déployèrent.
Le 8 août, Makhmour n’étant qu’à 40 km d’Erbil, les USA prenant prétexte de la menace encourue par leurs ressortissants vivant dans la capitale kurde, commencèrent à frapper EI dans cette zone, ainsi qu’à Şingal où la population était menacée de génocide.
Tuz Kurmatu, une des positions les plus au sud de Kirkouk, tenue par les Peshmergas, a essuyé aussi des attaques. Le 11 août, à Jalawla, près de Khanaqin, les avances d’EI provoquèrent là aussi la fuite des habitants, alors que le drapeau d’EI flottait déjà sur plusieurs quartiers.
Gwer (al-Quwayr en arabe), à 30 km d’Erbil a été le siège de combats violents, comme à Khanaqin. Des renforts de Peshmergas sont arrivés de Suleimanieh, mais le 14, des mouvements importants de troupes d’EI en direction de Gwer, notamment en traversant le Petit Zab, amena l’armée irakienne à accroître le débit du cours d’eau à partir du barrage de Dokan pour gêner leur progression (le débit passe de 70 m cubes à 300 m3 par seconde).
Gwer (al-Quwayr en arabe), à 30 km d’Erbil a été le siège de combats violents, comme à Khanaqin. Des renforts de Peshmergas sont arrivés de Suleimanieh, mais le 14, des mouvements importants de troupes d’EI en direction de Gwer, notamment en traversant le Petit Zab, amena l’armée irakienne à accroître le débit du cours d’eau à partir du barrage de Dokan pour gêner leur progression (le débit passe de 70 m cubes à 300 m3 par seconde).
À la mi août, les frappes américaines permettant aux troupes kurdes de reprendre du terrain, des régions près de Mossoul et Tell Kayf sont reprises, ce qui permet d’entreprendre la reconquête totale du barrage, ainsi que des champs de pétrole (auxquels les djihadistes ont mis le feu avant de les évacuer).
Dès le 18, les Peshmergas annonçaient que le barrage avait été « nettoyé » des combattants d’EI mais que ces derniers avaient piégé les bâtiments à l’explosif, ce qui ralentissait leur avance. Mais le 19, le président américain Barack Obama pouvait assurer que le barrage était à nouveau sous le contrôle des Peshmergas et de l’armée irakienne. Une opération conjointe entre forces irakiennes et kurdes entreprenait alors de reprendre Zummar, tombée le 2 août, alors que les frappes américaines se poursuivaient dans la région de Mossoul et non loin d’Erbil. Le 20, les Kurdes avaient avancé jusqu’à Rabia, près de la frontière syrienne, où les affrontements avec EI ont incité des villageois à passer la frontière pour se réfugier dans les zones tenues par le PYD, à Hassaké.
Aux premiers jours de septembre, les combats des Peshmergas en territoires kurdes ou frontaliers du Kurdistan se concentraient à la fois sur la reprise de la région de Tell Kayf, au nord de Mossoul, et de Tuz Khurmatu, au sud de Kirkouk. Les zones dont le contrôle est encore disputé entre Kurdes et L’EI sont, sur la frontière occidentale, Yaroubiah-Rabia (à la fois défendue par les YPG et les Peshmergas) ainsi que que Jalawla (un point stratégique car ouvrant la route vers Bagdad) et la région de Khanaqin, où l’armée irakienne et les Kurdes affrontent l’EI.
La retraite désastreuse de Şingal et les conséquences dramatiques qu’ont eu à subir les yézidis ont été un choc humiliant pour les Kurdes d’Irak (le PKK et le PYD ne se sont pas privés d’opposer ironiquement leurs prouesses militaires et leur action salutaire à Şingal aux revers des Peshmergas). Les responsables administratifs, policiers et militaires en charge de Şingal, coupables de fuite devant l’ennemi, ont été relevés de leurs fonctions par un Massoud Barzani furieux, et font l’objet d’une enquête. Il est à noter que tous les Peshmergas n'ont pas déserté Şingal, que d’autres commandants ont tenu sur place, mais ont dû tout de même attendre que des renforts et des munitions leur parviennent, comme Ismail Mullah Ahmad ou Qasim Şeşo. Même si très vite, les unités de Peshmergas venues en renforts, ont repris et dégagé une grande partie de Şingal, il était trop tard pour les centaines de milliers de yézidis coincés dans les montagnes ou dans les localités investies par EI. L’évacuation de Qaraqosh, au contraire, même tardive et précipitée, a empêché une tragédie équivalente à celle de Şingal de se reproduire.
Car paradoxalement, ce conflit, qui voit les Kurdes se battre pour la première fois comme une armée régulière, les oppose, aussi pour la première fois, à des combattants qui ne sont ni l’armée turque, ni l’armée irakienne, ni l’armée iranienne, mais des forces rebelles, non-étatiques, affranchies de toutes règles internationales modernes. Chaque localité perdue ou temporairement laissée à l'ennemi voit sa population soumise au sort prévu par le Coran dans son application la plus archaïque : les hommes capturés se soumettent à l'islam ou sont tués, les femmes, les enfants et les non-combattants sont butin de guerre et de ce butin, seulement un-cinquième revient au calife (c'est la part de Dieu, des pauvres, de l'État), le reste est distribué entre les armées du djihad qui, actuellement, se répartissent les femmes et les enfants yézidis à Mossoul ou à Raqqa. Pas besoin, pour cela, d'une fatwa (qui est un avis juridique énoncé uniquement quand le droit islamique n'est pas clair) ; là, tout est dans la sourate VIII. Anfal (le Butin), dont s'est déjà servi Saddam (il est vrai que lui a pu avoir besoin d'une fatwa pour décider si oui ou non les Kurdes sunnites étaient à traiter en infidèles, mais dans le cas des yézidis, aucune doute possible).
Car paradoxalement, ce conflit, qui voit les Kurdes se battre pour la première fois comme une armée régulière, les oppose, aussi pour la première fois, à des combattants qui ne sont ni l’armée turque, ni l’armée irakienne, ni l’armée iranienne, mais des forces rebelles, non-étatiques, affranchies de toutes règles internationales modernes. Chaque localité perdue ou temporairement laissée à l'ennemi voit sa population soumise au sort prévu par le Coran dans son application la plus archaïque : les hommes capturés se soumettent à l'islam ou sont tués, les femmes, les enfants et les non-combattants sont butin de guerre et de ce butin, seulement un-cinquième revient au calife (c'est la part de Dieu, des pauvres, de l'État), le reste est distribué entre les armées du djihad qui, actuellement, se répartissent les femmes et les enfants yézidis à Mossoul ou à Raqqa. Pas besoin, pour cela, d'une fatwa (qui est un avis juridique énoncé uniquement quand le droit islamique n'est pas clair) ; là, tout est dans la sourate VIII. Anfal (le Butin), dont s'est déjà servi Saddam (il est vrai que lui a pu avoir besoin d'une fatwa pour décider si oui ou non les Kurdes sunnites étaient à traiter en infidèles, mais dans le cas des yézidis, aucune doute possible).
Défendre le Kurdistan (très agrandi depuis juin dernier) oblige ses armées à une guerre de position, ce qui nécessite de prévoir, en cas de recul sur le terrain, une évacuation par précaution des populations, devant un ennemi qui n’a aucunement l'intention de respecter les vies des civils puisque les djihadistes se livrent à une guerre d’extermination. D’un autre côté, la tactique d’ « offensive » contre l'EI et la reconquête de Mossoul, initiée par Barzanî, lance les troupes kurdes dans une guerre de mouvements, étirée entre Ninive et la Diyala, ce qui nécessite plus encore un commandement extrêmement unifié et une stratégie de surveillance globale des déplacements de l’ennemi pour éviter le danger de se faire encercler comme à Şingal ou Qaraqosh.
Aussi, la refonte ou la « réforme » des forces Peshmergas a été annoncée par Massoud Barzani après que les premiers déboires de l’armée kurde ont fait apparaître ses points faibles. Un rapport de la commission parlementaire kurde chargée d'enquêter sur les dysfonctionnements du ministère des Peshmergas pointe particulièrement le caractère partisan et décentralisé des unités armées, leur mésentente ou leur manque de coordination internes, source de problèmes logistiques et tactiques.
D'après ce rapport, les carences en munitions, en approvisionnement et en équipement, dont se plaignent les combattants, ne sont pas les seuls facteurs minant la capacité de résistance ou d’offensive des Peshmergas et des autres unités kurdes. Bahar Abdurrahman, une des députés ayant participé à la commission d’enquête, a livré au journal Rudaw les grandes lignes majeures du rapport. Un des faiblesses cruciales est que le ministère des Peshmergas n’a pas toujours une autorité entière sur la totalité des troupes, et que, même au sein de ce ministère, différentes « sources de décision » sont un obstacle à une efficacité et une réactivité des ordres transmis sur le terrain. La commission recommande ainsi l’instauration d'un « haut-conseil de commandement sous la supervision du Président et du ministre des Peshmergas ». À côté de cela, le caractère politisé des unités combattantes, toutes issues de partis politiques se disputant le pouvoir dans des chèfferies locales, est dénoncé depuis des années, même dans la société civile kurde. Massoud Barzani a ordonné ce mois dernier, que serait prohibée toute exhibition de drapeaux et d’insignes de partis politiques par les troupes, qui devraient toutes n’arborer que le drapeau du Kurdistan. Il est difficile de savoir si ces mesures peuvent être respectées dans l’immédiat, et si elles suffiront à empêcher les Peshmergas et les autres de camoufler leurs appartenances politiques.
Cette situation très nouvelle d'une stratégie offensive, voire de conquête (les mouvements des Peshmergas, Zeravani etc, les amènent à opérer à Mossoul ou à Djalawla, dans des zones soient mixtes, soit arabes, dont les populations soutiennent parfois EI) apparaît aussi comme la première guerre nationale kurde, puisque c'est la première fois, dans son histoire, que toutes les forces armées de tout le Kurdistan se sont retrouvées à combattre le même ennemi. C'est aussi sa première guerre classique menée par un gouvernement kurde qui agit, sur la scène internationale, presque comme un État souverain et qui reçoit une aide militaire officielle pour une guerre jugée « légitime », puisque son issue engage bien plus que le destin des Kurdes, mais tout l'avenir du Moyen-Orient.
Prochainement : II. L'État islamique.
Car la gravité de la crise irakienne et les dangers encourus par les populations civiles, ainsi que par la région kurde, jusqu’ici la seule zone stable d’Irak et terre d’acueil de centaines de milliers de réfugiés, a obligé la communauté internationale à se mobiliser et à fournir aux Kurdes une assistance non seulement humanitaire, mais aussi militaire, les Kurdes réclamant instamment, non pas l’envoi de troupes occidentales, mais celui d’un armement aussi sophistiqué que les armes américaines dont s’est emparé l‘EI après la chute de Mossoul (le manque d’armes appropriées et de munitions est un problème qui revient constamment lorsque les correspondants de presse interrogent les Peshmergas, sur le front ou dans les hôpitaux où ils sont soignés).
La difficulté ou le « tabou » de la livraison d’armes au Kurdistan tenait au fait que ce dernier n’étant pas un État indépendant, il fallait, en principe, en passer par Bagdad, mais les récents déboires de l’armée irakienne avaient fait que les demandes de réarmement adressées aux États-Unis par Nouri Maliki pour sa propre armée s’étaient heurtées à un refus. De plus, le Premier Ministre honni par les Kurdes étant toujours en place au pire moment de la crise, les relations entre Bagdad et Erbil pouvaient faire craindre que cette aide – humanitaire et militaire – ne parvienne pas aux forces kurdes, alors que le même Nouri Maliki n’avait pas hésité à geler le traitement des fonctionnaires, comme la solde des Peshmergas, en représailles contre la politique d’indépendance énergétique du Kurdistan.
Si Barack Obama se montre, depuis le début de la crise, hésitant et, de son propre aveu « sans stratégie » contre EI, la France est apparue comme un des pays les plus réactifs et les plus déterminés à secourir le Kurdistan, entraînant toute l’Union européenne derrière elle. Le 7 août, elle appelait une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU afin de déclencher une mobilisation internationale contre le danger terroriste d’EI. Le 8 août, le président François Hollande déclarait que son pays était prêt à « soutenir les forces engagées contre EI », sans d’abord préciser la nature de ce soutien. Il indiquait aussi avoir téléphoné personnellement à Massoud Barzani pour lui faire part de sa volonté de « coopérer » avec les Kurdes dans cette guerre.
Le 10 août, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, se rendait personnellement à Bagdad où il a tenu une conférence de presse avec Hussein Sharistani, en appelant de ses vœux un gouvernement irakien de réconciliation et incluant tous les éléments de l’Irak. Le même jour, il s’est envolé pour Erbil, apportant 18 tonnes d’aide humanitaires accompagnées d’équipes de la Croix-Rouge. S’exprimant sur France 2 en direct de l’aéroport d’Erbil, il a qualifié de « génocide » les actions d’EI contre les populations chrétiennes et yézidies, et a réclamé une mobilisation immédiate de l’Union européenne, tant sur le plan humanitaire que militaire. Dans une lettre à Catherine Ashton, haut-représentant de l’UE pour les affaires étrangères, il expose les besoins cruciaux de la Région kurde :
« Je rentre d’Erbil, où j’ai pu vérifier de visu le caractère totalement dramatique de la situation dans le nord de l’Irak. Face aux avancées de l’Etat islamique, les populations civiles menacées doivent fuir chaque jour plus nombreuses et les autorités locales affronter une situation humanitaire tragique, dont l’ampleur dépasse leurs moyens de réponse.
Devant le drame qui se joue à ses portes, l’Europe ne peut rester inactive. C’est un impératif moral de solidarité avec les communautés persécutées. C’est aussi ce qu’exigent l’intérêt stratégique européen et la défense des libertés.
Le Président Massoud Barzani du Gouvernement régional du Kurdistan m’a demandé la mise en place en extrême urgence d’un pont aérien d’aide humanitaire de l’Europe vers le Nord de l’Irak, ainsi que le déploiement de moyens de construction provisoire, pour aider les autorités locales à répondre aux besoins des centaines de milliers de déplacés qui fuient la barbarie de l’Etat Islamique.
Il a aussi insisté sur la nécessité impérieuse de disposer d’armements et de munitions lui permettant d’affronter et de battre le groupe terroriste de l’Etat islamique.
Il est indispensable que l’Union Européenne se mobilise dès aujourd’hui pour répondre à cet appel à l’aide. Je vous serais donc très reconnaissant de bien vouloir d’urgence mobiliser les Etats membres ainsi que les institutions européennes pour y répondre. Une réunion spéciale du Conseil des Ministres des affaires étrangères m’apparaît souhaitable.
La France, dont j’ai supervisé hier la première livraison d’aide humanitaire, sera au rendez-vous. »
La ministre italienne des Affaires étrangères, Federica Mogherini, que Massoud Barzani avait rencontrée en mai dernier, lors de son tour européen, a appelé de même une réunion spéciale de ce conseil des ministres pour discuter des crises de Gaza, de l’Irak et de Lybie, « qui concernent directement l’Europe » et a souhaité aussi la livraison d’armes au Kurdistan. Dès le 13 août, sans attendre la réunion des ministres européens, la France annonçait un nouvel envoi d’aide humanitaire (20 tonnes) ainsi que sa décision d’armer les Kurdes contre l’EI. Les Britanniques se disaient aussi prêts à envoyer du matériel militaire à Erbil, et finalement, le 25 août, l’Allemagne, un des pays les plus opposés, avec la Suède, à la livraison d’armes à des pays en guerre, a annoncé qu’elle allait, elle aussi, envoyer du matériel militaire au Kurdistan. La chancelière Angela Merkel a justifié cette décision très inhabituelle de la part d’un gouvernement allemand, en invoquant le « génocide » en cours en Irak et une menace « directe » contre l’Europe. Hormis les États-Unis et huit pays d’Europe (l’Albanie, l’Allemagne, le Canada, la Croatie, le Danemark, la France, l’Italie et le Royaume-Uni), l’Iran, directement visé par la politique très anti-chiite de l’EI, a également fourni des armes aux Kurdes, tout en niant l’existence de forces iraniennes opérant à Bagdad et dans d’autres régions irakiennes. L’Australie, elle, fournit une aide au transport des armes et du matériel humanitaire organisé par les États-Unis.
En représailles contre « l’alliance américano-kurde », l'État islamique a commencé un chantage à l'exécution d'otages qui peut concerner tous les États ayant décidé de soutenir les Kurdes, les Irakiens et les Syriens. Un Peshmergas et deux journalistes américains (capturés en Syrie) ont été décapités devant une caméra, après avoir lu des messages de menace adressés à leurs gouvernements respectifs. Un otage britannique anonyme a été annoncé comme le prochain sur la liste. La tactique d’exécution d’otages occidentaux peut ainsi aboutir à une coalition militaire internationale contre l’organisation djihadiste, les États les plus réticents à « retourner sur le champ de bataille irakien », ainsi qu’en Syrie, se trouvant, malgré eux, entraînés dans une action militaire directe dont les Kurdes, longtemps les éternels perdants du Moyen-Orient, seraient l'avant-garde et l'infanterie.
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