Nettoyages ethniques en Turquie (1970-1990)


"Depuis sa fondation en 1923, et jusqu'au début des années 2000, l'État turc a été fondé sur la négation de ses minorités ethniques ou nationales. On a vu que, lors de sa genèse, les Arméniens ont été exterminés, puis les Grecs expulsés. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le problème national s'est déplacé vers les Kurdes. On peut souligner que le "nettoyage" idéologique (chasse aux communistes dans les années 1970) a aussi été intense. Le nettoyage ethnique paraît donc propice à d'autres formes d'exclusion ou de négation…"

Le soulèvement du PKK et la guerre en Anatolie orientale

"Depuis le début des années 1960, s'est développée une guérilla kurde et marxiste en Turquie orientale. À partir de 1984, cette guérilla longtemps embryonnaire a pris la dimension d'un véritable soulèvement armé encadré par le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce parti, fondé en 1977, alliait ouvertement marxisme et nationalisme kurde – deux idéologies interdites. Par ailleurs, et plus impardonnable encore, le PKK revendiquait l'indépendance du Kurdistan, et la création de l'État kurde envisagé par le traité de Sèvres. Le PKK se caractérisait par des méthodes sanglantes et le culte de la personnalité de son chef (Abdullah Öcalan, dit Apo). Dans cette ligne dure, le PKK avait privilégié le recours à la lutte armée pour "libérer les Kurdes de l'esclavage" générant une véritable guerre."

"En représailles, dans une logique de luttes contre les guérillas, l'armée turque a mené une politique de "nettoyage" dont l'expulsion des paysans kurdes était le maître mot. L'armée turque a détruit un grand nombre de villages de l'Anatolie orientale. La déportation ou l'expulsion de population a été menée de manière systématique à partir des années 1980. La loi nº 413 de 1989, abrogée depuis, autorisait les gouverneurs des vilayets (départements) à procéder à toute expulsion en masse qu'ils jugeaient nécessaires. Le 9 février 1994, le journal Turkish Daily News estimait qu'en 1993, 874 villages avaient été évacués de force. En 2002, le chiffre global de 3 428 villages détruits a été cité par la Société pour les peuples menacés (SPM). Cette stratégie de la terre brûlée s'est poursuivie jusqu'à trêve consécutive à l'arrestation d'Öcalan en 1999."

"Le conflit entre le PKK et les forces turques  a causé environ 37 000 morts entre 1984 et 1999. Toutes ces victimes ne sont pas kurdes, ce chiffre inclut militaires et civils turcs de l'Ouest. Du fait des destructions de villages, les victimes du "nettoyage" sont surtout des personnes déplacées ;  celles-ci seraient de l'ordre de 1,5 million (selon la SPM, en 2002)."
Stéphane Rosière, Le Nettoyage ethnique. Terreur et peuplement (Ellipses).

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