KURDISTAN D’IRAK : CAMPAGNE DE GRANDE AMPLEUR CONTRE l’EXCISION
Depuis quelques années, des ONG – kurdes et étrangères – mènent, avec le soutien du Gouvernement Régional kurde, une campagne contre l’excision, pratiquée dans les régions les plus méridionales du Kurdistan, alors que cette pratique est inconnue dans le nord et l’ouest du Kurdistan. En même temps qu‘un travail d’information et de prévention, des équipes d’enquêteurs ont sillonné les trois gouvernorats pour connaître les chiffres exacts de cette pratique, ainsi qu’à Kirkouk.
Après un rapport de Human Rights Watch en juin 2010, le Premier Ministre kurde Barham Salih avait publiquement exprimé son opposition à l’excision. Le 11 décembre dernier, une enquête officielle menée par un groupe de médecins sur un échantillon de 5112 femmes, avait établi que 41% étaient excisées. Une ONG, Wadi, avait auparavant mené une enquête dans l’ensemble des régions et avait constaté une baisse des chiffres selon l’âge des femmes. Pour les régions de Sulaïmaniye, Erbil et Garmiyan (Duhok n’étant pas touché), sur 1408 femmes, 72.2 % étaient excisées. Mais parmi ce groupe, on observe que les femmes de moins de 20%, ont 57% d’excisées, tandis que celles de plus de 58 ans en sont à 95.7%, ce qui confirme l’opinion généralement exprimée parmi les Kurdes qu’il s’agit d’une tradition vouée à disparaître de plus en plus. Une enquête récente de l’ONG WADI a eu lieu à Kirkouk – hors Région du Kurdistan, donc –dans des conditions plus difficiles en raison de la situation politique de Kirkouk et du peu d’entente entre le GRK et le gouvernement central.
Kirkouk est aussi considéré comme un laboratoire d’observation intéressant car regroupant d’autres ethnies irakiennes, ce qui permettrait d’évaluer la possibilité que l’excision en Irak ne touche pas que les Kurdes, même si ces derniers sont les seuls à l’admettre publiquement. Sur un total de 1807 personnes, il a été relevé 738 femmes mutilées soit 41%. Si l’on relève le critère de l’appartenance religieuse, on voit que chez les musulmans sunnites chaféites, arabes ou kurdes, cette pratique est bien plus élevée que parmi les chiites. L’ONG reconnaît cependant que les districts kurdes ont toujours été privilégiés par les ONG du fait que les zones arabes ou turkmènes sont trop dangereuses pour ce genre d’exploration et il n’est ainsi pas sûr que l’excision soit un problème ‘kurde’, même si, en comparant le quartier kurde de Rahimawa, à Kirkouk, on arrive à un taux de 65.9% d’excisions contre 17.8% dans le quartier arabe de Key Al Mutanaza. Le quartier turkmène de Yayjy Awsheshly ne présente aucun cas d’excision sur 43 femmes examinées. Par contre, dans la ville de Dubz, dont la population est à la fois kurde, turque et arabe, 66% des femmes examinées – toutes ethnies confondues – étaient excisées. Il sembe donc que cette pratique puisse exister au-delà des régions kurdes, que ce soit par contamination ou même source religieuse – le chaféisme.
Interrogés ou sommés de s’exprimer sur l’excision, les avis des ulémas kurdes divergent, car il n’existe pas de parole claire, pour ou contre, l’excision des femmes dans le Coran ou les hadith. La jurisprudence chaféite la classe dans les obligations religieuses. Mais l’imam de la mosquée Hadji Osman Alaf a déclaré, en décembre 2010, lors d’un sermon en chaire, que ne pas considérer l’excision comme recommandée par le prophète Muhammad était une marque ‘d’ignorance’. L’imam Mala Yassin Hakim Piskandi a, au contraire insisté sur la ‘sunnah’ de cette pratique, c’est-à-dire le fait qu’elle soit ‘recommandée’ mais pas obligatoire selon les trois écoles islamiques, hanbalite, malikite, hanafite. C’est aussi l’avis d’Ali Qaradakhi, Secrétaire général de l’Union internationale des Savants musulmans (IUMS) qui avait récemment écrit, dans un journal local, que l’excision n’était pas obligatoire : « L’excision est une vieille question qui refait surface. Les docteurs musulmans ont des avis divergents à ce sujet. Selon moi, l’opinion la plus pertinente est que l’excision n’est pas nécessaire en islam. » Cette pratique ne rencontre aucun soutien de la part du Gouvernement kurde qui, au contraire, a plusieurs fois exprimé sa désapprobation.
Mais un pas politique concret a été franchi le 25 novembre dernier, quand des représentants du GRK ont, en présence de plusieurs diplomates étrangers, annoncé publiquement leur détermination à lutter contre les crimes d’honneur et l’excision. Une campagne publique d’information a été lancée durant 2 semaines pour alerter la population sur les nuisances et les risques de l’excision, tandis que, dans le même temps, le gouvernement kurde commandait à deux universités britanniques des missions d’étude sur les crimes d’honneur.
L’ONG ‘Stop FGM’ a reconnu et loué les efforts de la Région kurde et son engagement public pour éradiquer les violences contre les femmes. S’opposant à la plupart des ulémas kurdes qui s’accordent à dire que l’excision, si elle n’est pas une obligation est cependant un acte qui va du méritoire à non illicite, le ministre kurde de la Santé avait déjà annoncé, à la fin d’octobre 2010, sa volonté d’interdire l’excision, et a appelé le Comité des Fatwa de la haute Commission religieuse du Kurdistan à condamner sans équivope cette pratique. En 2007, le ministre de la Justice du Kurdistan avait déjà décrété que toute femme pratiquant l’excision devait être arrêtée, jugée et condamnée mais cela avait été suivi de peu d’effet. En 2008 et 2009, les autorités kurdes ont renforcé la législation contre l’excision et se sont engagées à mener ou soutenir des campagnes éducatives pour inciter la population à abandonner ces mutilations. Mais là encore, les actions mises en œuvre étaient restées à l’état de promesses.
En février 2010, 51 ONG avaient mis en œuvre une campagne contre l’excision. Mais même au sein des cercles religieux certains avis divergents : Déjà, en Égypte, l’université religieuse la plus influente du monde sunnite a émis récememnt un avis défavorable sur l’excision en raison des complications qui pouvaient nuire à la santé des femmes. Le Dr. Mustafa Zalmi, un expert kurde reconnu de la Charia formé à Al-Azhar, s’est ouvertement prononcé pour l’interdiction de l’excision. Mustafa Zalmi, qui a enseigné les sciences religieuses à l’université Mustansiriyyah à Bagdad, a publié récemment un livre contre cette pratique et s’est dit prêt à débattre publiquement de cette question avec tout interlocuteur dont la position serait divergente, arguant que l’excision est interdite par le Coran dans pas moins de 11 versets. Autre argument : le fait que les lieux fondateurs de l’islam ne la pratiquent pas, ce qui infirme la thèse de la ‘prescription religieuse’ : « L’excision n’est pratiquée ni à La Mecque ni à Médine, or les Kurdes ont bien reçu l’islam de ces lieux, aussi pourquoi pratique-t-on l’excision au Kurdistan ? »
D’autres autorités religieuses, membres de la Commission des Fatwa appuient Mustafa Zalmi. Ainsi, Mullah Ahmad Shafi’i : « Puisque tous les avis médicaux sont unanimes sur l’excision et que tous les médecins conviennent que l’excision est néfaste pour la santé d’une personne, alors nous prononcerons une fatwa contre cette pratique. »
En août 2010, une enquête du journal kurde Rudaw auprès des jeunes Kurdes célibataires avait montré un changement de mentalité important concernant « l’atout » pour une fille à marier que constituait, aux yeux des générations plus âgées, le fait d’avoir été excisée. Certains jeunes hommes souhaitent en effet épouser une fille non excisée car ils craignent que les relations sexuelles au sein du couple ne soient insatisfaisantes. Une évolution confirmée par la journaliste Runak Faraj Rahim, qui effectue des enquêtes sur les problèmes féminins dans la société kurde, qui y voit le signe d’un accroissement des informations de la population sur cette question.
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