Éconduit pour Genève II, le PYD fait les yeux doux à la Turquie



Peu d’observateurs politiques jugeaient que la conférence de Genève II avait des chances de mettre fin à la guerre syrienne, surtout lorsque le 7 janvier, alors que les invitations de l’ONU commençaient d’être envoyées, on apprit que l’Iran ne ferait pas partie des participants, à la satisfaction de la Coalition nationale syrienne ( qui menaçait, dans le cas contraire, de ne pas venir) et du Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan. 

Autre groupe non invité, les Kurdes du PYD, ceux du Conseil national kurde (CNK) y assistant comme membres de la Coalition. Le PKK syrien réclamait que les Kurdes soient représentés par une délégation « indépendante » mais n’a reçu pour cela ni l’accord des Nations Unies ni le soutien de la Russie, malgré une campagne médiatique et via les réseaux sociaux, notamment sur twitter, avec le hastag #KurdsMustBeInGeneva2, protestant contre le péril d’un nouveau « Traité de Lausanne », où l’idée d’un État kurde, envisagée dans le Traité de Sèvres (1920), avait été définitivement enterrée en 1923, par les Puissances alliées et la Turquie. 

Être agréé à la conférence de Genève II aurait peut-être permis au PYD d'obtenir une forme de reconnaissance internationale, après l’autonomie unilatéralement proclamée dans les trois régions kurdes de Syrie, geste critiqué par la Coalition syrienne et les Puissances occidentales, mais aussi par le Conseil national kurde syrien et le Gouvernement régional du Kurdistan, les deux reprochant au PYD son refus de respecter les accords d’Erbil, sa volonté d’hégémonie politique et ses actes de violence et d’intimidation contre ses opposants kurdes sur le terrain. 

Mais l’inefficacité prévue de Genève II et le fait qu’en Syrie même, la Coalition exerce peu d’influence, car éloignée des champs de bataille, rendaient un nouveau « Traité de Lausanne » très improbable, la Syrie étant actuellement entre les mains de différents groupes armés (l’armée syrienne et les milices du Hezbollah, l'Armée syrienne de libération, les milices djihadistes, les forces YPG du PYD). Ce qui n'a pas empêché la question d’aller ou non à Genève en tant que membres de l'opposition syrienne de diviser les Kurdes depuis décembre, le CNK étant plus ou moins enclin à s’y rendre, le PYD l'accusant pour cela de « haute trahison ». 

Le 22 janvier, la conférence était ouverte à Montreux par le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon. Dans un discours qui se voulait optimiste, ou à tout le moins encourageant, il s’est adressé aux 40 nations représentées et aux parties syriennes qui pouvaient, selon lui, « prendre un nouveau départ » en assurant que cette conférence était l’occasion de « montrer leur unité » et qu’après trois années de conflit et de souffrance en Syrie, c'était un jour d’espoir : « Vous avez une occasion énorme et la responsabilité de rendre un service au peuple syrien. »

 Le même ton modérément optimiste était de rigueur dans les déclarations des pays « amis de la Syrie », qui relevaient que le simple fait d’avoir pu amener les belligérants à la même table était un pas important, même si, comme l’indiquait William Hague, le ministre britannique des Affaires étrangères : « il serait erroné de s'attendre à des progrès dans les prochains jours, en termes de percées. Néanmoins, des choses peuvent être obtenues lorsque la diplomatie commence, quand on essaie la diplomatie - nous avons vu cela sur beaucoup d'autres sujets, y compris avec l'Iran sur son programme nucléaire. » 

Mais le « pas important » consistant à amener les parties adverses autour de la même table a été fortement minoré par le fait que les représentants du président Bashar Al Assad et ceux de la Coalition ont refusé justement de siéger face à face et se sont réunis dans des salles différentes, obligeant le médiateur de l’ONU, Lakhdar Brahimi, à faire le va-et-vient entre les uns et les autres. 

Le chef de la Coalition, Ahmed Jarba, n’a cessé de poser en condition non négociable le départ de Bashar Al Assad, alors que les officiels syriens répliquaient que le président syrien n’avait pas du tout l’intention de quitter le pouvoir, ce qu’a confirmé le Secrétaire d’État américain, John Kerry, à la TV Al-Arabiyya. Campant sur leurs positions, les deux délégations ont menacé à plusieurs reprises de quitter les pourparlers si leurs demandes respectives n’étaient pas acceptées et se sont rejetées mutuellement les responsabilités des atrocités de la guerre et des crimes commis contre la population civile, le gouvernement syrien répliquant aux accusations d’exactions en tenant l’opposition responsable du terrorisme. 

Aussi, la séance s’est achevée le 31 janvier sans résultat concret, un deuxième round de pourparlers devant démarrer le 10 février. L’ONU n’a pu obtenir qu’un convoi humanitaire à destination de Homs soit débloqué, alors que ses habitants souffrent d’une sérieuse famine, et Lakhdar Brahimi a fait part, à ce sujet, de sa grande « déception ». Par contre, le communiqué de Genève I, datant de juin 2012, et ses 10 points énoncés pour mettre fin au conflit et établir un processus de transition politique, a été accepté par les deux parties comme base de travail, ce qui est présenté comme un pas positif par les diplomates, même si ce texte envisage le départ de Bashar Al Assad, ce qui est pour le moment refusé catégoriquement du côté gouvernemental. 

Quant aux Kurdes, quel que soit leur camp, pro-PYD ou pro-CNK, ils attendaient peu de cette conférence et la veille même de son ouverture, le 21 janvier, le président de la Région du Kurdistan d’Irak, Massoud Barzani, avait fait part de son scepticisme alors qu'il se trouvait devant la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen à Bruxelles : « La conférence de Genève II sera l'occasion pour le peuple syrien de décider de son propre destin même si, personnellement, je ne nourris pas un optimisme excessif. Je n'ai pas beaucoup d'attentes concernant cette conférence. » 

Le président kurde a aussi évoqué la menace terroriste qui pèse sur la Région du Kurdistan comme sur l'Irak, en raison de l’activité intense de groupes tels qu’Al Qaïda et État islamique en Irak et au Levant (EIIL) : « Pour l'heure, il n'est pas évident de dire que les forces démocratiques, l'Armée libre de Syrie, seront l'alternative du pouvoir en place à Damas, car ce sont les organisations terroristes qui tiennent le haut du pavé. » 

De leur côté, le PYD et les partis proches de sa mouvance ont poursuivi leur « processus d’autonomie » en annonçant la formation de conseils cantonaux (un pour chaque « canton » du Kurdistan syrien), en commençant par celui de Djézireh, pourvu de 22 membres aux fonctions ministérielles, chargés, tout au moins sur le papier, de gérer la défense, l’économie, les finances, etc. de leur toute petite localité. Si ces conseils comprennent aussi bien des Kurdes que des chrétiens ou des Arabes, les opposants au PYD dénoncent l’uniformité politique de cette administration.

Ainsi, pour Hêvidar, un journaliste kurde syrien, opérant en Turquie, et s'exprimant à l"AFP, ce conseil de Djézireh est composé de « soit des membres du PYD, soient des gens ayant peur du PYD. Je suis pour tout ce qui aide à garantir les droits des Kurdes, mais le PYD ne s'intéresse pas à nos droits, il veut imposer son pouvoir via les armes … Comment peuvent-ils annoncer la création d'un conseil local s'ils ne peuvent même pas fournir de l'électricité ou des soins de base à la population? » 

Le 27 janvier, Kobanî (au centre du pays, sur la frontière turque) a formé l'assemblée de son canton et le 29 janvier, c'est Afrin, à l’autre bout du pays, au nord-ouest d'Alep, qui a tenu son assemblée et a élu son président. De futures « élections générales » ont été annoncées dans 4 mois afin d'élire de nouvelles assemblées, sans que l’on en connaisse exactement la modalité ni la possibilité dans une situation de guerre et de crise humanitaire, d'autant que les autres partis kurdes syriens font toujours état d’arrestations, d’enlèvement et de tortures (parfois mortelles) sur leurs membres restés sur place, de la part des Asayish du PYD. 

Le CNK, de son côté, peine toujours à rester uni et cohérent entre ses différents courants. Le 2 février, le Parti kurde de gauche (parti allié ou à tout le moins favorable au PYD) a annoncé son retrait du Conseil, qu’il accuse de ne pas agir dans l’intérêt des Kurdes. L’agence Firat News (pro-PKK) y voit un désaccord avec trois autres partis kurdes, Yekitî, Al Partî et Azadî et le fait que le CNK traverserait une période de crise depuis sa décision de participer à Genève 2 avec la Coalition plutôt que « de soutenir l’administration des cantons du Kurdistan occidental ». 

Le Parti de gauche accuse aussi ses trois rivaux d’être derrière des « attaques » contre les groupes kurdes YPG et le PYD accuse, lui, le parti Azadî d’avoir pris contact avec Al Nusra, un de ses grands adversaires djihadistes sur le terrain (les anti PYD faisant état, eux, de collaboration entre les milices du Baath et les YPG, notamment dans la tentative de prise du village arabe de Tell Hamis, tenu par les islamistes, où les YPG ont subi de lourdes pertes). 

Les trois partis incriminés par le PYD et le Parti de gauche ont rejoint la Coalition sous une nouvelle formation, dont le nom, « Unité politique », a une résonance ironique, mais d'une ironie sûrement involontaire. Le président d’Al Partî, Abdulhakim Bashar, a aussi réitéré son opposition à la formation des « cantons du Kurdistan occidental », qu’il a qualifiée de « déclaration de guerre », sur la chaîne arabe Al-Jazeera. 

Salih Gedo, le Secrétaire général du Parti kurde de gauche a, de son côté, été nommé « ministre des Affaires étrangères du Canton de Djezireh » et Ekrem Heso, lui aussi membre du CNK, président de ce même canton, ce qui fait que Mustafa Oso, secrétaire général du parti Azadî, a déclaré que les membres du CNK ayant choisi d’occuper des fonctions dans l’administration du PYD devraient être exclus. 

Mais le PYD, sur le terrain, sait probablement (ou a fini par se rendre comte) qu’il ne pourra durablement faire cavalier seul dans ses trois enclaves, cernées par les islamistes et la Turquie, ou dépendant des postes frontières de l’Irak (dont celui de Pêsh Kahbûr, tenu par le GRK). Ayant échoué à obtenir, pour le moment, une reconnaissance de la part des puissances occidentales à Genève, et peu soutenu, dans cette affaire, par la Russie, il tente maintenant de nouer des liens avec les puissances régionales, l’Irak et l’Iran (avec qui il est en bons termes) et surtout la Turquie qui, jusqu’ici, était sa principale bête noire, et dont le soutien à l'opposition syrienne lui servait jusque-là à discréditer les Kurdes du CNK, accusés de « collaborer avec l'ennemi ». 

Salih Gedo, le tout nouveau « ministre » des Affaires étrangères du Canton de Djezireh, a ainsi annoncé vouloir entamer une série de rencontres avec le gouvernement kurde d'Erbil (peut–être pour débloquer la frontière et se ravitailler), et de se rendre en visite à Bagdad, Téhéran et Ankara (le président du PYD, Salih, s’est rendu déjà à Ankara en 2013, pour y rencontrer Ahmet Davutoglu mais c’était avant l’annonce unilatérale de l’autonomie). On ne sait quelle sera la réponse de la Turquie, mais comme le Premier Ministre fait face à une crise politique interne et que le mouvement islamiste Gülen est devenu à la fois la bête noire de l’AKP et du PKK, ils auront au moins un terrain d’entente. 

Asia Abdullah, coprésidente du PYD, arrivée à Istanbul pour assister à une conférence organisée par la toute nouvelle formation kurdo-turque HDP, a même affirmé qu’ils étaient prêts à exporter leur pétrole en Turquie, que son parti cherchait le soutien turc et ne souhaitait pas affronter Ankara (selon le journal turc Milliyet, le PYD serait déjà en pourparlers à ce sujet avec Ahmet Davutoglu).

Quand on connaît leurs rapports exécrables et les nombreuses accusations du PKK sur la vassalité politique et économique d'Erbil envers Ankara, il est ainsi amusant de voir le PYD se faire le  copycat des Kurdes d'Irak  dans ce domaine, et se mettre à courtiser (lourdement) la Turquie à coup de pétrole brut et de baril si soudainement  et si généreusement offerts, très peu de temps après le succès des accords pétroliers entre le gouvernement Barzani et celui d'Erdoğan.

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