Parution : Kawa le Kurde
« 21 mars, Norouz, premier jour de l’année et premier jour du printemps. Zohak l'Arabe, seigneur du désert, roi de Jérusalem et cinquième empereur d'Iran, regardait la plaine de Ninive par la fenêtre de son château ».
La légende de Kawa le forgeron et du roi Zohak est celle de la fondation mythique du peuple kurde. Elle se rattache à l'une des fêtes les plus anciennes du monde, celle du Norouz, célébrée par tous les Kurdes et les peuples iraniens.
Djemchid, quatrième roi d’Iran après la création du monde, perdit son pouvoir par orgueil et ses vassaux se révoltèrent. Un prince arabe, Zohak, s’empara du trône et fit scier en deux son rival malheureux. Le nouveau roi, Zohak, avait une particularité : Il était affligé aux épaules de deux serpents qui devaient dévorer chaque jour de la cervelle humaine. Ces serpents lui avaient poussé aux épaules après un pacte qu’il avait conclu avec le démon venu le tenter. Tous les matins, donc, étaient sacrifiés deux jeunes gens pour nourrir les serpents du roi. La légende dit que trois chevaliers d’Iran, déguisés en médecins, trichèrent en ne sacrifiant qu’une victime sur deux, en mêlant sa cervelle à celle d’un mouton. Le survivant devait s’enfuir dans les montagnes et s’y cacher, et de ces milliers de fugitifs naquit le peuple kurde, originaire des montagnes. A la fin du règne de Zohak, un forgeron nommé Kawa, qui avait eu dix-sept fils dont seize avaient été sacrifiés par Zohak, se révolta quand on vint s’emparer de son dernier fils survivant.
Cette histoire a été maintes fois racontée, de façon orale ou écrite, par des Kurdes, des Persans, des Afghans. J’en donne ici ma propre version reliée à l’histoire contemporaine du Kurdistan, le « Pays des mots gelés », le pays où la langue kurde interdite, traquée, niée, se fige et gèle dans la bouche des hommes. Car l’histoire de Kawa le révolté et du roi tyran s’est perpétuée durant des siècles dans l’histoire des Kurdes, peuple en marge du monde des villes et du pouvoir. Je l'ai mêlée à des récits réels ou inspirés de faits réels, les « Histoires contemporaines du Pays-des-mots-gelés » : Ce sont des histoires vécues par les Kurdes, des scènes auxquelles j’ai moi-même assisté en 10 ans de pérégrinations dans tout le Kurdistan, ou bien que des Kurdes m’ont raconté, ou bien des événements historiques tels que le suicide de Mazlum Dogan dans la prison de Diyarbakir, ou les bombardements de Halabja.
Le tout se veut à la fois une épopée (nombre de personnages sont des clins d’œil directs aux grandes légendes iraniennes, tel Khosrow et Chirine, Bijen, Rostam, Zal…) mais aussi une réflexion sur le pouvoir, de quelle façon s’installe et dure une tyrannie, ce qui fait qu’un homme choisit de se révolter à un certain moment, quand il est presque trop tard, mais aussi ce qui fut l’essence de la répression contre les Kurdes : la volonté d’uniformité, de conformité à un seul modèle de pouvoir, ce qui les fit toujours apparaître comme un élément dérangeant, le peuple fauteur de troubles.
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