jeudi, mars 29, 2012

Après Exxon, Total ravive le conflit entre Bagdad et Erbil


L’interminable conflit entre l’Irak et la Région kurde au sujet de l’exploitation du pétrole au Kurdistan d’Irak se poursuit en épousant le climat général des relations politiques et diplomatiques entre Bagdad et Erbil, qui tend lui aussi à s’envenimer. À l’automne dernier, la compagnie américaine Exxon Mobil avait déclenché une vive controverse en annonçant la signature d’un contrat avec le Kurdistan d’Irak pour l'exploration de six gisements pétroliers, sans êtrepassé par Bagdad, comme le réclame depuis toujours le gouvernement central. Ce dernier avait menacé la compagnie Exxon d’annuler le contrat signé entre Exxon et l’Irak concernant le champ pétrolier de Qurna-Ouest (sud).

Les Américains avaient adopté une attitude indécise et prudente, indiquant que les réclamations irakiennes allaient être examinées. À la fin du mois de février, un représentant d'ExxonMobil s’était entretenu avec Hussein Chahristani, actuel Vice-Premier ministre et toujours ministre de l’énergie dont l’attitude intransigeante sur ce dossier n’a pas varié d’un pouce. La société américaine avait assuré le ministre qu’elle ferait part publiquement de sa décision « dans les prochains jours ».

Au début du mois de mars, c’est Total qui annonçait être entré en contact avec les Kurdes au sujet de contrats pétroliers mais Christophe de Margerie, le PDG de la compagnie française, a assuré n’avoir encore rien signé, dans une déclaration faite à la presse, alors qu’il s’était rendu au Koweït pour le 13e Forum international de l'énergie, le 13 mars: « Le Kurdistan fait partie de l'Irak, et beaucoup d'entreprises investissent au Kurdistan irakien, et je ne vois pas pourquoi Total ne pourrait pas le faire, donc nous regardons les opportunités, nous discutons, mais nous n'avons rien conclu encore ». Le dirigeant de Total a par ailleurs indiqué qu’il envisageait aussi de conclure des accords avec des sociétés déjà en possession de permis d'exploration d'hydrocarbures au Kurdistan, afin de participer à leurs projets d’explorations, mais « dans tous les cas, il faut l'accord du gouvernement du Kurdistan ».

Le 15 mars, le président de la Région kurde, Massoud Barzani, a, dans un communiqué sur son site officiel, accusé l’Irak de minimiser la quantité des exportations de pétrole provenant du Kurdistan irakien : « Le Kurdistan exporte 90.000 à 100.000 barils de pétrole par jour depuis le début de l'année, mais Bagdad affirme que les exportations n'atteignent que 65.000 bj par jour et que cela lui occasionne « des pertes financières quotidiennes » (...) Si les affirmations du ministère du Pétrole sont correctes, cela signifie que 25.000 à 35.000 bj sont perdus dans le processus de mise sur le marché (...) Le Kurdistan estime que cette divergence doit faire immédiatement l'objet d'une enquête, au cas où quelqu'un s'attribuerait la différence ». La présidence kurde se plaint aussi que depuis mai 2011 le gouvernement central bloque les paiements aux entreprises pétrolières, et indique que Bagdad doit à la Région kurde plus d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires pour 2011, et que pour 2012, « pas le moindre dollar n'a été versé pour les exportations ».

Le même jour, dans un discours prononcé à Erbil, Massoud Barzani a stigmatisé dans des termes cinglants l’attitude du gouvernement irakien envers la réussite des Kurdes : « Les responsables au gouvernement central qui refusent d'accepter ces contrats sont des ratés qui n'arrivent pas à donner à l'Irak ce que nous donnons au Kurdistan. Ils veulent que nous soyons comme eux. Le problème n'est pas que ces contrats violent ou non la Constitution, mais qu'ils ne veulent pas que la région se développe. »

Deux jours plus tard, un porte-parole du gouvernement irakien annonçait que la société Exxon, dans une lettre adressée au ministère irakien du Pétrole, renonçait au contrat passé avec les Kurdes. Mais la nouvelle a été aussitôt démentie par la présidence kurde, par la voix de son Secrétaire général, Fuad Hussein, qui a indiqué à l’AFP que « La compagnie pétrolière ExxonMobil continue de travailler au Kurdistan et n'a fait aucune annonce au gouvernement kurde relative à un gel de ses activités au Kurdistan. Il y a constamment des réunions entre les parties concernées dans la région et les dirigeants du groupe américain. »

Le 20 mars, jour du Newroz, fête nationale et jour de l’An des Kurdes, Massoud Barzani a intensifié ses critiques contre l’Irak, en les dirigeant cette fois plus précisément sur le Premier Ministre Nouri Maliki, accusé, une fois de plus, de vouloir concentrer tous les pouvoirs de l’État dans ses mains et de prendre, notamment, le contrôle de l’armée. Le président kurde a ainsi estimé que les accords d’Erbil qui avaient suivi les élections législatives de 2010, entre les partis sunnites et chiites avaient perdu « toute signification » et que le partenariat entre les deux blocs politiques arabes, sous arbitrage kurde, était « totalement inexistant ».

« On assiste à une tentative de mettre sur pied une armée de 1 million d'âmes dévouées à une seule personne. Où dans le monde une seule et même personne peut-elle être Premier ministre, chef des armées, ministre de la Défense, ministre de l'Intérieur, chef des services secrets et chef du conseil de sécurité nationale ? »

En effet, les postes de ministres de la Défense et de l’Intérieur, assumés en « intérimaire » par Nouri Maliki le temps de s’accorder sur les nominations, sont toujours vacants, et les adversaires du Premier Ministre l’accusent de chercher ainsi à concentrer les pouvoir de la sécurité et de la défense nationale, à l’image de l’ancien raïs Saddam Hussein. Le président kurde a aussi rappelé que la question de Kirkuk et des autres régions devant choisir leur statut par référendum est toujours pendante et que les fonds devant être alloués à la Région kurde pour l’entretien d’une armée de Peshmergas ne lui sont toujours pas octroyés. Revenant enfin sur la question des contrats pétroliers, Massoud Barzani a déclaré qu’aucun des accords passés par la Région avec des sociétés étrangères était anti-constitutionnel et il a répété que la seule raison derrière l’opposition de Bagdad était son refus de voir le Kurdistan « aller de l’avant ».

« Il est temps de dire assez ! La situation actuelle est pour nous inacceptable et j’appelle tous les leaders politiques irakiens à essayer de trouver une solution de toute urgence, autrement nous nous retournerons vers notre peuple pour prendre toutes les décisions qu’il jugerait appropriées » a conclu le leader kurde, dans des termes qui ont été largement interprétés comme une menace à peine voilée de proclamer l’indépendance du Kurdistan.

Une semaine plus tard, le 26 mars, le gouvernement kurde, revenant sur le dossier du pétrole, menaçait de suspendre ses exportations de brut si Bagdad ne réglait pas ses dettes envers la Région. Autre point de litige : le gouvernement central serait sur le point de conclure un accord avec la société BP qui souhaite augmenter la production de pétrole à Kirkouk. La région étant réclamée par les Kurdes, ces derniers jugent « illégal » un tel accord.

Signe que la popularité de Maliki est au plus bas, même si les propos à résonnance séparatistes sont modérément désapprouvés ou jugés irréalistes par la rue irakienne, celle-ci estime justifiés les reproches de Barzani à l’encontre de l’actuel gouvernement. Les habitants de Bagdad se plaignent ainsi du délabrement des infrastructures, des services en eau et en électricité, de la corruption généralisée qui freine tout développement.

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