Anfal


Hathra, 80 km au S.O de Mossoul




"Mais s'agissait-il de prendre soin d'eux ? Non, je les enterrerai avec des bulldozers." (Enregistrement sur cassette d'Ali Hassan al-Madjid, Réunion du Bureau Nord, peut-être 21 ou 22 janvier 1989).


"Le 25 septembre 1990, l'honorable directeur a émis la directive suivante : la phrase "Nous n'avons aucune information sur leur sort" va remplacer la phrase "Ils ont été arrêtés pendant la victorieuse campagne d'Anfal et gardés en détention."


"Des membres du Jash ayant de la sympathie pour la tribu de Salim ont essayé de soudoyer les soldats en leur offrant 1000 dinars pour libérer chaque enfant. "Il est trop tard, ont répondu les soldats ; on avait déjà mis les enfants dans les camions."



La dame en pourpre



"Je pleure quand je vois un spectacle ou un film tragiques. Un jour, j'ai pleuré en voyant, dans un film, une femme perdue et sans famille. Mais j'aimerais dire que j'ai fait ce que j'étais supposé faire. Je ne pense pas que vous auriez pu faire plus que je n'ai fait." (Hassan Ali al Madjid, 15 avril 1989).


Le ministère des droits de l'Homme du Kurdistan édite des documents, photo, DVD, sur l'Anfal, et avant cela, avant la campagne de 1987-1988, le massacre des 8000 Barzani en 1983. Comme pour les chiites, la chute du régime de Saddam permet maintenant de retrouver et d'exhumer les fosses communes. Plusieurs CD ROM et DVD ont été donnés à l'institut kurde. All mass graves ; Hathra : Showing evidences ; Barzan's mass graves ; Fact finding Mission : Barzani's mass graves ; The victims of Saddams Regime ; Saddam's Legacy...

J'ai sélectionné quelques photos de ces fosses d'Irak remplies de squelettes et de cadavres momifiés, mêlés aux vêtements et aux objets que les morts avaient emmenés sur eux. Je dis Irak parce que le Kurdistan ce n'est pas le pays de la mort, c'est l'Irak qui est la tombe de ces Kurdes, le Kurdistan que l'on oblige à devenir Irak, c'est cela, c'est ce pays de la mort.


Membres de la tribu des Barzani assassinés en 1983

Certains clichés sont beaux, je les ai pris en priorité; encore que le terme "beau" puisse choquer, mais c'est vrai, ils sont beaux, tel ce crâne comme une Vanité, ou cette sandalette d'enfant auprès de laquelle, pour donner la mesure de sa taille, on a posé un stylo bille noir, de ces Bic tout simple à corps de plastique transparent et dont on a enlevé le capuchon. Voilà, chacun, chez soi, peut prendre le même stylo et mesurer la taille de la sandalette.

Des cadavres qui, comme des sujets de peinture, des portraits célèbres d'inconnus, en buste ou en pied, portent des noms anonymes et familiers dans le documentaire, comme "La Dame en pourpre", "The Purple Lady".

Non ces crânes ne sont pas repoussants, c'est comme déterrer la vie et les indices de princes antiques exhumés, dont nous enquêtons sur la mort : une balle dans la nuque, une seule balle, comment ils sont morts, les femmes aux yeux bandés, les hommes aux yeux bandés et liés. Et les objets aussi nous parlent, des sandales, des chaussures, des lunettes, des tétines d'enfants, comme les artefacts des tombes antiques, et sont filmés en témoins aussi dignes que les restes humains.



Il y a aussi, comme au Cambodge, les photos et les noms des 8000 Barzani tués de la même façon en 1983. Il faudrait écrire la vie de chacun de ces visages, il faudrait faire plus que retenir le nom des morts, même si cela n'est déjà pas si mal, il faudrait recueillir les récits, de vive voix, de tout ce que l'on sait d'eux.


Qu'ils soient plus que des os entassés, des squelettes en désordre, des pièces à charge contre le procès des responsables. Que ces fosses ne soient plus des mass graves, tombes de masse, tombes massives, mais un : Je + Je + Je + Je... empilés.



(Toutes les citations sous les photos sont extraites de : Génocide en Irak, la campagne d'Anfal contre les Kurdes, Middle East Watch (HRW), Karthala 2003.)


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