mercredi, avril 30, 2008
TURQUIE : L’AKP, LE DTP ET LE CHP MENACES D’INTERDICTION
TURQUIE : 53 MAIRES KURDES CONDAMNES
"Le roman est un rêve vérace et un rêve décevant. "
"Le corps se forme à la souveraineté et l'âme à la droiture. Pour préserver l'esprit de justice, rien n'est supérieur au mépris du monde. C'est pourquoi Nezami multiplie les adages où est répétée l'exigence d'un désenchantement du monde. Celui-ci est flux d'apparence, le temps est lourd des poisons de la vie, le monde n'est rien au regard de l'infinité divine, les pluralités trompeuses doivent s'effacer au profit de la seule adoration de l'Un.
Cette insistance à rappeler la vanité des apparences sensibles rend délicate l'interprétation du roman. Comment la concilier avec le chant des épiphanies ? Il n'est pas de paysage qui ne devienne paradis ou roseraie, ou qui ne se convertisse en terre infernale peuplée de goules et de dives. Pas un visage ou un corps de femme qui ne crée le désir par son pouvoir magique d'apparition. La rhétorique est celle de l'imagination active, que les philosophes de l'islam apprendront à reconnaître telle une faculté immatérielle, ouvrant l'accès à un monde vivant en soi et pour soi : le monde imaginal. Ce monde est l'analogue de la terre de lumière du néoplatonisme, le monde de l'Âme, situé entre le monde sensible et le monde intelligible. Là vivent les archétypes lumineux des vivants inférieurs. Nezâmi conçoit, semble-t-il, le lieu imaginal comme un royaume double, où veillent des formes paradisiaques et des formes démoniaques, au point qu'il arrive à un corps spirituel de pure splendeur de se transformer en immonde succube, pour soutirer la semence du malheureux que l'apparition a dupé. Et telle est la difficulté : le monde imaginal entre en complicité avec le pire des imaginaires trompeurs, lui donnant l'affreuse consistance du mirage. Dans le monde imaginal, pensé par Sohravardi, ce contemporain de Nezâmi, aucune coalescence ne mêle imaginaire et réalité corporelle de l'imaginal. Dans le monde imaginal, les réalités intelligibles, les anges se corporalisent."
Et ce à tel point, que chez Sohravardi, le barzakh n'est pas l'entre-deux mondes, le lieu où l'on peut réaliser les épiphanies, les prophéties, etc. Non, chez ce grand optimiste, le barzakh c'est déjà l'écran de la matière, c'est le corps, extérieur aux Lumières, et cependant miroir. Alors que pour Ibn Arabî, par exemple :
Chez Nezâmi aussi, c'est "à une telle incorporation de l'intelligence que nous assistons, quand la beauté d'outre-monde s'épiphanise dans les courbes imaginales dont les légendes sont tissées : corps de houris, lèvres de roses, tailles de cyprès, ces métaphores canoniques ne sont pas des allégories précieuses. Elles nous transportent en un monde réel, accessible par l'imagination, un monde de matière lucide, éloigné des fadeurs du monde prosaïque. Le plus grand nombre des contes d'amour, de terreur et de joie se déroule ainsi au monde imaginal. "
Mais, mais, mais, chez Nezâmi, le conte devient fantastique, c'est-à-dire inquiétant, car il y a effraction d'un monde par l'autre :
"Or ce monde, dans l'art de Nezâmi, ne se situe plus au-delà du monde sensible. Il n'est pas inaccessible aux sens mais présent, voisin, il se prépare sans cesse à faire événement dans la vie familière. Les héros s'égarent, passent d'un monde à l'autre. Le monde imaginal envahit le monde sensible, les formes apparitionnelles surgissent, puis disparaissent."
Ainsi, là où chez Ibn Sîna, Shorawardî, et tous les gnostiques, la vie "terrrestre" est rêve, illusion, et l'au-delà est réalité, éveil, chez Nezamî, on ne cesse de s'éveiller d'un cauchemar ou d'un rêve pour entrer dans une apparence de réalité, qui à son tour est peut-être rêve ou cauchemar, avec, en plus une horrible collusion entre les mondes. C'est le rêveur qui s'éveille d'un cauchemar, fait ouf quand il retrouve sa chambre et son lit, et à peine ferme-t-il les lieux que le monstre gratte aux carreaux de sa fenêtre...
"A l'inverse, le monde sensible se métamorphose continûment en formes "en suspens", comme les nommera Sohravardi. Citadelles en suspens que sont les femmes parfaites qui séduisent et égarent, come si elles naissaient d'un sol qu'elles eussent transfiguré. Si les sept récits ne content pas cette invasion du monde sensible par les formes imaginales, comment expliquer l'alchimie qu'ils mettent en scène ? Cette effraction du sensible par l'imaginal, cette confusion éblouissante de l'imaginal et du sensible sont au coeur de la poésie de Nezâmi. Il faut pourtant soutenir que ces flux d'apparitions se transforment souvent en erreurs instantanées, en trompeuses captations du désir. Nezâmi joue sur le double registre de l'imaginaire et de l'imaginal. Dans l'univers imaginal, l'imaginaire trompeur forge ses armes. Dans l'imaginaire, la forme authentique d'outre-monde se modifie en simple voie d'illusion. La sensibilité reçoit la richesse de l'imagination visionnaire, et soudain les yeux se dessillent : cette imagination était rongée, attaquée par la vanité du rêve. Le rêve lui-même est inquiétante étrangeté : "Ô combien de rêves effrayants qui s'avèrent/à l'interprétation pleins de joie." Le roman est un rêve vérace et un rêve décevant. Entre imaginal et imaginaire, entre corps de gloire et de peur, ombres et violences d'au-delà, la virtuosité de Nezâmi nous enchante, avant de nous priver de notre plaisir dans la mélancolie, cet autre plaisir, prélude à l'ascèse."
Christian Jambet, Post-face aux Sept portraits.
mardi, avril 29, 2008
La beauté est le gibier des cœurs
255. Ôte-la de ma vue sinon, au lieu d'une chemise, il y en aura deux.
Il écrivit à l'un de ses amis, en guise d'invitation :
330. Le jour où l'on se rencontre est court
aussi pour lui venir en aide sois matinal.
678. Elle me servit à boire, dans une nuit pareille à ses cheveux,
un breuvage semblable à ses joues, et les gardes étaient loin.
Et je demeurais plongé dans les deux nuits, de ses cheveux et des ténèbres
entre les deux soleil du vin et d'un visage aimé.
681. Je sacrifierais ma vie pour celui qui est absent de ma vue
et a sa place dans mon coeur, sans voile,
Si ma vue ne pouvait jouir de sa rencontre,
j'en ferais présent au messager qui m'annoncerait son retour.
La beauté est le gibier des coeurs, Tha'âlibî, trad. Odette Petit.
Efrîn, les Kurdes, l'olivier...
Natures vivantes : regards d’enfants
conférence
Le mercredi 30 avril à 17 h
Au Musée de l’Homme
Salle de cinéma JeanRouch
Entrée libre
Dessin de Hêvîn Saleh et Mizgîn Houssain
La culture de l'olivier par les Kurdes d’Afrin en Syrie du Nord. Regard sur les interrelations Homme, Arbre & Territoire
Par Sophie-Anne Sauvegrain, doctorante à l’Université de la Méditerranée & Zaloukh Khalil. enseignante de la langue française
TURQUIE-IRAN : 12ème REUNION DELA HAUTE COMMISSION DE SECURITE
Les Sept Portraits : Le Kurde, sa fille, le Dôme du Santal
"Cette beauté également devint épouse de Bon ; vois l'orfèvre qui perça plusieurs perles !
Bon joignit aux délices de ces trois épouses la tiare de Chosroès et le trône de Kay Kavûs.
Tantôt il visitait la fille du vizir : tous ses désirs étaient satisfaits.
Tantôt il s'émerveillait à la fille du roi : il était le soleil, elle était la lune.
Tantôt il se réjouissait à la fille du Kurde - à trois jeux de trictrac, du monde il raflait la mise.
Fortune pour lui s'avéra si favorable qu'elle le porta au pouvoir et au trône.
Il ajouta cette ville à ses possessions : le pouvoir suprême reposa sur lui.
D'aventure, un jour comme il se rendait au jardin afin de s'ébaudir en plaisante compagnie,
Mauvais, ce funeste compagnon de route - son crime caché lui allait être fatal ! -,
était là avec un juif à traiter affaire ; Bon avisa le juif et reconnut Mauvais.
"Cet individu, dit-il, en temps voulu, faites entrer à ma suite en ce jardin !"
Lui-même se rendit au jardin et s'assit tranquille ; le Kurde se tenait devant lui, un sabre à la main.
Mauvais se présenta, le front serein ; sans reconnaître Bon il baisa le sol.
"Quel est donc ton nom ? lui demanda Bon, toi dont la tête, bientôt, sur toi-même va pleurer."
"mon nom est Mubashsher le Voyageur ; en toute affaire j'ai patente d'expert."
"Dis-moi ton vrai prénom, répliqua Bon ; et que ton visage rougisse de confusion !"
"Que vous me présentiez la dague ou la coupe, je n'ai d'autre nom que celui-ci."
"Scélérat infâme, reprit Bon, verser ton sang est licite à quiconque.
C'est toi Mauvais, le fléau des créatures ; plus encore que ton nom ta nature est mauvaise.
N'es-tu pas celui qui, avec mille supplices, pour un peu d'eau creva les yeux d'un assoiffé,
qui, pis encore en pareille fournaise, l'eau garda et partit sans lui en donner,
qui, les joyaux de ses yeux et ceux à son gousset tous emporta, le laissant brûler de soif ?
Je suis cet assoiffé aux joyaux dérobés ; ma fortune est vivante, la tienne est morte.
Tu as voulu me tuer, mais Dieu ne permit point ; heureux celui qui en Dieu prend appui !
Dieu tenait pour moi Fortune en bonne garde : vois, Il m'a donné couronne et trône royal.
Malheur à toi car tu es d'essence vile ; tu m'as pris la vie : tu ne sauveras pas la tienne !"
"Considérez que l'orbe aux hâtifs tournoiements me donna pour nom Mauvais et à vous Bon.
Si, naguère, j'ai commis envers vous ce qui résulte d'un nom tel que le mien,
en pareille extrémité, accomplissez envers moi ce qui s'attend d'un nom glorieux tel que le vôtre !"
Bon, en sa bonté, cette circonstance sitôt évoquée, à l'exécution renonça sur le champ.
Mauvais, quand du glaive se vit délivré, se sauva : de joie, il volait dans les airs.
Le Kurde, animé de vengeance, le rattrapa : il frappa de sa lame et sa tête décolla.
"Si Bon est animé de bonnes pensées, dit-il, de toi, qui est Mauvais, ne vient que méfaire."
Il fouilla le corps et trouva les deux rubis soigneusement rangés au pli de la ceinture.
Il revint, les déposa devant Bon et dit : "Les joyaux font retour aux joyaux."
Bon baisa les pierreries et les tendit au Kurde : un joyau il gratifiait par des joyaux.
Puis il posa la main sur ses yeux. "Je vous dois ces deux perles, dit-il.
Ces deux joyaux sont faible salaire pour qui, à ses joyaux autres, a rendu la lumière."
Et voilà tout est bien qui finit bien, Bon règne et le peuple est content.
Nezâmi, Les Sept Portraits, trad. Isabelle de Gastines.
lundi, avril 28, 2008
Querelle linguistique au Kurdistan
Il faut comprendre, pour les néophytes, que le kurde est divisé en plusieurs dialectes mais que, pour simplifier, on va ne s'occuper que des deux grandes langues, le kurmandji et le sorani, qui sont l'un à l'autre ce que l'oil et l'oc étaient chez nous. Le kurmandji a numériquement plus de locuteurs que le sorani mais ce dernier a bénéficié de la chance historique d'être parlé en Irak et en Iran, et donc de n'avoir pas eu à subir l'interdiction totale de son usage et de son enseignement comme le kurmandji en Turquie, ou la tolérance de son usage mais l'interdiction de son enseignement, en Syrie.
Les Sorans, en général, considèrent, surtout les gens de Suleymanieh, que leur langue est plus noble, plus riche, plus raffinée, alléguant parfois de bonne foi une antériorité comme langue littéraire ce qui est faux, les premiers textes kurdes connus ont été écrits en kurmandji. Autre point de discorde, l'alphabet. Depuis la chute de l'empire soviétique, les Kurmandjs s'accordent tous pour écrire avec l'alphabet latin forgé par les Bedir Khan et la revue Hawar (avec la bénédiction des autorités françaises en Syrie). Les Sorans, eux, semblent plus attachés à l'alphabet arabo-persan.
Depuis 2003, le kurde est une des langues officielles de l'Irak et la langue offficielle du Gouvernement régional du Kurdistan. Le "kurde", et non un dialecte précis mais, dans les faits, c'est le sorani qui est langue administrative, politique et la plus largement utilisée. Actuellement, sur les trois provinces du Kurdistan d'Irak, Erbil et Suleymanieh sont sorani, Duhok seul est kurmandji. En ce qui concerne les régions réclamées par les Kurdes, Sheikhan, le nord de Mossoul, Sindjar sont kurmandji, Khanaqin et Kirkouk sorani. Comme on le voit, les Kurmanjs sont loin d'être numériquement négligeables dans la Région.
Comment cela se passe dans les écoles ? Jusqu'ici à la bonne franquette, semble-t-il. Dans les écoles du Behdinan les enseignants s'expriment dans leur langue, et chez les Sorans idem. Evidemment, les jeunes Behdini sont naturellement bilingues, ce qui n'est pas le cas des plus anciens qui ont été scolarisés principalement en arabe et ont parlé leur kurde entre eux.
Les plus anti-kurmandji sont réputés être les gens de Suleymanieh qui, en plus, ont un sorani avec des tournures particulières. Là où un Kurmandj dit "ez dikim" pour "je fais", un Soran dit : "min dakam", et le Silêmanî dit min "akam". C'est aussi à Suleymanieh qu'on fait le moins d'effort pour comprendre les Behdini, à ce que j'ai pu voir. Mais bon, jusqu'ici, ça ne dépassait pas la simple bisbille régionaliste et cloche-merlienne...
La solution la plus simple, et la plus évidente, était que chaque élève apprenne en sa langue et bénéficie d'un enseignement de l'autre dialecte. Mais ce qui est de facto le cas pour les Behdini ne l'est pas pour les Sorans, qui voient peu d'utilité à apprendre un dialecte qui n'est pas langue officielle. Ces derniers temps, une poignée d'intellectuels inspirés a décidé de demander à ce que l'enseignement du sorani soit imposé à tous, et le kurmandji enseigné comme "langue morte" aux élèves. "Langue morte" une langue parlée par les 3/4 des Kurdes, il fallait l'inventer. Les noms de ces intellectuels sont, entre autres, Shêrko Bêkes (comme quoi on peut être grand poète et pas très futé à côté).
La question est de savoir ce que ça peut leur faire à eux, que l'on parle kurmandji au Behdinan. Peut-être certains cherchent-ils ainsi à étendre autoritairement leur lectorat, mais ce n'est pas le meilleur moyen de s'attirer les faveurs d'un nouveau public... L'académie de Suleymanieh avait déjà mis fin aux cours de kurmandji pour cause de "difficulté posée aux enseignants et élèves". Nonobstant quoi des cours d'arabe sont quand même dispensés aux enfants de réfugiés irakiens, mais bon...
Dernier volet, plus politique, de cette tendance, les déclarations du ministre de l'Education. Dilşad AbdulRahman, originaire de Sulaymanieh, comme par hasard, vient de se prononcer dans une interview, pour un enseignement unique du sorani dans les écoles : "Selon moi il faut que dans la Région du Kurdistan une seule langue soit lue et écrite, et nous devons régler ce problème par une décision politique par référendum."
A cela, deux remarques : si le ministre adopte une posture démocratique ("par référendum") c'est qu'il se dit que les Sorans étant majoritaires, le sorani l'emporterait (on peut tout de même espérer que tous les Sorans ne sont pas aussi idiots).
Quant à la nécessité de forger une langue unique, vieux fantasme de certains cercles kurdes, il faut savoir que l'unification de la langue kurde, c'est comme l'unité politique arabe : tout le monde la veut, mais à condition que ce soit les autres qui s'unissent sous sa propre bannière. Il est donc douteux qu'une langue unifiée fasse une grande place au kurmandji, ou même devienne une forme de "sormandji".
Paradoxe, donc, que la Région du Kurdistan, qui est, dans sa législation, la plus avancée et la plus tolérante pour l'enseignement des langues minoritaires (syriaque, turkmène) doive devenir, dans les rêves fumeux de quelques-uns, le lieu où les Kurmandjs seraient, comme partout ailleurs au Kurdistan, privés d'enseignement dans leur propre langue. De quoi lancer une bonne révolte dans le Behdinan, en général peu enclins à se laisser faire... Après tout, ils ont lutté, que ce soit les Chaldéens ou les Kurdes, contre des décennies d'arabisation forcée, ce n'est pas pour se laisser soraniser de la sorte...
Les Sept Portraits : Le Kurde, sa fille, le Dôme du Santal
Il dit à Bon : "Ô jeune homme éclairé, à la fois réfléchi, beau, aimable et réservé :
suppose que, de retour en ta ville, de quelque autre compagnon tu subisses l'épine !
Ici, richesse, bien-être et bonheur sont à toi ; sur tous, bons et mauvais, tu as haute main.
Les hommes bons ne lâchent pas la bride aux mauvais ; ils ne livrent pas l'ami à l'ennemi.
Je possède de grands biens, mais voici : je n'ai qu'une fille unique et chérie,
une fille aimante, serviable et douce : dire qu'elle n'est pas parfaite serait indigne !
Le musc a beau être caché dans la poche, avéré de par l'univers est son parfum.
Si tu mets ton coeur en notre fille et en nous, tu nous seras plus cher que la vie.
Pour cette fille incomparable, je te choisis, de plein gré, comme époux.
Je te donne tout ce que j'ai en moutons et chameaux ; tu seras ainsi pourvu de capital.
Quant à moi, heureux et fortuné, je vivrai parmi vous jusqu'à l'heure de mon trépas."
Bon à cette plaisante offre du Kurde s'inclina avec gratitude ainsi qu'il se doit.
Après avoir échangé propos de cette joyeuseté, ils s'endormirent, le coeur léger et satisfait.
L'aube, ce vigile, quand noua la ceinture, l'oiseau, telles les clochettes d'or, lança son appel.
Selon l'ascendant à l'auguste fortune, le monarque d'Orient prit place sur le trône.
le Kurde, d'un coeur allègre, se leva et s'adonna aux apprêts des noces.
En mariage, qui est principe d'union - toute progéniture par ce lien est bénie -,
il accorda sa fille à Bon : Vénus il plaça en orbite avec Mercure.
Celui mort de soif trouva l'Eau de la Vie ; l'éclat du soleil sur le bourgeon resplendit.
L'échanson aux douces lèvres, à l'assoiffé donna une gorgée de l'eau du Kawsar.
Au début, s'il donna l'eau de la fontaine, à la fin, il prodigua l'Eau de la Vie.
Ils vécurent heureux, tous deux ensemble ; de tout ce qu'ils souhaitaient, rien ne manquait.
Ils se remémoraient le temps passé et, de ce qu'ils tenaient présent, se réjouissaient.
Le Kurde transmit à ses précieux enfants tout ce qu'il possédait en capital.
Si bien que, campement, trésors, troupeaux, tout échut intégralement à Bon.
Quand ces prairies, tout verdures et ombrages, ce fut le temps de quitter pour la plaine,
Bon se rendit à l'arbre odorant le santal aux feuilles duquel il devait la guérison.
Des deux branches du tronc, et non d'une seule, il cueillit à foison de larges feuillées.
Il fit de ces deux feuilles deux sacoches pleines qu'il disposa parmi la charge d'un chameau :
l'une, remède suprême contre l'épilepsie, l'autre, collyre par excellence pour les yeux.
A personne il ne s'ouvrit de ces feuilles ; cet électuaire il garda caché aux regards."
Nezâmi, Les Sept Portraits, trad. Isabelle de Gastines.
dimanche, avril 27, 2008
samedi, avril 26, 2008
Coup de projo sur : The Wind, Kayhan Kalhor, Erdal Erzincan
Après The Rain et Ghazal qui était, avec la voix de Shudjaat Husein Khan, une rencontre Orient-Occident, Keyhan Kalhor remet ça dans le sens inverse avec les saz (baglama) du virtuose Erdal Erzincan, originaire d'Erzurum et d'Ulas Özdemir. Dans cette partie improvisée, c'est donc Kayhan Klahor qui, cette fois-ci, joue l'oriental devant les "occidentaux". Mais je dois dire que, contrairement à sa collaboration avec Shujaat Khan, il n'y a rien d'une rencontre entre deux continents, qui seraient exotiques l'un à l'autre, dans ces prestations. Les mélodies qu'Erdal Erzincan et Ulas Özdemir sortent de leur saz sonnent tout à fait kurdes et seul le kemençe de Kayhan leur donne une petite touche rojhelatî... Mieux, même : la haute exigence artistique des musiciens d'Iran a permis aux deux joueurs turcs de sortir des conventions qui tirent sur la variété, comme l'explique Keyhan et de fait, cela sonne plus comme un retour aux sources si naturel, si évident de cette musique anatolienne, qu'elle soit jouée par des Turcs ou des Kurdes :
vendredi, avril 25, 2008
Les Sept Portraits : Le Kurde, sa fille, le Dôme du Santal (suite)
A la garde des chameaux et le soin du troupeau il montrait assiduité et compétence.
Il gardait le troupeau du fléau du loup ; sur tous, petits et grands, il veillait.
Le Kurde, nomade parcourant les déserts, quand vit qu'il se pouvait reposer sur lui,
il le distingua par son amitié : il le nomma régisseur de tous ses biens.
Bon, une fois le familier de la maison, ample fut le registre des investigations.
On lui demanda les circonstances de sa blessure, de qui lui était venue pareille injure.
Bon ne cacha pas l'histoire de Mauvais ; ce qui lui était arrivé, bon et mauvais, il dit tout :
l'affaire des rubis et l'achat d'un peu d'eau, comme le feu de la soif le faisait griller ;
les yeux, ces joyaux, lui avaient été arrachés ; les rubis, ces autres joyaux, dérobés :
Mauvais avait percé les perles, emporté les rubis et, d'eau sans donner, planté là l'assoiffé.
Le Kurde, quand entendit ce récit de Bon, posa le front contre terre, tel l'ermite en prière :
Grâce à Dieu, l'implacable rafale n'avait pu venir à bout du tendre bourgeon !
Quand se répandit l'outrage que cet ange avait enduré de la part de ce démon,
Bon, plus encore que son nom, fut célébré : il devint à tous plus précieux que la vie.
On le traita comme il se devait ; la fille du Kurde ne laissa à personne le soin de le servir.
Le visage voilé, cette beauté était en adoration ; elle prodiguait l'eau - le feu la dévorait.
Bon, entièrement, lui donna son coeur : cette vie qu'il lui devait, plus ne lui appartenait.
L'esprit occupé par cette perle rare, il vaquait à l'entretien des boeufs, des moutons, des chameaux.
"Il ne se peut, dit-il, que si aimable personne s'unisse à un gueux tel que moi.
A jeune fille de cette beauté, de cette perfection, qui n'a ni trésor ni biens ne saurait prétendre !
Moi qui, de dénuement, me nourris de son pain, comment sur elle porterais-je le regard ?
Je ne vois d'autre issue, en pareil péril, que d'invoquer avec tact quelque voyage."
Quand là-dessus une semaine eut passée, un soir il s'en revint de la plaine,
le coeur au tourment du souci de cette belle, tel le mendiant assis près du trésor,
ou l'assoiffé au bord de l'eau limpide, plus assoiffé encore qu'il n'était au début.
Cette nuit-là, par cette brisure qu'il avait au coeur, son corps, cette argile, à force de larmes fleurit.
Il dit au Kurde : "Ô protecteur de l'étranger, de moi, cet inconnu, vous avez pris grand soin.
Par vous mes yeux ont recouvré la lumière ; par vous le coeur et la vie m'ont été rendus.
De vos reliefs comme je me nourrissais, aux délices de cette table, amplement, j'ai goûté.
Mon front s'ennoblit de la marque de votre fer ; ma dette envers vous dépasse ma gratitude.
Que ce soit mon corps ou mon esprit, voyez : l'arôme de votre nappe effuse de mon sang.
Vous présenter plateau si richement garni, je ne puis ; ma tête sur le plateau poser - si vous voulez, voici !
Je ne saurais davantage être votre hôte ; point ne faut moudre de sel sur le coeur à vif.
A la mesure de toutes vos bontés je ne pourrais envers vous user de gratitude
que si Dieu, en Sa munificence, m'accordait de quoi m'acquitter de ma dette.
Aussi, quoique j'éprouve douleur à m'éloigner, je vous supplie de m'ordonner congé.
Voici longtemps que je suis loin de mon pays, de mes affaires, des charges qui m'incombent.
Je souhaiterais, demain tôt matin, me mettre en route et rentrer chez moi.
Si, en apparence, je suis séparé de vous, ma pensée ne quittera pas la poudre de votre seuil.
J'attends de vous, fontaine de lumière, qu'en cet éloignement vous ne m'oubliiez pas ;
qu'à ma résolution vous laissiez prendre son vol ; que des bienfaits reçus vous me teniez quitte."
Quand il eut achevé de parler, le feu avait embrasé le campement du Kurde.
Des pleurs s'élevèrent d'au milieu l'assistance ; des cris de douleur déferlèrent de tous côtés.
Le Kurde se lamentait ; sa fille, plus encore ; les cerveaux tarissaient, les yeux ruisselaient.
Après les larmes, tous ployèrent la tête : on eût dit des fleurs d'eau par le gel figées."
(à suivre...)
Nezâmi, Les Sept Portraits, trad. Isabelle de Gastines.
jeudi, avril 24, 2008
Les Sept Portraits : Le Kurde, sa fille, le Dôme du Santal (suite)
"Le Kurde, à la nuit, quand rentra de la plaine - il avait faim et soif et se devait sustenter -,
vit en entrant un spectacle insolite ; sa bile en fut d'autant échauffée.
Il vit un être qui gisait inconscient ; tel qui, blessé à mort, a rendu l'âme.
"D'où vient ce malheureux, demanda-t-il ; pourquoi est-il de la sorte réduit et prostré ?"
Ce qui, au début, était arrivé au jeune homme, personne, au juste n'en savait le détail.
On lui fit le récit des yeux arrachés : par le glaive l'onyx avait été percé.
Quand le Kurde vit que cet infortuné gisait là aveuglé, la vue scellée,
il dit : "D'un branche de tel grand arbre, il n'est que de cueillir quelques feuilles ;
de piler ces feuilles, d'en extraire le jus et d'en oindre la plaie : de brûlure il n'est plus.
Si pareil onguent pouvait être préparé, ses yeux recouvreraient la lumière.
Toute blessure à l'oeil, aussi sévère soit-elle, est guérie par le suc d'une ou deux de ces feuilles."
Puis il indiqua où était cet arbre : "Au bord de tel point d'eau, notre fontaine,
croît un vieil arbre plein de merveille ; à sa brise embaumée l'esprit est apaisée.
Le tronc, à partir des racines, s'étire en deux branches ; l'intervalle entre les deux est large.
Les feuilles de l'une, tels les voiles des houris, aux yeux éteints rendent la lumière.
Les feuilles de l'autre, telle l'Eau de la Vie, guérissent de leur mal les épileptiques."
Quand la fille du Kurde entendit ces mots, elle résolu de se procurer un tel dictame.
Elle implora son père et le supplia de pourvoir à un malheureux en détresse.
Le Kurde, quand vit si ardente supplique, reprit la route et se dirigea vers l'arbre.
Il y cueillit une poignée de feuilles, antidote contre la mort pour ceux à l'agonie.
Il les rapporta ; la jeune fille les prit et les broya afin d'en recueillir l'extrait.
Elle filtra le produit jusqu'à ce qu'il fût sans dépôt et, dans les yeux du malade, versa.
Elle pansa le collyre sur les yeux meurtris ; le blessé, de douleur, un temps resta assis.
Puis, rivant des yeux le sort propice, il reposa la tête sur l'oreiller.
Il fut cinq jours la tête bandée, cet onguent sur les yeux appliqué.
Le cinquième jour on le dégagea : on retira l'emplâtre dessus la plaie.
Les yeux, alors perdus, étaient sains à nouveau, exactement tels qu'à l'origine.
Aveuglé qu'il était, il ouvrit les yeux : deux narcisses qui éclosent à l'aurore.
Bon, sitôt que vit cette bonté, rendit grâces : il était délivré, tel le boeuf du moulin.
Les femmes de la maison se rassérénèrent : elles découvrirent leur coeur et voilèrent leur visage.
A force de tourments pour lui éprouvés, la fille du Kurde s'était éprise.
Quand le cyprès altier fit éclore deux narcisses, que la cassette aux joyaux fut dégagée de ses liens,
plus éprise encore fut cette fille de péri, à la beauté du noble jeune homme.
Bon, à son tour, par ces marques de bonté, s'était enamouré à cet amour inavoué.
Quoiqu'il n'eût vu son visage en entier, il l'avait, elle, aperçue aller et venir.
Il avait souvent entendu sa voix douce, souvent éprouvé ses mains délicates.
Il avait mis son coeur en elle comme elle, captivante, le sien en lui ; ô le sublime lien !"
(à suivre...)
Nezâmi, Les Sept Portraits, trad. Isabelle de Gastines.
Radio : palmyre
mercredi, avril 23, 2008
Les Sept Portraits : Le Kurde, sa fille, le Dôme du Santal
L'histoire commence ainsi. Deux jeunes gens, un bon et un mauvais, respectivement appelés Bon et Mauvais, comme ça personne ne s'y trompe, pour se rendre en une ville, doivent traverser un désert. Bon, qui est peut-être bon mais imprévoyant, n'ayant pas économisé ses provisions de voyage, se retrouve vite assoiffé, au bout de sept jours. Mauvais, qui est mauvais mais avisé, avait gardé en secret une outre pleine d'eau. Découvrant que son compagnon s'abreuve en cachette, Bon le supplie de lui vendre une gorgée d'eau en échange de tous les rubis et trésors qu'il transporte. Mais Mauvais lui réclame en paiement "deux rubis qu'il ne pourra jamais lui reprendre" soit les yeux de Bon. A la fin, se voyant près de mourir de soif, Bon se résigne et Mauvais lui crève les yeux, prend les vêtements et les joyaux de Bon et s'en va, sans même lui donner d'eau. Ainsi Bon reste sur le sable, en fort mauvaise posture "Dans la terre et le sang il se roulait de douleur ; mieux valait qu'il n'eût plus d'yeux pour se voir."
"Or voici : un Kurde, grand parmi les notables, possédait un troupeau bien gardé du loup.
Au vrai, c'était un troupeau prospère : jamais personne ne posséda un tel bétail.
Ce Kurde se mouvait avec sept ou huit familles ; il était le chef ; ces autres formaient sa tribu.
Habitué des monts et des terres arides, il traversait en nomade les solitudes.
En quête d'herbage, il parcourait le désert ; de plaine en plaine, paissait son troupeau.
Là où il voyait verdure et fontaine, il faisait halte pour une ou deux semaines.
Quand l'herbe était broutée, il levait le camp et poussait son troupeau d'un autre côté.
D'aventure, pas plus tard que l'avant-veille, il avait, à cet endroit, tel un lion, planté sa griffe.
Ce Kurde avait une fille, une idole, turque par les yeux, hindoue par la mouche.
C'était un cyprès abreuvé par le sang du coeur ; une beauté avec amour élevée.
Ses boucles, en lacets tombant jusqu'à terre, avaient la lune, à son cou, rendu prisonnière :
anneaux sur anneaux, comme violettes au jardin, elles étaient plus noires qu'aile de corbeau.
La magie de son oeillade, ivre de ruses, avait haute main sur tous les pièges du sort.
Les gens, à cette magie de Babylone, mettaient leur coeur à se laisser séduire.
La nuit, de son grain de beauté tirait sa noirceur ; la lune, à sa splendeur prenait son éclat.
L'étroitesse de ses lèvres de sucre fermait aux baisers l'accès de sa bouche.
Lune du camp à la gracieuse démarche, elle allait, tel un poisson, chercher de l'eau.
Une fontaine se trouvait à l'écart du chemin ; le campement dépendait de cette source.
Elle emplit une jarre à l'eau de la fontaine ; cachée aux regards elle s'apprêtait à rentrer.
Soudain, elle entendit une plainte, au loin, comme d'un blessé en grande peine.
Elle prit la direction de la plainte et, abîmé dans la poudre et le sang, vit le jouvenceau.
Celui-ci, de douleur, agitait bras et jambes ; d'un ton suppliant, il invoquait Dieu.
La charmante, de ses charmes faisant fi, s'empressa auprès du blessé.
"Ah, malheureux, dit-elle, qui es-tu, ainsi couvert de terre, maculé de sang ?
Qui commit cette violence contre ta jeunesse ? Qui exerça contre toi pareille perfidie ?"
"Ô envoyée de la sphère céleste, dit Bon, que vous soyez ange ou née d'une péri,
mon aventure est des plus étranges, et mon histoire longue à raconter.
Je me meurs de soif et de manque d'eau ; efforcez-vous de secourir un assoiffé.
S'il n'est d'eau, retirez-vous que je trépasse ; mais s'il en est une goutte - que je sois sauvé !"
L'échanson aux douces lèvres, clé du salut, lui donna une eau, en bienfait l'Eau de la Vie.
L'assoiffé au coeur brûlant, du frais nectar but autant qu'il fallait boire.
Ranimée en fut son âme flétrie ; joyeuse la lampe, lumière de ses yeux.
En invoquant Dieu, elle remit dans leur orbite les yeux qui avaient été excavés.
Si le blanc de l'oeil avait été tailladé, la prunelle était intacte dans l'humeur vitrée.
Elle pansa les paupières, les ferma et, avec mansuétude, prit la main du blessé.
Assez de force elle lui vit dans les jambes pour l'inciter à se mettre debout.
Elle fit grand effort pour qu'il se relevât ; s'offrit à le conduite et, sur la route, le mena.
L'homme privé de vue marcha près d'elle jusqu'à l'endroit où était planté le camp.
A un domestique qui était de ses gens, elle confia la main du blessé et dit :
"Doucement, pour le ménager ; conduis-le avec précaution à notre seuil !"
Elle-même courut chez sa mère, vite ; de cet événement elle fit le récit.
"Pourquoi l'as-tu laissé, dit sa mère ; toi venant, ne l'as-tu avec toi amené ?
Un remède, peut-être, eût été trouvé qui l'eût quelque peu soulagé."
"Je l'ai ramené, dit-elle ; s'il vit encore, il devrait être là d'un instant à l'autre."
Cependant le serviteur, qui venait d'arriver, conduisait le blessé en lieu de repos.
On l'installa et, pour lui, on dressa une table ; on lui servit du bouillon et du kabab.
L'homme, le corps brûlant, le souffle glacé, prit une bouchée et, de douleur, retomba la tête."
(A suivre...)
Nezâmi, Les Sept Portraits, trad. Isabelle de Gastines.
samedi, avril 19, 2008
Coup de projo sur : L'ensemble Ibn Arabî
jeudi, avril 17, 2008
Radio : chirstian jambet, faille de zagros
Mercredi 23 avril à 14h00 sur France Culture : Géodynamique : la faille de Zagros en Iran. Avec Philippe Agard (université paris VI). Planète Terre, V. Charpentier.
mercredi, avril 16, 2008
Poésie ésotérique ismaélienne : la Tâ'iyya de 'Amir b. 'Amir al-Basrî
A partir de Lui a resplendi un [être] absolu, qui, par une éternelle unité, a lié l'ensemble des hommes,
fait allusion à ce que Henry Corbin appelait le "drame cosmique" du Deuxième Créé, l'Âme, voulant contempler l'Un sans l'intermédiaire du Premier Créé, l'Intellect, et se faisant rétrograder (à l'insu de son plein gré) au Xème rang, entraînant toutes les âmes qui dépendaient de lui : les âmes humaines. L''Âme devenue la Xème Intelligence se rend compte de son erreur, et est obligé, pour sauver ses âmes vassales peu à peu gagnées par la ténèbre comme par l'ombre du Mordor de jeter tout ce monde dans le monde des corps, afin que tous se rachètent en remontant, à la suite du fautif repenti, degré par degré, les échelons de la purification. Ce qui est d'ailleurs assez joli comme idée, cette compagnie d'âmes cheminant derrière son Capitaine.
"Pourtant, au vers 36, plutôt que de l'Intellect, il s'agit de l'"Âme parlante humaine universelle", et, à travers elle, de l'imâm du moment, d'ailleurs hypostase de l'Intellect et de l'Âme, représentant 'calife) de Dieu (et de l'Intellect) sur Sa terre. Cette "Âme parlante humaine universelle" est la faculté la plus noble de l'Âme universelle, et comme celle-ci "vivante par essence" (vers 38) ; elle est l'âme du genre humain, but et couronnement de la création, l'homme "absolu" (vers 36) et universel ; en un mot, l'Adam céleste dont la faute (du moins si l'histoire de cette faute n'est pas purement anecdotique aux yeux des Ismaïliens) a provoqué la chute des âmes dans la création matérielle, mais qui est aussi à la tête de leur remontée et de leur émergence ; et c'est cette même Âme parlante humaine universelle qui s'incarne parfaitement dans le qâ'im de la résurrection."
Or cette connexion Xème Ange déchu + Âme du monde (et seigneur du monde, donc) + une idée de faute, qui s'apparente à celle d'Iblis, est à même d'éclaircir le statut de Malik al-Taws chez les Yézidis, statut qui n'est pas clair et, en plus, en l'absence de tradition écrite et avec les aléas qu'a connus cette communauté, la gnose initiale a pu être perdue, ou déformée ou réarrangée. On insiste beaucoup sur l'influence mazdéenne des rapports de Malik al Taws et du Créateur, mais je me demande si l'explication ismaélienne de l'Adam céleste qui est l'Ange déchu et le Sahib du monde terrestre n'est pas non plus une influence dont il faut tenir compte.
"Cette [spiritualité]est maintenue dans ce corps par une affinité, une parenté ancienne et un lien d'affection ;
"Il existe entre elle et lui un amour étrange, un commerce solide, qui ne sauraient en aucun cas prendre fin."
Commentaire du vers 117 :
"Le corps de cet individu a été formé ici-bas à partir des quatre éléments, par les facultés de la Nature utilisant pour cela le mouvement des sphères célestes et des astres et planètes par lesquels sont transmis les archétypes ; dès que le corps élémentaire de l'embryon est formé, l'âme de l'individu, qui n'est encore que "faculté végétative", s'est unie à lui ; puis sous son action et celle de la Nature, le corps se développe, ses formes propres étant fonction des influences qu'il a reçues successivement des sept sphères des planètes, par le canal de la sphère de la lune (une forme donnée, dans une partie du corps, y permet l'installation d'une faculté psychique qui l'animera). Or de toute éternité, ces formes corporelles étaient prévues pour correspondre aux facultés de l'âme de cet individu, facultés que l'âme tient (et continue à tenir) de son archétype. Il y a donc entre l'âme et le corps d'un individu une "parenté originelle", un "lien de sympathie."
Commentaire du vers 118 :
"Cette "sympathie" entre l'âme et le corps fait qu'il y a entre eux un "commerce", une sorte d'amour qui ne saurait cesser jusqu'à la résurrection, l'âme ne pouvant "aimer" un autre corps qui ne serait pas fait pour elle, ni le corps une autre âme (en fait pour le corps, en lui-même inanimé, il s'agit d'une "affinité" de forme, elle même due aux facultés de l'Âme). L'âme éprouve pour le corps, aux formes si belles, un "amour" en quelque sorte sans espoir, comme celui de Jamîl pour Buthayna, car étant d'une essence infiniment supérieur, elle n'est pas faite en fin de compte pour lui, malgré leur union provisoire (v. 119). Cet amour est tourmenté parce qu'elle a souvent peur pour lui : elle s'efforce de le protéger et de le garder de la douleur et c'est indispensable jusqu'à ce que l'épreuve de la vie d'ici-bas l'ait rendu parfaite."
Or ce rapport, ce commerce, cet amour, rappelle fortement les rapports de l'âme avec son Ange personnel décrit par Avicenne et, en plus, il y met aussi un accord particulier entre l'âme et le corps, ce dernier réceptacle parfaitement adapté à la première :
"Selon cette norme, lorsqu'un réceptacle corporel y est devenu apte sous l'action des Sphères célestes, l'Ange "Dator formarum" y infuse une âme pensante qui devient alors numériquement différente des autres. En bref l'âme humaine ne reçoit son individualité que par le fait de son union avec le corps, et cette individuation est le "service" que le corps rend à l'âme."
Première différence, ici c'est le corps, tel qu'il fut façonné par l'Ange-Intelligence, qui individualise l'âme, alors que dans la version de la Tâ'iyya, c'est l'inverse, c'est l'âme qui sculpte le corps, comme il est dit dans les vers 113-114 :
"Cette [spiritualité] qui, substancialisée sur l'ordre de Dieu, reste accrochée à un corps doué d'un tempérament, fait des particules et des matières les plus subtiles
Dont elle sculpte ce corps grâce à l'inspiration divine qui lui sert de modèle dans les ténèbres de cette nuit."
Mais surtout, la différence majeure avec l'angélologie d'Avicenne, de Sohrawardi et de quelques autres, c'est que chez eux, le corps est à la fois un support et une prison, et le rapport d'amour n'existe qu'entre l'âme et son Ange. Le but de l'âme gnostique est justement de renoncer à tout attachement pour ce corps et rejoindre son double céleste.
Chez les Ismaéliens, le séjour corporel est de même une épreuve purificatrice (et expiatrice puisque liée à la chute du Troisième). Mais, si l'utilité du corps comme outil salvateur de l'âme est claire, on ne comprend pas bien le rôle que peut jouer l'affinité amoureuse corps-âme, puisqu'à la fin, il faudra s'en défaire, comme un vêtement, pour rejoindre l'Âme universelle :
Vers 124-125 :
"Elle ne s'est abaissée que pour mieux s'élever jusqu'à son sommet, par la parole, après être restée muette ;
"Elle n'est pas elle-même un corps, mais c'est grâce à [son] corps que sa perfection pourra être en acte, après n'avoir été qu'en puissance."
Commentaire :
"Elle ne s'abaisse que pour mieux s'élever" : le séjour de l'âme dans le corps est une épreuve qui doit lui permettre de se purifier jusqu'à ce qu'elle soit digne de s'élever dans les sphères. Elle est restée muette lorsqu'elle était prisonnière du corps, gouvernée par "l'âme animale" et surtout "l'âme végétative". Puis, à mesure que l'âme retrouve son essence, domine "l'âme parlante" (reflet de l'Âme universelle "illuminée" par l'Intellect) ; lorsqu'elle aura retrouvé sa perfection originelle, l'homme pourra quitter son corps et deviendra un "ange en acte" après avoir été un "ange en puissance".
Deux allusions ou "parentés" avec les Yarsân et les Yézidis, la mention de l'eau primordiale, qui est la Mer primordiale, surtout pour les yarsân pour qui Dieu est d'abord une perle flottant sur l'Océan :
Le vers 231 :
"[Pour savoir] comment Dieu s'assit sur son Trône, au-dessus de l'eau primordiale, (et non pas cette eau [que nous connaissons]"
Sinon, pour le vers 334-335 :
"Me voici nageant dans les ondes de ta mer, pour aborder au rivage du continent ou d'une île,
Et si mon âme est sauve, ce sera merveilleux ; si elle meurt, elle se sera acquittée de sa dette."
Commentaire :
"De cette mort définitive des âmes démoniaques, Fârâbî parle ; certaines sectes, comme celle des 'Alî ilâhi aujourd'hui encore, y croient ; il est possible que les Ismaéliens y aient toujours cru également."
Cela dit, Nasir od-Dîn Tusî, donne une toute autre vision de l'enfer, bien plus épouvantable que la "mort définitive" de l'âme, et qui rejoint un peu la vision que Nur Ali Elahi en avait (la souffrance de la privation de Dieu), mais en pire, avec l'idée répandue chez les philosophes mystiques qu'une âme souffre de ses propres défauts, et que donc, l'Enfer n'a pas d'autres réalités que l'illusion dans laquelle cette âme a voulu rester enchaînée.
"La jouissance de l'âme provient de la perception des intelligibles, lorsqu'elle s'attache à penser le Réel, à parler juste et à agir bien. La jouissance du corps provient de la perception des réalités sensibles, lorsqu'il s'attache à toucher, à goûter, à sentir, à entendre et à voir. Lorsque l'âme se sépare du corps, si l'âme a désiré, de toutes les façons, acquérir les avantages qu'offrent les intelligibles et si l'obscurité des sens n'a pas voilé la lumière de sa liberté, elle demeurera éternellement en une jouissance sans douleur, une joie sans chagrin, une vie immortelle. Elle aura tout ce qu'il lui faut. Mais si elle a désiré ardemment obtenir la jouissance des réalités sensibles de toutes les façons, comme si ses sens étaient les instruments de ses plaisirs sensibles et qu'ils l'ont abandonnée, rien n'empêche qu'elle ne demeure dans la ténèbre de l'imagination corrompue et de l'imaginaire mensonger. Elle aura tout ce qu'il ne lui faut pas.
Elle ressemble à cet homme à demi tué, les deux yeux arrachés, le nez, la langue, les mains et les pieds coupés, les membres tranchés ; ni vivant ni tout à fait mort, il gît. L'imagination des jouissances qu'il ne pourra plus obtenir par l'entremise des organes corporels le submerge et prend possession de lui. Un désespoir éternel l'envahit, parce que plus jamais il ne possédera cette vie corporelle et ces choses sensibles qu'il imagine. Il ne lui reste qu'un immense chagrin et un regret sans borne qui lui viennent de son état."
La Convocation d' Alamut, XV, 3, trad. Christian Jambet.
Disons que ça revient au même mais que c'est un peu plus vache que chez Nur Ali Elahi. Mais le monde des Ismaéliens a toujours eu une tonalité plus sombre, pas forcément plus pessimiste mais plus dure : pas de cadeau pour les "gens du Mensonge" et Nasir od Dîn n'était guère porté sur la compatissante indulgence, dans sa période ismaélienne (j'ignore s'il a mis de l'eau dans son vin quand il est retourné au chiisme duodécimain) :
"Quiconque ne passe pas du monde du semblant au monde de la distinction, et n'aspire pas à quitter les indications de la révélation littérale pour les significations de l'exégèse ésotérique et n'y parvient pas, est un habitant de l'enfer. Quiconque passe du monde du semblant au monde de la distinction et aspire à quitter les indications de la révélation littérale pour les significations de l'exégèse ésotérique et y parvient, est un habitant du paradis. Aussi la liberté à l'état pur, soit que tout ce qu'il faut advienne, est le paradis véritable, tandis que l'oppression à l'état pur, soit que tout ce qu'il ne faut pas advienne, est l'enfer véritable."
mardi, avril 15, 2008
Je me sais, donc je suis
Le déjà-mort, c'est celui qui s'ignore. Ce qu'à la même époque, Sohrawardî disait aussi :
Stat rosa pristina nomine; nomina nuda tenemus
qu'ils se sont noyés dans l'océan des mots.
Il n'est que de mentionner le nom de l'un d'eux :
aussitôt, tel un poisson, il sort la tête de l'eau.
La parole, qui tel l'esprit est sans défaut,
est gardienne du trésor de l'invisible.
L'histoire encore non dite, elle la connaît ;
le livre encore non écrit, elle le lit.
Vois, de tout ce que Dieu a créé,
que reste-t-il hormis le nom ?
Le seul vestige qui subsiste de l'homme,
c'est la parole ; tout autre n'est que vent."
"Tant que tu es en vie, tel l'éclair, meurs afin de rire ;"
la souveraineté de l'âme prévaut sur celle du corps."
Le déjà-mort, c'est celui qui s'ignore. Ce qu'à la même époque, Sohrawardî disait aussi :
lundi, avril 14, 2008
Conférence, exposition
Campagne génocidaire lancée par le régime de Saddam Hussein
contre la population civile du Kurdistan irakien
Dr Joost Hiltermann
Chercheur et auteur de l’enquête de Human Rights Watch
Génocide en Irak
de passage à Paris, donnera une conférence exceptionnelle.
le lundi 14 avril 2008
à 17 heures
Institut kurde de paris, 106 rue Lafayette, 75010 PARIS. Entrée libre.
(la liturgie savante zoroastrienne)
à partir de son film en un seul plan séquence
Centre Universitaire de Clichy
106 quai de Clichy
92110 Clichy
Métro : ligne 13 - station Mairie de clichy
Autobus : ligne 54 - station Léon Blum, 74 Hôpital Beaujon, 174 Mairie de Clichy, 340 Léon Blum
Photographies de Murat YAZAR
L'exposition est ouverte au public du 21 au 30 avril 2008, du lundi au samedi de 14h00 à 19h00.
Vernissage le samedi 19 avril à 16 heures
Institut kurde de paris, 106 rue Lafayette, 75010 PARIS. Entrée libre.
Le regard porté sur ces photographies d’enfants, de vieillards ou des paysages du Kurdistan ne devrait pas manquer d’éveiller à son tour un échange, une relation, une histoire avec le public."
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"L'Iran est un immense pays de déserts salins ou de steppes arides, de montagnes dénudées, avec quelques points fertiles, oasis où ...
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Le Kurdistan est une mixture unique de différents groupes ethniques et cultures : Kurdes musulmans, Kurdes yézidis, Turkmènes musulm...