"Un homme peut-il voler Dieu ?"


Cote Charleville-Mézières - BM - ms. 0258, t. II f. 118 Sujet Malachie Titre Lectionnaire de l'office Datation 12e s. (deuxième tiers ?)


Ce que j'aime dans l'Ancien testament ce sont ses dialogues saisissants, directs, avec Yhwh. Après le Nouveau Testament, ce n'est plus pareil. Le Christ s'interpose toujours entre l'homme et Yhwh. S'il y a controverse, c'est avec lui, le dieu incarné dans une figure humaine, et c'est lui l'intercesseur et le juge à la fois et ce n'est donc plus la même chose. Il n'y a plus, dans le christianisme, ce vertige de la parole directe entre notre humanité et l'inimaginable, comme cela peut être encore en islam, par exemple avec Niffari

Mais avant cela, avant la "nouvelle Alliance", depuis la Genèse, depuis Adam, Yhwh parle, discute, argumente, gronde, colère, avec Abraham, Job, Jonas, etc. La passe d'armes verbales que je préfère, je crois, c'est celle résumée dans Malachie : "Tu es trop dur, rien ne va comme il faut"et "Revenez-moi et je vous pardonnerai"; mais ici, Yhwh ne menace guère, pas comme dans Isaïe ou Jérémie, ou Job, d'emblée, il y a cette déclaration suivie de la réplique de celui qui ne s'en laisse pas compter, cela pourrait être aussi la coquetterie humaine, celle de l'aimé(e) qui veut s'assurer du cœur de l'amant : "Paroles, paroles, tout ça…", mais au fur et à mesure du dialogue, on voit que l'homme fait plutôt penser à un enfant boudeur, maussade d'être puni et décidé à être encore plus "méchant", pour lui apprendre, à l'Autre…

– Je vous aime, dit Yhwh.
– Et tu le prouves comment ? Dites-vous.

Malachie (l'Envoyé) rapporte alors aux plaignants ce qui s'est dit, depuis des siècles, des millénaires, entre eux et Yhwh mais, cette fois, au lieu d'intervenir pour plaider le pardon d'Israël devant Yhwh-des-Milliers, comme font souvent les prophètes, c'est au secours de ce dernier qu'il se porte : 

Vous fatiguez Yhwh avec vos propos.
– En quoi le fatiguons nous ?

Yhwh reprend alors la parole, toujours avec la même défense, "moi j'anéantis les ennemis et vous, ne respectez pas ma loi" et puis vient cette prise de bec là encore saisissante, dans sa densité, une querelle d'amour piqué et d'argent, comme dans les mauvaises scènes de ménage, mon dû, votre dû... Un Yhwh insistant comme un créancier pourchassant un débiteur de mauvaise foi (ça tombe bien) :

"Revenez-moi et je vous reviendrai, dit Yhwh-des-Milliers.
– Nous, revenir, pourquoi ? dites-vous.
– Vous me volez. Un homme peut-il voler Dieu ?
– Nous, te voler, quoi donc ?
– La dîme et le prélèvement. Ma malédiction vous maudit parce que vous me volez, vous et la nation entière.

Il n'y a pas de répliques directes immédiatement. C'est encore la voix du prophète qui rapporte aux Hébreux ce que Yhwh a entendu dire de leurs bouches et, renversant la situation où, en général c'est l'homme qui se plaint de la rigueur divine, ou de son absence de pitié, c'est ici l'Éternel qui se plaint du tort qu'on lui fait, et l'homme qui, toujours de mauvaise foi, fait semblant de ne pas comprendre (ou de ne pas se souvenir) :

– Vos dires sont durs contre moi, dit Yhwh.
– Quels dires contre toi ?
– Vous dites : On sert Dieu pour rien, à quoi bon se régler sur ses règles et marcher, lugubres, face à Yhwh des Milliers ? Appelons désormais bienheureux les insolents, les cyniques sont bien lotis, même ceux qui défient Dieu s'en tirent.

Il est à noter une fois de plus que, comme dans Job, Yhwh n'apporte pas de justification directe à cette absence apparente de justice. Il ne sait que dire "attention, ça va chauffer et ce jour-là, ça fera mal", mais non pas, cette fois, sur un ton véritablement furieux : plutôt un avertissement navré, comme à l'annonce d'une catastrophe inéluctable, presque "naturelle", et le jour où ça va tonner, plus personne ne pourra rien pour vous, alors "revenez".

Et puis c'est tout. Ce dialogue rapporté de façon ramassée, concise, est celui qui dure depuis la fondation d'Israël, toujours la même chose, qui se dit entre l'homme et Dieu.

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