"Si de nombreux criminels n'ont pas de rapport immédiat avec le véritable assassin, ils n'en sont pas moins responsables. On peut même penser que le degré de responsabilité augmente au fur et à mesure que l'on s'éloigne de l'homme qui manie l'instrument fatal de ses propres mains." Hannah Arendt.


Sur l’absence de preuves qui posera problème pour charger directement Saddam Hussein des crimes de masse qu’il aura perpétrés, quoi d’étonnant ? Hannah Arendt dans son essai sur Le Totalitarisme et dans Eichmann à Jérusalem avait déjà démontré qu’un Etat totalitaire, multiplie jusqu’à confusion les cercles du pouvoir, les lieux de décision, en fractionnant en autant de segments possibles l’ensemble des gestes, – qui isolément peuvent sembler anodins, comme aiguiller un train – conduisant à l’accomplissement d’un meurtre de masse, faisant en sorte qu’ordres et responsabilités soient à ce point dilués en un vaste nombre d’exécutants et d’instigateurs, qu’il n’y ait plus de responsabilité réelle, directe, au sens pénal du terme. Il n’y a même, dans un système totalitaire abouti, aucun criminel, seulement des complices, ou des témoins passifs à qui l’on ne peut reprocher que de n’avoir pas réagi. Ainsi, plus un Etat totalitaire devient monstrueux et générateur de crimes, moins ses dirigeants ont de sang sur les mains. On peut même dire qu’ils « inspirent » le crime sans avoir à l’ordonner eux-mêmes.

Pour finir, lorsque l’Etat totalitaire est bien implanté et actif, c’est toute une société qui se retrouve coupable et victime à la fois : le même individu peut en effet avoir à accomplir des actes criminels pour le compte d’un Etat dont il est lui-même victime, à des degrés plus ou moins équidistants. Le jugement extérieur que nous portons sur un homme et sa responsabilité dans l’appareil de mort, est en fait une pesée plus ou moins hasardeuse des risques encourus par ce bourreau/victime : en quoi ses actes répréhensibles découlaient-ils de son statut de victime ?

Le problème juridique se pose ainsi : comment juger le sommet dirigeant d’un Etat totalitaire, qui, justement par l’efficacité de la terreur organisée, a pris soin de se mouiller le moins possible ? De n’en même laisser aucune trace, aucune preuve éclairante ? Il y a des faits dont on ne peut trouver la cause, la source. Les victimes du totalitarisme sont souvent de douteuses victimes, des cadavres incertains. C’est bien pourquoi les tribunaux ne peuvent qu’'être impuissants à confondre réellement les révisionnistes. Les historiens, à la longue, par un faisceau de faits et de présomptions, réussissent à dégager le caractère criminel d’une période, d’un règne politique, mais en droit pénal ?

C’est qu’il faudrait pour juger un Etat totalitaire un autre droit, c’est-à-dire un autre code de lois, et en allant jusqu’au bout, inventer un délit ; qu’ainsi le dirigeant d’un Etat totalitaire n’ait pas à répondre d’actes criminels comme les vulgaires assassins qu’il employait, mais soit jugé en tant que bâtisseur, créateur, inspirateur de la société monstrueuse qu’il aura engendrée. En résumé, Saddam Hussein devrait être accusé d’avoir conçu et organisé un monstre, l’Etat baathiste irakien, d’avoir été celui sans qui le crime n’aurait pu avoir lieu.


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