mercredi, juin 26, 2002

Kâhta

Depuis hier nous campons a Kâhta. Quand je dis camper c'est une façon de parler car l'hôtel est très bien avec de grandes chambres claires, climatisation et un jardin-restaurant. Le patron a une histoire intéressante : il se dit chrétien mais c'est seulement depuis deux ans. Son père était chrétien mais comme il l'avait perdu a 6 ans (tué par des Musulmans) il a longtemps ignoré ses origines car sa èere est Kurde et lui-même se considère comme Kurde plus que Suryani. Un Kurde chrétien, il y en a qui aiment avoir des problemes. Il nous a dit qu'à Kâhta vivaient environ 350 chrétiens et à Adyaman 150 (tu vois Ephrem, on pense à toi !). Il y a aussi des Alévis qui vivent dans ces montagnes, venus après les grandes révoltes du Dersim. Des enfants d'Alévis auraient été aussi emmenés à Malatya alors que leurs parents étaient tués. En tous cas, ici ils sont tous kurmandj pour la plupart et depuis hier ne cessent de répéter à toute la ville et les villages environnants que je parle kurde. Ce matin, sur le chantier archéologique du Nemrud, ils étaient fiers. Qu'une Française apprenne le kurde à Paris, à l'université et dédaigne en plus d'apprendre le turc... ils ont tous affiché un air entendu et supérieur devant un des chefs de chantier, un Turc qui n'y pouvait mais et qui en plus avait l'air très sympathique, ne semblant pas m'en vouloir. Ce qui est notable c'est qu'en ville il est difficile de repérer d'emblée les Kurdes car ils parlent souvent turc. Par contre, les mêmes, dès qu'ils arrivent au village, parlent instantanément kurde. C'est comme un conditionnement qui tomberait avec l'air des montagnes.
Cet apres-midi nous avons vu l'église syriaque d'Adyaman qui est rouverte depuis deux ou trois ans grâce au soutien actif des Suryanis de la diaspora (Allemands pour la plupart). Ils viennent ici aux vacances et célèbrent leur culte. L'église, qui a quatre cents ans est assez jolie, quoique très simple (les églises ne doivent jamais être ostentatoires en terre d'islam). Un bâtiment de plan rectangulaire, de pierre blonde. A l'intérieur peu de décoration sauf des retâbles de bois peints et sculptés dans un style naïf. Le prêtre parle kurmandji tres bien quoiqu'il dit l'avoir beaucoup oublié depuis 1965, date à laquelle il a dû cessé de le parler et de l'entendre.
(Ici je fais une pause pour signaler que tout le temps que je tape ce post des garçons passent en m'interpellant joyeusement en kurde et répètent aux rares qui ne sont pas déjà au courant que cette Française-là parle kurde. Apparemment toute la ville se passe le mot.)
Je reprends : La situation des Chrétiens est moins bonne à Adyaman qu'à Kâhta car moins nombreux, ils ont un peu peur des Musulmans et des autorités. Disons qu'ils ne s'affichent pas beaucoup. Par contre, contrairement à ce que j'ai souvent entendu dire ils n'ont pas d'hostilité envers les Kurdes et le fait que je parle kurmandji semble les réjouir. D'ailleurs un certain nombre d'entre eux le parle aussi en plus du syriaque.
(Ça y est maintenant ils passent une cassette de Shivan et viennent me demander toutes les 5 minutes si je comprends et si j'ai bien reconnu Shivan. Oui. J'ai reconnu. Mais j'essaie de me concentrer sur mon clavier, voilà ce que j'essaie de faire.)
Sinon le déroulement de la soirée d'hier dont Roxane je suppose a ou va parler me confirme dans l'opinion que les Kurdes sont les véritables héritiers des anciens Grecs pour ce qui est de l'amour, du mariage et des gosses. Le mariage est effectivement une activité purement utilitaire et sociale et qui sert surtout à faire des enfants. Ils sont en outre persuadés que les enfants appartiennent avant tout au père (qu'ils soient musulmans, chrétiens ou alévis n'y change rien) la femme n'étant au fond que le réceptacle : ça, c'est l'héritage d'Aristote. Quant à l'amour, c'est un dieu qui vous tombe dessus et contre lequel aucune légitimité, aucun mariage, aucun engagement ne prévaut (Platon). Personne n'en est responsable, sinon peut-être l'objet de cet amour. Mon Hassan de Diyarbakir m'avait deja fait le coup . "Tu es venue, tu t'es assise près de moi et tu es entrée dans mon coeur." Et ensuite c'était à moi d'assumer, je n'avais pas à rentrer dans le coeur des gens comme ça, même par distraction. Mon objection qu'il était marié il l'avait superbement balayée : "ez zewci me heta ez dixwazim". Et je devais m'installer a Diyarbakir bien sûr d'autant que Monsieur gagnait bien sa vie pourquoi s'embêter. Je précise qu'il est inutile de dire que l'on est pas libre. Au début ils posent la question. Si on répond par la négative ils demandent si c'est quelqu'un qui vit ici. Et si c'est le cas, si c'est quelqu'un de leur village. Eh bien même si c'était dans la même famille ça ne compterait pas, en final. Le seul vrai engagement qui vaut c'est celui que l'on fait avec eux. Tout le reste, de leur côté comme du nôtre, n'est qu'une sombre usurpation. Les Turcs sont un peu plus raisonnés mais les Kurdes sont de vrais majnoun. C'est pour ça qu'avec eux on ne s'ennuie jamais.
(Décidément à chaque fois que quelqu'un de nouveau entre dans ce cyber-café ils lui annoncent que je suis Française et que je parle kurde. Comme je l'entends dire aussi en turc, je suppose qu'ils le disent aussi à des Turcs ? Bof, les gens d'ici ont l'air cool).

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