lundi, mai 12, 2014

Hoshyar Zebari sera-t-il le prochain président irakien ?

30 avril 2014 ;
(source : sa page facebook)

Alors que la campagne électorale pour les législatives et les provinciales irakiennes battait son plein, la question du budget coupé par Nouri Maliki, le Premier ministre irakien, à la Région du Kurdistan n’a toujours pas été résolue. Dans une interview donnée au journal arabe Al-Hayat, Massoud Barzani estimait que l’Irak était en train de se décomposer et qu’il fallait faire avec cette réalité politique : « une instabilité majeure », un « terrorisme rampant dans les régions occidentales du pays » (à majorité sunnite et dans lesquelles EIIL tente de s’implanter durablement) où « des villes échappent au contrôle du gouvernement et où des terroristes se livrent à leur action sous une forme publique ».

Selon lui, le cœur du conflit entre Bagdad et Erbil tient à la différence d’interprétation de la constitution irakienne : « M. Maliki pense qu’il est le seul décisionnaire et que les autres doivent obéir. Il n’adhère pas à la constitution telle que la définit la Région du Kurdistan […] il croit que tout doit revenir à Bagdad. »

Quant aux provinces sunnites en état de quasi-insurrection, le président Barzani indique que juste après la chute de Saddam, il avait tenté de persuader les Arabes sunnites de former leur propre région, à l’instar des Kurdes, car il prévoyait déjà un conflit sanglant avec les chiites : « C’était possible à l’époque. Mais ils ont refusé et étaient encore dans l’idée qu’en Irak le pouvoir revient traditionnellement et historiquement aux sunnites. Ils n’ont pas saisi l’ampleur du changement qui advenait. Maintenant ils le réclament [de former leur Région] mais cela semble plus difficile et plus complexe à mener à terme. Ils le réclament et Bagdad le refuse. »

Les élections irakiennes ont commencé le 28 avril, quand les forces de sécurité ont voté, deux jours avant le 30, date du scrutin pour l’ensemble des citoyens. Dès le 28, des attentats ont frappé six bureaux de vote, faisant au moins 27 morts. EIIL avait déjà annoncé que tous les sunnites irakiens feraient l’objet de représailles s’ils se déplaçaient pour voter.

Du côté chiite,des attentats visant des meetings électoraux ont fait 37 morts et de nombreux blessés, certains dans un état critique.

Le 30 avril, donc, environ 60% des Irakiens, sur quelques 18 millions d’électeurs, se déplaçaient dans les bureaux en bravant le terrorisme, selon un taux de participation estimé par la Haute Commission électorale irakienne. 

Ces élections législatives doivent renouveler les 328 parlementaires du « Conseil des représentants », pour une durée de 4 ans. Le renouvellement du Parlement a aussi une incidence sur le gouvernement, puisque le Conseil des représentants doit élire le président irakien lequel, à son tour, nomme son Premier ministre.

Le mode de scrutin adopté est la représentation proportionnelle à scrutin de liste ouverte. Les dix-huit circonscriptions (gouvernorats) doivent élire leurs représentants, dont le nombre varie de 7 à 34, selon la démographie des circonscriptions. C’est la première fois que ce système est adopté en Irak, après décision de la Cour suprême. Auparavant, c’est la méthode Saint-Laguë modifiée qui était utilisée, qui donne un quotient à chaque siège, en favorisant les grands partis et c’est justement le motif qu’a invoqué la Cour suprême,  « discrimination envers les petits partis » pour ce changement de mode de scrutin. C’est ainsi que « sept sièges compensatoires » ont été attribué à des partis dont les résultats au niveau national ne se reflétaient pas dans chacune des circonscriptions. Enfin, huit sièges sont réservés à des minorités religieuses :  cinq pour les chrétiens, un pour les mandéens, un pour les yézidis, un pour les shabaks.

La Haute Commission électorale indépendante de l’Irak avait autorisé 276 entités politiques à se porter candidates. Ces entités ont formé des listes de coalition, dont la gagnante a, a priori et selon la constitution, une tête de liste qui a vocation à devenir le Premier ministre. Cela n’empêche pas les partis de former de nouvelles coalitions après les résultats électoraux.

Les partis politiques les plus importants en lice sont l’État de droit avec pour premier candidat l’actuel Premier ministre Nouri Maliki, le Mouvement sadriste (milices chiites), le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani qui, cette fois, ne formait pas de liste commune avec l’Union patriotique du Kurdistan de Jalal Talabani, ni même avec Goran (parti d’opposition avec qui il est pourtant en tractation pour la formation d’un cabinet dans la Région du Kurdistan), l’Entente nationale irakienne, de l’ancien Premier ministre Iyad Allawi, un parti laïque pro-arabe, qui comprend des chiites comme des sunnites.

De nouveaux partis se sont formés depuis les législatives de 2010, notamment la « Ligue des gens de la Vérité », regroupant des milices chiites para-militaires proches de l’Iran et le Bloc blanc, qui résulte d’une scission du Mouvement national irakien, quand huit de ses parlementaires ont quitté ce dernier, en mars 2011, pour former leur propre groupe, en raison de désaccords avec Iyad Allawi. Pour les élections provinciales de 2013, ils avaient rallié la liste menée par Nouri Maliki et pour ces législatives, se sont présentés seuls.

En raison des tensions politiques et sectaires de plus en plus grandissantes en Irak, tout le monde s’attendait à un vote plus « communautaire » qu’inspiré par le programme politique (souvent assez succinct) de la plupart des listes. En dehors du Mouvement sadriste, les votes « religieux » chiites pouvaient se porter sur le Conseil islamique suprême de l’Irak, parti religieux chiite très influent dans le sud du pays mais qui a perdu du terrain, au niveau national, au profit de l’État de droit de Nouri Maliki. Ce parti prône une forme d’autonomie du sud chiite, mais à caractère assez théocratique.

En dehors du Mouvement national irakien, les votes sunnites pouvaient choisir entre Al-Hadba, mouvement nationaliste, bien implanté à Ninive-Mossoul (il s’y est souvent affronté avec les élus kurdes dans les conseils provinciaux) mené par Atheel Al Nujayfi, le frère d’Usama Al Nujayfi, l’actuel président du Conseil des représentants et le Front national irakien du dialogue, une coalition de cinq partis, quatre majoritairement arabes sunnites et un parti chrétien.

Les résultats ne seront connus que le 25 mai mais les estimations donnent la coalition menée par Nouri Maliki, État de droit comme venant en tête, avec une variable allant de 67 à 92 sièges remportés ; viendrait ensuite le Conseil suprême, la principale liste religieuse chiite, avec 39-48 sièges ; le parti sadriste aurait autour de 32-33 sièges. 

Du côté des sunnites ou laïques arabes, Al-Hadba, menée par Atheel Al Nujayfi obtiendrait entre 33 et 37 sièges ; à l’Entente nationale irakienne, fondée par l’ancien Premier ministre irakien, le sunnite Iyad Allawi, reviendraient entre 17 et 25 sièges, le Front national irakien du dialogue pourrait avoir 10 sièges.

Les Kurdes remporteraient 20 à 30 sièges pour le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani, 14-15 avec l’Union patriotique du Kurdistan de Jalal Talabani et 10 pour Goran. 

L’Alliance démocratique civile, une coalition de plusieurs partis tels le Parti communiste irakien, le Parti national démocratique (sociaux-démocrates) ou le Mouvement socialiste arabe, obtiendrait 10 sièges, à égalité avec le Front national irakien du dialogue ; le Mouvement de réforme nationale de l’ancien Premier ministre irakien Jaffari, un parti religieux chiite, aurait entre 5 et 10 sièges.

Le Parti islamique de la vertu (une branche du mouvement sadriste) remporterait 7 ou 5 sièges, et le reste se disperse entre 52 partis mineurs (276 entités politiques avaient été approuvées par la Haute Commission électorale irakienne).

Si l’on peut d’ores et déjà donner la Coalition de Nouri Maliki comme gagnante, elle ne pourra probablement pas remporter la majorité absolue et devra négocier avec d’autres blocs parlementaires ce qui, étant donné la dégradation sécuritaire et politique du pays, donnera sans doute lieu à de houleuses et peut-être longues tractations. 

En plus des négociations entre groupes parlementaires, se profile déjà la succession du président de l’Irak, Jalal Talabani. Les Kurdes exigent, de façon assez peu « constitutionnelle » que la présidence leur revienne de droit, afin d’équilibrer un gouvernement irakien qui se partagerait entre Arabes chiites et sunnites. Candidats possibles : Massoud Barzani, l’actuel président de la Région du Kurdistan, qui a déjà signifié, via le porte-parole de son parti qu’il mettrait des « conditions » en acceptant cette fonction (principalement celles portant sur un accroissement des pouvoirs présidentielles) mais qui a finalement préféré mettre en avant la candidature de son oncle Hoshyar Zebari, l’actuel ministre des affaires étrangères irakiens, qui serait un choix plus consensuel que Massoud Barzani (dont les relations, d’abord « amicales » avec Maliki ont tourné au vinaigre depuis quelques années). 


Hoshyar Zebari a la capacité de représenter un « consensus » à la fois entre Kurdes et Arabes, mais aussi entre les différents partis kurdes, car ce haut responsable du PDK a, durant toute la période de la guerre civile PDK-UPK, qui a éclaté en 1994, servi de négociateur et de diplomate, jusqu’aux accords de 1998. C’est aussi un homme politique « irakien » (au contraire de Massoud Barzani, dont le terrain est resté purement kurde), exerçant de hautes fonctions au sein de l’opposition irakienne en exil du temps de Saddam, et finalement devenant un ministre des Affaires étrangères indéboulonnable depuis 2003, au temps du Conseil intérimaire, puis sous les gouvernement successifs d’Allawi, de Jaffari, de Maliki. 

Il est certain que Massoud Barzani ne serait jamais parti à Bagdad pour reprendre ce rôle de temporisateur, mais plus probablement pour y défendre les prérogatives de sa Région contre le gouvernement central. C'est en tout cas ainsi qu'il serait forcément vu par le reste de l'Irak. Le choix de Hoshyar Zebari permet aux Kurdes de garder un pied politique en Irak sans que celui qui apparait souvent comme le chef de file des aspirations à l'indépendance kurde ne se perde dans les sables stériles des conflits internes du sud.

Du côté des Irakiens, même si l'origine kurde du président irakien n'est pas inscrite dans la Constitution, cet accord tacite a toujours eu du poids, qui donnait aux Kurdes un poste leur permettant d'exercer une action modératrice et diplomatique (même si les pouvoirs présidentiels sont limités) entre chiites et sunnites, d'autant que ces derniers préféreront toujours voir nommer à un Kurde qu'un autre Arabe issu d'une faction rivale, politique ou confessionnelle. Le rôle et la stature de Jalal Talabani n'ont jamais été contestés à Bagdad, surtout au temps de la guerre civile. 

À l'heure où les conflits sectaires commencent à nouveau d'embraser l'Irak, en plus des querelles avec le Kurdistan, un président kurde bien implanté dans les milieux politiques irakiens a de très bonnes chances d'être approuvé par le nouveau Conseil des représentants. 

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