mardi, juillet 30, 2013

Les Kurdes, un peuple sans État


Sortie demain du nº88 de la revue Al-Qantara, avec un dossier sur la question kurde :


Pourquoi les Kurdes?
Régulièrement, Qantara consacre son dossier central à l’une ou l’autre des grandes communautés ethniques ou religieuses qui composent le monde arabe: les coptes (nº35), les Arméniens (nº63), les Berbères (nº66) ou encore les chrétiens du monde arabe pris dans leur ensemble (n°21 et 74). Il était donc normal de nous arrêter sur une communauté dont l’histoire, la présence et le poids, sont à la fois singuliers et importants. De fait, plus qu’une communauté, un peuple sans Etat, comme il est dit en titre.Une autre raison à cela: une conjoncture politique qui place de nouveau les Kurdes sur le devant de la scène géopolitique; et ce, pour la deuxième fois en moins de dix ans. La première en Irak, la seconde en Syrie. En Irak, la consolidation de la province autonome du Kurdistan irakien depuis 2004 représente un tournant considérable dans l’histoire des Etats nés du traité de Lausanne (24 juillet 1923). En Syrie, la pointe nord-est du territoire tombée sous le contrôle des partis kurdes laisse présager des développements qui ne laisseront pas indifférents le grand voisin du Nord, la Turquie. 
Mais quoi qu’il en soit de l’évolution politique future, les Kurdes sont d’ores et déjà des acteurs avec lesquels il faut compter en politique, tant intérieure que régionale. Et puis la question kurde pose de façon aiguë le problème du pluralisme politique et idéologique dans les sociétés du Proche et du Moyen-Orient. Un pluralisme mis à mal partout et qui ne figure malheureusement pas parmi les premières exigences des révolutions arabes. Victimes d’un nettoyage ethnique que beaucoup qualifient de génocide, les Kurdes d’Irak notamment sont aujourd’hui les témoins à charge de la violence inouïe exercée par Saddam Hussein. Un dictateur qui n’a pas agi seul, qui fut soutenu par un parti et guidé par une idéologie. Tenu en tous cas, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Irak, pour un héros de la «cause arabe». Même et y compris après les tueries aux gaz toxiques de Halabja. C’est dire le scepticisme des Kurdes face à des projets de société démocratique qui ne mettent nullement en cause la culture dominante toujours monolithique.

lundi, juillet 29, 2013

Entre Ankara et Qandil, le "processus de paix" piétine


Tout le temps des manifestations à Istanbul, la question de leur impact sur le processus de paix initié par Öcalan et Erdoğan a été débattue dans la presse ou entre responsables kurdes. Mais comme il était prévisible, le « Sud-Est » kurde n’a pas bougé, même si des Kurdes, dont des responsables du BDP d’Istanbul ont pris part aux événements de Gezi Park et que le PKK a plusieurs fois déclaré que les violences policières allaient contre « le processus démocratique en cours ».

Ces déclarations de soutien au mouvement de Gezi Park n’ont cependant eu aucune incidence sur le retrait en cours du PKK de Turquie. Le 13 juin, Selahattin Demirtaş, le co-président du BDP, annonçait, après une rencontre avec Abdullah Öcalan le 7 juin et une visite aux responsables de Qandil, que la première phase du processus était achevée et que devait commencer la seconde phase, celle de la démocratisation de la Turquie

« Il n’y a aucun problème avec le retrait, aucune interruption, ni tension ni conflit. La première phase souhaitée par Öcalan dans son discours est complète. Maintenant il est temps de parler de la deuxième phase, il est temps de la mettre en pratique. »

Détaillant les réformes constitutionnelles et juridiques nécessaires, Demirtaş a suggéré un « pack démocratique mixte », qui mettrait fin à des lois contraires aux droits de l’homme, à des peines disproportionnées par raport aux délits, à l’arbitraire des durées de détention, en concluant qu’il ne connaissait pas les intentions du gouvernement, mais qu’il fallait « au moins amender 100 articles ».

Mais l’optimisme affiché par le BDP sur le processus de paix n’est pas partagé par la guérilla. Ainsi le 20 juin, Murat Karayilan a dénoncé le manque de pas concrets de la part du gouvernement turc et les opérations militaires qui se sont accrues dans les régions kurdes, ainsi que la construction de postes militaires.
« L’État fait ce qu’il peut pour saboter le processus. Il se prépare à la guerre. C’est un sérieux problème pour nous. »
Murat Karyilan a souligné que le PKK avait rempli tous ses engagements dans le processus mais que l’État n’avait, lui, rien fait en trois mois, et qu’un grand nombre de responsables politiques kurdes était toujours sous les verrous.
Le BDP a alors emboité le pas à Qandil dans ses critiques, en pressant Ankara d’entamer les autres phases du processus de paix et le 22 juin, un autre responsable du BDP se faisait l’écho de l’insatisfaction de son parti après une rencontre avec le vice premier ministre Besir Atalay et le ministre de la Justice Sadullah Ergin.
« Nous leur avons dit qu’il était important pour apaiser les inquiétudes de prendre des mesures concrètes et de faire une déclaration d’intention avant la fermeture du parlement. »

Mais le conseiller principal du Premier Ministre Recep Tayyip Erdogan, loin de vouloir « apaiser » quoi que ce soit, a répliqué aux critiques du BDP en l’accusant d’exploiter les manifestations de Gezi Park :

« Le BDP et le PKK essaient de profiter de cette occasion. Ils exercent des pressions sur le gouvernement via les incidents de Gezi. »

Le conseiller Akdogan a aussi rejeté en des termes peu diplomatiques les accusations portant sur une recrudescence des activités militaires au Kurdistan de Turquie : « Ils ont tellement exagéré  qu’ils ont fini par croire à leurs propres mensonges. »
Le 25 juillet, c’est Abdullah Öcalan lui-même qui sortait de son silence en annonçant que le processus de paix était entré dans sa deuxième phase, alors qu’il venait à nouveau de recevoir une délégaiton du BDP, dont Selahattin Demirtaş et Pervin Buldan. Le chef du PKK a dit espérer que « l’État évaluerait correctement ses propositions relatives à la seocnde étape et en tirerait les bonnes conclusions. »
Mais les gestes de la Turquie se font attendre et le mois de juin a été plutôt mauvais pour la situation des Kurdes.
Ainsi le 27 juin, la 6ème Haute Cour pénale de Diyarbakir a condamné neuf membres de l’Union des communautés kurdes (KCK) à un total de 105 et 8 mois de prison et à une amende de 74.880 lires turques.
Chacun des accusés a été condamné à 6 ans et 3 mois de prison pour « crime commis au nom d’une organisation illégale dont ils ne sont pas membres », à 3 ans pour « possession de matériel dangereux », à 2 ans et 6 mois pour « dégradation de bien public », et à une amende de 8.320 lires chacun.
Par contre, 23 autres membres du KCK ont été relaxés par décision de la Huitième Haute Cour cour pénale de Diyarbakir.

Auparavant, le 11 juin, un tribunal de Diyarbakir en charge d’enquêter sur le massacre d’Uludere (Roboski) où 34 jeunes contrebandiers avaient été tués par des bombardements, en décembre 2011, s’est déclaré incompétent et a transféré le dossier à un tribunal militaire, chargé donc de juger une bavure de l’armée, toute intention délibérée de tuer des civils ayant été déjà écartée au cours de l’enquête, en se fondant sur un rapport « secret ».

Par contre, cinq cousins des jeunes victimes ont été, eux, accusés de meurtre pour avoir, dans leur colère, lancé des pierres au sous-préfet venu présenter ses condoléances au village.

De plus, les familles des victimes ont été condamnées par un autre tribunal de Diyarbakir à payer une amende d’un montant équivalent à 1300 euro pour s’être rendu plus tard sur les lieux du massacre, situé en zone irakienne, en traversant  illégalement la frontière sur un trajet de quelques kilomètres, sans être passé par le poste-frontière situé à plus de 5 heures de route.

Mais l’incident le plus dramatique a eu lieu le 28 juin, quand les forces de sécurité turques ont tiré sur une manifestation organisée au village de Kayacik (Lice) pour protester contre la construction d’un poste militaire. Un jeune homme, Medeni Yıldırım, a été tué et neuf personnes blessées, dont une jeune fille de 16 ans.

Le gouverneur de Diyaakir, Cahit Kirac, a raporté la version de l’armée, à savoir que 200 manifestants ont marché en direction du chantier pour incendier les tentes des ouvriers, que les soldats auraient tiré en avertissement et qu’une «émeute» aurait éclaté, mais que l’enquête était en cours.

La victime, Medeni Yildirim, âgée de 18 ans, sérieusement touchée lors des tirs, est morte dans la soirée, à l’hôpital de Lice. Le corps a été ensuite transporté à l’hôpital de Diyarbkir pour autopsie, escorté de centaines de personnes scandant en kurde que les martyrs sont immortels.  L’hôpital a d’abord été cerné par des véhicules militaires afin d’empêcher les manifestants d’entrée. Mais pour finir, Gülten Kişanak, la co-présidente du BDP, deux avocats et un médecin de la Chambre des médecins de Diyarbakir ont été autorisés à pénétrer dans le service médico-légal. Tôt le lendemain, le corps est reparti pour être inhumé, toujours escortés de centaines de manifestants, clamant leur hostilité au gouvernement et menaçant de repartir vers les montagnes )la guerilla).

Quelques heures plus tard, un sergent turc était enlevé par le PKK, en « représailles » (pour être libéré quelques jours plus tard).

Le 30 juin, des manifestations étaient organisées par le BDP dans plusieurs villes, pour inciter le gouvernement à « faire sa part » dans le processus de paix, tandis qu’à Istanbul, des milliers de manifestants ont protesté sur les lieux, déjà occupés par une autre manifestation, celle de Gezi Park, avec des slogans d’un ton assez vif, très éloigné des discours lénifiants d’Öcalan sur le processus de paix en cours : « Police assassin, quittez le Kurdistan, ce n’est que le début, le combat continue et l’État meurtrier paiera » mais aussi d’autres collant plus à la ligne actuelle du PKK, parlant de « fraternité entre les peuples ».

À Diyarbakir, les manifestations ont été dispersées par la police avec des canons à eaux et des gaz lacrymogènes, les policiers essuyant eux-mêmes des jets de pierres, alors que 8 000 personnes s’étaient rassemblées devant le bâtiment du BDP, en réclamant « un pas » de la la part du gouvernement turc.  Quatre personnes, dont un journalistes ont été blessées. Le 4 juillet, le PKK attaquait deux postes militaires, tuant une personne (de source kurde) ou sans faire de victimes (de source turque).

Finalement, le Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan, qui n’avait certianement pas envie de rouvrir un front oriental alors qu’il fait face à une fronde dans tout l’ouest du pays,  est sorti de son silence pour appeler de ses vœux la poursuite du processus de paix ainsi qu’un retour au calme, en demandant à chacun d’être « patient ». Il a mis les manifestations et l’enlèvement du sergent sur le compte du PKK, qui aurait été mécontent de se voir fermer une route du cannabis, à Lice, d’où son opposition à la construction d’un poste-militaire. Cela dit, si le PKK se retire totalement de Turquie, on ne voit pas bien comment ils pourraient y continuer ce genre d’activités. Ce serait plus aux Gardiens de village, maintenant menacés de chômage, de se tourner vers cette activité lucrative.

Après Tayyip Erdogan, ce fut au tour d’Öcalan de s’exprimer sur les événements, via son frère Mehmet, venu lui rendre visite le 1er juillet dans sa prison, même si rien de nouveau  dans ses propos n’a été diffusé : le chef du PKK, comme le BDP, a demandé des actions urgentes dans l’avancée du processus qui ne « peut être unilatéral » et à ce que « toute la lumière soit faite » sur les événements de Lice. 

Pour Öcalan, la phase 1 du processus est achevée, comme il l’avait déjà déclaré, mais il reconnait que la phase 2, pour le moment, n'offre pas d’avancée très visible. 

De son côté, le gouvernement turc ne voit pas la phase 1 aussi achevée que du point de vue d’Öcalan et du BDP, et Muammer Guler, le ministre de l’Intérieur, a déclaré qu’il n'y aurait aucune avancée tant que tous les combattants du PKK ne seraient pas tous partis. En effet, lors d’une réunion entre les parlementaires turcs, le Conseil des sages mis en place par Erdogan pour superviser le processus, et les leaders du BDP, le Premier Ministre a affirmé que seul 15% des effectifs du PKK avaient quitté le pays. 

Le député AKP de Diyarbakir, Cuma Icten dénie même à la guérilla toute intention réelle de se retirer, tandis que Humamettin Zenderlioglu, le député BDP de Bitlis reconnaît que la guérilal n’est pas partie de Dersim ni de la mer Noire, parce qe n’est pas une opération toujours aisée, mais que le nombre des effectifs du PKK qui se sont retirés de Turquie est bien plus important que ce que prétend le gouvernement. 

Dans ce contexte bloqué, l’annonce du remaniement au sein du conseil de présidence du PKK a été vue comme une victoire des « faucons » sur les courants plus « politiques » au sein de Qandil. Cemil Bayik (présenté comme partisan d’une ligne « dure ») a succédé à Murat Karayilan (présenté comme un « modéré »). Cemil Bayik co-dirigera les bases du PKK avec Bese Hozat, afin d’instituter la parité, à l’instar du BDP. Hacer Zagros et Remzi Kartal sont devenus co-président du KONGRA-GEL, et de même leurs 4 adjoints sont 2 femmes et 2 hommes.

Mais ce remaniement n’a pas, en tout cas, été suivi immédiatement, de déclarations plus offensives. La nouvelle équipe appelle à la poursuite du processus de paix, malgré l’attitude « négative » du gouvernement turc, et a pour objectif une vie commune « fraternelle sur la base d’une résolution de la question kurde et la démocratisation de la Turquie », ce qui ne s’écarte pas d’un pouce de la ligne politique souhaitée par Öcalan, lue le 21 mars 2013, même si 10 jours plus tard un « avertissement final » a été lancé à la Turquie pour qu’elle accomplisse des « pas concrets », avec, finalement menace de rompre le cessez-le-feu si au 15 octobre rien n'a bougé, ce qui laisse encore une marge.

Autre sujet qui fâche (hormis la santé d’Öcalan, ses allergies et sa demande d’examen médical) : le soutien de la Turquie aux islamistes en Syrie qui actuellement affrontent les forces du PYD. Sur la question syrienne, la rencontre toute récente de son président Salih Muslim avec Ahmet Davatoglu, le ministre turc des Affaires étrangères turcs, peut amorcer un alignement du PYD sur la route politique tracée par le PKK pour tout le Moyen-Orient (pas de retouche des frontières, cohabitation des peuples, démocratisation interne), peut-être au détriment de l'autonomie proclamée par le PKK syrien qui hérisse fort Ankara. 

La future conférence des principaux mouvements kurdes d’Iran, d’Irak, de Syrie e de Turqie, plusieurs fois reportée se déroulera peut-être le mois prochain (il y a eu réunion préparatoire le 22 juillet). Du fait de l'absence de Jalal Talabani et d'Abdullah Öcalan, c'est Massoud Barzani qui en sera la principale figure, même s'il a pris soin de lancer son appel en y associant le président irakien (de façon toute symbolique) et le président tout récemment réélu du PKK, qui n'a pas encore commenté personnellement le projet. Si le BDP est depuis longtemps partisan de la tenue de cette conférence, reste à attendre les commentaires d'Öcalan au cours ou à la fin des débats. Mais il est peu probable que le ton donné à la rencontre aille dans le sens d'une reprise d'une politique belliciste avec la Turquie, comme avec l'Iran, réconcilié avec la branche iranienne du PKK, le PJAK, surtout si, au final, le PKK sera seulement admis à exprimer les vœux d'Öcalan, portés par courrier via les présidents du BDP, comme ce fut le cas au printemps dernier.

Sohrawardî, le Maître de l'Instant


On dit que c'est le 29 juillet 1191 que dans la citadelle d'Alep, fut exécuté Sohrawardî, le sheikh de l'Ishraq, sur ordre de Saladin.


– Voilà Sibylle que tu voulais tant connaître, déclara-t-il à celui qui l’occupait. Voici celle qui fut mon élève et qui est encore source de bien des tourments pour moi… Car c’est bien la plus fieffée bourrique qu’il y eut jamais à Antioche et dans toute la Syrie! Elle a usé, en ses enfances, la patience et la santé de bien des maîtres, moi seul me suis obstiné et, quelquefois, je doute de ma sagesse là-dessus. 
L’homme auquel Shudjâ’ la présentait si élogieusement s’était levé. Sibylle se figea devant ce soufi aux cheveux blonds et à la barbe rousse, aux yeux du même vert que les siens. Il était vêtu de façon extravagante, avec une robe émeraude qui flamboyait à chacun de ses mouvements et une coiffe pourpre, un peu semblable à la sienne.  
– Sibylle, chantonna-t-il, enfin nous nous rencontrons, ma soeur chérie !

Soulevée et réchauffée par une joie intérieure qui venait autant de l’un que de l’autre, comme si une seule flamme brûlaient leurs âmes, il sembla à la jeune femme que tout, autour d’eux, baignait dans un éclat doré. Sympathie, tout n’était que sympathie, lumières radiantes, réfléchies, se répondant, soixante-dix mille miroirs, soixante-dix mille voiles et, derrière, une seule Lumière.
– Tu es un des Trois ! Mon frère de l’Autre Monde !


Yahya soupira et Sibylle l’entendit murmurer en écho : « Je ne sais rien de ma venue ni de mon départ ». Tournant la tête, elle vit qu’il avait les larmes aux yeux. 

« Ainsi, je suis devenu sage et cancre à la fois
Il faut être un œil qui ne voit rien ; ainsi je suis aveugle et ainsi je perçois
Que la poussière couvre ma tête si je puis dire
dans quelle confusion j’ai erré
‘Attâr a regardé son cœur transcender les deux mondes
Et sous son ombre, il est maintenant fou d’amour. » 

Elle savait que ce n’était pas là chagrin chez le Sohrawardî, juste un soupir d’amour et le regret d’une lumière dont il se trouvait momentanément éloigné, mais qu’il regagnerait un jour. Shihâb al-Dîn Yahya le vagabond, le marcheur du Djibâl et de Djazîrah, n’était pas un égaré. Il était exilé, mais savait d’où il venait et où il devait retourner, sachant, dans l’extase de la danse, dans la beauté d’un visage ou la majesté d’une montagne, lire les signes que la Lumière avait laissés sur le monde, étincelles de Connaissance filtrées par l’opacité des sens. Des années plus tard, elle se souviendrait de cette danse, et parlerait toujours ainsi de son frère d’Outre-monde : 

« Voir Yahya danser, les bras éployés, était bonheur pur, dans l’extase de son amour que rien ne pouvait amoindrir. Autour de lui, d’autres soufis dansaient. Et alors qu’au luth s’était joint la flûte et que, dans la salle des invités, la ronde des derviches se faisait plus large, quelques-uns furent pris de transe comme Shihâb al-Dîn. Mais aucun n’était aussi lumineux, visible, apparent, que celui qu’ils appelaient le Maître de l’Instant. Et je me réjouissais de ce qu’en lui l’Orient s’était levé, alors que j’en étais encore à errer sur les sentes sombres de la vie, égarée dans les brumes opaques et pesantes du monde, ignorant où se trouvait ma lumière et même ce qu’elle était.  

C’est ainsi que j’eus grand désir de trouver la rose de Djam, que cela me soit fatal ou salutaire. Car là, peut-être, se trouvait ce passage de lumière, ce lieu que j’appelais en silence. »

mercredi, juillet 24, 2013

Le parlement d'Erbil a rallongé de deux ans le mandat présidentiel

Le Parlement d'Erbil

Le 26 mai dernier, alors que Massoud Barzani prononçait un discours pour commémorer la révolution du 26 mai 1976, quand, avec son frère Idris, il avait repris le flambeau de la résistance contre l’Irak du Baath, après l’effondrement de la révolution menée par son père, Mustafa Barzani, le président du Kurdistan d’Irak avait répondu à ses détracteurs au sujet du référendum controversé portant sur l’approbation de la constitution. L’opposition l’accuse en effet de chercher à briguer un troisième mandat ou, à tout le moins, de rallonger considérablement son second mandat.

Massoudn Barzani a rappelé que le projet de constitution a été approuvé en 2009 par 36 partis politiques de la Région et 96 parlementaires contre une seule voix défavorable.

« Récemment nous nous sommes exprimés de façon très souple sur la question. Nous avons demandé à tous les partis de nous faire part de leurs remarques et commentaires sur la constitution, mais nous n’avons reçu aucune réponse positive. Il semble que certains partis, qui disent refuser le changement de régime parlementaire actuel en un régime présidentiel, n’ont pas étudié attentivement le projet écrit, tel que le premier article qui énonce que le système de gouvernement dans la Région du Kurdistan est parlementaire.  Je pense que leur opposition se fonde sur des motifs politiques. »

Revenant sur les raisons de ce référendum tardif, Massoud Barzani a expliqué que son gouvernement avait « essayé » de l’organiser en parallèle avec les élections de juillet 2009, mais que la commission électorale irakienne avait donné un avis défavorable.  Par la suite, les diverses « crises » entre le Kurdistan et l’Irak avaient empêché sa tenue.

« Nous avons insisté sur la tenue d’un référendum parce que nous croyons que c’est le droit du peuple de décider et que le président de la Région du Kurdistan n’a pas l’autorité pour approuver la constitution, car c’est au peuple de décider. »

Et Massoud Barzani d’appeler tous les partis de la Région à ne pas s’opposer aux droits des citoyens de « choisir leur constitution ».
Mais l’opposition a continué de tempêter pour que la constitution soit amendée au lieu d’être votée en l'état, avançant le fait que la décision de tenir un référendum pour faire approuver les textes relève des prérogatives du Parlement et non de la Présidence seule, en accord avec le gouvernement et la Commission électorale. 
L’UPK s'est faite discrète tout le temps de la crise, ce qui n’a pas empêché le porte-parole du PDK d’annoncer à sa place que le parti de Jalal Talabani « soutenait » la présidence de Massoud Barzani. Il indiquait également que son propre parti était aussi « prêt » à signer un accord « stratégique » avec Gorran, le principal mouvement d’opposition.


Finalement, à la mi juin, Massoud Barzani soumettait le problème au parlement, en demandant auparavant à tous les partis politiques d’envoyer un projet de constitution avec leurs remarques et suggestions, lesquelles seraient remises au Parlement qui aurait à approuver ou non la version finale. 

Les partis, cette fois, n’ont pas rechigné, et ont tous envoyé leurs copies. Mais immédiatement après, les deux principaux partis, le PDK et l’UPK, annonçaient qu’ils s’étaient entendus pour demander à ce que la date de l’élection présidentielle (fixée le 21 septembre, comme les législatives) soit repousséem afin de rédiger entre temps une nouvelle loi électorale sur le renouvellement de la présidence, en plus des articles à réécrire dans la constitution..
Le 30 juin, les parlementaires kurdes ont commencé de débattre du report de 2 ans de l’élection présidentielle. Cette question a enflammé l'assemblée de façon inhabituellement violente, entre partis au gouvernement et l’opposition puisqu'une échauffourée a opposé physiquement des députés du parti Gorran à d’autres de l’UPK et du PDK. Les députés de Gorran ont crié à la fraude et à l’illégalité quand le président du Parlement a lu le texte visant à prolonger de deux ans l’actuel mandat de Massoud Barzani et le sien. S’en est ensuit un échange de coups, vite interrompu par l’arrivée de la police. Un député de Gorran, Abdullah Mullah Nuri, qui semble être à l’origine de l’affrontement, a alors été arrêté et Gorran a accusé les forces de l’ordre de partialité dans leur intervention.
Cela n’a pas empêché l’extension d’être approuvée par le parlement, le 2 juillet. 
Tout de suite après, l'UPK, soucieuse de ne pas apparaître comme trop suiviste derrière les menées du PDK, a expliqué à la presse les raisons de son vote, présenté comme une volonté de ne pas nuire à la « paix sociale » alors qu'il est nécessaire d’amender la constitution.
Mais indépendamment de ces nobles intentions, que l’UPK soutienne le PDK dans cette propostion n’est guère surprenant, car c’est peut-être lui qui avait le plus intérêt à repousser les élections : l’accident de santé de son président, Jalal Talabani, qui l’a écarté brutalement de la vie politique a plongé son parti dans une vacance de leadership, aggravée du fait que, même du temps où Talabani était aux commandes, les rivalités internes, allant jusqu’à la scission et la mésentente entre plusieurs responsables, n’ont jamais vraiment permis de désigner un successeur au leader historique. 
L’UPK pourrait mettre à profit ce temps de deux pour régler enfin ses problèmes internes et structurels, et assurer une reprise en main de ses responsables, toujours enclins à fronder contre la direction qui assure la « régence ». Ainsi le 18 juin, soit deux jours après l’annonce de l’accord avec le PDK sur le report des élections et du référendum, de hauts responsables du parti de Jalal Talabani ont menacé de démissionner de leurs postes, si l’UPK continuait ainsi d’être dirigé au nom de son président malade et en soins à l'étranger, par son entourage proche, notamment son épouse, Hero Ibrahim Ahmed et Kosrat Rassoul.
Barham Salih, une figure éminente de la « jeune génération » UPK, ancien vice-Premier ministre irakien et ancien Premier ministre au Kurdistan, menait la fronde avec Hakim Qadir, Mahmoud Sangawi, Rizgar Ali et Azad Jundiani, en réclamant des changements dans « le processus de décision, la gestion des finances et les reltations entretenues avec le PDK ».
De fait, sept mois après l’attaque de Jalal Talabani, le conseil mis en place pour gérer le parti en l’absence de son président n’a toujours pu se mettre d’accord sur un successeur. Barham Salih souligne aussi le fait que la longue vacance de la présidence irakienne affaiblit tout autant l‘influence kurde à Bagdad, et surtout celle de l’UPK, car les négociations ardues entre Nouri Maliki et le GRK se font directement et principalement avec Massoud Barzani, sans que Jalal Talabani puisse jouer, comme auparavant, les diplomates ou les modérateurs

Restait à Massoud Barzani, tout juste revenu de sa tournée européenne, à ratifier la prolongation de son mandat, qui doit repartir du 20 août prochain et expirer le 19 août 2015. À la mi juillet, la ratification n’avait toujours pas eu lieu, ce qui faisait dire à certains commentateurs que le président craignait peut-être la réaction de la « rue kurde », particulièrement dans ce cas, où un recul serait un désaveu populaire cuisant.  Cette théorie du « sondage d’opinion avant de se lancer » peut expliquer, par ailleurs, le fait que dès le début de l’année, le PDK avait mentionné dans les media, via plusieurs porte-parole et responsables, cette idée d’un troisième mandat, laissant le débat prendre dans l'opinion. Là encore, Massoud Barzani avait mis plusieurs semaines à sortir de son silence, pour affirmer, dans un discours publique, qu'il n'avait jamais cherché à briguer un troisième mandat, mettant en avant l’option du référendum sur la constitution, avant de se décharger de sa réécriture sur tous les autres partis politiques, et finalement faisant voter au Parlement un prolongement de mandat, au bout de 6 mois de débats, parfois vifs, et d’incertitudes. 
Une fois qu’une loi est votée au parlement, le président de la région a 15 jours pour la signer ou la rejeter. Là, on peut encore dire qu’il a pris son temps, puisque le vote ayant eu lieu le 2 juillet, il a attendu le 17 juillet, soit le dernier jour avant le délai d’expiration. 
Exposant, dans un discours publique, les raisons qui l’avaient fait accepter, il est resté braqué sur le problème constitutionnel qu’il avait lui même soulevé pour ne pas avoir l'air d’être uniquement intéressé à prolonger ses fonctions : celui de la nécessité de faire approuver par référendum une constitution amendée, en insistant sur le fait qu’il n’avait d'aucune façon « participé » à cette décision. Il a aussi rejeté les accusations de l’opposition sur sa volonté d’accaparer le pouvoir, se disant au contraire « pas intéressé » par la perspective de se porter candidat pour un troisième mandat. Il laisse même envisager même une extension plus courte de son mandat, annonçant qu’après les législatives du 21 septembre (maintenues, elles) il mettrait en place un « mécanisme » qui fasse en sorte que le parlement réforme la constitution en moins d’un an, et un autre pour décider de la modalité des futures élections présidentielles. Une fois cela fait, un nouveau président de la Région serait élu.
La durée de l’extension du mandat de Massoud Barazni pourrait être ainsi écourtée si le parlement réussit à voter, en moins d’un an, les amendements et le nouveau système électoral. Maintenant, le parlement peut prendre tout son temps (d’autant que le PDK y pèse un certain poids) et surtout, si les crises politiques et parlementaires se succèdent, il y a risque que rien ne soit achevé au terme des deux ans. 
En tout cas, la prédominance du PDK et de Massoud Barzani à la tête du GRK ne sont pas vraiment remis en cause, même après l'agitation politique autour de sa réélection. Un sondage local fait sur 3000 personnes il y a un peu plus d'un mois, indique que 65% d’entre eux seraient favorables à un troisième mandat. 
Cela n’est guère surprenant, d'une part en raison de sa stature de leader historique (surtout en l’absence de Jalal Talabani) et de ses récents succès en politique internationale (réconciliation avec la Turquie, gestion de la crise syrienne) ou nationale (sa fermeté dans les affrontements politiques et économiques avec Bagdad ne peut être qu'approuvée par les Kurdes fermement décidés à ne rien lâcher des libertés et de la sûreté dont ils jouissent depuis 2003). Dans la classe politique kurde, il est pour le moment présenté comme « incontournable » par ses supporters, et sans doute est-ce le cas, même si ce caractère « irremplaçable » peut présenter, à long terme, les mêmes inconvénients et déboires que connaît à présent l’UPK, si une succession doit finalement se faire.

"personne ne voudra de toi, pas même un Kurde !"

Il y a des années, dans Études kurdes nº 7, j'avais commenté un article datant de 1950, de Saul Adler, "Une expérience sociologique", où étaient citées, pour illustrer le caractère des plus hétéroclites de la nouvelle société israélienne (encore toute en formation) les deux figures de juifs qui paraissaient les plus opposées : l'Ashkénaze (occidental et moderne) et le Kurde (oriental et traditionnel) :




 L’arrivée dans le nouvel Etat d’Israël d’immigrants juifs, venus de tous horizons culturels et de toutes classes sociales, fut une des particularités et un des défis de la société israélienne naissante. Cet article brosse ainsi un portrait savoureux de deux « types de juifs » radicalement différents, le juif ashkenaze et un de ces juifs d’Orient, sociologiquement et culturellement très proches de leurs anciens com- patriotes musulmans. Pour Saul Adler, le statut de la femme à l’intérieur d’un groupe est le plus révélateur. Mais cette fois-ci, alors qu’il est assez commun d’opposer le juif « arabe » à l’émigrant de culture occidentale, c’est le juif kurde que le rédacteur prend en exemple, en opposant de façon amusante son mode de vie et de pensée traditionnel et même conservateur, à l’ashkenaze, forcément intellectuel, libéral et féministe.
« UNE EXPÉRIENCE SOCIOLOGIQUE », 

Saul Adler, paru dans Sion, n°3, avril 1950, pp. 19-20. 
Comparons cet état de choses (...) à la situation à Jérusalem avant la Deuxième Guerre mondiale. Prenons un exemple extrême. Deux hommes, dont l’un est juif kurde et l’autre juif aschkenazi, c’est-à-dire de l’Europe centrale, travaillent sur un même chantier. Tous deux sont membres de la Histadruth et reçoivent le même salaire. Ils ont dans la vie le même but : vivre en Israël, fonder une famille, participer à l’édification du pays ; ils parlent la même langue, l’hébreu, bien qu’avec des inflexions différentes. A part ces points communs, ils sont entièrement différents du point de vue social. Considérons, par exemple, leur attitude envers les femmes de leur famille, qui est, à mon avis, le plus utile des critères en matière de classification sociologique en Moyen-Orient. Pour le juif aschkenazi l’idée que sa femme est son égale est indiscutable ; pour le juif kurde cette idée est non seulement révolutionnaire mais révoltante, et l’actuelle génération des Juifs kurdes à Jérusalem ne l’admet pas. Le juif aschkenazi se réjouit de la naissance d’une fille, le Kurde exprime ouvertement sa déception et fait des reproches à sa femme de n’avoir pas réussi à mettre au monde un fils. L’ouvrier aschkenazi envoie sa fille à l’école primaire et même au lycée ; le Kurde n’autorise jamais sa fille à recevoir l’instruction secondaire, et souvent l’empêche de faire ses études élémentaires. Je connais personne- lement des cas de pères de famille kurdes qui ont interdit à leurs filles d’apprendre à lire et à écrire. (Il sera intéressant de voir comment la communauté kurde accueillera la nouvelle loi qui rend l’instruction obligatoire pour les deux sexes). A la différence de son camarade kurde, le juif aschkenazi lit un journal quotidien, achète des livres, assiste à des conférences, et de façon générale s’adonne à quelque activité dite tarbut (culturelle). De souligner ces différences n’implique nul jugement moral, car notre aschkenazi et notre kurde peuvent tous deux être des hommes fort estimables. Il s’agit simplement de faire ressortir que des groupes dont les usages et les conceptions sociales diffèrent profondément, vivent et travaillent ensemble.  




Un peu comme au Liban, les Kurdes sont considérés comme étant plutôt au bas de l'échelle sociale. Dans le très beau roman de David Grossman, Le Livre de la grammaire intérieure, on voit que la perspective d'avoir un gendre kurde enchante toujours aussi peu une mère ashkénaze dont la fille, au comble de sa fureur, ne voit que cette peu réjouissante perspective, hormis l'armée, pour se venger de la rouste maternelle ; mais la mère, peu impressionnée, de répliquer du tac au tac : "personne ne voudra de toi, pas même un Kurde!'…

… sa mère, un éclair oblique dans ses yeux, sa bouche se contracte, le chiffon qu'elle tient à la main s'agite au-dessus de lui, s'abat sur Yochi, sur son dos brûlant, qu'est-ce qu'il vous arrive, vous êtes tombés sur la tête ou quoi, comme si je n'ai pas assez d'un umglikh, d'un malheur, il ne me manque plus que vous vous chamailliez comme des gamins de cinq ans, Yochi se protège le visage des deux mains, hurlant et crachant comme une chatte, je vais devancer l'appel, tu vas voir ; certainement pas, ma belle, tu as un sursis, ne l'oublie pas ; je vais m'engager, je dirai que je suis orpheline et je ne remettrai plus les pieds dans cette maison ; personne ne te le demande, sale bête,va vivre aux crochets de ton armée ; Yochi s'empresse de poser sa main sur son oreille droite, et maman s'arrête dans un grincement de dents désespéré, étranglé, on verra combien de temps ils te garderont là-bas quand ils verront ce que tu manges ; mais c'est à l'oreille gauche qu'elle a ses sifflements, s'avise brusquement Aharon ; je vais épouser un Kurde, tu vas voir qui je vais te ramener à la maison ; personne ne voudra de toi, pas même un Kurde, je n'ai pas encore vu que ça se bousculait tellement au portillon…"


Le jeu trouble d'Ankara en Syrie

mardi, juillet 23, 2013

Uzak


Mercredi 24 juillet à 22 h 35 sur Ciné+ Club : Uzak de Nuri Bilge Ceylan.


Synopsis : Un photographe est persuadé que l'écart entre sa vie et ses idéaux est en train de grandir. Il se retrouve obligé d'accueillir une jeune personne de sa famille, qui a quitté son village pour trouver du travail sur un bateau, dans le but de partir à l'étranger.

dimanche, juillet 21, 2013

Eyes of War


Lundi 22 juillet à 20 h 40 sir OCS Novo : Eyes of War de Danis Tanovic.

Synopsis : Photographes de guerre chevronnés, Mark et David sont en mission au Kurdistan. Tandis que le premier décide de rester sur place quelques jours encore en quête du cliché susceptible de le rendre célèbre, le second ne supporte plus la violence et le désespoir quotidiens. Surtout, il veut rentrer pour retrouver sa femme Diane, qui attend un enfant. Grièvement blessé, Mark échoue dans un hôpital de campagne, avant d'être rapatrié à Dublin, où il apprend que David, lui, a disparu…

mercredi, juillet 17, 2013

Muhammad Kurd 'Alî


L’eminente storico Muhammad Kurd ‘Alī (1876-1953) viene così ricordato: “d’origine irachena, di etnia curda, arabo per crescita e cultura, damasceno per nascita e residenza, islamī per modo di pensare e per convinzione, di tendenza salafī” (Pellitteri 2004, p. 189). Egli fu il fondatore e primo presidente dell’Accademia scientifica araba (Damasco 1920), – la prima accademia per la modernizzazione della lingua araba – ministro della cultura nel governo arabo di Faysal ibn al-Husayn, curatore di una antologia “classica”. Si dedica giovanissimo al giornalismo e per sfuggire alla repressione culturale ottomana si rifugia in Egitto, più volte torna in Siria per poi andare in esilio. Soggiorna anche in Italia dove ha contatti con i più illustri orientalisti dell’epoca (Camera d’Afflitto 1998, p. 172). 




mardi, juillet 16, 2013

Güneşi Gördüm ou Amour, gloire et beauté à Hakkari




Que Güneşi Gördüm, de Mahsun Kırmızıgül, ait beaucoup plu en Turquie et notamment au gouvernement, n'est pas étonnant, car cela colle assez bien au discours politique de l'AKP sur la question kurde : "Nous sommes tous frères, on n'a pas toujours été très gentil avec vous, mais avec un peu de bonne volonté, tout peut s'oublier, fraternité, tout ça…"

Le problème, c'est que c'est un navet consternant qui n'explique pas un tel succès… jusqu'au moment où, à force de se frotter les yeux, on comprend : ce n'est pas un film, c'est un soap opera, digne de ces feuilletons tragico-sentimentaux dont les Turcs (comme les autres) sont friands. 

 Güneşi Gördüm alias J'ai vu le soleil (on comprend le titre tout à la fin) c'est Dallas et Les Feux de l'amour mais version chez les blédards, c'est-à-dire dans un cadre rural pour le premier volet, et dans le cadre Un idiot à Paris pour le second, avec toute une famille qui va devoir s'acclimater à la ville.

Ça commence donc dans une montagne, probablement autour de Hakkari, où ça canonne et pétarade toutes les nuits entre l'armée et la guérilla. C'est là que vit une famille kurde (c'est-à-dire entre 2 et 3 foyers, je me suis perdue un peu dans les couples et toute cette marmaille). On n'est pas dans un village, puisqu'il sont tous seuls, ce qui accentue l'impression d'étrangeté de leur situation, coincés entre la frontière et le front, et surtout complètement isolés : à part l'armée (très gentille) qui leur rend visite régulièrement, et le PKK (pas aimable) qui fait une descente une nuit, il n'y a qu'eux, ce qui est tout de même un peu étrange, quand on sait que les Kurdes sont toujours fourrés en visite les uns chez les autres. 

Tandis que l'un des Bavo s'accroche obstinément à sa montagne et ne veut pas quitter son village (un bien grand mot pour 3 maisons, mais bon), que l'un des fils fait son service et que l'autre est dans la guérilla, l'armée (des gars bien) déploie beaucoup d'efforts diplomatiques pour les persuader de partir. On n'a jamais vu une armée turque aussi diplomatique et psychologue. Impossible de les imaginer jetant,  sur les routes enneigées, tout un village, après avoir tué le bétail et mis le feu partout. Non. Ceux-ci veulent bien attendre que le grand-père se décide, hormis un commandant un peu irascible (mais c'est sa nature, en fait, on sent la bonté cachée). Au passage, ils (soucieusement) demandent des nouvelles du fiston PKK, s'il pouvait se rendre, c'est pour son bien, de qui les Kurdes ne semblent pas trop fiers, un peu comme d'un fils qui aurait mal tourné, mais bon, la famille reste la famille et quand il meurt, on pleure, même si la caméra s'attarde un peu plus sur le deuil du (très gentil) şehit (ménageons le spectateur turc).

C'est à cela qu'on peut comprendre qu'il s'agit sûrement d'une famille de korucu (gardiens de village), d'autant qu'à un moment, une des femmes énumère les nombreuses carrières qui s'offrent à un Kurde enclavé dans cette montagne : soldat, korucu ou "terroriste" (nom officiel du PKK). Comme le rôle du soldat est pris par un des fils au front, et celui du terroriste par l'autre, on peut deviner que ceux qui restent sont les korucu (#astuce).

Au passage, cela fait drôle d'entendre ces Kurdes-là, et surtout les femmes, parler turc entre eux (hormis une phrase kurde dite en Norvège, quelle audace). D'autant qu'il est spécifié que ni les gamines – et a fortiori les femmes et les matrones – n'ont jamais été à l'école. Mais pas de VO sous-titrée, ménageons les oreilles du spectateur turc.

Ceci dit, l'intrigue démarre, non sur des questions politiques, mais sur un drame domestique à la Bahman Ghobadi : 5 filles et pas de fils pour l'un des Kurdes, qui nous confronte ainsi au premier problème social kurde, parce que les soap opera doivent traiter, un par un, les problèmes de ce temps, c'est la règle : donc, comme on est chez les Kurdes : le héros va-t-il être polygame ? Suspens… finalement, non. Mais c'est de peu.

Plus tard, on a le droit à la séquence "mariée à 13 ans" (avec les conséquences sanitaires censées avertir le public kurde : ne vous mariez pas à 13 ans) avec son cousin germain (on a aussi le droit à l'enfant attardée pour dire au public kurde : arrêtez d'épouser vos cousins) ; mais comme on a vu plus haut, cette famille a l'air aussi isolée dans sa montagne que les Robinson suisses échoués dans leur île, alors forcément, ils n'ont pas eu trop le choix, à part se reproduire entre eux.

On passe à l'acte II quand, finalement brisés par la mort du fils PKK, ou du soldat turc ami de la famille, le grand-père accepte de partir (mais pas du tout forcé à coups de crosses, qu'est-ce que vous allez imaginer ). Ils ont même de quoi se payer le train, et une fois à Istanbul, un appartement (les gecekondu connais pas). C'est-à se demander où ils ont eu tout ce liquide, car il est précisé, au début du film, qu'ils n'ont pour vivre que la vente de leur fromage et yaourt. Le penîr kurde, ça rapporte autant que le parmesan, faut croire.

Bon, ils s'installent et alors que chez eux, à "l'Est", on ne mourait qu'à la guerre, c'est à dire qu'il fallait vraiment le chercher, à Istanbul, c'est l'hécatombe. La ville tue. Les machines à laver aussi (grande séquence glaçante où on a envie de dire aux deux gamines ": Damien, sors de ces corps !" Tout ça parce que un des fils, au contact des mauvais quartiers se découvre, non pas homosexuel (trop light comme drame), mais trans, autant y aller fort dans le choc des cultures… et des poings. 

Du coup, les malheurs s'enchaînent en cascade et en effet papillon : tapez sur votre frère pour qu'il arrête de se maquiller et vous allez voir ce qui arrive quand on laisse les gosses jouer avec l'électro ménager… Mère à l'hôpital, enfants placés dans un orphelinat par des juges et policiers indulgents (c'est fou comme l'État est bon pour les petites gens, les fonctionnaires sont aussi compréhensifs que l'armée turque à Hakkari). Hormis une petite allusion à la prison de Diyarbakir, une fois, mais dans les années 1980, on se demande pourquoi diable des Kurdes se sont obstinés à faire la guerre, alors qu'ils aspirent tous à s'aimer les uns les autres.

Viennent ensuite, en vrac, la question des passeurs, de l'asile politique, des mines, et au fur et à mesure que le drame se noue, les personnages passent leur temps à courir au ralenti et en musique (pas kurde, la musique, le spectateur turc aurait eu moins envie de pleurer). Cela permet d'étirer ainsi la fin jusqu'au problème social purement alla kurda : les crimes d'honneur. Ensuite la boucle est bouclée, tout le monde a compris que c'est dur d'être kurde, et encore plus kurde à Istanbul : donc (hormis ceux partis en Norvège) re-cap sur le village.  

On voit bien le retour de la famille dans les montagnes, expliquant aux militaires : "On a essayé, mais non, la ville, c'est pas pour nous." (Diyarbakir, Van et Urfa ne sont pas visibles dans le champ) et les militaires répondre obligeamment : "Ah bon ? Au temps pour nous ! Bon, ben, refaites comme chez vous, hein, on a arrosé les géraniums et nourri le chat."

Conclusion : Pour comprendre quelque chose à la guerre et à la question kurde, il vaut mieux éviter. Par contre, si vous adorez vous tordre de rire devant tous les malheurs de l'humanité (surtout kurdes) en raccourci, en grimaces, au ralenti, et en musique lacrymogène, Güneşi Gördüm est un nanar fait pour vous. Dommage que Mahsun Kırmızıgül n'en ait pas fait un feuilleton, on en aurait eu pour l'été. Là, avec seulement trois morts et une jambe en moins, le drame est un peu léger.

Cartographie de la crise syrienne

Turquie. La question kurde au regard du nouveau désordre régional



À écouter sur le site de France Culture, la chronique des enjeux internationaux, avec Didier Billion est directeur-adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) :


Il n’y a pas « une » mais des questions kurdes, tant le sort des Kurdes a dépendu au XXe siècle des puissances régionales et internationales. Au point qu’on ne saurait rapidement retracer même les grandes lignes de leur histoire depuis près d’une centaine d’années.Surtout nombreux en Turquie (près de 20 millions), mais présents en Irak, en Iran, en Syrie, montagnards aussi, ils ne sont pas arabes mais sont sunnites. Les parlers ne sont pas forcément inter-compréhensibles. Victimes de sévères répressions (Turquie, années 20 et 30), ils ont été exposés à de violentes rivalités internes, à des alliances interétatiques à fronts renversés (accords d’Alger entre Téhéran et Bagdad, 1975), aux conséquences des grandes guerres récentes (guerre Irak-Iran, 1980-1988 ; guerre du Golfe, 1991 ; guerre d’Irak, 2003).En quoi le nouveau contexte, lui-même belligène (guerre civile en Syrie), modifie-il le paysage ? 

vendredi, juillet 12, 2013

La questione curda : PYD, CNC, CSC…


"La situazione geografica e demografia dei due milioni di curdi siriani è frammentata. Le aree con popolazione curda (Giazira, Kurd Dagh / Çiyayê Kurmênc, 'Ayn al-'Arab / Kobanî) sono geograficamente separate, inoltre sono presenti 300 000 curdi sia Aleppo sia a Damasco. Durante tutto il XX secolo il Kurdistan siriano ha rappresentato la retrovia delle sollevazioni kurde in Turchia e Iraq. E il presidente Hafiz al-Asad ha lasciato una relativa libertà di movimento al PKK, al Partito democratico del Kurdistan (PDK) et all'Unione patriottica del Kurdistan (UPK). Questi ultimi due hanno sedi del partito  Damasco.
La questione curda, sempre latente, è riemersa durante la guerra civile siriana che rappresenta une sfida all'ordine politico regionale costruito da francesi e britannici alla fine della prima guerre mondiale. Ora i curdi del Grande Kurdistan sono meglio organizzati e stanno emergendo come un tassello essenziale per gli equilibri regionali. Sono sostenuti dalla prosperità petrolifera della regione del Kurdistan iracheno che emerge come polo regionale per la stabilità dell'area. Il suo presidente Mas'ûd Barzanî afferma più volte con causata anche dal mancato riconoscimento dell'identità etnica.
Il vacuum di potere nel Kurdistan siriano favorisce il controllo nella regione da parte di una quindicina di organizzazioni curde che chiedono l'autonomia e i cui punti di forza sono: una posizione negoziale migliore con Damasco, un ruolo più favorevole nei confronti della opposizione siriana restia alle richieste autonomiste curde, un segnale alla Turchia nella sua strategia verso i curdi turchi, l'avvicinamento al governo regionale del Kurdistan iracheno.
Le contraddizioni e le contrapposizioni del movimento curdo richiedono l'intervento di Mas'ûd Barzanî che riesce a dirimere la conflittualità intracurda, emersa soprattuto ad Afrin, e negozia un accordo tra il PYD e le organizzazioni curde siriana rivali per formare un consiglio nazionale e il esorta a superare le differenze per perseguire i comuni interessi curdi (12 luglio 2012). I curdi hanno un rapporto ambivalente con gli insorti arabi che ritengono indifferenti e persino ostili alle aspirazioni curde, e impediscono all'Esercito siriano libero di entrare nel territorio curdo siriano.
Il 21 luglio Asad ritira le proprie truppe dalla regione curda per concentrarle nella riconquista di Damasco e Aleppo e i combattenti curdi siriani prendono il controlla del Kurdistan. 
A questo punto si apre uno scenario che so presta a diverse e contrapposte interpretazioni. 
L'esercito siriano ha consegnato le aree curde alle milizie del Partito dell'unione democratica (Partiya Yekîtiya Demokrat) fondato nel 2003 da membri del Partito dei lavatori del Kurdistan (PKK), nella base di Qandil nella regione del Kurdistan iracheno, area che sfugge dal controllo del governo di Erbil. Da 2010 il presidente à Salih Muslîm Muhammad. Il PKK è considerato un'organizzazione terrorista da molti paesi occidentali, e la sua presenza alle frontiere allarma la Turchia che lo considera una minaccia alla sicurezza nazionale.
Molti curdi turchi considerano il PKK il campione dei diritti curdi, un simbolo trentennale di resistenza alla politica di assimilazione e di oppressione della stato turco, mentre molti curdi siriani considerano il PKK alleato del regime di Asad e sua longa manus nella repressione degli insorti curdi. 
Il PYD controlla la maggior parte delle aree liberate, fa parte dell'ampia coalizione di partiti curdi in Siria chiamata il Consiglio popolare del Kurdistan occidentale (CPKO), e dovrebbe cooperare con altri gruppi considerati più accettabili dalla Turchia.
L'altro principale blocco che raggruppa dei partiti curdi siriani è il Consiglio nazionale curdo (CNC).
Il Consiglio supremo curdo (CSC) comprende il CNC e il CPKO. Non esistono dati attendibili sul numero di membri e sull'effettiva presenza sul territorio della quindicina di partiti curdi siriani che agiscono nella semiclandestinità. 
Erbil si impone come luogo di mediazione tra le diverse parti in causa. Il presidente del Consiglio nazionale siriano, Abdel Basset Sayda, che è di origine curda, effettua una visita nel Kurdistan iracheno per incontrare Ma'sû Barzanî (30 luglio 2012). Il ministro degli affari esteri turco Ahmet Davutoğlu è ricevuto dal presidente della regione del Kurdistan (1º agosto 2012) e alla fine del colloquio concordano che "ogni tentativo di sfruttare il vacuum di potere da un gruppo od organizzazione violenta sarà considerato una minaccia comune da affrontare congiuntamente". 
Mas'ûd Barzanî ha rivelato che 700 combattenti curdi siriani rinviati a Qamishli hanno ricevuto la formazione militare nel Kurdistan iracheno, motivando questa misura come volta a prevenire il vuoto di potere nel Kurdistan siriano nell'eventualità della caduta del regime bathista.
La mossa à ambiziosa, ma la stabilità che gode la regione del Kurdistan iracheno dal 2003 e il rapido sviluppo del settore energetico contrasta con il deterioramente della sicurezza in Iraq e nella regione. Mas'ûd Barzanî è il più potente leader curdo della regione e sta espandendo la sua sfera di influenza in Siria. Se Asad cade, i curdi siriani saranno debitori verso Barzanî. Inoltre potrebbero emergere come una delle forze maggiori in Siria perché numerosi, ben organizzato e perché nella loro regione sono presenti importanti giacimenti petroliferi.
I curdi iracheni, che non hanno sbocco sul mare, si stanno posizionando per cogliere le opportunità economiche e strategiche e sopratutto un percorso alternativo per esportare il greggio facendo così diminuire la dipendenza da Baghdad e dai suoi oleodotti. Questi nuovi sviluppi possono favorire la nascita di un corridoio che raggiunga il mare Mediterraneo. Se questo dovesse avverarsi, darebbe un forte impulso alle aspirazioni del governo regionale del Kurdistan all'indipendenza. 
Secondo un'interpretazione con questa mossa i curdi siriani intraprendono una terza via: né con il regime bathista né con gli insorti. Per non rimanere schiacciati dalle die forze egemoni, si sono incuneati nel vacuum di potere e si muovono puntando ai propri interessi a lungo termine. Lavorano con le forze di opposizione, ma sono anche indipendenti da loro. Si pongono non più come vittime ma come giocatori nella partita. Inoltre, nel dopo Asad, è probabile l'emarginazione degli alawiti e quindi i curdi siriani diventano la minoranza più significativa.
Malgrado i problemi entro i propri confini, i curdi iracheni riconoscono l'importanza strategica e gli obblighi morali e nazionalistici nel sostegno ai fratelli curdi del Grande Kurdistan. Inoltre la partita d'azzardo di Barzanî sembra dare frutti quali i ritiro delle forze di sicurezza siriane dal territorio curdo e la presenza di 700 combattenti addestrati nella regione del Kurdistan. 
Per ottimizzare queste opportunità, Erbil dovrà aumentare gli aiuti per organizzare, addestrare,  dare fondi e armi ai combattenti curde siriani. E sopratutto mettere al loro servizio la propria esperienza politica e diplomatica oltre alla loro influenza regionale e agli stretti con gli Stati Uniti.
È inoltre probabile che nel Kurdistan siriano si giochi la resa dei conti tra curdi iracheni e PKK, partito che in questi decenni ha dato filo da torcere ai curdi iracheni e ha cercato con tutti i mezzi di imporre la propria visione del nazionalismo curdo in tutto il Grande Kurdistan. 

Séminaire de l’Observatoire urbain de l’Ifpo

Mardi 16 juillet 2013, à 17h30 :


 1) Enjeux de la patrimonialisation et mutation urbaine : le quartier de Taajeel à Erbil, Kurdistan (Irak) Nadia Ramchand, étudiante en Master 2, universités de Paris 1 et de Poitiers.


2) Politiques culturelles publiques et résistances : la ville de Batman, Kurdistan (Turquie) Jonas Ramuz, étudiant en Master 2 à HEC et à l'EHESS, Paris-Territoires, espaces, sociétés Ifpo - Bâtiment G, salle du premier étage. Espace des Lettres - Rue de Damas – Beyrouth.

La musique ne peut susciter que la joie, c'est la parole qui dit la peine







"Même si les 'sentiments doux amers' ou la 'délectation morose' ne leur sont certainement pas étrangers, le discours que les Yézidis tiennent sur les émotions accepte peu d'intermédiaires. Dans de nombreuses traditions musicales, la musique peut évoquer la joie comme la peine, mais dans le cas des Yéxzidis, la combinaison entre les émotions et la typologie du sonore est assez étonnante : la musique ne peut susciter que la joie. C'est la parole qui "dit" la peine, et même si cette "parole sur" est plus qu'une simple parole, elle n'est pas pensée comme de la musique. Les émotions opposées que sont la joie et la peine ne sont donc pas exprimables dans le même registre. Elles appartiennent à des réalités différentes, et s'opposent non seulement dans le champ des émotions, mais aussi à travers deux modes bien distincts d'utilisation du sonore."

mercredi, juillet 10, 2013

Islam religion par défaut au Kurdistan ? Les limonadiers d'Ankawa anticipent

Jarre à vin provenant du village de Hadji Firuz, (Ourmiah)
5500-5000 av. J.C.
Penn Museum Collection


Selon le site Shafaq News, 30 propriétaires de boutiques d'alcool à Ankawa auraient signé une déclaration où, par 'respect' pour les musulmans, ils s'engagent à fermer boutique tout le mois de Ramadan, dans un 'esprit de tolérance et de coexistence', etc.

Démagogie ou stupidité ? allez savoir… 

Parce que si un musulman veut vivre selon les préceptes de l'islam, il est censé être abstème tous les jours de sa vie, jusqu'à ce que le vin du Paradis lui soit servi dans l'autre monde, et pas seulement durant le mois du Jeûne. Et si un musulman pieux ne peut supporter la simple vue d'une bouteille d'alcool, on ne peut que lui conseiller d'éviter Ankawa et les quartiers chrétiens, ce tout au long de l'année…

Ensuite, cette attitude de soumission à une 'norme' morale qui serait l'islam, et envers laquelle il ne faudrait pas trop se démarquer, est inadmissible, d'autant qu'à lire l'article, il ne semble pas que le gouverneur d'Erbil leur ait demandé quoi que ce soit. Est-ce que les bouchers musulmans de la capitale ferment boutique pendant le Carême ? Est-ce qu'on ne vend plus de fromages et de yaourt dans tout le Kurdistan, parce que les chrétiens s'en abstiennent ? 

Enfin, cela enferme, une fois encore, toute une population dans un comportement que l'on attendrait d'eux, non pas en vertu de leurs convictions personnelles, mais du hasard de leur naissance : est-ce que tous les Kurdes nés dans une famille musulmane sont croyants ? doivent l'être ? Est-ce que tous les Kurdes d'origine musulmane s'abstiennent d'alcool ? On imagine très bien les mouvements religieux les plus rigoristes dire aux partisans de la laïcité : "Vous voyez, même les chrétiens se soumettent à nos règles morales, et de leur plein gré, c'est donc l'islam qui est bien la religion 'naturelle' !" 

La constitution kurde va, de nouveau, être réécrite. Il y a débat, au parlement, au sujet de l'article 6 qui cite l'islam comme source unique de la législation, après avoir reconnu l'existence d'autres communautés religieuses (chrétiens et yézidis). Des députés (kurdes et en majorité 'musulmans') s'élèvent contre cet énoncé. Certains veulent purement et simplement enlever cette mention de la charria, d'autres veulent en faire 'une des sources de la législation', mais pas au détriment de la démocratie, des droits culturels et religieux des autres citoyens kurdistani. Le plus piquant est qu'il s'agit de députés de gauche ou communistes, qui ont fait liste commune avec des partis islamistes afin de remporter des sièges, d'où un sacré tiraillement dans leur groupe parlementaire. 

Muhammad Hakim, le porte-parole du Groupe islamique a menacé, si cet article était changé, de voter contre la nouvelle Constitution, mais aussi de lancer une fatwa religieuse contre l'amendement (ce qui est politiquement une grosse bévue), et même d'en appeler à la Cour constitutionnelle irakienne (ce qui ne sera pas forcément vu d'un très bon œil par les K,urdes patriotes, même les pieux patriotes).

D'autres islamistes, comme Mawlud Bawamurad tentent de modérer la polémique en disant que c'est, après tout, une minuscule partie de la Constitution qui parle de la religion et il faut observer, en plus, que les trois interdictions qui concluent l'article 6 s'annulent et s'empêchent mutuellement :


Cette Constitution affirme et respecte l’identité islamique de la majorité du peuple du Kurdistan irakien. Elle considère les principes de la sharia islamique comme l’une des sources principales de la législation. De même, cette Constitution affirme et respecte tous les droits religieux des chrétiens, yézidis et autres, et garantit à toutes les personnes de la Région la liberté de croyance et la liberté de pratiquer leurs cultes et rituels. Il n’est pas permis de : 
Premièrement:
Promulguer une loi incompatible avec les dispositions des principes fondamentaux de l’islam. 
Deuxièmement :
 Promulguer une loi incompatible avec les principes démocratiques. 
Troisièmement
Promulguer une loi incompatible avec les droits et libertés fondamentaux contenus dans la présente constitution.


La même réserve – 'Charia oui, SAUF si contraire aux droits de l'homme' – existe dans la constitution irakienne et ce sont les Kurdes qui l'y ont introduite, après avoir dû céder, sous la pression des chiites, et accepter que l'islam soit mentionné comme source législative ; eux (hormis les mouvements kurdes religieux) voulaient une constitution totalement laïque. Et donc ils ont adopté les mêmes dispositions pour faire taire les contestations anticipées des partis ou de l'électorat religieux.

Fuad Hussein, le chef du cabinet présidentiel, estime que s'il y réécriture de la constitution, l'article 6 sera probablement modifié.

Il y a d'autres problèmes plus sérieux posées aux minorités avec cette mention de l'islam 'religion par défaut' et cela vient  surtout de la loi irakienne, qui s'applique là où la loi kurde est incompétente ou n'a pas légiféré. Malheureusement, les représentants politiques des Yézidis ou des chrétiens, qui devraient être les premiers à monter en ligne pour y introduire des amendements, semblent aussi lamentables les uns que les autres quand il s'agit de défendre leur communauté.

Ainsi, sur les papiers d'identité (irakiens, forcément), la religion figure si l'on est un musulman ; sinon, il est indiqué 'non-musulman' ; certains s'indignent de cette mention qui n'est même pas une identité, ou seulement une identité en négatif : on n'est juste 'pas quelque chose'. Mais au-delà de la susceptibilité, cela va plus loin dans l'état-civil : est inscrit comme musulman tout enfant dont un des parents est musulman. Ainsi, les mariages mixtes se font toujours au détriment de la minorité. Mais cela va encore plus loin : si un chrétien ou un yézidi se convertit à l'islam, toute sa famille, femme et enfants, est alors, avec lui, enregistrée comme musulmane, qu'elle le veuille ou non. Cela permet même la bigamie (hors du Gouvernement régional du Kurdistan) à quelques maris chrétiens désireux de convoler plus d'une fois, pour peu qu'ils veuillent épouser une musulmane : il leur suffit de se convertir. La première épouse se fait non seulement avoir, mais ses enfants sont comptés comme musulmans, à la suite de leur père. Si la femme peut toujours divorcer, les enfants n'ont pas de recours, hormis un parcours du combattant administratif et législatif, pour faire (re)changer leur religion. 

Bref, pour éviter de tels imbroglio administratifs et juridiques, mieux vaudrait ne plus mentionner la religion sur l'état-civil, mais au vu des débats passionnés que le simple article 6 suscite d'avance, on en est loin. Le Komal islamique de Muhammad Hakim s'est trouvé, cependant, des alliés inattendus pour appuyer cette mention d'islam, "religion par défaut" : 30 limonadiers d'Ankawa, dont la raison pour baisser le rideau ne tient peut-être qu'au fait que 80% de leurs clients vont s'abstenir de consommer leurs liqueurs pendant un mois, seulement parce que c'est Ramadan.

Et si jamais les vignobles sont réinstallés dans les montagnes kurdes, comme certains le souhaitent, le Kurdistan étant, semble-t-il, une des terres où l'on inventa le vin, va-t-on s'abstenir de faire les vendanges pour peu que cela tombe le mois du Jeûne ?

Concert de soutien à l'Institut kurde