jeudi, janvier 31, 2013

Entre Imralı et Erbil se débat l'avenir du PKK


Le 30 décembre dernier, le gouvernement turc annonçait son intention d’entreprendre des pourparlers avec le leader du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999. Son but : obtenir que la guerilla du PKK dépose les armes et mettre un terme à une guerre qui dure depuis bientôt 30 ans.
Ce n’est pas la première fois que des tentatives politiques de régler le conflit ont été amorcées mais jusqu’ici, elles n’ont jamais tenu la distance sur le terrain : les cessez-le-feu unilatéraux fréquemment reconduits par le PKK depuis la capture d’Öcalan n’ont jamais été pris en considération par l’armée turque qui poursuivait ses opérations, ou bien les négociations secrètes entre Ankara et le PKK comme à Oslo, en 2011, échouaient en raison de fuites dans la presse, et laissaient place à une répression judiciaire de grande ampleur contre les membres du KCK et/ou du parti BDP.
Mais cette fois, un des principaux conseillers du Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdoğan, Yalçin Akdoğan, a assuré au journal Taraf que les discussions porteraient sur toute autre chose qu’une trêve provisoire et qu'il  s’agissait d’amener le mouvement kurde armé à cesser définitivement le combat.
Le détail et le déroulé de ces négociations menées par les services secrets turcs (MIT) dirigés par Hakan Fidan, ont été peu dévoilés pour le moment. Du côté turc, la priorité est le désarmement de la guérilla, voire sa reddition et l'exil de ses hauts commandants. Les revendications du PKK et du parti BDP portent (avec des variantes dans les déclarations des uns et des autres) sur l’enseignement de la langue kurde dans les écoles primaires (ou bien un enseignement total en kurde), un processus de gestion autonome des régions kurdes en Turquie (l’ampleur de cette autonomie n’est pas toujours précisément explicitée), l’arrêt des attaques militaires turques contre les bases du PKK et, concernant le sort d’Abdullah Öcalan, des demandes allant de la levée de son isolement jusqu’à sa libération pure et simple.
Mais des conditions personnellement formulées par Öcalan, très peu a filtré des entretiens qui ont débuté le 23 décembre. Selon des responsables du MIT, dont les propos ont été rapportés par le journal Hürriyet, en plus d’une amélioration de ses conditions de détention, le chef du PKK aurait réclamé pouvoir reprendre directement contact avec la guerilla, actuellement dirigée « en son nom » par le Conseil de présidence réunissant plusieurs vétérans des forces armées. On ne sait si cette demande a été depuis agréée.
Dans son allocution de Nouvel An donnée sur Stêrk TV, le président du Conseil exécutif du PKK, Murat Karayılan, a rappelé que 90 ans de « turcification » avaient échoué et qu’il fallait qu’Ankara l’admette. Répondant plus directement à la possibilité envisagée par le gouvernement turc que lui-même et le haut-commandement de la guerilla quittent leurs bases sans être poursuivis, à condition qu’ils ne résident pas dans des États voisins mais dans « d’autres pays », Murat Karayılan a répliqué que cette proposition était une « attaque contre le peuple kurde et ses valeurs » : 

« Chacun doit savoir que la guerilla du mouvement de la liberté et de la résistance du peuple kurde doit rester en vie aussi longtemps que la répression armée et le massacre politique du peuple kurde continuent. »

Sur le principe de négociation et de paix, Murat Karayılan a ajouté qu’ils ne se retireraient pas du combat sinon via une solution obtenue par le dialogue et la négociation, à condition que « les autorités [turques] reconnaissent le peuple kurde, voient sa réalité et mettent fin à leur politique d’occupation ».
Mais le 4 janvier il était annoncé que deux députés kurdes, Ayla Akat Ata et Ahmet Türk avaient pu rencontrer Abdullah Öcalan, ce que personne, hormis son frère Mehmet, n’avait pu faire depuis près d’un an, et surtout pas ses avocats. Dès le lendemain, 5 janvier, le co-président du BDP, Selahattin Demirtaş twitta laconiquement qu’aucune déclaration spéciale ne serait faite sur la rencontre d’ Imralı et que les développements politiques seraient livrés au public « quand le temps sera venu ». S’exprimant un peu plus tard sur la chaîne Nûçe TV, le même Demirtaş promit une déclaration « dans les prochains jours », en qualifiant simplement la rencontre de « positive ». Finalement, aucun compte-rendu détaillé n’allait être fourni à la presse concernant cet entretien.
Paradoxalement – ou est-ce pour ménager son opinion publique ? – la Turquie n’a pas cessé ses opérations militaires contre le PKK et déclare ouvertement ne pas en avoir l’intention, par la voix du ministre de l’Intérieur Idris Naim Şahin (remplacé depuis) qui a assuré à l’agence de presse Anadolu, que les assauts se poursuivront jusqu’à ce que « le groupe qui porte l’inimitié contre notre peuple ne soit plus en position d’attaquer ou de verser le sang », objectif qui, s’il était véritablement retenu, pourrait rallonger le conflit de quelques trente ans supplémentaires …
Même mise en garde belliciste de la part de Yalçin Akdoğan, conseiller de Recep Tayyip Erdoğan, qui avait pourtant annoncé lui-même la réalité des négociations, affirmant qu'il n'était pas question de : « de suspendre ou de stopper le combat contre le terrorisme » et présentant la « politique sécuritaire » comme « un facteur complémentaire » des négociations. Par contre, toute attaque armée de la part des Kurdes ne sera vue que comme un « sabotage » de ces mêmes pourparlers. Optimiste, Akdoğan allègue la « fatigue » des  combattants, las de vivre dans la clandestinité des montagnes et juge que la perspective de pouvoir en « redescendre » serait une incitation suffisante à déposer les armes.
Plus prudent, Nurettin Canikli, un haut responsable de l’AKP, a admis que des « progrès » avaient été faits, mais qu’il ne pouvait dire si le PKK était sur le point de cesser la guerre, d’autant que le Premier Ministre a, pour le moment, écarté toute possibilité d’une amnistie générale des combattants, ce qui est une des revendications dela guerilla, de même que le placement d’Öcalan en résidence surveillée.
Alors que les opérations militaires ne cessent pas, Erdoğan exhorte directement la guerilla à déposer les armes, en gage de « sincérité » et en leur assurant, au passage, un abandon de toute poursuite judiciare dans un pays tiers. Le remaniement de son cabinet, qui voit remplacer Idris Naim Sahin à son poste de ministre de l’Intérieur pour Muammar Güler, un Kurde originaire de Mardin, est au moins apparu comme un signe d’apaisement ou de bonne volonté vis-à-vis des Kurdes qui appréciaient peu Naim Sahin et ses sorties contre les députés du BDP, stigmatisés comme « représentants des bandits du PKK » et « gens qui ne valent pas un centime ». Muammer Güler, en plus d’être kurde, est vu, lui, comme un modéré au sein de l’AKP.

Du côté de la presse turque, les « fuites » et « révélations de source anonyme » se multiplient sur la teneur des accords. Hier, le journal Hürriyet affirmait que le PKK déclarerait un cessez-le-feu dès février et se retirerait de Turquie ET du Kurdistan d’Irak (sans préciser pour où ?)  tandis que le journal Sabah, de façon plus réaliste, parlait d’un retrait de Turquie POUR le Kurdistan d‘Irak ce qui, en soit, ne changera pas grand-chose, car depuis les premiers cessez-le-feu unilatéraux demandés par Öcalan au début des années 2000, cela avait déjà été fait pour la plupart des montagnes kurdes. Pour le gros des troupes, l’essentiel des forces du PKK sont basées à Qandil et les attaques se font surtout après franchissement de frontières, hormis quelques poches comme le Dersim (où la guerilla n’était d'ailleurs pas que PKK). C’est justement le Dersim qui est pressenti pour envoyer le premier groupe de volontaires (une vingtaine) pour descendre des montagnes et se rendre ce qui, là encore, rappelle les redditions qui avaient suivi la nouvelle ligne d’Öcalan après son emprisonnement à Imrali.

Parallèlement, une délégation de neuf membres du MIT, dont le chef, Hakan Fidan, négocie avec Öcalan, doit se rendre à Erbil, décidément lieu de toutes les négociations et contacts entre factions kurdes syriennes ou kurdes turques et turcs eux-mêmes, afin de rencontrer des responsables du PKK (source Radikal), peut-être les mêmes qui avaient entamé les négociations d’Oslo. Un temps suggérée comme autre lieu de rencontre, Suleïmanieh a été écartée par les Turcs craignant une trop forte influence iranienne dans cette ville, et peut-être aussi parce que l’UPK, dont c’est le fief, a toujours passé pour plus proche du PKK dont il a été l’allié, avec l’Iran, dans la guerre civile des années 1990 contre le PDk soutenu par la Turquie. De plus, Massoud Barzani appuie vivement ces négociations et sa présence permet un parrainage « neutre » des Kurdes d'Irak, comme il a fait pour les rencontres d’Erbil entre le CNK syrien et le ministre des Affaires étrangères turc, Ahmet Davutoğlu. D’ailleurs, l’accident de santé qui a éloigné Jalal Talabani de la scène politique laisse le président du Kurdistan comme seul arbitre ou intermédiaire de poids dans ces rencontres, aucun autre responsable de l’UPK n'ayant la carrure diplomatique et l’importance politique du président de l’Irak. 

 Du côté de Qandil, le PKK a aujourd'hui formellement démenti ce retrait, qualifié de mensonge, dans un communiqué diffusé par Firat News, l’agence de presse du parti. Il est même parlé de « guerre psychologique », ce qui n'est peut-être pas faux, dans la mesure où le PKK n’est peut-être pas exactement informé de toutes les dispositions débattues avec Öcalan, et il peut être tentant, pour les services turcs, de créer des effets d’annonce mettant le mouvement kurde au pied du mur, tiraillé entre son obéissance supposée inconditionnelle, à Öcalan et son propre sort de futur « désarmé ». Car officiellement, les commandants se rallieront au plan de leur leader.
Concernant le retrait du PKK de Turquie, voire même l’exil de ses commandants militaires, le BDP de son côté, assure lui aussi ne pas être au courant de ce « retrait » prévu de la guerilla et Demirtaş, son co-président, a rejeté cette éventualité, tout comme Karayılan l’avait fait le 1er janvier, et à peu près dans les mêmes termes : 
« Ce n’est pas une formule que le PKK peut accepter. Après tout, le PKK est une organisation qui vit au Kurdistan. Pourquoi voudraient-ils déposer les armes au Kurdistan et partir vivre dans d’autres pays ? » 
Demirtaş continue d’insister sur la demande « d’autonomie » accordée aux régions kurdes : « Comment cette autonomie sera créée, en quoi elle consistera, peut être discuté mais dire que, du point de vue kurde, il y a renoncement à l’autonomie, est faux. Seule la façon dont elle sera implantée peut changer » 
Le co-président du BDP a indiqué que lui-même et l’autre leader du parti, Gultan Kışanak, avaient demandé au ministre de la Justice de pouvoir rencontrer à leur tour Öcalan mais qu’ils n’avaient toujours pas reçu de réponse. Il a aussi ajouté que ce plan annoncé ne serait sans doute pas l’accord définitif agréé par Öcalan, qu’il fallait auparavant en « discuter [avec lui], et échanger nos idées ».

En fin de mois, Gultan Kışanak a, à son tour, critiqué l’isolement d’Öcalan durant les négociations, rappelant que Nelson Mandela avait été transféré de sa prison pour une résidence surveillée lors d’un même processus. Selon elle, la reddition préalable de membres du PKK relève du domaine « spéculatif » et il lui semble indispensable que le BDP et le PKK jouent un rôle plus actif, notamment en permettant au BDP de rencontrer Öcalan (aucune allusion ou révélation n’a été publiée sur la rencontre avec Ahmet Türk et Ayla Akat Ata).

Le BDP n’est pas le seul à se plaindre de l’opacité des négociations. L’opposiiton turque réclame aussi plus de « transparence ». Ainsi le vice-président du CHP, Faruk Loğoğlu, se plaint que le Parlement n’ait, pour le moment, pas son mot à dire dans le processus. De façon surprenante, Loğoğlu, s’il se dit favorable à une solution non-militaire, réclame en effet qu’en place et lieu d’Öcalan pour interlocuteur, le gouvernement choisisse de s’adresser à l’Assemblée nationale turque pour trouver une solution, en blamant le fait que l’avenir de la Turquie soit à présent subordonné à des pourparlers avec le leader du PKK. Il critique par ailleurs le flou et l’incertitude qui règnent sur les modalités d’un possible désarmement du PKK dont les déclarations contredisent les « avancées » publiées dans la presse turque.

On ne voit pas trop ce que le Parlement turc pourrait apporter de nouveau à un conflit de 28 ans, même si une réforme radicale de la constitution turque réussissait enfin à être votée. Mais il est certain que s’appuyer uniquement sur Öcalan pour négocier un plan de route menant à une paix définitive peut être irréaliste si Ankara ne tient pas compte des positions de la guerilla. Dans le même temps, le Conseil de présidence, tout comme le BDP, ayant toujours proclamé agir soit au nom, soit pour le compte d’Öcalan, il leur sera difficile, surtout devant leurs militants, de totalement désavouer les choix politiques de leur leader, au risque de voir une désintégration du mouvement (ce qui n’est pas non plus dans l’intérêt de la Turquie).

Dans une interview donné au journal Aswat al-Iraq le 25 janvier, Hajar Zagros, une des cinq responsables du PKK a confirmé que les conditions de base demandées par son parti pour négocier la paix avec la Turquie étaient la libération d’Öcalan, plus celles des 44 avocats et des 10 000 militants kurdes sous les verrous. Elle a indiqué qu’ « à ce stade », le PKK ne souhaitait pas un État kurde indépendant, mais souhaitait la reconnaissance des Kurdes comme seconde nation en Turquie  dans un cadre constitutionnel (reprenant l’idée préalable d’Atatürk d’un État bi-national, ou bien l’actuel bi-nationalité de l'État irakien)

Si l’on tente de discerner à quoi ressemblerait l’après-guerre en Turquie, il faut l'envisager comme devant, d'abord, relever et surmonter trois défis :

– L’avenir et la reconversion politique éventuelle d’Öcalan (comme l’envisageait le journaliste turc récemment disparu Mehmet Ali Birand qui souhaitait qu’il siège un jour au parlement turc ), ce qui supposerait chez le leader du PKK une sacrée faculté de reconversion et d’adaptation (et lui ferait courir un risque d’assassinat assez important de la part des nationalistes turcs).

– L’avenir du BDP, obligé de se plier automatiquement à la nouvelle ligne politique (pour le moment inconnue) de leur leader. À vrai dire, depuis l’époque du HADEP et de tous ses avatars, ce parti a toujours opiné assez docilement devant les revirements et changements de desseins du PKK ou d'Öcalan.

– L’avenir de la guerilla et de ses quelques 4500 combattants, devenus soudain des soldats démobilisés et inutiles, dont il faudra envisager la reconversion et le retour à la vie civile dans un lieu, de plus, inconnu. Il est douteux que la Turquie accède à une des revendications émises dans les milieux kurdes : à savoir que la guerilla deviendrait, à l’instar des Peshmergas du Kurdistan d’Irak, la force de sécurité d’une région kurde autonome. Ce que l’Irak en total décomposition au moment de l’occupation américaine de 2003 a bien été forcé d‘entériner, ce que la Syrie en ruines devra peut-être accepter si elle réussit à renverser le Baath, il est douteux que la Turquie, qui n’est pas dans une telle position de faiblesse, et dont l’armée nationale et la centralisation républicaine sont des dogmes profondément ancrés dans l’État, accepte de se désengager d’un Sud-Est qui deviendrait quasi-indépendant dans sa défense.

Quant à la situation des Kurdes de Turquie en eux-mêmes, qu’ils soient électeurs de l’AKP ou du BDP, elle peut bénéficier d’un climat plus « respirable », au sens où ils ne seraient plus coincés entre un État qui n’a jamais vraiment eu pour priorité ni leur bien-être ni la survie de leur identité, et un mouvement figé dans le passé d’une lutte qui s‘enracine dans des idéologies de libération datant des années 1970 et dont la guerilla, aujourd'hui, est une patate chaude que se refilent la Turquie, le Kurdistan d'Irak, et voire un jour le Kurdistan de Syrie. 

Secrets de table et de soie

Vendredi 1er février à 15 h 00 : Avec Florence Ollivry, auteur de Les Secrets d'Alep : une grande ville arabe révélée par sa cuisine et de La Soie et l'Orient (Rouergue) ; Cultures d'Islam, A. Meddeb.



Quatrième de couverture :
"La tradition culinaire alépine compte incontestablement parmi les plus sophistiquées du monde arabe, à l'égal de celle de Fès au Maroc. Cet ouvrage, le premier qui lui soit entièrement consacré, est fondé d'une part sur les sources écrites disponibles en langue arabe et, d'autre part, sur une enquête auprès des meilleurs cuisiniers et cuisinières de la ville. Il se compose de cinq parties, ponctuées de soixante recettes :

Généalogie des saveurs, ou comment s'est constituée à travers l'histoire, par de multiples métissages entre les éléments ethniques et religieux de la Syrie du Nord, la grande tradition culinaire d'Alep et de sa région.

Savoir faire et savoir vivre, où il est surtout question de la transmission de cette tradition, à la fois dans les souks, espace exclusivement masculin, et dans les foyers, de mères en filles.
Récoltes et menus des quatre saisons, où sont évoquées, au rythme des saisons, les préparations culinaires destinées soit à la consommation immédiate, soit à la conservation de moyenne ou de longue durée (fromages, céréales, olives, confitures, sirops, fruits secs, légumes en conserve...). Ephémérides pieuses et gourmandes, où l'on découvre les mets spécifiquement préparés lors des fêtes musulmanes et chrétiennes, mais aussi pour célébrer les naissances, les circoncisions, les baptêmes, les fiançailles, les mariages...

Les Mille et une kebbé, où l'on célèbre ce fleuron de la gastronomie alépine.

Vivant et raffiné, Les Secrets d'Alep est par-dessus tout un vibrant hommage à l'une des plus belles villes du monde arabe."

Les auteurs :

Née en 1978 à Paris, Florence Ollivry a enseigné le français au Centre culturel arabe d'Alep. Elle réside et travaille actuellement à Barcelone.

Né en 1952, Georges Coussa est un aquarelliste et illustrateur alépin. Il a étudié les arts plastiques à l'université de Paris VIII et a vécu comme artiste peintre à Paris durant vingt ans. De retour à Alep en 1996, il s'adonne depuis lors à l'aquarelle et au dessin à la plume, inspiré par la ville, ses rues, ses maisons, ses intérieurs.







Présentation de l'éditeur
Une civilisation textile, tel fut le monde musulman. Au cœur de cet écheveau, la soie fut la plus précieuse des étoffes. Amoncelée dans les palais comme de l’or, pillée par les Croisés et gardée dans leurs églises comme un trésor, la soie eut ses passeurs (une impératrice chinoise, un juste, deux moines itinérants), elle a désormais ses gardiens. Florence Ollivry nous fait rencontrer les hommes de soie qui préservent les gestes des artisans des tiraz
L’histoire de la soie commence sur les rivages de la mer de Chine pour gagner, le temps de deux millénaires, le Moyen Orient. L’axe de propagation de la sériciculture coïncide avec le quarantième parallèle de l’hémisphère boréal. Il est affaire de climat et de soins humains. Il faut en effet des « âmes de soie » pour transformer une fibre enroulée sur elle-même en un fil que l’on dévide, que l’on tisse sur un métier pour finalement s’en vêtir. Longtemps en Syrie furent tissées des soies précieuses. Ces tissus, accumulés à la manière d’un trésor, faisaient la fortune des califes. C’est dans un linceul de soie que les riches musulmans partaient vers un paradis où ils seraient vêtus de la sompteuse étoffe. Certaines de ces soieries islamiques, parvenues en Occident, furent conservées dans les trésors des églises. Les tisserands syriens, presque toujours juifs ou chrétiens, se transmettent depuis des générations un métier d’une perfection extrême. Longtemps étroitement liés aux soyeux lyonnais, ils représentent aujourd’hui une corporation en survivance, que la fibre artifcielle a ruinée. Florence Ollivry nous raconte leur histoire et comment on peut vivre, encore aujourd’hui, d’un fil échafaudé par une chenille. 
Biographie des auteurs
Née en 1978 à Paris, Florence Ollivry a vécu et travaillé pendant près de cinq ans au Proche-Orient, en Syrie (Alep puis Damas) et au Liban. Elle réside et travaille actuellement à Rome. Elle a publié Les Secrets d’Alep, une grande ville arabe révélée par sa cuisine (Sinbad-Actes Sud). 
Rima Maroun, née en 1983, est une photographe libanaise. Elle vit et travaille à Beyrout. En 2008, elle a reçu le prix de la fondation Anna Lindh pour une série de photographies intitulée « Murmures ». Son travail a notamment été présenté lors de la seconde édition de Photoquai à Paris.

Relié: 192 pages
Editeur : Editions du Rouergue (21 septembre 2011)
Langue : Français
ISBN-10: 2812602465
ISBN-13: 978-2812602467

mercredi, janvier 30, 2013

Reporters sans frontières : Classement mondial 2013


Comme chaque année Reporters sans frontières publie leur palmarès des libertés (ou non) de la presse dans le monde, avec un classement par pays. La Finlande gagne le pompon et ensuite les Pays-Bas, la Norvège, le Luxembourg, l'Andorre (seul pays au sud de l'Europe à figurer dans les 10 premiers), le Danemark, le Lichtenstein, la Nouvelle-Zélande (seul pays non-européen dans les 10 premiers et champion des Océaniens), l'Islande, la Suède. Évidemment, ne comptons pas sur la France pour faire remonter l'Europe, elle est 37ème, juste devant le Salvador.

La Namibie (19), le Cap-Vert (25), le Ghana (30) sont parmi les gagnants africains.

L'Irak est à la 150eme place, la Turquie à la 154ème, Iran, 174, Syrie, 176.

La Jamaïque (13), le Costa-Rica (18), le Canada (20), l'Uruguay (27), le Surinam (31) devancent les États-Unis (32).

Pour l'Asie, ce n'est guère brillant, ça démarre avec Taïwan (47), la Corée du sud (50), le Japon (53).



Portrait de famille


Sortie le 30 janvier 2013, Portrait de famille :

5 contes, réalisées par Morteza Ahadi Sarkani, Mohammad Ali Soleymanzadeh, Mahin Javaherian.


jeudi, janvier 24, 2013

Kurdes d'Iran, réfugiés au Kurdistan d'Irak (extrait du rapport de HRW)






La révolution verte en Iran de 2009 a eu de lourdes conséquences sur la société civile, comme le souligne le dernier rapport de Human Rights Watch, Why they left : Stories of Iranian activists in Exile, paru en décembre dernier. Le rapport publie des dizaines de témoignages émanant de défenseurs des droits de l’homme, de journalistes, de blogueurs, d’avocats, menacés et pris pour cible par les forces de sécurité et les Renseignements, en raison de leur prises de position contre le gouvernement.

Cette pression gouvernementale a eu pour conséquence un afflux de demandeurs d’asile en Turquie et au Kurdistan d’Irak. La Turquie a vu ainsi le nombre des réfugiés iraniens augmenter de 72% entre 2009 et 2011. Le Kurdistan d’Irak est aussi un choix privilégié, surtout pour les Kurdes d’Iran. 

En effet, parmi les acteurs de la société civile, ceux qui militent pour les droits des minorités sont les plus visés en Iran, accusés d’être instrumentalisés par l’étranger. Les minorités ethniques les plus opprimées sont les Kurdes, les Azéris, les Arabes de l’Ahwaz. Les ONG défendant leurs droits sont en butte aux persécutions, aux arrestations et à de sévères condamnations.

HRW note qu’en raison de cette politique répressive de l’Iran envers ses minorités, et de ce qu’ils appellent joliment et pudiquement « une parenté culturelle transfrontalière », c’est-à-dire l’état de fait d’un pays-nation coupé arbitrairement en 4, la majorité des militants appartenant à des minorités ethniques qui fuient vers la Turquie et le Kurdistan d’Irak sont, depuis 2005, surtout des Kurdes.

HWR cite ainsi en exemple l’Organisation des droits de l’homme du Kurdistan (HROK), fondée en 2005 par Sadigh Kaboudvand, qui a compris jusqu’à 200 reporters qui sillonnaient toutes les régions kurdes d’Iran et publiaient leurs articles dans le journal Payam-e Mardom (Message du peuple), aujourd’hui interdit. Sadigh Kaboudvand en était le directeur général et le rédacteur en chef. Il a été arrêté par les services de renseignements le 1er juillet 2007 et emmené à la section 209 d ela prison Evin (Téhéran) qui est sous leur contrôle. Il a été mis en isolement près de 6 mois.

En mai 2008, la 15ème chambre du tribunal révolutionnaire a condamné Sadigh Kaboudvand à 10 ans de prison pour avoir agi contre la sécurité nationale en fondant le HROK, et à une autre année d’emprisonnement pour « propagande contre le système en diffusant des nouvelles, opposition au droit islamique en mettant l’accent sur des condamnations telles que la lapidation et les exécutions, et pour avoir plaidé en faveur des prisonniers. »

En octobre 2008, la 54ème chambre de la Cour d’appel de Téhéran a confirmé la sentence. Depuis, HWR ne cesse de réclamer sa libération et de lui permettre de toute urgence d’avoir accès à des soins médicaux.

Shahram Bolouri, âgé de 27 ans, a participé en 2009 aux manifestations contestant la fraude des élections présidentielles. Il a expliqué à HRW avoir couvert les violences exercées par les forces de l’ordre contre les manifestants, avoir diffusé ses photographies et ses vidéos, et avoir témoigné par le biais de différents media. Avant cela, il était déjà membre de l'Association kurde, une ONG basée à Téhéran, et avoir travaillé avec plusieurs organisations de la société civile.

Le 23 juin 2009, des agents de la Sécurité et des Renseignements ont perquisitionné son domicile à Téhéran et l’ont arrêté. Il a été détenu 8 mois à la prison d’Evin, dont 45 jours en isolement, dans les sections 209 et 240, qui relèvent des Renseignements, avant d’être transféré dans la partie commune. Ses gardiens l’ont soumis à de sévères tortures, physiques et mentales.

« Ma cellule d’isolement [dans la section 240] mesurait 2,5 m sur 1 m. Elle avait des toilettes, pas de fenêtre. Les gardiens venaient souvent et m’ordonnaient de me lever, de m’assoir et d’exécuter toutes sortes de tâches bizarres, juste parce qu’ils en avaient le pouvoir. Une fois, l’un d’eux m’a dit : « Tu ressembles à un athlète. Choisis ton sport. Lève-toi et assieds-toi devant moi. Cent fois, et assure-toi de bien compter ! » Il m’a fait faire cela plusieurs fois, bien que j’avais une jambe cassée. Je transpirais abondamment mais ils ne m’ont pas laissé me doucher. Après deux semaines, le même type a ouvert la porte de ma cellule et a dit : « Pourquoi est-ce que ça sent la merde ici ?» Il m’a ordonné de prendre une douche et de laver mes vêtements. »

Le 6 février 2010, plus de 6 mois après son arrestation, les autorités relâchèrent Shahram Bolouri contre une caution d’un montant anormalement élevé de 200 000 $US. HWR mentionne que plusieurs cas ont été rapportés, de cautions énormes demandées aux familles, comme part du harcèlement psychologique exercé contre les détenus et leurs familles. Shahram Bolouri dit que les pressions financières et psychologiques exercées contre sa famille étaient parfois pire, pour lui, que ce qu’il endurait personnellement.

En octobre 2010, un tribunal révolutionnaire à Téhéran l’a condamné à 4 ans de prison pour « rassemblement et collusion contre l’État en ayant participé à des manifestations et en ayant communiqué avec des media étrangers, en diffusant des nouvelles. » Après qu’il a fait appel, sa condamnation s’est vue alourdie de 6 mois en juin 2011. Comme les pressions et le harcèlement s’aggravaient contre sa famille et lui-même, Shahram Bolouri décida de quitter l’Iran. Il a déposé une demande d’asile au bureau du HRC de l’ONU en Irak, le 15 juillet 2011 et cherche maintenant un pays d’accueil où il aurait le statut de réfugié politique.

Media Byezid est un étudiant militant et blogueur, renvoyé de l’université d’Ispahan après avoir participé aux manifestations estudiantines de 2005 et avoir participé à la campagne présidentielle de Mehdi Karroubi en 2008. Le 12 juin 2009 au soir, il était chargé avec d’autres membres ayant fait campagne pour Karroubi de surveiller le dépouillement. Son équipe et des militants ayant fait campagne pour Moussavi ont relevé des irégularités et les ont signalées aux autorités. Des officiels du ministère de l’Intérieur leur a répondu qu’ils seraient tenus pour responsables de toutes « perturbations ».

Ils sont alors partis pour Téhéran afin de participer aux manifestations post-électorales. C’est de retour à Saqqez, le 7 novembre, que les ennuis de Media Byezid commencèrent.

« J’ai reçu un coup de fil de quelqu’un de l’université Payam-Nur, à Saqqez qui disait qu’il voulait me rencontrer. Quand j’y suis allé, j’ai remarqué une voiture verte avec deux personnes, qui sont venues près de moi. L’une d’elles a dit que quelqu’un s’était plaint d’être harcelé au téléphone et que je devais répondre aux questions de la police. Ils m’ont mis dans la voiture, m’ont fait baisser la tête, et ont filé. J’ai appris plus tard qu’il s’agissait d’agents du ministère des Renseignements. 

Nous sommes allé au setad-e khabari [une section des Renseignements chargée de collecter des informations et d’enquêter sur les individus coupables ou suspects d’activités dissidentes] local du ministère des Renseignements. L’interrogateur est entré dans la pièce et a commencé par m’accuser d’avoir des contacts avec des groupes de la guerilla kurde. Mon père était à Koya [Kurdistan d’Irak] et j’avais traversé plusieurs fois la frontière illégalement. Il m’a accusé d’avoir des contacts avec le PJAK [branche iranienne du PKK] et d’autres partis kurdes interdits. Quand j’ai nié avoir eu ces contacts, il m’a giflé en disant : « Ici, ce n’est pas la maison de ta tante ! » Puis ils m’ont dit qu’ils avaient mis mon téléphone sur écoute depuis un moment et m’ont fait entendre les enregistrements de mes conversations. »

Byezid dit que son interrogatoire a duré 7 ou 8 heures. Les autorités l’ont battu et harcelé plusieurs fois, pendant les 13 jours qu’a duré sa détention au Ministère des Renseignements. Ils l’ont finalement libéré mais ont continué de le convoquer pour des interrogatoires, jusqu’à ce qu’il décide de quitter le pays.

Hezha (Ahmad) Mamandi est un militant pour les droits des Kurdes et l’un des membres les plus anciens de l’Organisation des droits de l’homme du Kurdistan (HROK). Il a été initialement condamné à 11 mois de prison pour diverses accusations d’atteintes à la sécurité nationale. Les agents de Renseignements l’ont arrêté de nombreuses fois en 2005, en raison de ses activités au sein du HROK et avec d’autres groupes locaux.

« Je me trouvais à l’université Azad de Mahabad et je collectais des signatures [en 2006] quand plusieurs agents de Renseignement m’ont arrêté, ainsi qu’un autre collègue, nous ont mis dans une voiture et nous ont conduit au centre de détention local. Ils nous ont interrogés durant 2 semaines. Ils posaient beaucoup de questions sur le HROK et ses relations avec l’Amérique. Ils nous ont battus plusieurs fois mais faisaient attention de ne pas nous frapper au visage. Je n’ai pas pu voir un avocat. Après 2 semaines, ils m’ont envoyé, avec mon collègue, au tribunal révolutionnaire de Mahabad. La session du tribunal a duré 2 à 3 minutes. Quand nous avons essayé de parler au juge, ils nous a chassés de la salle d’audience. Ils nous ont transferrés à la prison centrale de Mahabad et j’ai découvert un peu plus tard que j’avais été condamné à 20 mois de prison pour agissements contre la sécurité nationale et pour avoir troublé l’ordre public. »

En appel, sa sentence fut abaissée à 10 mois et il fut relâché en 2006. Il reprit alors ses activités au sein du HROK, mais après que les autorités ont arrêté en 2006 et 2007 Sadigh Kaboudvand et Saman Rasoulpour, deux des leaders de l’organisation, le groupe a réduit ses activités.

En 2010, après l’exécution de Farzad Jamangar et de plusieurs autres militants kurdes, Mamandi et ses collègues du HROK ont aidé à mener une grève dans les régions kurdes d’Iran. La grève fut un succès et irrita les autorités. Il fut identifié, avec d’autres, comme les meneurs. Le 22 mai 2010, il s’enfuit au Kurdistan d’Irak.

Amir Babekri était enseignant et journaliste à Piranshahr, une ville à majorité kurde de la province d’Azerbaïdjan occidental. Amir Babekri a rejoint le HROK en 2005 et a travaillé sur différentes questions concernant les droits des Kurdes. Une unité de Gardiens de la Révolution est venu l’arrêter en décembre 2007, à l’école primaire où il enseignait.

« Trois hommes armés m’ont fourré dans une toyota et m’ont emmené au centre de détention local. Là, ils ont essayé de m’impliquer avec des partis politiques kurdes. J’ai nié. Ils ont menacé de m’envoyer à Urmiah si je refusais de coopérer. Je leur ai dit de le faire. Ils m’ont frappé plusieurs fois la dernière nuit, avant que je sois envoyé à Urmiah, mais je n’ai pas été torturé. »
[Au centre de détention d’Urmiah], nous étions 40 répartis dans deux pièces. Les autorités accusaient certains d’entre nous d’avoir des liens avec le PJAK. Il y avait des interrogatoires tous les jours, et nous entendions beaucoup de hurlements. En tout, j’ai été interrogé 18 jours, mais ils me transferrait pour m’interroger dans un autre lieu de détention qui était à 5-6 minutes en voiture. J’étais aveuglé. Ils m’ont fait subir, ainsi qu’à d’autres, toutes sortes de mauvais traitements. Parfois, ils nous jetaient dans la neige. D’autres fois, ils nous passaient les menottes à un mur et nous forçaient à nous tenir sur la pointe des pieds. Ils nous frappaient aussi sur la tête avec des bâtons. »

Amir Babekri a dû répondre à de nombreuses questions sur ses contacts du HROK. Il fut finalement forcé de reconnaître son appartenance au HROK mais refusa de donner les noms de ceux qui y travaillaient clandestinement. Il fut finalement accusé par les autorités d’être un « ennemi de Dieu » (moharebeh, qui fait encourir la peine de mort), membre d’un groupe illégal et d’être allé clandestinement au Kurdistan d’Irak. La lecture de son acte d’accusation au tribunal d’Urmiah a duré de 2 à 3 minutes. Il n’avait aucun défenseur et se souvient avoir vu plusieurs officiers des Gardiens de la Révolution présents dans la salle.
Il fut jugé 4 mois plus tard et son procès dura 30 minutes. Cette fois, un avocat était présent. L’accusation d’être un moharebeh ne fut pas reprise mais il fut convaincu de «propagande contre l’État» et d’appartenance au HROK. Sa condamnation fut d’un an et 3 mois de prison.
En raison des pressions continuelles exercées contre lui et du fait qu’il ne pouvait plus enseigner à Piranshahr, Amir Babekri décida de quitter l’Iran et de déposer une demande d’asile au bureau du HCR au Kurdistan d’Irak, le 15 juillet 2009.
Militant pour les droits des Kurdes, Rebin Rahmani fut arrêté par les forces de sécurité le 19 novembre 2006, à Kermanshah. Il travaillait alors à un projet de recherche sur la dépendance à la drogue et le virus HIV dans la province de Kermanshah. Après son arrestation, il a passé environ 2 mois en détention, dans les locaux du ministère des Renseignements. Il a été interrogé à la fois par des agents de Kermanshah et de Sanandadj (Sine, prov. du Kurdistan), et soumis à des tortures physiques et psychologiques.
En janvier 2007, un tribunal révolutionnaire l’a condamné à 5 ans de prison pour « agissements contre la sécurité nationale » et « propagande contre l’État ». Le procès dura 15 minutes, sans avocat. En mars, la sentence fut réduite à 2 ans en appel.
Rebin Rahmani qui était détenu dans la prison Dizel Abad de Kermanshah fut alors transféré plusieurs fois dans les locaux du ministère des Renseignements pour y subir des interrogatoires, toujours sous la torture et de longues périodes d’isolement, afin de lui faire avouer des liens avec des groupes armés kurdes séparatistes. On menaça d’arrêter également sa famille et en juin 2008, son frère fut effectivement arrêté afin de faire pression sur Rebin Rahmani. Celui-ci tenta deux fois de se suicider, mais les autorités ne purent jamais ajouter à son dossier d'autres chefs d’accusation.
Relâché fin 2008, il apprit qu’il avait été renvoyé de l’université et ne pouvait plus poursuivre ses études. Il rejoignit alors la section locale des Militants des droits de l’homme en Iran (HRA), mais en utilisant un pseudonyme car il craignait d’être arrêté à nouveau. Avant de fuir au Kurdistan d’Irak, il a pu interviewer des familles et rédiger des rapports pour le HRA, la plupart au sujet des violations des droits de l’homme commises par le gouvernement dans les régions kurdes d’Iran. Il avait aussi en charge la section en kurde du site Web de HRA.
En mars 2010 eut lieu un grand coup de filet contre les militants des droits de l’homme, dont les HRA, à Téhéran et dans d’autres grandes villes. Rebin Rahmani put y échapper car sa couverture ne fut pas dévoilée au sein des HRA. Mais le même mois, il participa à une manifestation contre l’exécution de plusieurs prisonniers politiques kurdes et les autorités locales le mirent sous surveillance. En décembre 2010, les forces de sécurité perquisitionnèrent son domicile, peu de temps après qu’il ait participé à une rassemblement devant la prison de Sanandadj pour protester contre l’exécution imminente de Habibollah Latifi.
Rebin Rahmani sentit alors qu’il devait s’enfuir pour le Kurdistan d’Irak. Il enregistra sa demande d’asile à Erbil le 6 mars 2011.
Fayegh Roorast, militant kurde et étudiant en droit à l’université d’Urmieh a été arrêté en janvier 2009 pour avoir coopéré avec plusieurs organisations comme le HROK, les HRA et la campagne Un million de signatures. Les agents des Renseignements ont commencé de le prendre pour cible quand Farzad Kamangar fut condamné à mort, en mars 2008. Fayegh Roorast mena alors plusieurs entretiens diffusés dans des media étrangers, au sujet de l’arrestation de Farzad Kamangar, Zainab Bayazidi et d’autres militants pour les droits des Kurdes.
Le 15 janvier 2009, des agents des Renseignements attaquèrent la boutique de son père et arrêtèrent ce dernier. Un peu plus tard, ils vinrent au domicile de Fayegh Roorast et saisirent ses affaires personnelles, sans l’arrêter. Mais 2 jours plus tard, il fut convoqué avec son frère, sa sœur et sa tante au bureau des Renseignements de Mahabad. On l’accusa de travailler avec des groupes d’opposition kurdes interdits, dont le PJAK. Toute sa famille fut relâchée, mais lui resta 17 jours en détention.
« Au ministère des Renseignements de Mahabad, ils me menaçaient et me harcelaient tous les jours. Mon interrogateur jouait le rôle du bon flic qui me pressait de coopérer et du mauvais quand je refusais de faire ce qu’il voulait. Il m’a frappé et a menacé de s’en prendre aux membres de ma famille, et même de les violer. Après 5 jours d’interrogation et de coups, il me dit : « À partir de maintenant, tu ne vas plus seulement être interrogé. Maintenant, je suis responsable de ton enseignement. »
Fayegh Roorast fut ensuite transféré au ministère des Renseignements à Urmieh.
« Les autorités m’ont maintenu en isolement plusieurs jours. Il y avait trois chambres interrogatoire, ou de tortures, dans les pièces du bas. J’entendais des bruits horribles venir de là. Ils m’y ont emmené 15 ou 16 fois. L’endroit puait l’urine et les excréments. Ils m’ont soumis à toutes sortes de tortures, ils m’ont suspendu par les poignets au mur de sorte que je sois forcé de me tenir sur la pointe des pieds, m’ont appliqué des chocs électriques sur les orteils et les doigts, ils m’ont battu. Ils me demandaient pourquoi j’avais sur moi la liste des noms des prisonniers et pourquoi je collectais des signatures pour la campagne Un million de signatures. »
Fayegh Roorast a dit à HRW qu’il avait refusé de donner des noms. Les autorités l’ont relâché au début de l’année 2010. Il a quitté l’Iran l’été de la même année.
Yaser Goli est un étudiant militant, secrétaire de l’Union démocratique des étudiants du Kurdistan. En 2006, les agents des Renseignements l’ont arrêté. Il a été condamné à 4 mois de prison avec sursis. Les autorités universaitaires l’ont empêché de poursuivre ses éudes pour sanctionner ses activités politiques. En plus de ses activités au sein de l’Union démocratique des étudiants du Kurdistan, Yaser Goli était impliqué dans plusieurs organisations de la société civile, comme la campagne Un million de signatures,  Azarmehr, l'association des femmes kurdes, qui organise des ateliers et des activités sportives pour les femmes, et le comité des droits de l’homme de l’Union démocratique des étudiants du Kurdistan.
Fin 2007, alors qu’il poursuivait ses activités et protestait contre la décision de l’université de le renvoyer, les forces de sécurité l’ont arrêté et transféré dans un lieu de détention à Sanandadj, géré par les Renseignements. Il a été interrogé 3 mois durant, soumis à des tortures physiques et psychologiques, et maintenu en isolement. En novembre 2008, un tribunal révolutionnaire l’a condamné à 15 ans dr prison en exil (hors de sa province, à Kerman, à 1000 km de Sanandadj) pour être un « ennemi de Dieu ». Il a été autorisé à sortir temporairement afin de recevoir un traitement pour un sérieux problème cardiaque, sous caution. Sa famille et lui ont fui au Kurdistan d’Irak en mars 2010.
Amin Khawala est journaliste. Il travaillait comme correspondant du Saqqez News Center (SNC) et informait Human Rights Watch sur les pressions et les menaces que rencontrent les reporters dans la province du Kurdistan.
Depuis que le SNC a commencé ses activités en 2006, il a eu à subir des pressions de la part des autorités, en raison des sujets sensibles, portant autour des Kurdes, que le centre abordait, par exemple en publiant la liste de dizaines de noms de contrebandiers abattus par la sécurité iranienne et les gardes frontaliers, ou bien les noms des responsables gouvernementaux impliqués dans des affaires de corruption, ou ceux des militants de l’opposition ou des droits de l’homme arrêtés par les forces de sécurité. Le SNC a couvert aussi, dans la province du Kurdistan, les événements politiques qui ont suivi les élections frauduleuses de 2009. La Sécurité a perquisitionné le domicile du rédacteur en chef, Atta Hamedi, le 4 janvier 2011, avec confiscation de ses affaires personnelles, et en avril 2011, le site web du centre a été filtré.
«J’ai été convoqué et averti plusieurs fois par le ministère des Renseignements. Ils m’ont menacé et dit que j’avais blasphémé. Ils m’accusaient aussi d’être impliqué dans des activités criminelles et terroristes. J’avais déjà été condamné à 2 ans avec sursis par un tribunal révolutionnaire en 2011. Ils ont menacé de rouvrir mon dossier et de me renvoyer en prison, aussi je me suis enfui au Kurdistan irakien.»
 Depuis qu’Amin Khawala a fui, le 3 mars 2011, les forces de sécurité iraniennes harcèlenent et persécutent sa famille afin de le faire rentrer en Iran.
Fatemeh Goftari était membre d’Azarmehr, co-fondatrice des Mères du Kurdistan pour la paix et militait dans la campagne Un million de signatures. Les Renseignements l’ont arrêté en 2002 à Sanandadj (Sine) et accusée de propagande contre l’État. Un tribunal révolutionnaire l’a condamnée à 5 ans de prison, mais sa sentence fut finalement commuée et elle ne fit que 6 mois.
Le 14 janvier 2008, elle fut de nouveau arrêtée par les Renseignements de Sanandadj. Un tribunal révolutionnaire la condamna pour agissements contre la sécurité nationale à 25 mois de prison. Elle en passa une partie en isolement, dans la ville de Birjand, dans la province du Khorassan sud, à 1000 km de chez elle. Après sa libération, elle et son mari étaient constamment surveillés et convoqués par les Renseignements de Sanandadj. Fatemeh Goftari a finalement quitté l’Iran en mars 2010 après avoir refusé de se rendre à une convocation et avoir échappé à un tenttive d’arrestation durant laquelle elle a été frappée.


La situation des réfugiés au Kurdistan d’Irak est soumise en partie à la dépendance politique du GRK au reste de l’Irak. L’Irak, en effet, n’est pas signataire de la Convention de 1951 sur les réfugiés et c’est donc le HCR qui est responsable avant tout du traitement et de l’enregistrement des demandes d’asile au Kurdistan d’Irak. Mais la majorité des Iraniens enregistrés en Irak comme réfugiés auprès du HCR l’ont fait de la Région kurde. En octobre 2012, ils étaient environ 9636. La plupart d’entre eux sont kurdes, beaucoup sont là depuis les années 1980.
Un responsable du HCR à Erbil a expliqué aux enquêteurs de HRW que les pays susceptibles d’accueillir ces Iraniens menacés, surtout les pays européens, montraient peu de zèle à le faire, par crainte de problèmes d’intégration dans les pays d’accueil, la conviction que ces Kurdes d’Iran étaient au Kurdistan d’Irak depuis des années et donc bien intégrés, et enfin l’idée largement admise que la Région du Kurdistan d’Irak est sûre et que les demandeurs d’asile ont un accès correct aux services de base. Les Kurdes d’Iran, venus dans les années 1980 qui n’ont jamais été relogés dans des pays tiers, ne sont pas naturalisés citoyens irakiens.
À l’encontre du HCR, les griefs des Kurdes d’Iran portent sur ce même sentiment d’indifférence et le sentiment que les bureaux font peu d’efforts pour leur trouver un pays d’accueil, du fait que le GRK est une zone « sûre ». Beaucoup d’entre eux ont émigré clandestinement en Europe sans attendre que le HCR leur trouve un pays d’asile.
Dans les cinq dernières années, seuls 36 Kurdes d’Iran ont trouvé un pays d’accueil via le HCR, alors que leur nombre ne cesse d’augmenter. 500 se sont enregistrés pour l’année 2007, en octobre 2012, c’est une moyenne de 9 à 10 réfugiés d’Iran qui venaient s’inscrire par semaine.
Le HCR a déclaré à HRW travaillé en bonne tentente avec le GRK et avoir une opinion positive de la façon dont la Région kurde traite les réfugiés et demandeurs d’asile iraniens. Un responsable a indiqué n’avoir pas entendu parler de menaces ou d’expulsions dans la Région, un autre a mentionné certaines fois où des réfugiés étaient menacés d’expulsion en Iran s’ils étaient la cause de « problèmes de sécurité » mais que le HCR est intervenu dans ces affaires et que, ces cinq dernières années, personne n’a été expulsé en Iran pour de tels motifs.
Cependant, des Kurdes d’Iran se sont plaints à HRW d’avoir été « avertis » par des agents de la sécurité kurde ou des Renseignements de s'abstenir d'activités politiques ou de critiquer moins ouvertement l’Iran.
Un demandeur d’asile iranien a, sous couvert d’anonymat, raconté qu’il avait été plusieurs fois « averti » au bureau des résidents et par les Asayish de s’abstenir de dénoncer les manquements aux droits de l’homme en Iran, et qu’un responsable lui avait clairement dit que le GRK « ne sacrifierait pas ses relations avec les Iraniens » même si la sûreté d’un réfugié iranien était en cause. D’autres témoignages confirment cette politique qui visent par des menaces de restrictions dans le droit de circuler ou le statut de résidents, à décourager les demandeurs d’asile de poursuivre leurs activités militantes.
La procédure pour obtenir le droit de résider au GRK est simple : si un réfugié entre au Kurdistan d’Irak, il doit se faire enregistrer d’abord au HCR qui lui délivre une attestation écrite de sa demande. Ensuite il doit se présenter à la police locale pour obtenir un permis de résidence de 10 jours. Puis il doit se rendre à la Direction des Résidents du GRL pour un entretien. S’il obtient une habilitation de sécurité, il aura alors un permis de résider renouvelable tous les 6 mois. S’il y a des problèmes pour obtenir cette habilitation, il reçoit un permis renouvelable tous les mois.
Pour obtenir cette accréditation des autorités, les Kurdes d’Irak demanderaient aux réfugiés des lettres de soutien ou des recommandations de la part de l’opposition iranienne en exil au Kurdistan, ou de partis politiques kurdes irakiens, comme le PDK ou l’UPK. Plusieurs militants répugnent à cette démarche, ne voulant pas être affiliés à un parti.
Sans ce « parrainage » il semble difficile aux réfugiés d’acquérir un permis de résident permanent ou bien il sera considéré comme un simple « travailleur migrant » et ne devra pas s’engager dans une activité politique. Un autre réfugié iranien s’est plaint que son permis de résidence n’ait pas été renouvelé après qu’il a manifesté plusieurs fois contre l’Iran et contre les autorités du GRK et qu’on l’a menacé d’expulsion.
Enfin les réfugiés font état de pressions exercées en Iran contre leur famille une fois que les services iraniens découvrent qu’ils sont au Kurdistan d’Irak. Certains ont même reçu des menaces par téléphone et beaucoup craignent que les services iraniens s’en prennent à eux directement en territoire irakien, mais HRW n’a pas été en mesure de vérifier si ces craintes sont fondées.
HRW a demandé au GRK de lever ces restrictions concernant les militants qui agiraient de façon politique et non violente. Il demande aussi de mettre fin à l’exigence de « garantie » et de « protection  de la part de partis kurdes iraniens en exil ou des partis politiques kurdes en Irak pour accorder aux réfugiés un permis de résidence ou le renouveler. HWR demande à que les restrictions de mouvements et de résidence soient du « cas par cas » et n’aient pour motif que la « santé publique » et la « sécurité nationale ».

Dans ses recommandations aux autres pays susceptible d’accueillir les demandeurs d’asile, à savoir l’UE, le Canada, l’Australie et les USA, il leur est fait savoir que certains réfugiés kurdes d’Iran ne sont pas en mesure de « s’intégrer localement dans le nord de l’Irak » et qu’il faudrait réenvisager leur installation.

Concernant la situation des réfugiés en Turquie, HRW indique que ce pays a refusé la venue, sur son sol, du Dr. Ahmed Shaheem, rapporteur des Nations Unies sur les droits de l’homme en Iran, afin qu’il puisse rencontrer ces demandeurs d’asile. HWR appelle Ankara à lever cette interdiction et à enregistrer et accueillir de façon satisfaisante les réfugiés iraniens.


Les figures illustres de la Mésopotamie



Jeudi 31 janvier à 19 h, Ephrem-Isa Yousif présentera son dernier ouvrage à l' Espace L'Harmattan - 21 bis rue des Ecoles, 75005 Paris. Métro Maubert-Mutualité, ligne 10 -Bus 63, 86, 87.

Soirée suivie d'un cocktail.

vendredi, janvier 18, 2013

La crise irako-kurde toujours dans l'impasse



La crise irako-kurde inquiète de plus en plus les Américains, d’autant que les deux protagonistes soutiennent chacun un camp différent en Syrie, que les deux conflits peuvent facilement s’exacerber l’un et l’autre et que, de l’aveu de l’adjoint du Département d’État, « la région ne peut supporter davantage de conflits ».
Aussi, le 7 décembre, une réunion de crise s’est tenue à Bagdad entre le ministre américain de la Défense, l’adjoint du Département d’État des États-Unis et le Premier Ministre irakien, avec pour thème principal les tensions avec Erbil et la situation en Syrie.
Le 13 décembre, le journal Shafaaq News se fondait sur les révélations d’une source restée anonyme pour confirmer que les États-Unis, ainsi que d’autres pays,  insistaient auprès de Nouri Maliki pour qu’il adoucisse sa position et apaise les tensions avec les Kurdes. Apparemment, le Premier Ministre irakien aurait rejeté toutes les offres de médiation, en répétant qu’il s’agissait d’une affaire « interne ».

Les Kurdes, eux, sont loin de s’opposer à l’arbitrage américain du moment que cela ne remet pas en cause les articles de la Constitution, qu’ils entendent faire respecter avec une résolution adamantine : la question de Kirkouk, le fédéralisme, leur indépendance dans la gestion de leur ressources. Mais les positions sont maintenant si butées de part et d’autre qu’une intervention diplomatique étrangère a l’avantage de réalimenter un certain dialogue. Comme le dit Mahmoud Othman,  à la tête de l'Alliance kurde au parlement irakien, « résoudre la crise entre les gouvernements du centre et de la Région kurde nécessite des efforts de la part de l’étranger, que ce soit des États-Unis, de l’Iran ou d’autres pays. Une solution est trop difficile à trouver en interne. » (Agence de presse nationale irakienne).
De fait, l’Iran, que les États-Unis voudraient tant marginaliser, ne peut être évincé si facilement, que ce soit dans la crise syrienne ou à Bagdad. Les Kurdes le savent et, malgré leur récent rapprochement avec la Turquie, ont toujours fait en sorte de garder de bonnes relations avec ce pays, appliquant, depuis 2003, une attitude de « nous sommes bons voisins avec tout le monde ». C’est ainsi que, toujours d’après Mahmoud Othman, si une délégation kurde s’est réunie, à la fin de cet automne, avec le vice-président irakien chiite Khodaïr Kodhae, Ammar Al-Hakim qui est à la tête du Conseil suprême islamique d’Irak et l’ambassadeur iranien à Bagdad, c’était aux fins de pouvoir mettre sur pied une rencontre directe entre Nouri Maliki et Massoud Barzani, le tout dans une « atmosphère politique apaisé» : «On ne peut résoudre le problème que d’une seule façon, c’est en faisant se rencontrer le Premier Ministe Nouri Maliki et le président kurde Massoud Barzani à la même table ». Comme les deux hommes, anciennement alliés contre Saddam Hussein, sont maintenant à couteaux tirés, le vétéran de la politique kurde reconnaît tout de même qu’une telle rencontre nécessite du temps, de préparer le terrain, et des « pays amis ».
Sur le terrain, les forces irakiennes et kurdes se regardent toujours en chiens de faïence, que ce soit à Kirkouk ou dans la Diyala. Jabbar Yawar, le secrétaire général au ministère des Peshmergas a redit plusieurs fois la détermination des Kurdes à ne pas céder un pouce de terrain aux Irakiens et à ne pas se retirer avant un retrait total des forces envoyées par Bagdad.

Le président du parlement irakien, le sunnite Osama Nujaïfi avait préalablement rencontré à Erbil Massoud Barzani pour discuter précisément des modalités d’un retrait bilatéral de toutes les troupes, mais rien n’a été appliqué  dans les faits.  

Au contraire, la venue de Massoud Barzani à Kirkouk le 10 décembre, et son inspection des troupes kurdes, a fortement irrité Bagdad. Dans son discours aux Peshmergas, le président kurde, portant lui-même la tenue militaire, a parlé de la « tâche sacrée » qui leur incombait, celle de « défendre le futur du peuple du Kurdistan ». Il a aussi insisté sur « l’importance de maintenir la fraternité et la paix et de servir tous les habitants de Kirkouk ».

« Nous sommes contre la guerre et nous n’aimons pas la guerre, mais si nous sommes amenés à faire la guerre, alors tout le peuple kurde est prêt à se battre pour l’identité kurde de Kirkouk. »

Naturellement cette visite a déclenché l’ire du camp Maliki, s’exprimant par la voix de sa coalition, État de droit, dont Yassin Madjid est un des leaders. Selon lui, la revue des troupes des troupes kurdes à Kirkouk, par le président Barzani en uniformes, est une « déclaration de guerre à tous les Irakiens, pas seulement Maliki mais aussi à Talabani »,  et ceci bien que le président irakien se soit, dès le début de la crise, prononcé contre le déploiement des forces Dijla et qu’il ait essuyé pour cela une volée de critiques de la part des politiciens soutenant le Premier Ministre.

Pour Yassin Madjid, cette « provocation » ruine « tous les efforts du président du Parlement Osama Nudjaifi ». Il a même estimé que cette visite était plus « dangereuse encore » que celle du ministre des Affaires étrangères turc, Ahmet Davatoglu, qui s’était rendu à Kirkouk en août dernier, sur invitation des Kurdes, en se passant de l’autorisation de Bagdad. La coalition de Nouri Maliki a qualifié ce geste d’ « escalade » et comme étant la preuve que Massoud Barzani ne recherchait pas l’apaisement des tensions. Il l'a même comparé à Saddam Hussein.

Le vice-président de l’Alliance kurde, Mohsen al-Sadoun, a répliqué en mettant en doute la santé mentale ou les capacités intellectuelles de Yassin Madjid, et a rappelé qu’Ahmet Davutoglu avait obtenu un visa de l’ambassade irakienne à Ankara, et ne se déplaçait donc pas illégalement dans le pays. Il a aussi précisé que la constitution irakienne n’interdisait nullement au président du Kurdistan de se rendre à Kirkouk, tout comme dans le reste des régions disputées, que Massoud Barzani était, de par la constitution kurde, chef des forces des Peshmergas et que c’est en tant que tel qu’il a passé en revue les forces kurdes déployées à Kirkouk.

Apparemment peu impressionné par les accusations de provocation et d’incitation au conflit, Massoud Barzani a, quelques jours plus tard, fait un pas supplémentaire dans les revendications (ou provocations) kurdes sur Kirkouk en ordonnant à son propre cabinet, à ses ministres et à tous les organes du GRK de ne plus utiliser le terme de « régions disputées » pour désigner celles mentionnés dans l’article 140 et de lui substituer celui de « zones kurdes hors de la Région ».

Inévitablement cette initiative s’est attirée une nouvelle condamnation de Nouri Maliki qui l’a qualifiée d’anti-constitutionnelle et a appelé toutes les autorités de l’État à la condamner explicitement. Il y voit une offense à tous ceux qui ont  voté oui à cette constitution en 2005 en oubliant au passage que ce faisant, ils avaient aussi voté oui à l’article 140, ce que ne manquent jamais de rappeler les Kurdes.

Malgré cela, les contacts ne s’interrompent jamais entre Bagdad et Erbil et les annonces qu’un accord pourrait être trouvé ou est sur le point d’être atteint se succèdent, sans effet concret sur le terrain, comme l’a prédit Mahmoud Othman. Le 14 décembre, l’agence Reuters faisait état d’un accord de retrait bilatéral mais progressif des troupes kurdes et irakiennes, déclaration émanant du président irakien Jalal Talabani et non démentie par son Premier Ministre. Ali al-Moussavi, conseiller principal de Nouri Maliki a renchéri sur la possibilité d’une gestion locale des forces de sécurité dans les régions disputées. Cependant aucun calendrier n’a été donné et bien que le GRK ait été cité comme favorable, lui aussi, à une telle solution, Mahmoud Othman, décidément toujours sceptique, a de nouveau exprimé ses doutes, en expliquant que le « problème réside dans les détails. Toute l’affaire dépend de la confiance mutuelle et d’une détermination sincère pour parvenir à une solution, mais malheureusement la confiance mutuelle des deux parties fait ici défaut. »

Selon Mahmoud Othman, si les USA et le reste des puissances occidentales feront tout pour éviter que le conflit ne dégénère en affrontement armé, la Turquie, par contre, peut avoir intérêt à une désintégration de l’Irak qui conduirait à un affaiblissement de Bagdad mais mettrait Erbil un peu plus à la merci d’Ankara. Aussi soutient-il la proposition de Jalal Talabani sur un retrait commun des troupes, même s’il ne s’est guère optimiste sur la suite donnée à l’accord. Par ailleurs, 4 jours plus tard, l’accident cérébral de Jalal Talabani, en plus de mettre probablement fin à sa carrière politique et à sa présidence, pouvait faire craindre que l'on enterre aussi cet accord de retrait.

Début janvier, une délégation militaire kurde avec Jabbar Yawar à sa tête rencontrait à Bagdad de hauts responsables militaires irakiens pour discuter de la crise sur le terrain et d’un possible retrait bilatérale des régions disputées. Mais pour le moment et donnant raison à Mahmoud Othman, aucun accord n’a encore été conclu.

Concert de soutien à l'Institut kurde