dimanche, novembre 25, 2012

Putain de justice !


Peu après arriva un Kurde, marchand de moutons ; il avait vendu ses bêtes à des bouchers qui l'avaient payé en partie et lui devaient encore quelque chose comme mille piastres. S'apprêtant à repartir, il leur avait réclamé cette somme, mais ils s'étaient donné le mot pour le faire lanterner, dans le but de l'estamper. Comme il était pressé de se mettre en route, il avait rédigé un placet et comptait le faire parvenir au roi pour obtenir son dû. Quand il arriva à la porte du conseil, Otmân l'interpella : "Eh l'homme ! Approche un peu." Le Kurde se tourna vers lui.
– Eh ! tu vas où, Dukurdos ? 
– Bâbâ, petit père, moi entrer dedans.
– Ah ouais, et pour quoi faire ? 
– Moi dépose la papière pour une affaire. C'est plainte pour argent récupérère. 
– Non, mais t'es aveugle  ou quoi, qu'la peste t'empoisonne ! C'est pas possible, y comprend rien ! Donne ton papelard, eh cocu !
Il prit le placet, l'ouvrit, regarda ce qui était écrit, le retourna dans sa main en disant : "Hé hé, bien bien… bravo ! ah ! de l'argent… bon, bon… va toujours, ça marche." Puis il lui demanda : 
– Bon alors, cheikh Dukurdos, c'est de quoi qu'tu t'plains, au juste, raconte un peu. 
– Eh bâbâ, c'est écrit dans la papière !
– Ben j'le sais bien, t'as pas vu qu'je viens d'le ligoter ? Raconte quand même, ce s'ra plus clair, mon pote ! 
– Bâbâ, moi venir de Rosette avec grande troupeau moutons et chèvres. Entre à la Caire, vende à groupe de bouchères. Eux payer argente petite à petite, cente bourses. Maintenant reste mille piastres, chacun cinquante-cent, et moi veut rentrère. Je demandère et eux disont : "Attends, maintenant argent il y a pas." Moi attendre je peux pas, alors je venir ici pour réclamer ma droit, comme ça demain je partais.
– Bon, c'est tout, mon pote ? 
– Oui bâbâ.
– Ouais, eh ben, ça peut pas marcher comme ça. J'vais t'indiquer la démarche à suivre. 
– Dis-moi, seigneur, moi veut savoir. 
– Réunis tous les bouchers à qui t'as vendu tes bêtes et rends-leur à chacun son argent ; ensuite, tu porteras une plainte contre tous, en bloc, et ça marchera. 
Way, djâneum !  Qu'est-ce que c'est cette conseil ! Moi je dis mille piastres je pas récupère, comment je récupère cinquante mille ! Djâneum ! Eux mangèrent moi et boire verre d'eau par-dessus ! Pas même récupère mille piastres !
– Comment ? tu discutes ? eh maquereau ! Attrapez-le, les gars !
Les truands empoignèrent le Kurde. "Pitié, djâneum ! criait le malheureux. Quoi j'ai faite ? Pourquoi frappère moi bastonnade ? – Étendez-le", fit Otmân. Il lui administra cent coups de bâton, puis on le releva. "Aboule cent paras ! commanda Otmân. – Djâneum, moi déjà prendre bastonnade, encore payer argente ? – Eh, cocu, c'est l'droit d'enregistrement ! Non mais, tu crois qu'c'est à l'œil, de porter plainte ? T'as déjà vu qu'on entrait au hammam sans payer ?" Le Kurde n'osa piper mot tant il craignait de recevoir une seconde raclée et versa la somme demandée.
 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Concert de soutien à l'Institut kurde