vendredi, mars 23, 2012

Rapport de l'ACAT sur la torture


L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) a publié « Un monde tortionnaire », rapport sur les pratiques de la torture dans plusieurs pays au cours de l’année 2011». Parmi les pays recensés figure la Turquie. Dans le chapitre consacré à ce pays, il est dit d’emblée qu’« une part substantielle des atteintes aux droits de l’homme commises par les autorités turques est liée au conflit politique les opposant, depuis la création de la République, au peuple kurde. » Se fondant sur les chiffres fournis par l’IHD en Turquie, l’ACAT indique qu’après avoir diminué entre 2004 et 2007, « le recours à la torture et aux mauvais traitements a considérablement augmenté à partir de 2008 » et que « les principales victimes de torture et de mauvais traitements sont les Kurdes. »

Les victimes kurdes de la torture appartiennent ou sont soupçonnées d’appartenir à des organisations accusées d’être affiliées au PKK, comme le parti BDP et l’Union des communautés au Kurdistan. Elles peuvent être aussi arrêtées au cours de manifestations. La plupart d’entre elles sont jugées et condamnées en vertu d’articles de la loi antiterroriste, par exemple les articles 220 et 314 du Code pénal à l’encontre des « groupes ayant l’intention de commettre des crimes contre la sûreté de l’État ou contre l’ordre constitutionnel et son fonctionnement, et de la loi sur les manifestations et les rassemblements publics ». Il est souligné aussi que de nombreux mineurs accusés d’avoir jeté des pierres sur les policiers ou d’avoir participé à une manifestation subissent les mêmes sévices que les adultes, même si le 22 juillet 2010, le Parlement a amendé la loi antiterroriste afin que les adolescents de plus de 15 ans ne soient plus poursuivis et condamnés comme des adultes, dans des délits liés au terrorisme.

Un amendement de la loi sur les pouvoirs et obligations de la police datant de juin 2007 permet aux policiers de recourir aux armes à feu lors de la capture d’un suspect ou lorsqu’ils rencontrent une « résistance ne pouvant être contrée par la force physique ». Dans les faits, ces circonstances sont souvent invoquées « de façon extensive à l’encontre des Kurdes ».

Les actes de brutalité sont maintenant fréquemment perpétrés par les forces de l’ordre dans les véhicules ou dans la rue, depuis que des caméras ont été installées dans les centres de détention. Les commissariats où l’on a le plus recours à la torture en Turquie sont ceux des unités anti-terroristes dans les régions kurdes, comme celles de Diyarbakir ou d’Adana. Dans les centres de détention, beaucoup d’actes de torture et de mauvais traitements sont perpétrés par les gendarmes et les gardiens de prison, principalement contre des prisonniers politiques, enfants ou adultes. Les prisons de Kürkçüler et de Ceyhan à Adana, de Diyarbakir, d’Erzurum et de Konya connaissent le plus grand nombre d’exactions.
Les méthodes de torture se sont modifiées avec une baisse des sévices laissant le plus de traces, falaka, électrochocs, pendaison palestiniennes, pour laisser place à des formes de torture moins visibles, comme « les gifles répétées, la mise à nu, la privation de sommeil et de nourriture, l’arrosage avec de l’eau froide, les menaces de viols, les simulacres d’exécution, l’isolement, l’exposition au froid ainsi qu’à une musique forte et à des hurlements. Les mêmes méthodes sont utilisées sur les enfants. » Concernant les Kurdes, il s’agit principalement de leur extorquer des aveux susceptibles de les faire condamner pour terrorisme. Enfin les femmes kurdes qui ont subi des viols en détention choisissent très fréquemment de se taire par peur des représailles de leur propre famille qui pourrait avoir recours au crime d’honneur.

L’ACAT rappelle que « l’article 90 de la Constitution donne valeur de loi aux conventions internationales, notamment à la Convention contre la torture ratifiée en 1988 » et que « en tant que membre du Conseil de l’Europe, la Turquie est liée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par conséquent, elle est justiciable devant la Cour européenne des droits de l’homme et s’est d’ailleurs déjà fait condamner à plusieurs reprises sur le fondement de l’article 3 de la Convention interdisant la torture. »

Dans sa propre constitution, l’État turc condamne la torture et les mauvais traitements. L’article 94 énonce ainsi : « Un agent public qui effectue, envers une personne, n’importe quel acte incompatible avec la dignité humaine et qui cause à cette personne une souffrance physique ou mentale, affecte la perception de la personne ou sa capacité d’agir sur sa volonté ou qui l’insulte, devra être emprisonné pour une durée de trois à douze ans. » Dans le principe, la peine encourue est de huit à quinze ans si la victime est « un enfant, une personne physiquement ou mentalement incapable de se défendre ou une femme enceinte » ou « un fonctionnaire ou un avocat [visé] en raison de ses fonctions. » Si des violences sexuelles sont pratiquées, la peine est au minimum de dix ans. Dans l’article 95, il est prévu qu’en cas de décès de la victime, la peine peut aller jusqu’à la perpétuité.

Mais un rapport du Comité d’enquête sur les droits de l’homme du Parlement turc, montre qu’entre 2003 et 2008, « aucun des 35 procès intentés contre 431 policiers d’Istanbul pour torture ou mauvais traitements n’a débouché sur une condamnation. » Le plus souvent, les agents poursuivis le sont en vertu de l’article 256 du Code pénal, pour « usage excessif de la force » ou pour « coups et blessures volontaires » (article 86), les peines prévues allant d’un an et demi à quatre ans et demi de prison. Par ailleurs, selon l’article 51 du Code pénal, « toute peine de prison de deux ans ou moins peut être commuée en peine avec sursis. » De plus, la majorité des enquêtes sur les cas de torture sont confiées à la police elle-même et non au procureur. Les policiers, en plus d’entraver les enquêtes, ripostent par des plaintes contre leurs victimes pour « résistance aux forces de sécurité » (article 265) ou pour « diffamation contre la police » (article 125).

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