jeudi, juin 16, 2011

Les Petits-Enfants : Salih

En 1994, avant de venir ici, nous nous étions installés à Diyarbakir. On a trouvé sur notre terrain une petite grotte, et en y creusant, des ossements qui en étaient ressortis. Il y avait de tout petits crânes et de tout petits os ; il était évident que ces squelettes avaient appartenus à des corps d'enfants. Mais cette grotte n'était pas une exception dans le village : on trouvait des squelettes partout où l'on creusait. D'ailleurs, la dernière fois que j'ai parlé avec ma grand-mère, elle a confirmé ce témoignage. Elle m'a raconté qu'autour du lac proche du villages, il y avait plusieurs puits où l'on avait jeté des cadavres d'Arméniens démembrés. Ce n'était pas la première fois que j'entendais parler de ces choses. Il ne fait aucun doute que l'on y trouverait sûrement des restes.
(…)
Il y a eu, je crois, une "rébellion arménienne" à Van en 1915, mais je ne sais pas exactement de quoi il s'agit. Il est bien possible, en effet, que les Arméniens aient essayé de riposter, et que quelques musulmans soient alors tombés. Mais, concernant cette région, je sais surtout qu'à Diyarbakir, les Arméniens n'ont jamais tiré un seul coup de feu. J'ai interrogé les anciens de mon village : "Où emmenaient-ils les Arméniens ?" ai-je demandé. "En déportation", m'ont-ils dit ; j'ai insisté : "C'est-à-dire ?" et puis, ils m'ont dit : "En fait, il n'y a pas eu de déportation. Ils ont d'abord rassemblé les hommes, puis les femmes et les enfants. Ils ont emmené les hommes loin du village, derrière la montagne, et ils les ont tous exterminés. Puis, ils ont fait la même chose avec les femmes et les enfants." Comme je vous l'ai déjà dit, il suffit de creuser quelques centimètres dans les terres aux alentours de notre village pour trouver un amas d'ossements.
Personne n'a le droit de remettre en question ces faits. Lorsque j'ai interrogé ces anciens, je leur ai aussi demandé : "Mais qui a massacré les Arméniens ?" Ils ont fini par me répondre : "C'est nous, nos grands-pères les ont exterminés." Car à l'époque, on disait que tuer sept Arméniens garantissait l'entrée au paradis… Ces hommes avaient alors suivi les paroles prêchées par quelques imams, qui ne savaient pas de quoi ils parlaient. Ils n'avaient pas conscience de ce qu'ils faisaient. Aujourd'hui encore, j'aimerais savoir combien de ces paysans savent lire et écrire et quelle conscience ils ont développée…
Mais, ces "grands-pères" étaient aussi intéressés par les biens des Arméniens. Les Arméniens avaient la réputation "d'être riches, d'avoir de l'argent et de l'or". D'ailleurs, les gens continuent encore aujourd'hui à chercher "l'or des Arméniens"… Ah, mon Dieu ! Quel malheur ! De nos jours encore, dans l'esprit de ces gens, "Arménien signifie or" ; cela me peine profondément, vraiment. Ces mots me transpercent le cœur.


Les petits-enfants, Ayşe Gül, Fetiye Çetin.

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