jeudi, juin 30, 2011

Ghazal Sotoudeh : Notes from Afghanistan

Actuellement et jusqu'au 14 juillet, Notes from Afghanistan, exposition des photos de Ghazal Sotoudeh à la Galerie Mourlot de New York, exposition qui tournera peut-être à Londres et Paris.

Né à Téhéran en 1981, d'un père kurde exécuté par le régime des mollahs, ayant fui l'Iran en 1983 dans les bras de sa mère et sur un cheval, ayant grandi à Paris, Ghazal Sotoudeh répond à une interview de Scott Bohlinger sur le site Iranian,com dont je traduis ici des extraits. 

Elle y raconte ainsi comment elle est venue à la photo, en faisant la connaissance de Reza, alors qu'elle travaillait pour un cabinet d'avocat, après avoir étudié le piano, la littérature, la philosophie, et finalement le droit.

Je travaillais comme stagiaire dans un cabinet d'avocat il y a 8 ans. Un jour, j'ai vu un dossier avec le nom de mon père dessus. Cela m'a causé un choc, parce que mon père a été exécuté alors que ma mère et moi fuyions le pays, 2 ans après la révolution. J'avais 3 ans et je ne l'ai jamais connu. C'était très étrange.
Je me retrouvais là, 20 ans après, dans ce cabinet français d'avocats, avec le prénom de mon père dansant sur un dossier jaune. J'ai questionné la secrétaire sur ce dossier et elle a répondu : "Oh, c'est juste un photographe iranien." Et ce fut tout !
Je suis rentrée chez moi et j'ai téléphoné à ma mère pour raconter ce que je pensais être une histoire incroyable : "Hé, tu sais, il y a un photographe avec le nom de Papa et il vit à Paris !" Et alors, elle a dit : "Je pense qu'il était aussi avec nous en prison !" (ma mère était une prisonnière politique sous le régime du Shah, de 1977 à 1979, tandis que mon père a été détenu de 1973 à 1979. Elle avait 17 ans quand elle a été arrêtée).
Je me suis : "La vie est bizarre, comme toujours." Mais là encore, ce fut tout.
Deux mois plus tard, par une journée ensoleillée, je me promenais pas hasard avec mon petit cousin au parc du Luxembourg et je ne savais pas que ce photographe faisait actuellement la clôture de son "exposition itinérante:. J'étais très timide et intimidée, mais je ne pouvais pas prétendre ne pas le connaître. Il était là, à signer des autographes ; je me suis alors approchée et me suis présentée. Je lui ai finalement demandé s'il connaissait mon père. Ses yeux se sont mis à briller et c'est comme ça que j'ai commencé à travailler avec lui.

Questionnée sur sa triple identité, iranienne, kurde, française, et les sentiments que cela lui inspire dans son travail :

Je sens seulement que j'ai de la chance en dépit de toutes les difficultés qu'il y a à concilier tous les fils de ces identités. C'est très difficile de grandir en tant qu'Iranienne à Paris, très difficile d'être considérée comme une Iranienne en Iran… En plus de cela, mon beau-père est kurde, et il a ainsi ajouté à mon identité mêlée de belles histoires venues de son propre bagage culturel. Il m'a fallu quelques efforts pour me sentir bien avec tout ça, mais finalement, je vois combien je suis chanceuse de pouvoir discerner ce qui est bon ou mauvais dans la culture occidentale et non occidentale…
  
Q. Pouvez-vous nous dire comment a évolué votre regard sur les problèmes iraniens et kurdes ?
Les Kurdes, en Iran, ont été, dans le passé, une force incroyable contre les dictatures (celle du Shah et l'actuelle) et ils le sont toujours. Ce qui est intéressant, c'est que c'est la seule minorité "ethnique" dans ce cas-là. Bien sûr, c'est lié à leur situation géographique, totalement écartelée entre cinq pays, et étant capables de nouer des alliances avec les Kurdes de l'autre côté des frontières, ils ont eu un formidable potentiel de déstabilisation du gouvernement central de Téhéran. Même si, parfois, c'est ce combat contre le régime qui a amenés les leaders politiques kurdes à se trouver des amis du mauvais côté, les Kurdes d'Iran ont combattu le régime avec un dévouement incroyable et beaucoup de dignité. Je suis très fière du passé de ma famille, mais je me sens aussi très attristé par la façon dont la politique a détruit chacun de ses membres à jamais, et je ne parle pas seulement des morts.
Mes tantes ont été les premières femmes exécutées en Iran, sur les ordres de Khalkhali. C'étaient des infirmières, pas du tout engagées politiquement, seulement et simplement des infirmières. Je sais que beaucoup de Kurdes d'Iran ont, d'une façon ou d'une autre, les mêmes histoires dans leurs armoires. C'est pourquoi ils restent une force d'opposition importante : parce qu'ils ont eu beaucoup de pertes au combat et qu'ils ne l'ont jamais oublié et ne pourront jamais l'oublier. Un autre point intéressant est que chaque Kurde d'Iran se sent avant tout iranien. Mais cela ne les empêche pas de se battre vraiment pour la préservation de leur héritage culturel, et surtout pour enseigner le kurde à l'école.


L’AKP REMPORTE LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES


Le 3 mars 2011, le parlement turc avait approuvé à l’unanimité la date du 12 juin pour la tenue des élections législatives. L’année dernière, une loi avait été votée qui apportait certaines modifications au dispositif électoral, dans un souci de s’aligner sur les normes européennes : l’âge minimum requis des candidats à la députation est passé de 30 à 25 ans ; les urnes, jusqu’ici en bois, ont été remplacées par des urnes en plastique, transparentes et incassables ; le modèle des bulletins de vote a changé et les enveloppes ont une couleur différente selon le type d’élections. Alors que dans les précédentes campagnes, toutes activités militantes devaient cesser à la nuit, une prolongation de 2 heures après le coucher du soleil a été décrétée.

Une des réformes les plus notables est que l’usage d’une langue autre que le turc n’est plus pénalisé lors des campagnes électorales ce qui, bien sûr, est un geste en direction de l’électorat kurde. La loi prévoit également une peine de 3 à 5 ans de prison pour tout agissement en vue d’empêcher un citoyen de voter mais l’efficacité de cet article et son application réelle dans des régions éloignées des métropoles et en butte aux pouvoirs locaux reste à démontrer.

Le nombre des députés a également été modifié selon les données fournies par le dernier recensement. La mégapole d'Istanbul disposera ainsi de 15 sièges parlementaires supplémentaires, de 3 à Ankara, de 2 à Izmir et d’un député pour les provinces d’Antalya, Diyarbakir, Van et Şirnak.

Sans surprise, le Premier Ministre et son parti, l’AKP, ont remporté une troisième victoire aux législatives, ce qui fait de Recep Tayip Erdogan le premier chef de gouvernement turc à remporter 3 élections parlementaires de suite en augmentant à chaque fois son score. Par ailleurs, le règlement interne de l’AKP limite à trois le nombre de mandats parlementaires à ses membres. Pour 73 d’entre eux, ce sera donc leur dernière victoire électorale.

Quatre partis vont donc siéger à la Grande Assemblée nationale turque : Le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, qui va pouvoir former un nouveau gouvernement en ayant obtenu un peu plus de 50% des voix ; le Parti républicain du peuple (CHP), le Parti du mouvement nationaliste (MHP) et le parti pro-kurde pour la Paix et la démocratie (BDP).

N’ayant pas, cependant, avec 327 députés, obtenu les deux-tiers des sièges qui lui auraient permis de modifier la constitution de 1982 sans référendum, l’AKP manque également à 3 voix près, du nombre de sièges nécessaires pour proposer des changements constitutionnels par référendum il se voit obligé de prévoir de futures alliances parlementaires pour imposer d’autres réformes.

Le second parti au parlement est le CHP, Parti républicain du peuple, dont la ligne oscille entre une gauche laïque et kémaliste et un populisme nationaliste la rapprochant des mouvements d’extrême-droite, surtout sous la direction de son ancien président, le très controversé Deniz Baykal. Avec la nomination à ce poste de Kemal Kılıçdaroğlu, qui a fait campagne sur le thème de « l’ouverture » en direction des Kurdes, le parti remonte à 25.9 % et 135 sièges, tandis que le MHP, parti d’extrême-droite obtient 13%, ce qui lui permet de passer la barre des 10% de voix nécessaires pour siéger au parlement avec 53 sièges.

Ce même seuil empêchant régulièrement les députés des partis pro-kurdes d’obtenir des sièges, cette fois, les candidats du BDP avaient choisi de se présenter en « indépendants » pour ne pas être soumis à cette règle. C’est ainsi que Leyla Zana a effectué son retour en tant que député, vingt ans après son éviction de cet même parlement. Autre fait marquant dans les candidatures pro-BDP : l’élection à Mardin d’Erol Dora, un député chrétien syriaque, le premier élu de sa communauté depuis l’avènement de la république turque.

La représentation féminine est passée de 46 à 78 femmes élues, dont 44 appartiennent à l’AKP, 20 au CHP, 3 au MHP et 11 pour le BDP.

Le bon score du BDP (passé de 20 à 36 sièges), qui aurait pu amorcer un début de dialogue politique autour de la question kurde en Turquie, en lui permettant d’avoir une représentation parlementaire de poids, n’a pas empêché un de ses élus, Hatip Dicle, de voir son élection annulée par décision du Haut Conseil des élections, sous prétexte d’une condamnation antérieure de 20 mois de prison pour « propagande terroriste ».

Hatip Dicle est actuellement en détention préventive pour une autre affaire et cette élection devait lui octroyer une immunité parlementaire. Mais le Haut Conseil des élections a justifié sa décision en arguant que la condamnation avait été maintenue par la Cour d'appel seulement quatre jours avant les élections, après la confirmation des listes de candidats pour le scrutin.

Hatip Dicle, âgé de 57 ans, avait fait partie des premiers élus d’un parti kurde à remporter un siège au parlement, en 1991. Il avait été arrêté en 1994 après l'interdiction de leur parti « pour liens avec le PKK », et a passé 10 ans en prison. En 2010, il a de nouveau été emprisonné, dans le cadre d'une enquête portant sur des « branches urbaines du PKK ».

Son siège, du fait de son statut d’indépendant, n’est pas revenu à un candidat BDP mais à Oya Eronat, de l’AKP. Réagissant rapidement, les élus issus du BDP ont décidé de boycotter le parlement. Par ailleurs, cinq autres élus du BDP sont toujours derrière les barreaux en attente de leur jugement.

Dans le même temps deux députés du CHP, le journaliste Mustafa Balbay et le professeur Mehmet Haberal restent en détention en temps que suspects dans l’affaire Ergenekon, malgré les appels de leur parti à leur libération.

Un député du MHP, le général à la retraite Engin Alan, est de même accusé d’avoir pris part à une tentative de subversion et a été élu alors qu’il est toujours emprisonné.

L’annonce de l’annulation du mandat de Hatip Dicle a déclenché immédiatement une vague de protestations dans les villes kurdes et de l’ouest du pays. Près de 2.000 personnes ont ainsi participé à un sit-in à Diyarbakir. À Istanbul, un millier de manifestants se sont heurtés aux forces de l’ordre.

Le Congrès pour une société démocratique (DTK), plateforme d'associations et de mouvements kurdes, a appelé les 35 élus issus du BDP à boycotter le Parlement :

« Les députés doivent déclarer leur position ouvertement, conformément à leur précédente décision de ne pas aller au Parlement si même un seul d'entre eux est manquant. »

Le président du DTK, Ahmet Türk, a parlé d’une « décision visant à mener la Turquie au chaos (...) pour pousser notre peuple vers un climat de conflit. L'Etat, le gouvernement et la justice essaient de bloquer nos efforts pour créer un socle politique démocratique en vue d'une résolution du conflit kurde, qui dure depuis 1984 en Turquie.» (Agence Anatolie).

Le 23 juin, les 35 élus du BDP annonçaient leur décision de ne pas siéger, tant que Hatip Dicle ne sera pas réintégré dans son mandat : « Nous n'irons pas au Parlement tant que le gouvernement et le Parlement n'auront pas pris de mesures concrètes pour remédier à cette injustice et offrir des opportunités pour une résolution en ouvrant la voie à des politiques démocratiques », a déclaré le député Sefarettin Elçi, lors d’une conférence de presse tenue à Diyarbakir.

Le 26 juin, un tribunal turc rejetait également les demandes de libération de deux députés kurdes élus, Gulser Yildirim et Ibrahim Ayhan, accusés de faire partie de la branche « urbaine » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Sur les trente-six militants kurdes élus aux législatives, trois restent donc emprisonnés, la justice turque refusant d’accorder l’immunité parlementaire en ce qui concerne les accusations de « terrorisme ».

Le 29 juin, la première séance du tout nouveau parlement et le serment des élus ont donc été boycottés à la fois par le CHP et le BDP, les élus kurdes réclamant la libération des députés emprisonnés et la réintégration de Hatip Dicle, tandis que le président du CHP, Kemal Kiliçdaroglu déclarait refuser la prestation de serment tant que deux de ses députés, eux aussi emprisonnés, ne seraient pas à même d’y participer.

Résultats des législatives par parti :
Parti pour la justice et le développement (AKP) : 21 442 528 voix soit 49,83 %, 327 sièges (perd 14 sièges).
Parti républicain du peuple (CHP) : 11 131 371 voix, soit 25,98 %, 135 sièges (gagne 23 sièges)
Parti du Mouvement nationaliste (MHP) : 5 580 415 voix, soit 13,01, 53 sièges (en perd 18).
Indépendants (BDP) : 2,819,917 voix, soit 6.57 %, 35 (36) sièges (gagne 8 sièges).
Résultats dans les provinces à majorité ou forte population kurde:
Provinces remportées par l’AKP :
Gaziantep : 61.85% ; Adiyaman : 67.38% ; Urfa : 64.80% ; Malatya : 68.48% ; Erzincan : 57.39% ; Elazig : 67.35% ; Bingöl : 67.5% ; Agri : 47.54% ; Bitlis : 50.62% ; Siirt : 48.09%.
Provinces remportées par les indépendants issus du BDP :
Diyarbakir : 62.08% ; Mardin : 61.11% ; Şirnak : 72.87% ; Batman : 51.84% ; Van : 49.64% ; Hakkari : 79.87% Muş (44.34 %).
Province remportée par le CHP :
Tunceli : 56.21%.

TURQUIE : L’AKP REMPORTE LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES


Le 3 mars 2011, le parlement turc avait approuvé à l’unanimité la date du 12 juin pour la tenue des élections législatives. L’année dernière, une loi avait été votée qui apportait certaines modifications au dispositif électoral, dans un souci de s’aligner sur les normes européennes : l’âge minimum requis des candidats à la députation est passé de 30 à 25 ans ; les urnes, jusqu’ici en bois, ont été remplacées par des urnes en plastique, transparentes et incassables ; le modèle des bulletins de vote a changé et les enveloppes ont une couleur différente selon le type d’élections. Alors que dans les précédentes campagnes, toutes activités militantes devaient cesser à la nuit, une prolongation de 2 heures après le coucher du soleil a été décrétée.
Une des réformes les plus notables est que l’usage d’une langue autre que le turc n’est plus pénalisé lors des campagnes électorales ce qui, bien sûr, est un geste en direction de l’électorat kurde. La loi prévoit également une peine de 3 à 5 ans de prison pour tout agissement en vue d’empêcher un citoyen de voter mais l’efficacité de cet article et son application réelle dans des régions éloignées des métropoles et en butte aux pouvoirs locaux reste à démontrer.
Le nombre des députés a également été modifié selon les données fournies par le dernier recensement. La mégapole d'Istanbul disposera ainsi de 15 sièges parlementaires supplémentaires, de 3 à Ankara, de 2 à Izmir et d’un député pour les provinces d’Antalya, Diyarbakir, Van et Şirnak.
Sans surprise, le Premier Ministre et son parti, l’AKP, ont remporté une troisième victoire aux législatives, ce qui fait de Recep Tayip Erdogan le premier chef de gouvernement turc à remporter 3 élections parlementaires de suite en augmentant à chaque fois son score. Par ailleurs, le règlement interne de l’AKP limite à trois le nombre de mandats parlementaires à ses membres. Pour 73 d’entre eux, ce sera donc leur dernière victoire électorale.
Quatre partis vont donc siéger à la Grande Assemblée nationale turque : Le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, qui va pouvoir former un nouveau gouvernement en ayant obtenu un peu plus de 50% des voix ; le Parti républicain du peuple (CHP), le Parti du mouvement nationaliste (MHP) et le parti pro-kurde pour la Paix et la démocratie (BDP).
N’ayant pas, cependant, avec 327 députés, obtenu les deux-tiers des sièges qui lui auraient permis de modifier la constitution de 1982 sans référendum, l’AKP manque également à 3 voix près, du nombre de sièges nécessaires pour proposer des changements constitutionnels par référendum il se voit obligé de prévoir de futures alliances parlementaires pour imposer d’autres réformes.
Le second parti au parlement est le CHP, Parti républicain du peuple, dont la ligne oscille entre une gauche laïque et kémaliste et un populisme nationaliste la rapprochant des mouvements d’extrême-droite, surtout sous la direction de son ancien président, le très controversé Deniz Baykal. Avec la nomination à ce poste de Kemal Kılıçdaroğlu, qui a fait campagne sur le thème de « l’ouverture » en direction des Kurdes, le parti remonte à 25.9 % et 135 sièges, tandis que le MHP, parti d’extrême-droite obtient 13%, ce qui lui permet de passer la barre des 10% de voix nécessaires pour siéger au parlement avec 53 sièges.
Ce même seuil empêchant régulièrement les députés des partis pro-kurdes d’obtenir des sièges, cette fois, les candidats du BDP avaient choisi de se présenter en « indépendants » pour ne pas être soumis à cette règle. C’est ainsi que Leyla Zana a effectué son retour en tant que député, vingt ans après son éviction de cet même parlement. Autre fait marquant dans les candidatures pro-BDP : l’élection à Mardin d’Erol Dora, un député chrétien syriaque, le premier élu de sa communauté depuis l’avènement de la république turque.
La représentation féminine est passée de 46 à 78 femmes élues, dont 44 appartiennent à l’AKP, 20 au CHP, 3 au MHP et 11 pour le BDP.
Le bon score du BDP (passé de 20 à 36 sièges), qui aurait pu amorcer un début de dialogue politique autour de la question kurde en Turquie, en lui permettant d’avoir une représentation parlementaire de poids, n’a pas empêché un de ses élus, Hatip Dicle, de voir son élection annulée par décision du Haut Conseil des élections, sous prétexte d’une condamnation antérieure de 20 mois de prison pour « propagande terroriste ».
Hatip Dicle est actuellement en détention préventive pour une autre affaire et cette élection devait lui octroyer une immunité parlementaire. Mais le Haut Conseil des élections a justifié sa décision en arguant que la condamnation avait été maintenue par la Cour d'appel seulement quatre jours avant les élections, après la confirmation des listes de candidats pour le scrutin.
Hatip Dicle, âgé de 57 ans, avait fait partie des premiers élus d’un parti kurde à remporter un siège au parlement, en 1991. Il avait été arrêté en 1994 après l'interdiction de leur parti « pour liens avec le PKK », et a passé 10 ans en prison. En 2010, il a de nouveau été emprisonné, dans le cadre d'une enquête portant sur des « branches urbaines du PKK ».
Son siège, du fait de son statut d’indépendant, n’est pas revenu à un candidat BDP mais à Oya Eronat, de l’AKP. Réagissant rapidement, les élus issus du BDP ont décidé de boycotter le parlement. Par ailleurs, cinq autres élus du BDP sont toujours derrière les barreaux en attente de leur jugement.
Dans le même temps deux députés du CHP, le journaliste Mustafa Balbay et le professeur Mehmet Haberal restent en détention en temps que suspects dans l’affaire Ergenekon, malgré les appels de leur parti à leur libération.
Un député du MHP, le général à la retraite Engin Alan, est de même accusé d’avoir pris part à une tentative de subversion et a été élu alors qu’il est toujours emprisonné.
L’annonce de l’annulation du mandat de Hatip Dicle a déclenché immédiatement une vague de protestations dans les villes kurdes et de l’ouest du pays. Près de 2.000 personnes ont ainsi participé à un sit-in à Diyarbakir. À Istanbul, un millier de manifestants se sont heurtés aux forces de l’ordre.
Le Congrès pour une société démocratique (DTK), plateforme d'associations et de mouvements kurdes, a appelé les 35 élus issus du BDP à boycotter le Parlement :
« Les députés doivent déclarer leur position ouvertement, conformément à leur précédente décision de ne pas aller au Parlement si même un seul d'entre eux est manquant. »
Le président du DTK, Ahmet Türk, a parlé d’une « décision visant à mener la Turquie au chaos (...) pour pousser notre peuple vers un climat de conflit. L'Etat, le gouvernement et la justice essaient de bloquer nos efforts pour créer un socle politique démocratique en vue d'une résolution du conflit kurde, qui dure depuis 1984 en Turquie.» (Agence Anatolie).
Le 23 juin, les 35 élus du BDP annonçaient leur décision de ne pas siéger, tant que Hatip Dicle ne sera pas réintégré dans son mandat : « Nous n'irons pas au Parlement tant que le gouvernement et le Parlement n'auront pas pris de mesures concrètes pour remédier à cette injustice et offrir des opportunités pour une résolution en ouvrant la voie à des politiques démocratiques », a déclaré le député Sefarettin Elçi, lors d’une conférence de presse tenue à Diyarbakir.
Le 26 juin, un tribunal turc rejetait également les demandes de libération de deux députés kurdes élus, Gulser Yildirim et Ibrahim Ayhan, accusés de faire partie de la branche « urbaine » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Sur les trente-six militants kurdes élus aux législatives, trois restent donc emprisonnés, la justice turque refusant d’accorder l’immunité parlementaire en ce qui concerne les accusations de « terrorisme ».
Le 29 juin, la première séance du tout nouveau parlement et le serment des élus ont donc été boycottés à la fois par le CHP et le BDP, les élus kurdes réclamant la libération des députés emprisonnés et la réintégration de Hatip Dicle, tandis que le président du CHP, Kemal Kiliçdaroglu déclarait refuser la prestation de serment tant que deux de ses députés, eux aussi emprisonnés, ne seraient pas à même d’y participer.

Résultats des législatives par parti :
Parti pour la justice et le développement (AKP) : 21 442 528 voix soit 49,83 %, 327 sièges (perd 14 sièges).
Parti républicain du peuple (CHP) : 11 131 371 voix, soit 25,98 %, 135 sièges (gagne 23 sièges)
Parti du Mouvement nationaliste (MHP) : 5 580 415 voix, soit 13,01, 53 sièges (en perd 18).
Indépendants (BDP) : 2,819,917 voix, soit 6.57 %, 35 (36) sièges (gagne 8 sièges).
Résultats dans les provinces à majorité ou forte population kurde:
Provinces remportées par l’AKP :
Gaziantep : 61.85% ; Adiyaman : 67.38% ; Urfa : 64.80% ; Malatya : 68.48% ; Erzincan : 57.39% ; Elazig : 67.35% ; Bingöl : 67.5% ; Agri : 47.54% ; Bitlis : 50.62% ; Siirt : 48.09%.
Provinces remportées par les indépendants issus du BDP :
Diyarbakir : 62.08% ; Mardin : 61.11% ; Şirnak : 72.87% ; Batman : 51.84% ; Van : 49.64% ; Hakkari : 79.87% Muş (44.34 %).
Province remportée par le CHP :
Tunceli : 56.21%.

mercredi, juin 29, 2011

radio : assyriens, gilgamesh

Dimanche à 15 h sur France Culture : L'épopée de Gilgamesh (XVIIIe ou XVIIe s. avant J.C.). Avec Jean Glassner, épigraphiste, spécialiste de l'écriture en Mésopotamie, et Michaël Guichard, assyriologue. Tout un monde, M. H. Fraïssié.

Du mardi 5 juillet au samedi 9 juillet à 0 h00 sur France Culture : Assyriologie. Les rois de Mésopotamie et leurs prophètes. Cours de Jean-Marie Durand au Collège de France. L'Éloge du Savoir.

KURDISTAN D'IRAK : UN ENSEMBLE DE RÉFORMES ADOPTÉES EN RÉPONSE À LA CONTESTATION SOCIALE


Le parlement du Kurdistan vient de voter un ensemble de lois ou d’amendements, dans un climat de contestations politiques et sociales et de demandes de réformes né des manifestations de Suleimanieh au printemps dernier. Parmi les lois nouvellement votées, celle condamnant l’excision a été saluée par de nombreuses ONG, kurdes ou internationales.
Depuis qu’en 2007 et 2008, des enquêtes de terrain, conduites par des équipes allemandes et kurdes (WADI) avaient conclu à un pourcentage de près de 77% d’excision dans certaines régions du Kurdistan d’Irak (principalement celles de Suleimanieh et de Germiyan), de nombreuses campagnes avaient été lancées, avec l’appui du gouvernement de la Région du Kurdistan, pour informer la population des méfaits de cette pratique. Les autorités religieuses locales avaient aussi été fortement incitées à la condamner.
La loi prévoit maintenant des peines d’emprisonnement allant de 3 à 6 ans de prison et une amende d’un million de dinars irakiens pour toute personne incitant à l’excision, ainsi que des peines de 5 à 6 ans de prison et 5 millions de dinars d’amende pour les personnes la pratiquant et 3 ans d’interdiction d’exercer la médecine au cas où du personnel médical serait reconnu coupable.
La même loi interdit dorénavant l’usage de la dot, les mariages forcés, les mariages arrangés lorsque l’âge de la jeune fille et celui du mari sont disproportionnés, ainsi que la prostitution forcée (la légalité même de la prostitution étant débattue au sein des milieux politiques et associatifs kurdes).
Mais si les ONG saluent cette interdiction, son application et son efficacité sur le terrain restent encore à démontrer. Le ministre de la Santé, Taher Hawrami a déclaré que les autorités lanceraient une campagne d’affichage pour informer sur les nouvelles dispositions législatives, en ajoutant que les cercles religieux devaient s’impliquer davantage pour faire reculer l’excision : « Les gens ont besoin d’une meilleure compréhension de la religion pour abandonner cette pratique. »
D’autres questions liées à la situation des femmes et à l’évolution des mœurs restent en suspens, comme la protection sociale des divorcées, souvent sans ressource et dépendant alors totalement de leur famille, comme l’explique Payman Abdul Karim, un député : « Quand une femme est divorcée, elle n’a nulle part où aller et est souvent maltraitée. »
D’autres réformes qui vont être proposées au Parlement sont une réponse assez large aux manifestations du printemps dernier dans la province de Suleimanieh, qui avaient laissé s’exprimer une vague de contestation sociale et politique, parfois meurtrière. Le président Massoud Barzani avait alors promis un ensemble de réformes qui aplaniraient les inégalités sociales et une forme de népotisme reproché à une classe politique trop souvent compromise avec les milieux d’affaires.
Le plan de réformes, prévu pour être mis en place le 15 juillet, va de mesures visant à améliorer la santé publique, l’alimentation, l’énergie, les infrastructures routières, le logement à une plus grande transparence dans les marchés publiques, notamment la vente de terrains à bas prix pour des projets d’investissement : ces terrains acquis à bas prix auraient été détournés de leur destination et revendus avec une plus-value conséquente. Sans attendre ces mesures, le président Barzani, qui supervise les projets agraires a déjà mis fin à 118 contrats et réclame la restitution de plus de 10 000 ares de terres.
Dans un premier temps, ce plan de réformes n’avait semblé être prévu que pour les provinces de Duhok et d’Erbil, ce qui avait suscité des critiques parmi la population de Suleimanieh. Il est possible que l’implantation de telles réformes et la restitution de terres ou de bâtiments soient plus délicate à imposer, de la part de Massoud Barzani, dans une province tenue par l’UPK et où, de surcroît, l’opposition ne porte guère le PDK dans son cœur. Cependant, un représentant de la commission anti-corruption a affirmé que les enquêtes se poursuivaient, et que près de 10 000 ares seraient réclamées dans la province de Suleimanieh. La commission d’enquête doit aussi examiner un projet d’hôtel et un autre concernant un établissement hospitalier, dans la ville même de Suleimanieh. Les directeurs de plusieurs bureaux gouvernementaux de la ville ont confirmé au journal Rudaw qu’ils avaient déjà fait l’objet d’inspection de la part de cette commission. Le chef du département de tourisme de Suleimanieh a indiqué que deux projets avaient déjà été annulés et que 70 étaient actuellement examinés. Pour sa part, Muhammad Hadji, directeur du bureau des contrats de la municipalité de Suleimanieh a fait état de 60 projets « en cours d’examen ». Les projets non avalisés par la commission sont tous annulés.
Des projets pour encourager le tourisme doivent aussi voir le jour. Sur la question de la corruption, une commission parlementaire doit également présenter un projet de loi visant à garantir une plus grande transparence dans les budgets, les marchés publics et la législation.
La mise en place d’un fonds de solidarité sociale voit aussi le jour, visant à assurer la subsistance des chômeurs, des personnes à faible revenu ou bien invalides. Quant au secteur de la Santé publique, il doit faire l’objet d’une profonde réorganisation.
La Justice est aussi un secteur très critiqué par l’opinion publique, qui lui reproche d’être sous l’influence des partis au pouvoir. De nouvelles lois devraient donner plus d’indépendance aux juges et de moyens pour juger les dossiers de corruption.
D’autres mesures semblent plus anecdotiques, mais vont dans le sens d’une plus grande proximité des membres du gouvernement ou du Parlement avec la population. Ainsi, le 14 juin, un décret présidentiel a interdit de rouler dans des véhicules aux vitres teintées et a imposé à tous les membres du gouvernement ainsi qu’aux députés de mettre leurs voitures en conformité avec cette nouvelle réglementation, « afin que tous les passagers d’une voiture soient visibles ». Les responsables et membres des partis politiques ont été également invités à s’y conformer, de même que les simples citoyens, policiers et agents de circulation.

lundi, juin 27, 2011

Parution : Correspondence between Eugenio Pacelli secretary of state and Angelo Giuseppe Roncalli apostolic delegate to Turkey , (1935-1939)



Extraits :


Angelo Giuseppe Roncalli, Apostolic Delegate to Turkey

La nomination de Mgr  Angelo Giuseppe Roncalli comme nonce apostolique  de Turquie en 1935 ouvrit une phase nouvelle dans les relations entre le Saint-Siège et Ankara.  Il avait régi sa vie au principe de l'adaptation  et avait déjà écrit, en 1933, que l'évangélisation n'était pas permise en Turquie, mais qu'il était seulement possible d'y défendre l'ordre existant. Il avait donc appliqué ces principes au pays anatolien.

J'ai consulté des documents très sensibles, allant des années 1920 aux années 1930, dans les Archives secrètes du Vatican (Archivio Segreto Vaticano, ASV) et de la Congrégation des Églises orientales (Archivio della Congregazione per le Chiese Orientali, ACO), qui avait reçu un mandat papal pour être au contact des églises catholiques orientales afin qu'elles puissent perpétrer leur héritage et leurs traditions. 
D'autres documents, datant des années 1930 et 1940, ont été trouvés aux Archives historiques du Ministère des Affaires étrangères (Archivio Storico del Ministero degli Affari Esteri, ASMAE) à Rome. Ces documents montrent comment Mgr Angelo Giuseppe Roncalli, qui devait plus tard devenir le pape Jean XXIII, voyait la Turquie et son gouvernement, l'Anatolie orientale, ses populations chrétiennes et kurdes, et comment il offrit une aide humanitaire à la Grèce en 1941-1942. Son but était d'améliorer les relations avec Ankara et sa position était semblable à celle des autres diplomates européens : ils étaient prêts à soutenir la politique de Kemal Atatürk comme un moyen de moderniser la Turquie.


(…)

Les Assyro-Chaldéens, les Kurdes, Roncalli and Pacelli

La géographie a joué un rôle déterminant dans l'histoire du Kurdistan et du nord de la Mésopotamie.  C'était une zone-tampon entre l'empire romano-byzantin et l'empire perse. À l'époque moderne, elle a fait partie de l'empire ottoman. Après 1918, elle fut partagée entre la Turquie, la Syrie et l'Irak. Dans la période entre les deux guerres mondiales, la région kurde vécut des années d'incertitude. Durant ces deux décennies, des milliers d'Assyro-Chaldéens et de Kurdes transitèrent par le Kurdistan de Turquie, cherchant à sauver leur vie en se réfugiant en Syrie, alors sous mandat français, et en Irak, alors sous mandat britannique. De nouveaux États furent créés, les nationalismes turc et arabe furent insaurés, et les communautés les plus faibles durent trouver leurs propres stratégies de survie. 
Là encore, j'ai consulté des documents très sensibles, datant des années 1920-1930, dans les archives du Vatican,  sur la présence de réfugiés chrétiens et kurdes dans la région syrienne de la Jazirah, alors sous mandat français, et à Zakho, au nord de l'Irak, alors sous mandat britannique. Les documents d'archives nécessitent une analyse minutieuse, car ils doivent être replacés dans un contexte historique assez large, et une analyse hâtive peut être réfutée ou interprétée dans un sens différent par des documents postérieurs. La plupart des documents examinés comprend des lettres et des rapports émanant de prêtres et d'évêques qui décrivent la situation de détresse des chrétiens d'Anatolie, surtout ceux des régions de Seert (auj. Siirt), Mardin, Jazira Ibn Omar (auj. Cizre) et leurs problèmes d'intégration dans les régions où ils avaient trouvé refuge, surtout à Jazirah, en Syrie, et à Zakho, en Irak.
Les familles étaient séparées et dispersées dans les États nouvellement formés. Souvent, on manquait de prêtres, car ils avaient été tués durant les massacres de 1915-1917. Les dirigeants des églises vivaient au loin, le patriarche chaldéen entre Mossoul et Bagdad en Irak, le nonce apostolique auprès de la Syrie était à Beyrouth et celui de la Turquie à Istanbul. Durant ces deux décennies, les différents bureaux de la hiérarchie ecclésiastique furent réorganisés en fonction de la nouvelle situation géo-politique.
Il est important de souligner que durant les années 1930, le nord de la Mésopotamie se caractérisait par une instabilité, des troubles, des massacres et une situation incertaine. Il y avait d'énormes problèmes dans les communications, comme l'atteste cette dénonciation d'un ordre de déportation des habitants de Mardin, envoyée par Israël Audo, le 6 juillet 1934, au patriarche chaldéen de Babylone, Emmanuel II Thomas, en Irak. Cette même dénonciation fut envoyée le 23 juillet 1934 au cardinal Luigi Sincero, secrétaire de la Congrégation des églises orientales. En raison de son importance, je retranscris ici un large extrait de ce document :
“Au PATRIARCHE CHALDEEN Mardin le 16 Juillet 1934
Béatitude,
j’avais déjà eu l’honneur d’informer Votre Béatitude que depuis quelques années le gouvernement d’Ankara avait émis le projet d’échanger les habitants de Mardin, musulmans et chrétiens, contre des émigrés turcs des Balkans. Le dit projet qui était en puissance passa ces jours-ci en acte; il fut confirmé par le Parlement national et bientôt on le mettra en exécution. 
Chaque année, dit-on, on fera émigrer une partie des habitants de Mardin et ses alentours et cet échange finira, dit-on, dans dix ou quinze ans, en fin de quoi ces pays deviendront absolutement et purement turcs et pas une personne indigène, dit-on, n’y restera. Il est dit aussi qu’il ne sera pas permis aux émigrés de se cantonner ensemble, mais à chaque personne ou à chaque famille on assignera une place à part qu’il ne lui sera pas permis de quitter. Il est dit aussi qu’on a déjà désigné le pays de Thrace près de la Bulgarie pour les habitants de Mardin où ils seront dispersés sans qu’il leur soit permis de se réunir.
Cette triste nouvelle trouble fortement tous les habitants musulmans et chrétiens et leur jeta dans le désespoir. 
Jusqu’à la fin de Mai on payait une livre et demie pour avoir un passeport; mais depuis le 25 Mai on est obligé de payer 25 livres, de plus les routes qui étaient jusqu’alors ouvertes deviennent de plus en plus difficiles et on dit qu’au commencement de l’émigration elles seront complètement fermées pour que personne ne puisse échapper.
A la fin de ce mois aura lieu l’émigration des Kurdes; on commencera par les plus influentes, les bandits, les riches et surtout les chefs; on dit qu’on fera émigrer tout d’abord mille familles de Mardin, dont 700 musulmans et 300 chrétiennes. 
A l’intérieur de Mardin, il y a 300 familles Jacobites et 180 familles de tous les rites catholiques, car celles-ci diminuent de jour en jour par leur fuite ailleurs, vu le manque de gain et les taxes exorbitantes; celles qui restent désirent ardemment s’échapper, mais elles ne le peuvent.
Quant aux catholiques de Diarbekir ils ne dépassent pas le nombre de 60 familles avec un seul prêtre du rite chaldéen; les arméniens schismatiques comptent 150 familles et les Jacobites 120 familles chassées de leurs villages. 
De notre communauté chaldéenne à Mardin, il n’en reste que 18 familles de sort que je puis dire que notre communauté chaldéenne de Mardin est perdue; nous en avons à Mediath et Karfajorh 150 personnes qui sont également effrayées de ces tristes nouvelles et cherchent à s’évader et j’espère qu’elles y arriveront.
J’ai envoyé à Hessetché 4 caisses de livres et si elles y arriveront en bon état j’en enverrai d’autres; je ferai de même des objets de l’église si l’occasion me le permet, car je crois que ce n’est plus possible et nous sommes ici comme des voyageurs obligés d’abandonner bientôt les églises et ses legs dont la reprise me coûta bien des dépenses et des fatigues.
Le clergé est très troublé, il craint beaucoup, car on le compte parmi le riches, mais en réalité il n’a rien; il cherche à s’enfuir s’il lui est possible, mais il rencontre des grosses difficultés; si par exemple on fait émigrer prochainement les prêtres, ce sera chacun à part, sans qu’ils puissent se voir, ni s’entr’aider, ni s’encourager; ils ne pourront non plus secourir une âme chrétienne puisque ils en seront bien loins; ainsi chaque prêtre et chaque fidèle mourra tout seul de faim et de misère, privé également de tout secours spirituel et matériel.
Quant aux veuves et pauvres qui restent chez nous (car j’en ai fait partir un grand nombre, de temps à autre, à mes frais) je ferai tout mon possible pour les sauver.
[…]
sign. Israel Audo
Eveque de Mardin”10.
Mirella Galletti, "Correspondence between Eugenio Pacelli  secretary of state and Angelo Giuseppe Roncalli  apostolic delegate to Turkey , (1935-1939)" ; in 


Studi sull' Oriente Cristiano, 15/1 Rome, 2011. (commande des numéros directement au site de  l'Academia Angelica Costantiniana).





samedi, juin 25, 2011

Nuit des Veilleurs



Parmi les 10 'cibles' de cette Nuit des Veilleurs,

"Zeinab Jalalian, une jeune militante kurde de 27 ans condamnée à mort en Iran, transférée depuis mars 2010 à la section 209 de la prison d’Evin à Téhéran. Ce transfert peut être le signe que son exécution est imminente dans un contexte où la répression s’accentue sur la minorité kurde, et où plusieurs iraniens kurdes, dont une femme, ont été exécutés depuis 2008 pour appartenance au Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK).
Zeinab Jalalian a été arrêtée, soupçonnée de participer aux activités du PJAK. Torturée pendant huit mois, les autorités lui ont refusé l’accès à un médecin et le droit de voir sa famille. En janvier 2009, un tribunal révolutionnaire a condamné Zeinab Jalalian à la peine de mort par pendaison pour « inimitié à l’égard de Dieu » (Mohareb baa Khoda), en vertu de l’article 183 du Code pénal iranien. Le procès de Zeinab Jalalian n’a duré que quelques minutes et s’est déroulé sans la présence d’un avocat. Sa condamnation à mort a été confirmée par la Cour suprême iranienne le 26 novembre 2009.
Zeinab est toujours en détention, dans l’attente de son exécution."

et les autres sont aussi là (dont deux dans notre 'Patrie des droits de l'Homme' tout de même) et les 'cibles' antérieures, dont Ridvan Kizin de Bingöl, et plein de gens encore…

jeudi, juin 23, 2011

La Société romaine : Vie de Trimalcion

Mais d'où sort-il, ce petit esclave qui devait aller si loin ? Transporté d'Asie à Rome, il est mis en vente au marché, une pancarte autour du cou (20,3). Comment est-il tombé en esclavage, et quels souvenirs a-t-il gardé de ses parents, de sa patrie ? Dans le récit qu'il fait de sa vie, il n'en dit rien et ne semble pas s'y intéresser. La transplantation doit être pour beaucoup dans cette perte de mémoire. Il y a là quelque chose de très vrai, qui a été souvent observé, au siècle dernier, chez les Noirs transportés en Amérique ; déracinée du présent, l'Afrique devenait rapidement pour eux un souvenir mort ; la destruction de leur passé faisait d'eux des atomes sans personnalité sociale, prêt à une nouvelle existence.
Paul Veyne, La Société romaine, 1, Vie de Trimalcion.

Se penchant sur le fameux affranchi richissime du roman de Pétrone, Le Satyricon, Paul Veyne met en lumière la finesse psychologique de l'auteur, concernant la façon dont Trimalcion se représente lui-même, et se montre à ses pairs. Ce passage sur l'amnésie des origines est à relier, singulièrement, avec ces enfants arméniens ou syriaques, rescapés du génocide, élevés par des familles musulmanes, épousant tout à fait la condition de jeunes esclaves antiques, en devenant, presque ou totalement, des enfants de la maison (souvent aussi pueri delicati chez les Romains, mais ce genre de pratique devait aussi exister, quoique de façon moins avouée, dans le secret des alcôves ou des tentes). 

En tout cas, cette remarque : la destruction de leur passé faisait d'eux des atomes sans personnalité sociale, prêt à une nouvelle existence, peut expliquer aussi le silence sur les origines, ou cette absence d'intérêt, difficile à comprendre pour leurs descendants, et aussi, ce qui a été souvent relevé dans Les Petits-Enfants, ce zèle pieux de musulmans convertis, totalement refondus dans le moule des familles d'accueil.

mercredi, juin 22, 2011

Voyage en Arménie : Alaguez

Pas encore trouvé quel est ce tombeau de géant kurde…

"J'ai vu le tombeau du géant kurde aux dimensions prodigieuses et l'ai accepté comme un dû.
De ses sabots le petit cheval de tête battait des roubles et sa prodigalité était sans limite.
Dans l'arçon de ma selle brinquebalait une poule non plumée, égorgée le matin même à Byourakan.
Parfois, le cheval se courbait vers l'herbe, et son encolure exprimait la soumission des obstinés, un peuple plus ancien que les Romains.
Vint un apaisement laiteux. Le petit-lait du calme se coagulait. Les clochettes caséeuses et les  grelots de canneberge de divers calibres marmottaient et résonnaient. Près de chaque enclos se tenait un meeting de brebis astrakanes. Il semblait que des dizaines de petits forains avaient disséminé leurs tentes et leurs baraques sur la hauteur pouilleuse, et pris de court par un gain brut, surpris à l'improviste, s'agitaient dans leurs abris, faisaient tinter les seaux à traire et se fourraient dans le bercail aux agneaux, se dépêchant de les boucler pour la nuit dans leur royaume, partageant d'un aboiement les têtes de bétail fatigué, fumant et suant.
Les campements arméniens et kurdes ne se distinguent en rien d'après les ornements. Ce sont des camps sédentaires d'éleveurs de bétail sur les terrasses d el'Alaguez, des haltes de campagnes, éparpillés en des endroits où l'envie vient de s'arrêter.
Des bordures de pierre délimitent le plan du foyer et de sa petite cour attenante, avec une clôture de bouse. Les campements délaissés ou inoccupés ressemblent à des décombres d'incendie."
Ossip Mandelstam, Voyage en Arménie.


radio : assyro-chaldéens, rois de mésopotamie

Dimanche 26 juin à 8 h 00 sur France Culture : Les Assyro-Chaldéens en France, avec Joseph Alichoran, journaliste et historien. Foi et Tradition, Sébastien de Courtois.

Du dimanche 26 au samedi 2 juillet à 0 h00 sur France Culture : Assyriologie. Les rois de Mésopotamie et leurs prophètes. Cours de Jean-Marie Durand au Collège de France. L'Éloge du Savoir.

lundi, juin 20, 2011

Ilana Eliya



"Il s’agit d’une des des voix les plus extraordinaires de la chanson en Israël. Une voix qui nous ouvre une vers le vaste monde. Il n’y a là nulle tricherie. La caisse de résonance corporelle, les nuances vocales les plus fines, les points où la voix se constitue, tout cela n’est pas de la technique : sa dispersion, son orientation, ont comme source la grandeur de l’âme qui est derrière… une “grande” voix est toujours individuelle, pleine d’audace et manifestant sa spécificité.
Ilana Eliya est née dans un quartier populaire de Jérusalem, d'une famille kurde venue en Israël en 1952.
Son père, chantre de synagogue, a systématiquement  préservé et pratiqué les chants liturgiques judéo-kurdes, créant dans sa propre maison une sorte de réserve naturelle inviolable de traditions musicales. Il a aussi gardé, par le truchement de la radio, un lien avec la musique du Kurdistan.
Eliya, dès l’enfance, a appris de son père à chanter des chansons kurdes. Sa mère a tenu, malgré la situation matérielle de la famille, à assurer à sa fille des cours de guitare classique et de chant. Sa voix gagna en puissance et en souplesse. Elle ne pouvait toutefois pas chanter du vivant de son père, pour des raisons liées aux moeurs du milieu kurde. Elle a ensuite gagné sa vie en travaillant dans une banque et bien peu de gens étaient au courant du potentiel de son talent musical. Eliya n’a commencé à chanter en public qu’après la mort de son père, il y a huit ans. Une sorte d’hommage à son père après sa disparition et de reconnaissance envers son œuvre de conservation du patrimoine musical traditionnel.
Aujourd’hui, la voix d’Eliya recèle en elle le grand silence qu’elle s’est imposée du vivant de son père, sorte de sacrifice librement consenti, qui s’exprime, dès lors, dans sa voix, comme une souffrance métamorphosée en acquis esthétique. Cette voix n’est ni aigüe, ni transparente. Elle est véritablement forte, présente, ronde et chaude… une entité en soi possédant volume et profondeur… Eliya n’est pas toute jeune, mais sa voix est lisse et brillante comme celle d’une fillette, elle s’entend comme un surgissement du dedans de l’âme vers le monde extérieur. Malgré la technique occidentale, sa présence vocale est tout à fait orientale. En quoi sa voix est-elle orientale? À la fois physique et mentale, elle émerge du point de rencontre entre la voix de tête et la voix de poitrine, de sorte qu’on entend toujours son enracinement dans tout le corps, depuis la gorge jusqu’à la moindre fibre. En outre la voix est dépourvue de tout vibrato, elle est lisse comme du marbre poli, et seules des trilles viennent l’onduler.
Eliya chante des chants kurdes, les uns hérités du patrimoine paternel, les autres rassemblés par elle-même ces dernières années : chants d’amour, chants montagnards et de bergers, chants élégiaques étonnants, enfin, composés ces derniers temps à la suite de l’écrasement de la résistance kurde par les forces de Sadam Hussein. Les chants kurdes ont une mélodie riche, plus proche de la mélodie occidentale, fermée et symétrique, que de l’allure rhamsodique de la musique arabe.
L’orchestre qui l’accompagne est mixte et comprend des instruments traditionnels kurdes et des instruments occidentaux, créant ainsi une tension entre une base traditionnelle profonde et des éléments tout à fait actuels. La musique d’Ilana Eliya évoque un univers de montagnes, elle s’ouvre grandement sur la nature, elle est comme un cri qui attend une réponse, un écho que lui enverraient, dans le lointain, les falaises escarpées et les espaces infinis. Elle vit la réalité de là-bas intensément et on peut se demander si cette musique est bien israélienne. Or, cette voix est née ici et elle s’adresse aux gens d’ici. Il n’y a pas d’”ici” plus fort que celui qui contient également un “là-bas” puissant. En l’occurrence, dans la gorge d’Ilana s’ouvre un “là -bas” qui s’offre au présent d’ici. Ainsi Israël peut être perçu, grâce à cette voix, comme un lieu d’Orient placé sur une ligne continue reliant l’Orient antique et l’Occident actuel.

Dr. Ariel Hirschfeld, “Haaretz” 21-3-1997
Professeur de Litterature et Critique d’art.

Ilana Eliya en concert.

Les recherches archéologiques récentes dans la région d'Erbil


Samedi 25 juillet à 16 h 00, Olivier ROUAULT, professeur d’Archéologie du Proche-Orient ancien - Université Lumière Lyon II, directeur de la Mission Archéologique Française à Erbil, Région autonome du Kurdistan d’Irak



Présentera 

Les recherches archéologiques récentes
dans la région d’Erbil : 


Institut kurde de Paris, 106 rue Lafayette, Paris.

vendredi, juin 17, 2011

les Petits-Enfants : Ali

Il y avait également des juifs à Urfa. Dans les années 1940, ils ont été obligés de partir de la ville à la suite d'un meurtre collectif. Cette histoire nous apprend également beaucoup de choses : dans les années 1940 à Urfa, une famille juive convertie à l'islam, comptant sept personnes – dont une femme enceinte et un nourrisson –, a été assassinée. Les responsables de l'enquête sont allés, en premier lieu, à la synagogue pour interroger le rabbin et son assistant. Mais les enquêteurs leur ont fait subir d'horribles tortures pendant des mois, le temps que la rumeur de leur culpabilité se répande dans toute la ville ; on disait qu'ils avaient assassiné cette famille parce qu'elle s'était convertie à l'islam. Aucun verdict juridique n'a été rendu, mais ils avaient clairement été montrés du doigt comme les coupables de cette affaire. C'est pourquoi les derniers juifs d'Urfa quitteront la ville pendant les années 1940. Ils iront en Syrie puis à Beyrouth avant de s'installer finalement en Israël.
Quelques juifs reviennent chaque année à Urfa et se rendent sur les lieux du meurtre pour une commémoration. Cet endroit se trouve dans le quartier de Harran Kapı. Quand les juifs ont fuit Urfa, les musulmans se sont partagés leurs maisons, leurs boutiques et les biens qu'ils avaient laissés derrière eux. Ils ont même scindé leur synagogue en plusieurs partie pour aménager des logements. 
Il y a un très grand han à Urfa, le "Han de la Nation". On le fait actuellement restaurer. Parce qu'il est très grand, il aurait servi à rassembler les Arméniens pendant la déportation… C'est aussi pour cela qu'on l'aurait appelé le "Han de la Nation".
Le quartier des Arméniens d'Urfa a surtout été saccagé à la suite du coup d'État du 12 septembre 1980, jusqu'au secteur de Balıklıgöl. Les autorités ont prétexté que la circulation entre Balıklıgöl et les autres extrémités de la ville étaient très mauvaise, et qu'il était nécessaire de percer une nouvelle route. Ainsi, le vieux quartier arménien a complètement été détruit. Il n'y a même plus de cimetière. Leurs maisons étaient aussi belles que celles que l'on peut voir à Mardin. On a détruit en une nuit des habitations qui avaient une valeur culturelle très importante. Aujourd'hui, cette route s'appelle "avenue du 12 septembre". Elle est aussi sombre que son nom. Les maisons qui s'y trouvent ne sont même pas terminées, et d'autres sont à moitié délabrées. Il y a également un grand terrain vague qui est présenté sous un projet "d'aménagement de la ville". Il n'y a vraiment pas de quoi être fiers.
À Urfa, il y a une grande cathédrale. Dans les années 1940 et 1950, on y a installé le générateur électrique de la ville. Lorsque, dans les années 1990, des travaux de construction ont été entamés pour la transformer en mosquée, de vives protestations de sont soulevées. Sur quoi, le préfet de la région a proposé aux contestataires de lancer une pétition, indiquant leurs noms, adresses, signatures… Bien sûr, personne n'a voulu le faire. Je crois que cela s'est passé en 1994. Ils n'ont pu arrêter que la construction du minaret. Aujourd'hui, le minaret n'est toujours qu'à moitié édifié, mais la cathédrale est malgré tout utilisée comme une mosquée.
Un peu plus tard, un coin de la cathédrale a été arrangé pour servir de teinturerie. Puis, une école primaire a été aménagée dans un autre coin. Cette école s'appelle "l'école du Martyr Nusret". La revanche se prend aussi en rebaptisant les lieux, pas seulement en les détruisant. En effet, le Martyr Nusret était le sous-préfet de la ville en 1915 et il a pris part activement au génocide. Il a ensuite été jugé puis exécuté. Mais quelques années plus tard, il sera considéré comme un martyr, comme un héros, par certains musulmans. Il y a donc à Urfa une école qui porte son nom.
(…)
Mon père est kurde, il dit : "Il y a encore cent ou cent cinquante ans, nous étions yezidis."Après le 12 septembre 1980, une mosquée a été construite de force dans son village natal ; les années 1980 ont été une période d'"islamisation".


Les petits-enfants, Ayşe Gül, Fetiye Çetin.

jeudi, juin 16, 2011

TV, radio : petites mains de téhéran, trafic d'art, torture, assyriologie

TV

Samedi 18 juin à 19 h 15 sur ARTE : Les Petites Mains de Téhéran, reportage d'Alex Gohari, Fr, 2011.

Lundi 20 juin à 22 h 15 sur Canal + : Trafic d'art : Le trésor de guerre du terrorisme, Romain Bolzinger, Fr, 2011. Spécial Investigation.

Vendredi 24 juin à 23 h 00 sur ARTE : Sous la main de l'autre, documentaire de Vincent Detours et Dominique Henry, 2011.

Radio

Samedi 25 juin à 0 h00 sur France Culture : Collège de France - Assyriologie. Les rois de Mésopotamie et leurs prophètes. Cours de Jean-Marie Durand, L'Éloge du Savoir.

Les Petits-Enfants : Salih

En 1994, avant de venir ici, nous nous étions installés à Diyarbakir. On a trouvé sur notre terrain une petite grotte, et en y creusant, des ossements qui en étaient ressortis. Il y avait de tout petits crânes et de tout petits os ; il était évident que ces squelettes avaient appartenus à des corps d'enfants. Mais cette grotte n'était pas une exception dans le village : on trouvait des squelettes partout où l'on creusait. D'ailleurs, la dernière fois que j'ai parlé avec ma grand-mère, elle a confirmé ce témoignage. Elle m'a raconté qu'autour du lac proche du villages, il y avait plusieurs puits où l'on avait jeté des cadavres d'Arméniens démembrés. Ce n'était pas la première fois que j'entendais parler de ces choses. Il ne fait aucun doute que l'on y trouverait sûrement des restes.
(…)
Il y a eu, je crois, une "rébellion arménienne" à Van en 1915, mais je ne sais pas exactement de quoi il s'agit. Il est bien possible, en effet, que les Arméniens aient essayé de riposter, et que quelques musulmans soient alors tombés. Mais, concernant cette région, je sais surtout qu'à Diyarbakir, les Arméniens n'ont jamais tiré un seul coup de feu. J'ai interrogé les anciens de mon village : "Où emmenaient-ils les Arméniens ?" ai-je demandé. "En déportation", m'ont-ils dit ; j'ai insisté : "C'est-à-dire ?" et puis, ils m'ont dit : "En fait, il n'y a pas eu de déportation. Ils ont d'abord rassemblé les hommes, puis les femmes et les enfants. Ils ont emmené les hommes loin du village, derrière la montagne, et ils les ont tous exterminés. Puis, ils ont fait la même chose avec les femmes et les enfants." Comme je vous l'ai déjà dit, il suffit de creuser quelques centimètres dans les terres aux alentours de notre village pour trouver un amas d'ossements.
Personne n'a le droit de remettre en question ces faits. Lorsque j'ai interrogé ces anciens, je leur ai aussi demandé : "Mais qui a massacré les Arméniens ?" Ils ont fini par me répondre : "C'est nous, nos grands-pères les ont exterminés." Car à l'époque, on disait que tuer sept Arméniens garantissait l'entrée au paradis… Ces hommes avaient alors suivi les paroles prêchées par quelques imams, qui ne savaient pas de quoi ils parlaient. Ils n'avaient pas conscience de ce qu'ils faisaient. Aujourd'hui encore, j'aimerais savoir combien de ces paysans savent lire et écrire et quelle conscience ils ont développée…
Mais, ces "grands-pères" étaient aussi intéressés par les biens des Arméniens. Les Arméniens avaient la réputation "d'être riches, d'avoir de l'argent et de l'or". D'ailleurs, les gens continuent encore aujourd'hui à chercher "l'or des Arméniens"… Ah, mon Dieu ! Quel malheur ! De nos jours encore, dans l'esprit de ces gens, "Arménien signifie or" ; cela me peine profondément, vraiment. Ces mots me transpercent le cœur.


Les petits-enfants, Ayşe Gül, Fetiye Çetin.

mercredi, juin 15, 2011

Les Petits-Enfants : Qesra Kişo Özemli

Au XIXe siècle, la population de la ville de Malazgirt était, à peu près, à moitié arménienne et à moitié kurde. Et bien sûr, des intrigues se tissaient entre les jeunes gens issus de ces deux peuples. D'après ce que racontent les anciens du village, ma grand-mère est tombée sous le charme de mon grand-père, qui éprouvait des sentiments réciproques à son égard. Mais elle était arménienne chrétienne et lui kurde musulman. Il avaient une divergence fondamentale, qui était exacerbée par le fait que mon grand-père était étudiant en théologie dans une medrese. Mais leurs sentiments étaient si forts qu'un jour, mon grand-père lui aurait dit : "Si tu deviens musulmane, je t'épouserai." Pourtant, mon grand-père était déjà marié et avait un enfant. Mais en voyant que ses sentiments continuaient à croître, il a finalement décidé de se séparer de sa femme. Divorcer, à cette époque-là, était très simple au regard des lois religieuses : il suffisait que le mari ordonne à sa femme de retourner dans la maison de son père pour qu'elle s'exécute et que la séparation soit effectuée.
Je ne l'ai peut-être pas mentionné plus haut, mais ma grand-mère était aussi une très belle jeune femme. Ils ont donc convenu du mariage et ont prêté serment devant un imam. Ma grand-mère, sous un quelconque prétexte, a emmené avec elle dans sa nouvelle demeure trois ou quatre jeunes filles arméniennes pour lui tenir compagnie ; ces dernières finiront par se marier avec d'autres feqi de la medrese au début du XXe siècle. Tout cela s'est passé, bien sûr, avant les événements de 1915.
(…)
Après les événements de 1915, de riches familles kurdes de Malazgirt ont couvert et protégé beaucoup d'enfants arméniens, comme ma grand-mère par exemple – mais je connais personnellement encore d'autres personnes dans ce cas. Mais ils avaient des prénoms musulmans, ils s'étaient aussi convertis. Bien sûr, les recherches sur leur identité ont été, jusqu'à ces dernières années, très difficiles. Certaines personnes sont même venues me voir : souvent, il suffisait que je commence à dire que j'avais des origines arméniennes pour qu'elles engagent la conversation sur leurs propres origines arméniennes. Depuis quelques temps, ces mêmes familles se posent la question de leurs ascendances et souvent se lancent dans des recherches sur leurs racines familiales.
(…)
Personnellement, je me considère comme kurde. Quant à la religion, je ne suis attaché à aucune confession arménienne en particulier : je ne me sens pas plus proche des grégoriens que des catholiques ou des protestants. Cependant, j'ai fait la paix avec l'islam. Autrement dit, je fais le jeûne et me rends  à la mosquée pour la prière du vendredi, mais je refuse d'appartenir à une tendance en particulier. Mon père m'a légué sa foi. Il était très croyant. Avant de mourir, il m'a fait promettre d'aller prier chaque vendredi. Je n'ai, en outre, jamais renié mon identité kurde, j'ai toujours lutté dans la famille pour la protéger. J'ai essayé de défendre la liberté du peuple kurde sur tous les fronts. Mais ces dernières années, j'ai commencé à ressentir une véritable affection et un lien de parenté avec les Arméniens de ma région, ou même venant d'ailleurs. Il m'arrive, par exemple, d'aborder un Arménien et de lui exprimer ma bienveillance en lui disant chaleureusement : "Tu es mon oncle."
in Les Petits-Enfants.

mardi, juin 14, 2011

Les Petits-Enfants : Naz

J'ai été élevée en tant que Kurde musulmane. Je faisais même mes prières quotidiennes. Mon père allait à la mosquée comme tous les voisins.
Lorsque l'on m'a raconté pour la première fois l'histoire de ma famille, j'étais en état de choc – j'en ai presque perdu la tête. Un jour – j'étais alors en terminale –, nous étions assis dans le salon, et discutions des origines des noms de famille. Mes parents ont alors commencé à nous expliquer que, dans le passé, notre famille était chrétienne et arménienne. Nous sommes six frères et sœurs ; je ne sais pas ce que mes frères et sœurs ont ressenti, mais moi, j'étais complètement abasourdie.
J'étais face à un dilemme. En fait, ce n'était pas tant l'histoire des massacres qui m'avait ébranlée, car on ne peut défaire le passé. Mais je me suis alors demandé quelle religion prêchait la vérité. J'ai alors étudié, avec toute ma famille. Nous avons étudié l'islam et le christianisme de plus près. Finalement, nous avons choisi le christianisme, c'est cette religion qui nous a paru être celle du véritable chemin. Nous nous sommes convertis. Aujourd'hui, notre famille est chrétienne.
Pendant cette période de conversion, nous avons eu quelques différends avec nos voisins. À l'heure qu'il est, notre maison est appelée "la maison des infidèles". Les gens de notre quartier ont appris notre conversion au christianisme parce que mon père a arrêté d'aller à la mosquée. Tous les vendredis, les voisins venaient frapper à la porte pour le chercher, mais mon père avait décidé de ne plus y aller. Un jour, il leur a dit ouvertement : "Nous avons changé de religion." C'est à partir de ce moment-là que nous avons vécu des moments difficiles. Les enfants du village ont commencé à jeter des pierres sur notre porte. Une fois même, alors que nous disions nos grâces, un voisin qui nous avait entendus a ameuté le reste du village en criant : "Voisins, venez tous, l'islam court à sa perte." (Un silence). Pourtant, ces mêmes voisins savaient déjà que nos ancêtres étaient des chrétiens convertis à l'islam. Ils ont coupé tout contact avec nous pendant un an. Puis, nos relations se sont adoucies petit à petit. Mon père est soudeur, et allait les aider en cas de besoin. Aussi, nous avons tous, dans la famille, essayé de contribuer autant que possible à la vie du village ; nous leur rendions visite pendant les fêtes musulmanes, par exemple. Nos voisins ont alors reconsidéré leur opinion, et nous ont appréciés de nouveau… Aujourd'hui, mon père est même inclus dans les assemblées des hommes qui ont lieu pendant les fêtes et les jours de repos. Les femmes de la famille sont acceptées parmi les autres femmes du village : nous nous rendons visite régulièrement. Nos relations sont, pour ainsi dire, normales. Mais si un étranger demande après la "maison des infidèles", tous sauront lui indiquer le chemin qui mène chez nous.
Sur nos cartes d'identité, figure toujours le mention "religion : islam". J'ai souvent pensé changer cette mention pour aller nous inscrire en tant que chrétiens, mais j'ai préféré nous éviter un éventuel mauvais traitement. On ne sait jamais comment les fonctionnaires pourraient réagir. Tout le monde n'a pas l'esprit ouvert et compréhensif.
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Les parents de mon père ont été mariés par les familles musulmanes qui les avaient élevés dans leurs villages respectifs ; ces familles s'étaient rencontrées et avaient pensé : "Ils sont pareils, marions-les." Ils avaient préféré les unir, plutôt que de les marier à leurs propres enfants, puisqu'ils avaient les mêmes origines.
Dans notre famille, il y a des syriaques, des Arméniens et des musulmans. Mes tantes – les sœurs de ma mère – se sont mariées avec des syriaques et vivent en tant que syriaques. Ma sœur a épousé un Arménien. Quant à ma grand-mère et mon grand-père paternel, ils sont toujours musulmans, et font leurs cinq prières quotidiennes. C'est tout un mélange, des chemins de vie différents.
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Dans notre région, c'est le peuple même qui a commis des crimes pendant cette période noire. Je n'ai jamais entendu parler de massacres par les militaires. Les hommes influents du village se seraient réunis – une dizaine, voire une quinzaine d'hommes – pour assassiner les Arméniens et d'autres chrétiens. Ils les auraient tous exterminés. Les assassins du grand-père de mon père vivent encore dans notre village – enfin, leurs descendants. Nous n'avons jamais fait connaissance, mais je sais de quelle famille il s'agit et où elle habite.

Les petits-enfants, Ayşe Gül, Fetiye Çetin.

Concert de soutien à l'Institut kurde