vendredi, décembre 24, 2010

UN DISCOURS DU PRÉSIDENT BARZANI ENFLAMME LA PRESSE ARABE


La question du référendum sur le sort de Kirkouk et d’autres territoires disputés continue d’éroder la confiance de la population dans le gouvernement central irakien. D’autant que l’une des étapes préparatoires à la tenue du référendum, le recensement de la population, vient d’être à nouveau reportée. Initialement prévu pour le 5 décembre 2010, le Conseil des ministres a décidé en effet, le 30 novembre, de repousser le recensement général de la population irakienne, ce qui a satisfait les partis arabes et turkmène de Kirkouk qui craignent de voir ainsi entérinée la domination démographique des Kurdes dans cette province.

Ces mouvements opposés au rattachement accusent en effet les Kurdes d’avoir artificiellement gonflé leur population, que ce soit en falsifiant les registres électoraux, en installant en masse des réfugiés ou en expropriant des Arabes et des Turkmènes. Mais Turhan Al-Mufti, qui représente les Turkmènes au Conseil provincial, affirme ne pas contester le principe même du recensement, mais souhaite en faire, curieusement, un outil de « consensus » visant à satisfaire toutes les communautés dans une perspective égalitaire, ce qui sera sans doute, mathématiquement difficile à réaliser : “Nous, les Turkmènes avons combattu ces cinq derniers mois pour retarder le recensement, afin qu’il soit mené de façon plus correcte, de sorte qu’il réponde aux demandes de chacun. »

Le 14 décembre, un comité spécialement formé pour mettre en place le recensement à Kirkouk a tenu sa première réunion, à laquelle assistaient le gouverneur de Kirkouk, le président du Conseil provincial, le directeur du Bureau de recensement, le Bureau de l’Éducation de la ville, le commandant militaire de la 12ème division, le commandant de la 1ère Brigade des gardes de Kirkouk, des représentants du Bureau de la reconstruction ainsi que des responsables des forces armées américaines. Des députés de l’Alliance du Kurdistan, étaient présents mais aucun représentants des partis arabes et turkmène. Les débats ont porté sur les mesures de sécurité et l’organisation du recensement, assuré par le Bureau de recensement de Kirkouk. Les fonctionnaires chargés du recensement ont exprimé une volonté optimiste de mener à bien leur tâche. Adnan Baba, directeur du Comité, a déclaré au journal Aswat al Iraq être prêt pour cela, une fois que ses cadres auront achevé une formation spéciale dans ce domaine.

Najmaddin Karim, député au parlement irakien pour la liste de l’Alliance du Kurdistan, a accordé un entretien au même journal, dans lequel il indique que des préparatifs techniques et portant sur la sécurité ont été mis en place dans la province, en soulignant que ce recensement n’était pas une « demande kurde », mais qu’il allait servir les intérêts de tous les Irakiens. Commentant l’absence à cette réunion de la liste Al-Iraqiyya, le député kurde a indiqué que cette absence ne pouvait affecter le travail des réunions, mais qu’il espérait que les élus arabes assisteraient aux prochains débats, « puisque ni les Arabes ni les Turkmènes ne soutiennent le boycott du recensement. » Pour sa part, une autre députée kurde, Aala Talabani, a souligné que « la formation d’un comité spécial pour le recensement avait été en partie décidée en réponse aux demandes des Arabes et des Turkmènes. C’est pourquoi l’absence de nos collègues d’Al-Iraqiyya n’est pas une attitude très normale. Les blocs arabes et turkmènes, d’après leurs propres déclarations, ont souhaité participer au processus de recensement, mais les députés d’Al-Iraqiyya, qui représentent les Arabes et les Turkmènes de Kirkouk, n’ont pas assisté à la réunion, bien qu’ils eussent dû le faire. Ils représentent en effet non pas leurs propres personnes mais leur liste parlementaire, surtout qu’il y a eu un accord avec cette liste et le comité du recensement. »

Un député d’al-Iraqiya, Umar al-Jibouri, a justifié cette absence par un ‘déséquilibre’ des représentants de chaque ethnie de Kirkouk dans le Comité, même si les députés arabes et turkmènes de Kirkouk membres d’al-Iraqiyya avaient auparavant été informés de la façon dont le comité de recensement se formerait, par une ordonnance du ministère de la Planification : 3 députés de l’Alliance kurde, 2 députés arabes et un Turkmène.

Dans le même temps, le 10 décembre, se tenait le Congrès général du Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par Massoud Barzani. Devant 1300 membres et un large panel d’invités, dont le prédisent irakien Jalal Talabani, le Premier Ministre Nouri Al-Maliki, le président du Parlement d’Irak, Osama Al-Nujaifi et le Président du Conseil de Sécurité, Iyad Allawi, une délégation officielle turque dirigée par Abdulkader Aksu, l’un des adjoints du Premier Ministre Erdogan, le président du Kurdisan a rappelé le droit à l’autodétermination des Kurdes au cas où leurs demandes resteraient ignorées de la capitale, notamment le référendum des régions revendiquées par les Kurdes, réaffirmant que l’identité kurde de Kirkouk n’était pas « matière à marchandage ». Massoud Barzani a par ailleurs réaffirmé que le gouvernement de Kirkouk ne pouvait être unilatéral et que toutes les communautés devaient y être représentées.

Ce rappel solennel, traduisant le sentiment général des congressistes, a été largement applaudi, et aucun des invités arabes et turcs n’y a réagi, alors que les media arabes y ont donné un large retentissement. Bien que l’évocation du droit à l’autodétermination des Kurdes ne soit pas une nouveauté dans la bouche de Massoud Barzani, et bien que les officiels irakiens présents au meeting n’aient pas semblé en prendre ombrage, ces simples mots ont en effet enflammé la presse arabe, et des mouvements politiques irakiens, qui y ont vu la menace brandie d’une future « indépendance ». « Le droit à l’autodétermination concerne les peuples vivant sous occupation, et ce n’est pas le cas du Kurdistan, qui a un statut spécial en Irak », a protesté un député de la liste Iraqiyy, Alia Nusayaf. « Je me demande donc si les Kurdes ont demandé le fédéralisme avant tout pour se séparer ensuite de l’Irak. C’est une honte que parmi tous les politiques présents aucun ne se soit levé pour protester. »

Même son de cloche chiite, surtout parmi les partisans du mouvement sadriste. Ainsi, Jawad al-Hasnawi, un député de la liste chiite, considère qu’une telle déclaration ne peut qu’attiser les tensions : « Je pense qu’un Irak qui s’étend de Zakho (ville kurde à la frontière nord) à Basra est bien mieux qu’un Irak divisé. » Mais le Premier Ministre du Kurdistan, Barham Salih, a rappelé que Massoud Barzani n’avait fait qu’exprimer le sentiment général des Kurdes, en rappelant que cela ne signifiait pas forcément une déclaration d’indépendance : « Il y a, parmi les Kurdes, un consensus sur le fait que leur droit à l’autodétermination est légal, légitime. Quand nous avons appuyé un Irak fédéral, nous avons dit que c’était une forme d’autodétermination et nous n’avons jamais renoncé à ce droit. » Deux jours après le congrès, le neveu de Massoud Barzani, l’ancien Premier ministre Nêçirvan Barzani, a expliqué que le « droit à l’auto-détermination » ne signifiait pas que les Kurdes avaient, pour le moment, la volonté de se séparer de l’Irak. « Les Kurdes ont le droit à l’auto-détermination, mais nous avons décidé de rester dans un Irak uni. La déclaration du président Barzani a été mal comprise. Si nous avions opté pour l’indépendance, nous l’aurions annoncé, mais nous n’avons rien décidé de tel. Nous voulons rester dans un Irak uni et fédéral (…) L’auto-détermination est un droit naturel du peuple kurde, mais avec ce que nous avons obtenu en 2003 dans le nouvel Irak a fait que nous avons décidé de rester dans un Irak fédéral. »

Quelques jours plus tard, Massoud Barzani est revenu lui-même sur ses déclarations, mais sans reculer d’un pouce sur ce qu’il répète depuis le début de sa présidence : le maintien de la Région kurde au sein de l’Irak dépend du respect par le gouvernement central de sa constitution et que les Kurdes « resteraient dans un Irak fédéral, mais pas dans une dictature. « Des gens ont dit : les Kurdes veulent leur indépendance, laissons-les donc partir pour de bon. Mais nous répondons ceci : L’Irak est à nous, c’est notre pays. Mon message à nos frères arabes, sunnites ou chiites, à nos amis et alliés, est le suivant : Nous nous sommes engagés envers un Irak fédéral et démocratique, envers sa constitution. Mais nous ne sommes pas prêts à rester dans un Irak dominé par le chauvinisme. Les Kurdes sont une nation et par conséquent ont le droit à l’autodétermination. Le parlement kurde a décidé de rester, mais à une condition : l’Irak doit être un État fédéral. »

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