dimanche, octobre 31, 2010

TURQUIE : OUVERTURE DU PROCÈS DE 152 KURDES DU KNC


Le 18 octobre s’est ouvert devant la Haute Cour criminelle de Diyarbakir le procès de 152 Kurdes, (dont 104 en détention), politiciens ou membres d’associations de défense des droits de l’Homme, accusés d’appartenance au PKK, par le biais de la Confédération démocratique du Kurdistan (KNC). Des intellectuels et défenseurs européens sont venus assister au procès qui se tient sous haute surveillance policière. L’acte d’accusation de 7500 pages peut faire encourir aux prévenus des peines de prison allant de cinq années à la perpétuité, pour appartenance à « une organisation terroriste », menace contre « l’unité de l’État », « propagande terroriste » et « soutien à une organisation terroriste ».

Parmi les accusés, le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir, risque 36 ans d’emprisonnement. Onze autres maires kurdes sont jugés à ses côtés, tous membres du parti pro-kurde, le BDP. Mais dès l’ouverture du procès, les débats se sont déplacés de l’acte d’accusation proprement dit à la langue devant être utilisée par la défense. Les avocats ont en effet exigé de s’exprimer en kurde, ainsi que leurs clients, en alléguant du droit à être jugé et entendu dans sa langue maternelle. La demande a été d’emblée rejetée par la cour qui a aussi refusé d’enregistrer les propos tenus « en une langue inexistante » arguant aussi que les interrogatoires et les dépositions des accusés s’étaient tous déroulés en turc, et que le recours à des interprètes ne ferait qu’allonger le temps du procès, la lecture de l’acte d’accusation devant déjà prendre trois semaines.

L’avocat Sezgin Tanrikulu a comparé cette négation de la langue kurde à celle qui fut opposée à l’ancien maire de Diyarbakir, Mehdi Zana, quand, 25 ans auparavant, il avait lui aussi voulu assurer sa propre défense en kurde. Le tribunal avait alors refusé de prendre en compte sa prise de parole dans sa langue maternelle, déclarant que l’accusé avait simplement usé de son « droit de garder le silence ».

La défense a invité le professeur Baskin Oran à s’exprimer devant la cour, en tant qu’expert politique et juridique, sur le droit d’user de la langue kurde dans un tribunal, se fondant sur le traité de Lausanne, signé entre la Turquie et la Société des Nations et qui constitue le fondement juridique de l’État turc en droit international : l’article 39/5 de ce traité énonce en effet que « nonobstant l'existence de la langue officielle, des facilités appropriées seront données aux ressortissants turcs de la parole non-turque pour l'usage oral de leur propre langue devant les tribunaux», ce qui comprend donc la présence d’interprètes. La cour ayant refusé d’entendre Baskin Oran, ce dernier a déclaré que cela entraînait la possibilité d’invalider le jugement : « Le refus d'entendre un expert est une raison pour la Cour d'appel d'annuler un verdict. Même le fait que je n'étais pas entendu comme une personne seule est une raison pour la Cour d'appel d'infirmer le jugement ».

La tension n’a donc fait que croître et les avocats se sont plaints de la présence policière (des officiers en civil de la section Anti-Terreur) à l’audience, ainsi que d’un « cordon de sécurité » les séparant de leurs clients. Mais la cour a refusé de lever ce cordon et toute la journée du 20 octobre s’est passée à lire l’acte d’accusation, résumé en 990 pages.

Deux jours plus tard, le 22 octobre, 47 membres du KNC, dont 22 détenus, ont comparu devant la 8ème chambre criminelle dAdana. La même requête pour s’exprimer en kurde a émané de leur avocat, Vedat Özkan, qui a appelé la cour à « une décision courageuse », en invoquant le droit de ses clients de présenter leur défense en kurde. Parmi les accusés, tous arrêtés lors de la grande rafle du 15 août 2008, figurent le maire de Misis, Burhan Aras, l’ancien président du parti dissous, le DTP, pour la branche d’Adana, le maire du district de Seyhan, Mehmet Nardan, et celui du district de Yüregir, Durmaz Özmen. Également sur le banc des accusés, et pour les mêmes motifs, le journaliste Kenan Karavil, directeur de publication de l’Adana Radio Dünya. Il avait été arrêté un an plus tard, le 10 décembre 2009, et est toujours détenu. Il doit répondre de « crimes en faveur d’une organisation illégale » et de « propagande » pour la même organisation. Il encourt 22 ans et demi de prison.

Parmi les représentants d’association de défense des droits de l’homme, la FIDH, présente au procès de Diyarbakir, appelle le gouvernement turc à relâcher les accusés toujours en détention. Son président Souhayr Belhassen a ainsi déclaré, lors d’une réunion tenue le 22 octobre dans les bureaux de l’IHD (Association des droits de l’homme) d’Istanbul : « Il y a des accusés dans ce procès qui sont détenus depuis 18 mois et les avocats ne sont pas en mesure d'obtenir une copie des dossiers. Ces détentions s’opposent à la présomption d'innocence. Ce procès est totalement déséquilibré. » Belhassen a aussi rappelé l’état général des prisons en Turquie : pour une capacité de 65 000 détenus, on compte actuellement 122 000 prisonniers, ce qui entraîne des problèmes sanitaires et des mauvais traitements. 13 d’entre eux souffrent de cancer à un stade terminal. Indiquant avoir parlé de ces mourants avec le ministre turc de la Justice, Sadullah Ergin, le président de la FIDH a ajouté que promesse lui avait été faite de pouvoir visiter ces prisonniers, sans que cela ait eu de suite. Enfin, l’usage de la torture semble avoir augmenté depuis 2005, alors que sa suppression est un des engagements principaux faite par la Turquie à l’Union européenne en vue de son adhésion. Interrogé par un journaliste de Bianet sur le cas des enfants kurdes toujours emprisonnés pour « terrorisme », Souhayr Belhassen a jugé cette situation « inacceptable ».

Finalement, le 8 novembre, la 6ème chambre de Diyarbakir, après avoir coupé le micro à la défense dès qu’elle s’exprimait en kurde, a décidé de renvoyer le cas à la 4eme chambre criminelle, qui doit statuer sur le droit d’employer ou non une autre langue que le turc dans ce procès. Mais l’initiative a fait mouche et d’autres procès mettant en cause des Kurdes se sont trouvés devant la même demande, en y opposant le même refus : ainsi la 11ème chambre criminelle d’Istanbul a refusé à l’avocate Songül Sicakyz de pouvoir prendre la parole en kurde, puisqu’elle pouvait s’exprimer en turc. Il est à noter cependant que les actes de cette cour ont clairement mentionné la langue kurde, que, contrairement à la 6ème chambre de Diyarbakir, elle n’a pas qualifiée « d’inconnue », en justifiant son refus par le fait que les magistrats ne comprenaient que le turc (sans envisager le recours à des interprètes). Depuis, des manifestations de rue ont eu lieu, dans des villes comme Şirnak ou Kars, pour réclamer le droit des Kurdes de prendre la parole dans leur langue maternelle devant les tribunaux et d’être défendus dans cette même langue.
Par ailleurs, le sociologue Ismail Beşikçi, maintes fois condamné durant toute sa carrière pour avoir affirmé l’existence d’un peuple kurde, est maintenant accusé, avec l’avocat Zeycan Balci Şimşek, de propagande pour le PKK, une des preuves retenues contre lui étant l’usage de la lettre Q, qui ne figure pas dans l’alphabet turc et c’est une fois de plus la haute cour criminelle d’Istanbul, 11ème chambre, qui doit trancher. Zeycan Balci Şimşek, directeur de rédaction d’une revue, « Droit et Société contemporaine », publiée par une association d’avocats, est poursuivi pour avoir laissé paraître un article du célèbre sociologue : « Les Kurdes et le droit des nations à l’auto-détermination » ; mais ce qui aggrave le cas de Beşikçi, selon le procureur, c’est que pour écrire Qandil, le nom de la montagne du Kurdistan d’Irak où sont installées les bases du PKK, le sociologue a utilisé la lettre Q et non Kandil, dans sa forme turque. 7 ans et demi de prison ont été requis contre les deux accusés.

Leur avocat, Taylan Tanay a demandé à l’accusation si celle-ci écrivait « New York » ou Nev York, et si le procureur avait l’intention de demander la saisie sur l’ensemble du territoire turc de tous les claviers d’ordinateurs équipé d’un Q, sans obtenir de réponse.

samedi, octobre 30, 2010

IRAK : TAREK AZIZ CONDAMNÉ À MORT


Le 28 octobre la haute cour pénale d’Irak a condamné à la peine capitale trois hauts dignitaires de l’ancien régime, l’ancien ministre de l’Intérieur, Saadoun Shaker, le chef du Bureau de Saddam Hussein, Abed Hamid Hmoud, et l’ancien Vice-Premier Ministre, Tareq Aziz, âgé de 74 ans.

Seul chrétien à figurer dans l’équipe dirigeante du gouvernement Baath, Tareq Aziz s’était rendu de lui-même aux Américains en avril 2003. C’est, jusqu’ici, un des rares proches de l’ancien raïs qui a échappé à la pendaison. Vice-Premier Ministre depuis 1991, après avoir été longtemps ministre des Affaires étrangères, il occupait aussi les fonctions de porte-parole de l’ancien régime irakien, ce qui le fit connaître du grand public à un niveau international, en raison de ses prestations télévisées lors des deux guerres du Golfe. Tareq Aziz avait déjà été condamné à deux peines d’emprisonnement : 15 ans pour avoir participé à l’exécution de 42 commerçants irakiens en 1992, et 7 ans pour son rôle dans le déplacement forcé et massif des Kurdes de Kirkouk, durant les années 1980.

Très vite, de nombreuses voix de dignitaires politiques et de chefs d’État, celle du Vatican et d’ONG, se sont élevées pour demander à ce que cette peine de mort soit commuée, soit en raison de son âge et de son état de santé, soit en raison de sa confession, soit parce que son rôle est jugé assez mineur dans les exactions criminelles du régime de Saddam Hussein.

Le directeur de la Commission pour les droits de l’homme et la démocratie en Irak, Hassan Shaban, a déclaré au site d’information kurde, Aknews, que cette sentence était « sévère et contraire aux principes des droits de l’homme » : « Le code pénal irakien énonce que quiconque est âgé de plus de 70 ans doit échapper à la peine capitale. La décision de la cour fédérale comporte de graves erreurs. Le fils de Tareq Aziz a déclaré à la BBC que ce verdict n’était pas une surprise pour lui, bien que, selon lui, son père fût innocent : « Ils veulent tuer tous ceux qui ont participé à l’ancien gouvernement (…) C’était un politicien, il n’avait rien à voir avec la sécurité ».

Amnesty International a appelé de même les autorités irakiennes à ne pas procéder à ces trois exécutions. « Le gouvernement de Saddam Hussein était synonyme d’exécutions, de torture et d’autres graves violations des droits de l’homme, et il est juste que ceux qui ont commis de tels crimes se retrouvent devant les tribunaux, explique Malcom Smart, directeur du département du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord pour Amnesty International. Cependant, il est d’un intérêt vital que la peine de mort, qui est l’ultime déni des droits de l’homme, ne soit plus jamais utilisée, quelle que soit la gravité d’un crime. Il est temps aussi pour le gouvernement irakien de tourner la page de ce cycle funeste et un pas en avant serait accompli si l’on mettait fin à toutes les exécutions et si l’on commuait toutes les sentences de ceux qui attendent dans les couloirs de la mort, dont nous estimons le nombre à plusieurs centaines. » Amnesty International s’est dit aussi inquiète au sujet de l’indépendance des tribunaux face aux pressions politiques : « Des procès conformes aux critères internationaux sont essentiels et les pressions politiques ne devraient pas être admises pour aucun procès en général, mais tout particulièrement pour ceux qui encourant la peine capitale. »

Hozan Şemdin


lundi, octobre 25, 2010

Sourp Giragos a enfin retrouvé un toit

Décidément  Osman Baydemir, le maire de Diyarbakir, aime bien taquiner le pouvoir. Non content de faire mentir les prévisions électorales de l'AKP qui entendait remporter sa ville aux municipales, il s'ingénie à gratter le gouvernement là où cela irrite, c'est-à-dire en faisant deux pas en avant là où R. Tayyip Erdoğan préfère appliquer la politique d'un (petit) pas en avant, deux pas en arrière.

Plus d'un mois après la célébration d'un office religieux dans l'ancienne église d'Aktamar, église transformée en musée et non redevenue lieu de culte, ce qui a donné lieu à des critiques du côté arménien, la rénovation du toit de l'église Sourp Giragos à Diyarbakir (cela faisait bien des années que le toit s'était effondré car la première fois que je mis les pieds à Diyarbakir, en seotembre 1992,  l'église était déjà à ciel ouvert) a donné lieu à une réception organisée par la mairie. Osman Baydemir a déclaré aux rares Arméniens encore présents à Diyarbakir, ainsi qu'à l'archevêque Aram Atesyan du patriarcat d'Istanbul et des Arméniens d;Istanbul, venus pour l'occasion : "Cette ville est vôtre autant qu'elle est mienne. Vous avez autant de droits sur cette ville que moi." 

Déclaration qui aura l'heur de faire grincer des dents les nationalistes turcs pour qui il n'y a de Vatan (patrie) que touranienne, et pour qui les chrétiens (grecs, syriaques, arabes, arméniens) sont et devraient rester à jamais des "citoyens turcs de nationalité étrangère" (décision n°2 du Tribunal administrative d’Istanbul, datée du 17 avril 1996). Cela ouvre aussi le spectre des "revendications territoriales" arméniennes sur les territoires orientaux, en cas de reconnaissance du génocide par la Turquie, à titre de dédommagements. Cela consacre de toute façon la réhabilitation historique de Diyarbakir, ville arménienne autant que kurde et syriaque, dans un espace politique où l'on peine encore à admettre que tout n'est pas turc (de "race turque") dans cette république (or il n'y a jamais eu beaucoup de "Turcs" pur jus à Diyarbakir.

Contrairement à Aktamar, cette église restera lieu de culte et sera gérée par le patriarcat. Sa restauration complète sera achevée l'an prochain. On estime son coût à 2,5 millions de $.


Source Armenian Weekly.

vendredi, octobre 22, 2010

Mission report : Assessment of Museums in the Kurdish Region of Iraq

À signaler pour lecture ou téléchargement, en anglais, kurde et arabe, un rapport de Stuart Mather Gibson, initié à la fois par l'UNESCO et le musée de Sulaïmanieh sur le secteur des musées au Kurdistan d'Irak :


Un tour d'horizon de la politique culturelle, des musées du Kurdistan, collections, situation matérielle, financement, bâtiments, etc. Clair, méthodique, agréable de lecture et illustré.

TV, radio : synode d'orient, à propos d'elly, coran

TV :


Mardi 26 octobre à 20h40 sur Orange Cinénovo : À propos d'Elly (Darbareye Elly) d'A. Farhadi, Iran, 2009.








Radio :

Dimanche 24 octobre à 6h10 et 22h 10 : Lire le Coran. Avec Jean-Michel Hirt, psychanalyste, auteur de Le voyageur nocturne : Lire à l'infini le Coran(Bayard) Cultures d'islam, A. Meddeb.



Présentation de l'éditeur
Ce livre est une navigation à travers l'océan du Coran, cette oeuvre universelle mais trop peu connue, voire suspecte, en Occident. Beaucoup se demandent si le texte coranique apporte quelque chose de plus au message monothéiste de Moïse et Jésus. Or le Coran énonce un discours sur les prophètes, depuis Adam jusqu'à Muhammad, qui prolonge et diffère de celui de la Bible. En partant, tel l'Ismaël de Moby Dick, à la recherche de la signification d'un ouvrage où se jouxtent et rivalisent prophétie et poésie, le lecteur est invité à un voyage spirituel. Ainsi s'invente un chemin pour mieux approcher le dessein de l'islam, en tant que rappel des révélations antérieures et leur recommencement infini. A l'heure où les religions sont instrumentalisées pour faire la guerre, où l'oiseau Simorgh, ce symbole divin, devient le nom d'une fusée iranienne et Abraham celui d'un char israélien, découvrir les enjeux prophétiques proclamés par le Coran est un acte de pensée contre la haine et l'ignorance.
Biographie de l'auteur
Jean-Michel Hirt est psychanalyste (APF) et professeur d'Université (Paris 13). Spécialiste de psychologie clinique interculturelle, il a publié plusieurs essais sur le religieux dans la vie psychique, notamment : Le miroir du Prophète, Psychanalyse et Islam (Grasset).

Lundi 25 octobre à 17h20 sur Radio Notre-Dame : La clôture du Synode des évêques pour le Moyen-Orient : quelles nouvelles perspectives ? 17h20, E. Chapelle.

mercredi, octobre 20, 2010

théâtre de la Turquie, XXX : Des désordres que peuvent causer dans l'Empire la pluralité des sectes qui l'habitent

ART XIV : Des Solaires ou Chams.

Les Solaires sont ainsi appelés à cause que l'on croit qu'ils adorent le Soleil, c'est la moindre Secte qui soit dans tout l'Orient, considéré le petit nombre qu'ils sont, qui ne revient pas à plus de neuf ou dix mille âmes, aussi ne se trouvent-ils que dans la Mésopotamie et aux environs.
Ils n’ont ni temples ni églises pour prier Dieu et ne s’assemblent qu’en certains lieux souterrains et écartés des villes, pour y conférer ensemble et traiter des matières de leur Religion, ce qu’ils font si secrètement, qu’on n’a jamais rien pu découvrir de ce qu’ils y faisaient, par ceux-même d'entre-eux qui se sont convertis à la Foi, dans la crainte qu'ils avaient que cela venant à se savoir, ils ne fussent assassinés par les autres, suivant la résolution qui en a été prise dans leurs assemblées.
Il y a environ six ans que deux jeunes hommes de cette Nation vinrent à Alep, où ils se firent baptiser par l'Évêque Catholique des Arméniens, et abjurèrent leurs erreurs en général, sans vouloir jamais rien spécifier, quelque instance qu'on leur en fît, des mauvaises pratiques et superstitions de leur malheureuse Secte, pour la raison que nous venons de dire.
J'en ai connu un qui était un riche Marchand dans le voyage que je fis de Diyarbekir en Bagdad, lequel se faisait appeler dans notre caravane Joseph, qui est un nom commun aux Chrétiens, aux Turcs et aux Juifs : Afin de se déguiser encore davantage, il portait un turban neutre, c'est à dire qu'un chacun peut prendre de quelque Secte ou Nation qu'il soit, Chrétienne ou Infidèle ; aussi ne me fut-il jamais possible de juger par ses actions non plus que par ses habits et ses discours de laquelle de ces trois Religions il était, parce qu'il n'en faisait aucun exercice, vivait comme un Païen, et s'entretenait de même. Sur l'avis qu'on me donna qu'il était Chamsi, je voulus m'éclaircir de la vérité , et m'enquis pour cet effet d'un jeune Mahométan qui était à son service, quelle Religion professait son Maître : mais soit qu'il eût honte de me le dire, ou qu'il ne le sut pas, il me répondit qu'il était Musulman comme lui, encore bien que ses autres valets m’assurassent du contraire. Le voyant un jour en bonne humeur et proche de moi, je me mis à l'entretenir de choses indifférentes, et après quelques discours je pris la liberté de lui demander s il n’était pas Chrétien : il me dit à voix basse qu'oui : Mais sur l’instance que je lui fis de me déclarer le nom de sa Secte, il changea de discours, et ne me voulut pas donner davantage d'éclaircissement, ce qui me confirma dans ce que l'on m'avoit dit, à savoir qu'il était Solaire : outre que je voyais que la pluspart des Turcs en lui parlant, l'appelaient Gabour, qui est le nom qu'ils donnent-ordinairement à tous les Chrétiens de quelque Secte ou Nation qu'ils soient.
Les Pachas voyant que les Solaires n'avaient point de Temples, et qu'ils vivaient comme des bêtes sans professer aucune Religion, qui les fit connaître par son rite et ses cérémonies comme celle des autres Nations, les ont sollicité plusieurs fois avec de belles promesses de se faire Mahométans , ou bien qu'ils eussent à se déclarer de quelque Secte Chrétienne particulière, qui fut connue et tolérée dans l'Empire du Turc, qu'autrement ils les feraient tailler en pièces, et faire main basse sur eux: ce qui les obligea il y a quelques années de s’agréger aux Syriens ou Jacobites, pour éviter de se faire Turcs: si bien que depuis ce temps-là ils leur font baptiser leurs enfants, et enterrer leurs défunts, sans vouloir toutefois observer les pratiques du Christianisme, ni quitter leurs premiers sentiments, qu'ils fomentent et entretiennent à l'ordinaire par le moyen de ces assemblées secrètes, qu'ils n'eussent pû faire si commodément, s'ils se fussent déclarés Mahométans à l’instance des Pachas.
Il y a aux environs de Bassora une Secte ridicule presque semblable aux Solaires, qu'on appelle les Chrétiens de saint Jean, qui se rebaptisent plusieurs fois, sans se servir néanmoins de la forme ordinaire, et des paroles prescrites ou ordonnées par Notre Seigneur : ce qui fait que leur baptême n'en n'a que le nom. Leur conversion à ce que j'ai ouï dire est assez difficile: encore bien qu'ils soient dans une profonde ignorance, et qu'ils paraissent d’ailleurs assez affectionnés aux Chrétiens, particulierement aux Religieux, suivant ce que j'en ai pu remarquer à Bagdad, où j'en ai vu quelques uns. Je ne dis rien de leur Religion, de leur origine, et de leurs pratique laissant à traiter certe matière à ceux qui les connaissent mieux que moi, qui ne les ai jamais fréquenté. Le fils de Monsieur de la Croix, Interprète de Sa Majesté, en pourra parler scientifiquement dans la Relation de ses Voyages de Perse et de Turquie, ayant eu la curiosité non seulement de s'en informer sur les lieux, mais encore de les en entretenir eux-mêmes, et d'acheter quelques-uns de leurs Livres, qu’il ne put avoir d’eux quà force d'argent et de suppliques, tant ils craignaient de les profaner.

Théâtre de la Turquie, où sont représentées les choses les plus remarquables qui s'y passent aujourd'hui touchant les Mœurs, le Gouvernement, les Coûtumes et la Religion des Turcs, & de treize autres sortes de Nations qui habitent dans l'Empire ottoman. (le tout est confirmé par des exemples et cas tragiques arrivés depuis peu). Traduit de l'italien en français par son auteur, le Sieur Michel Febvre.

On le voit, les éléments que le père capucin fournit au sujet au sujet des Chamsi, contrairement à ses pages sur les Yézidis, sont très vagues ce qui est d'ailleurs tout à son honneur, car comme au sujet de ce qu'il appelle les "chrétiens de saint Jean" (qu'on nomme aujourd'hui les Mandéens), il ne mentionne que ce qu'il a pu lui même voir et entendre ou s'abstient.

Un siècle plus tard, un autre religieux, un dominicain italien cette fois, le père Campanile, confirmera cependant les propos de Michel Febvre, en s'alimentant aux récits de Niebuhr, qui les situe plus spécifiquement à Mardin (Etudes kurdes, Hors-Série n° 1 - av : Histoire du Kurdistan, R. P. Giuseppe Campanile, o.p, pp. 124-129)

Les Chamsi étaient-ils les survivants de ces fameux Sabéens dont le culte des astres et toute une liturgie astrologique a pu irriguer la gnose médiévale en Mésopotamie ? Campanile, lui, tout comme Riccoldo au XIIº s., relie les Sabéens aux Chrétiens de saint Jean alias Mandéens, sans que ce soit plus vérifiable. Il est probable qu'il s'agit là de groupes religieux clandestins, issus de cultes anté-islamiques, qui se diversifient selon leur répartition géographique et les apports des spiritualités voisines, un peu comme le vaste groupe des alévis-shabaks, yarsan-kaka'is, ou yézidis, qui présentent tous entre eux des ressemblances et des différences.


mardi, octobre 19, 2010

théâtre de la Turquie, XXX : Des désordres que peuvent causer dans l'Empire la pluralité des sectes qui l'habitent

ARTICLE XI.
Des Nestoriens ou Chaldéens.

Les Nestoriens empruntent leur nom de l’impie Hérésiarque Nestorius, Patriarche de Constantinople, dont ils suivent la doctrine, qui fut condamnée dans le troisième Concile universel dit d’Éphèse, qui s’est cependant conservée jusqu’à présent, comme un feu sous la cendre, en quelques endroits de la Turquie et de la Perse, où toutes les Religions, quelques mauvaises qu’elles puissent être, sont bienvenues, ou du moins tolérées : telle est celle des Nestoriens qui est la plus odieuse de toutes, et la plus abhorrées des Chrétiens orientaux : d’autant qu’elle divise Jésus-Christ en deux personnes, et reconnaît en lui deux fils, l’un de Dieu et l’autre de Marie, à laquelle elle dénie constamment la qualité de Mère de Dieu, et ne l’appelle que Mère de Christ. Aussi les Nestoriens n’osent-ils se dire tels dans les caravanes avec les autres Chrétiens tant leur religion est abominable. Et ceux de Diyarbekir, dont la plupart se sont fait catholiques avec leur Évêque, par l’entremise des Révérends Pères Capucins qui y ont une mission, ont changé leur nom, et s’appellent à présent Chaldéens, aussi bien que tous les autres qui embrassent la vérité et qui se rangent au giron de l’Église.
Cet Évêque a été déclaré Patriarche depuis quatre ans, sur un commandement du Grand Seigneur, obtenu à la requête de Capelan Pacha, qui le demanda à Sa Hautesse, à la sollicitation d'un Père Capucin qui le traitait dans ses maladies, comme nous avons dit ailleurs : si bien que les Catholiques n'en reconnaissent plus d'autre que celui-là qui s'est déclaré ouvertement obéissant au saint Siège, a retranché toutes les erreurs de sa secte, corrigé le Rituel et remis les Sacrements. Il a fait supplier notre saint Père le Pape de lui envoyer la confirmation et le Pallium, par le Père Justinien Capucin, qui porta à Rome la Profession de Foi du Patriarche Syrien.
Les dernières Lettres venues de ce pays-là, en date du premier Juillet assurent qu'il a fait recevoir processionellemcnt, et avec tous les honneurs possibles, Monseigneur l’Évêque de Cezarophe, dit autrefois l’Abbé Piquet, à son passage à Diyarbekir, et qu'il a obligé ce Prélat français, qui est Vicaire Apostolique de Babylone, et Visiteur de quelques Provinces d'Orient, de célébrer pontificalement dans son Église, où se rendirent aussitôt l'Évêque des Grecs , et celui des Arméniens, pour assister à cette cérémonie, et l'honorer par leur présence.
Le peuple qui y vint à la foule, voyant tant de différentes sectes réunies et assemblées dans cette Eglise, fit retentir l’air de cris d'allégresse, accompagnés de larmes de joie, tant pour donner à connaître par là celle qu'ils ressentaient dans leur coeur, de voir en Turquie un Envoyé du Saint Siège, que pour montrer le désir et la disposition qu'ils ont à leur conversion. Ce digne Prélat fut si touché de leur piété, et si charmé de la dévotion, du respect et de l'affection qu'ils lui témoignèrent en vue de son caractère et de sa commission apostolique, qu'il dit aux Révérends Pères Capucins, qui s'occupent depuis environ douze ans dans cette Mission à les instruire dans la foi et les bonnes moeurs, qu'il passerait volontiers en leur compagnie le reste de sa vie à Diyarbekir, pour travailler conjointement avec eux à l'entière réduction de ces pauvres Schismatiques, n’était les ordres exprès qu'il avait du saint Siège, d'aller en Perse pour d’autres affaires de conséquence qu’il ne pouvait pas différer. Les Grecs et les Arméniens voyant que les Nestoriens ou Chaldéens avaient endu ces honneurs à Monseigneur de Cezarophe, touchés d'émulation en voulurent faire de même, et l'obligèrent, à force de prières, d'aller à leur Église pour y célébrer la Messe , et leur donner la bénédiction Pastorale comme il avait fait aux autres, dont il ne put se dispenser, non plus que d'acquiescer aux instances qu'ils lui firent de venir prendre un repas au logis du Patriarche Chaldéen et des deux Évêques, où ces trois sectes le traitèrent alternativement du mieux qu'il leur fut possible.
Dieu permit pour sa plus grande consolation, et pour adoucir en quelque façon les fatigues qu'il prend pour sa gloire et le salut des âmes dans le pays des Infidèles que les Turcs mêmes se montrèrent honnêtes et respectueux en son droit contre leur ordinaire. Car le Receveur des droits du Grand Seigneur ayant été averti de sa venue par les Pères Capucins, ordonna à leur instance, par un excès de civilité, de laisser passer à la douane ses coffres et ses valises, sans les ouvrir et en rien exiger; ce qui fut exécuté ponctuellement, au grand étonnement de ce Prélat et de tous ceux qui l’accompagnaient : Aussi pour reconnaître cette faveur, Monseigneur envoya, par un effet de sa générosité, un présent honnête à cet Agha Turc, et en reçut ensuite un autre de sa part. Je veux croire qu'il était beaucoup inférieur au sien et de moindre valeur, n'étant pas la coutume des Turcs d’être si libéraux, surtout envers les étrangers, lors particulièrement qu'ils peuvent en exiger des droits.
Les Nestoriens ont deux Patriarches, qui conservent de grands sentiments pour la Religion Catholique, qu'ils n'osent pas faire paraître à l'extérieur, en se déclarant ouvertement, dans l'apprehension qu'ils ont des Turcs et des Hérétiques. L'un d'eux écrivit, il y a quelques années à notre saint Père le Pape une Lettre, dans laquelle il le qualifiait de Pasteur universel de tous les Chrétiens, de Père des Rois et des Patriarches, etc.
Il y a cent ans qu'un Patriarche s'alla faire consacrer à Rome ; mais cela ayant été du depuis rapporté aux Turcs par les Hérétiques, qui accusèrent ceux-ci d'avoir eu intelligence secrète avec les Francs, ils ne purent continuer dans leur bon dessein, et retournerent tels qu'ils étaient auparavant, dautant plus qu'il n'y avait pas alors de Prédicateurs Evangéliques, ni de Missionnaires en leur pays, pour entretenir ce feu et cette première ferveur durant la persécution.
Ils avouent dans leurs Livres, que personne ne peut ni ne doit être dit Patriarche, qu'il n'ait été consacré par le Pape, ou moins par ses ordres : c'est pour cette raison qu'ils ne donnent pas au leur cette qualité, et qu'ils l'appellent d'un autre nom.
Le Patriarchat est comme héréditaire parmi eux et se donne toujours au Neveu ou au plus proche parent du Patriarche, encore bien qu'il n’eut que huit ou neuf ans : de manière qu’ils le consacreront supérieur de la Nation avant qu'il sache lire, comme il est arrivé encore depuis peu, en la personne du Patriarche Mar-Elias, qui fait sa résidence proche Ninive.
Celui qu'on destine à la dignité Patriarchale, ne doit pas avoir été marié. On l’élève pour l'ordinaire dès son bas âge chez le Patriarche son oncle, qui l'oblige comme lui, à s'abstenir de l'usage de la chair, suivant la coutume de la plupart des Religieux d'Orient, qui font consister toute leur sainteté dans ces Observances qu'ils se sont eux-mêmes prescrites.
Ils sont si ridicules de croire une seule volonté et opération en Notre Seigneur, avec les Monothélites, encore bien qu'ils admettent en lui deux natures et deux personnes différentes, qui est une erreur d'ignorance et d'opiniastreté plutôt que de malice ; voulant signifier par là que sa volonté humaine était si soumise à la divine, et si conforme, qu'elle ne lui était jamais contraire ou opposée, non plus que s'il n'avait qu'une seule volonté.
Ils ne sont pas amateurs des images, quoiqu'ils ne les condamnent pas absolument ; et ils n'en tiennent que le moins qu'ils peuvent dans leurs Églises, particulièrement si elles étaient en bosse.
Ils ne permettent à qui que ce soit l'entrée de la balustrade qui sépare l’Autel du choeur, où ils tiennent toujours un rideau tendu ; ce qui fait qu'on ne le peut apercevoir que dans l'obscurité, à moins qu'on ne retire le rideau. Quand les Prêtres et les Clercs y veulent entrer pour y faire l'Office ou dire la Messe, ils vêtent un caneçon blanc par dessus leur habit, pour marque de l'innocence et de la pureté avec laquelle ils en doivent approcher.
Outre leurs erreurs, ils ont une infinité d'abus, entre lesquels celui-ci est un des plus notables : à savoir, qu'ils se communient souvent sans Confession, même par ordre des Évêques et Prêtres Hérétiques. De là vient que ce Sacrement est presque aboli parmi eux. Plusieurs d'entre eux approuvent néanmoins ceux qui se confessent avant la Communion, mais ils ont de la peine à s'y résoudre ; soit à raison du non usage, soit parce que leurs Prêtres, qui sont ignorants dans l’excès, bien loin de leur faire reconnaître l’importance et la nécessité de ce Sacrement, qui est un second Baptême, et la table après le naufrage, leur disent qu'il n'est pas autrement nécessaire, lorsqu'ils s'approchent de la Table, fussent-ils en péché mortel. Quand ils communient le peuple, ils leur mettent le pain consacré dans la paume de la main, pour se le porter eux-mêmes à la bouche et l'espèce du vin dans un grand vase de terre vernissé, semblable à une terrine, où ils en prennent à discrétion, et boivent à même, comme ils feraient de l’eau ou une liqueur.
Leurs Prêtres se peuvent remarier deux ou trois fois, comme les séculiers , contre la pratique des autres sectes Chrétiennes Orientales, qui obligent les leurs de vivre dans le célibat, après le décès de la Prêtresse leur Épouse.
Ilss officient et célèbrent la Messe en langue Chaldaïque, qu'ils disent être la plus ancienne de toutes, et comme la mère, au respect des autres.
Ils épousent fort souvent leurs cousines germaines et leurs proches parentes, avec la permission du Patriarche, qui l’accorde facilement, et pour peu qu'on lui donne, ce qui fait murmurer contre eux les autres Chrétiens Orientaux, qui observent rigoureusement le contraire, et qui estiment cela un grand péché.
Ils font prêcher fort souvent dans leurs Eglises les Révérends Pères Capucins, à condition qu'ils ne parleront point de matières controverses entre eux et les Catholiques, et qu'ils ne médiront point de l’hérésiarque Nestor, dont ils publient une infinité de prétendus miracles.
Ils ont encore presque toutes les mêmes superstitions et abus que j'ai rapporté ci-dessus touchant les autres sectes, que je ne rapporte pas, pour ne dire que ce qui leur est particulier.
Quelques-uns d'eux m'ont dit qu'ils n’étaient Nestoriens que depuis quelques siècles, et qu'un Roi de Perse les avait obligés par force à professer les erreurs de l’hérésiarque Nestorius, pour les séparer de l'Église Romaine, et les rendre par ce moyen ennemis des Latins, dont ce Prince appréhendait la puissance. Il ne voulait pas que ses sujets leur fussent conformes, et eussent une même croyance qu'eux, de crainte qu'un jour cette union ou conformité ne lui fût préjudiciable, et ne causât la ruine de ses États, en leur faisant prendre le parti et les intérêts des étrangers leurs confrères, comme ont fait plusieurs fois les Calvinistes contre leurs Souverains Catholiques.
Ils habitent dans la Mésopotamie, 1a Chaldée, le Kurdistan et une partie de la Perse, où ils sont environ cinquante ou soixante mille âmes.
Ce sont des gens faits à la fatigue et aux armes, aussi se pourraient-ils rendre les maîtres de leurs Provinces sans difficulté, s'ils l’avaient entrepris, et qu'on leur fît espérer d'ailleurs du support.
Le Prince des Kurdes se sert d'eux pour sa garde, et ne se maintient que par leur moyen dans sa petite jurisdiction, où les Turcs n'osent pas l’inquiéter , et ne le peuvent faire sans s'exposer à être mis en pièces par ces Nestoriens.
Ils parlent Turc, Arabe, ou Kurde, selon les lieux qu'ils habitent.
Ils sont d'assez facile accès, et traitent volontiers des matières de Religion avec les Francs ou Latins, pour lesquels ils ont beaucoup d'amour et de respect, et avouent la plupart, qu'ils ne sont séparés d'eux que par le malheur des temps, et faute de liberté.
Aucuns d'eux demeurent dans les Villes, où ils exercent toutes sortes d'arts et de métiers, mais la plupart sont à la campagne, où ils cultivent les terres, et mènent une vie champêtre. On reconnaît ceux-ci d'avec les autres que par la différence de leurs habits et chaussures, qui sont ridicules et maussades dans l’excès. On les appellent ordinairement tebolacs. Ils dispersent l'hiver dans les Villes, où ils viennent travailler des paniers ou mannequins d'osier, et s'en retournent le Printemps dans leur pays avec chacun un fusil ou un mulet, qu'ils achètent de ce qu'ils ont gagné à cet exercice.
Théâtre de la Turquie, où sont représentées les choses les plus remarquables qui s'y passent aujourd'hui touchant les Mœurs, le Gouvernement, les Coûtumes et la Religion des Turcs, & de treize autres sortes de Nations qui habitent dans l'Empire ottoman. (le tout est confirmé par des exemples et cas tragiques arrivés depuis peu). Traduit de l'italien en français par son auteur, le Sieur Michel Febvre.

lundi, octobre 18, 2010

Pierre RONDOT

(Versailles, 1894 – Lyon, 2000)

Militaire, savant.

Comme nombre d'officiers français d'après la Première Guerre mondiale, le général Pierre Rondot incarnait plusieurs traditions : militaire de haut rang d'un État qu'il ne cessait de critiquer, proche des populations soumises au régime mandataire ou colonial qu'il refusait de réduire au statut d'"indigènes" et orientaliste érudit qui s'ouvrit, au fil des décennies, aux "area studies", voire aux sciences sociales.
Rondot entre à Saint-Cyr en 1922 et, dès 1926, intègre la Légion étrangère en tant que volontaire. D'abord affecté dans le Rif en pleine insurrection, il est ensuite nommé en Algérie, puis, en 1927, entre au service des renseignements pour le Levant. Après un séjour de dix ans, passé notamment au Liban, il s'inscrit à le première session du CHEAM (1937) et, près d'une décennie après, soutient sa thèse de doctorat, intitulée Les institutions politiques du Liban, des communautés traditionnelles à l'État moderne (Maisonneuve, 1947). Depuis le Levant, il soutient la France libre et, en 1948, il est nommé observateur à l'ONU pour la Palestine, avant de prendre la direction de l'administration centrale de l'armée onusienne. En 1955, il succède à Robert Montagne, son maître et ami, à la tête du CHEAM, poste qu'il occupe jusqu'en 1967. À la fin de son mandat au sein de cet établissement, il se consacre entièrement aux missions d'études, à l'enseignement (Paris, Lyon et Grenoble), et à la rédaction de nombreux articles sur le monde arabe, qui complètent ses monographies inédites déposées au CHEAM, et des ouvrages (Destin du Proche-Orient, 1952 ; "Les chrétiens d'Orient", Cahiers d'Afrique et d'Asie, 1955 ; L'Islam et les musulmans d'aujourd'hui, 1958).
Dans sa recherche, Rondot affectionne tout particulièrement les monographies ethnographiques qui combinent l'étude poussée d'un terrain et une fine connaissance historique, et prennent en compte les dynamiques de la longue durée comme les ruptures introduites par la colonisation – ou la fin de l'Empire ottoman. Mais, comme le montrent ses ouvrages et articles généralistes, il est également capable d'analyser le monde arabe à partir d'une échelle "macro" ou des problématiques transversales. Enfin, fait plutôt rare pour un savant de sa génération, il a noué d'étroites relations scientifiques avec les milieux de chercheurs anglophones, à commencer par l'historien Albert Hourani, s'imposant ainsi comme une autorité mondiale sur la Syrie et le Liban.
Pierre Rondot était assurément orientaliste, même s'il ne sentait pas la nécessité de se présenter sous un quelconque label. Force est de reconnaître qu'il ne manquait pas, par moments, de formuler des hypothèse quelque peu essentialistes. Ainsi pensait-il que le christianisme se particularisait par le principe de "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu". Selon lui, l'absence d'une telle ligne de partage dans l'islam, à la base de la différence fondamentales entre les deux monothéismes, expliquait également leurs attitudes antagonistes par rapport au phénomène du pouvoir et à l'enjeu de la laïcité. Il serait cependant injuste de réduire Rondot à de tels propos. Il était par ailleurs capable d'une lecture très fine du fait religieux à la lumière des transformations sociales et politiques. Ainsi, il fut l'un des premiers à constater que les confréries islamiques africaines, "le bernard l'ermite dans la coquille de la religion précédente", formées de strates imbriquées de religiosités interagissant synchroniquement entre elles, disposaient d'une remarquable capacité d'adaptation. 
Pierre Rondot l'érudit fut également engagé, sinon politiquement, du moins comme citoyen. Il était en effet toujours très attentif aux sentiments nationaux de l'ensemble du monde arabe, à sa quête d'indépendance, dignité et reconnaissance, et il ne manquait pas de critiquer les failles du système mandataire au Levant. À titre d'exemple, il notait avec amertume combien les autorités françaises avaient manqué d'attention à l'égard de la Syrie, pays doté d'une bourgeoisie éclairée et de nombre d'intellectuels.
Comme d'autres officiers français, il était également très sensibilisé à la question des minorités. Déjà affecté par le sort des populations chrétiennes de l'Empire ottoman, notamment arméniennes, dont une partie trouva refuge en Syrie et au Liban après le génocide de 1915-1916, il fut très bouleversé par l'arrivée des Assyriens et des Chaldéens rescapés des massacres de 1933 en Irak. Ceux-ci montraient en effet clairement que l'indépendance, autrement dit, le règne d'une majorité en quête d'unanimisme, pouvait bel et bien provoquer une répression des minorités laissées sans protection juridique aucune, notamment confessionnelles, parce qu'elles constitueraient des menaces contre la nation. Des décennies plus tard, il notait également que le sort des communautés confessionnelles non musulmanes s'était considérablement aggravé suite au conflit israélo-palestinien et la montée de l'islamisme. Mais pour lui les "minorités compactes" ne se réduisaient pas exclusivement aux communautés confessionnelles. Ainsi s'intéressait-il particulièrement au cas kurde. Au cours de ses années levantines, il avait acquis une grande familiarité avec la question kurde, et avait appris assez de kurde pour devenir l'un des architectes de sa latinisation et rédiger un ouvrage sur la question de son unification (Geuthner, 1936). Comme Roger Lescot et Louis Dilleman, ses rapports avec l'élite kurde, réfugiée soit au Liban soit en Syrie, à commencer par les frères Bedirkhan, fers de lance de la révolte kurde de 1927-1930, étaient fusionnels. Non seulement il avait refusé de réprimer leurs activités anti-turques, mais il avait également participé au lancement de leur revue Hawar qui allait devenir l'organe du renouveau culturel kurde. Sa correspondance avec les frères Bedirkhan (publiée par la suite dans la revue Études kurdes) témoigne d'une fructueuse coopération scientifique sur des problèmes linguistiques complexes mais aussi d'une réelle complicité interpersonnelle. À leur sujet, il écrira dans son journal intime : "Je vais visiter mes vieux amis kurdes, les Bedirkhan. Un accueil qui me va au cœur. Je ressens là un attachement profond. J'y ai mis le prix : j'ai joué leur jeu, j'ai tenu leurs secrets. J'ai été leur complice. Ce dont ils témoignent aujourd'hui me récompense. Je ne crois pas ressentir maintenant le plaisir d'orgueil parce que mon nom kurdisé entre dans le folklore kurde – mais ce serait pour un long temps, quoi qu'il arrive, un témoignage français, un jalon."
Jusqu'à sa disparition, Rondot ne cessa de s'intéresser à l'ensemble des dossiers sur lesquels il s'était spécialisé et de commenter leur évolution.
Hamit Bozarslan

Bibliographie : BLAU Joyce, "Pierre Rondot", Études kurdes nº2, 2000, p. 101-102. 

théâtre de la Turquie, XXX : Des désordres que peuvent causer dans l'Empire la pluralité des sectes qui l'habitent

Les Yezides :

SECTION III : De leurs superstitions et pratiques ridicules.

Il n'est pas permis à un vêtu de noir d'égorger un mouton ni de tuer une poule, ou quelque autre animal ; mais bien de les manger. Quand il s'agit d'ôter la vie à un boeuf, à une chèvre, ou à un agneau, il faut faire venir quelqu'un qui ne soit pas revêtu de l'habit d'Iezide pour faire cette exécution. La plupart d'eux sont si scrupuleux, qu'ils se gardent en cheminant de mettre les pieds sur les fourmis et autres insectes. Il y en a même d'aucuns qui font conscience de tuer les poux et les puces de leurs illustres habits, se contentant de les jeter à quartier, comme je l'ai plusieurs fois remarqué , sans oser souiller leurs mains dans ce sang innocent : d'où vient qu'ils sont ordinairement plus chargés de cette marchandise que de perles. Quand on les reprend de cette compassion ridicule envers des animaux qui ne sont créés de Dieu que pour le service de l'homme , ils vous payent de ces raisons : Voudriez-vous, disent-ils, si vous étiez en leur place, c'est à dire animaux comme eux, être traités des hommes de la sorte et qui sait si leur âme n'a pas animé autrefois un corps humain et si au jour de la Résurrection ils ne demanderont pas à Dieu vengeance contre nous de leur sang répandu sans raison, et pour une légère satisfaction.
M'entretenant un jour avec leur Supérieur sur cette matière, il me rapporta, en confirmation de leur doctrine, et en faveur des animaux, un conte ridicule, auquel les Yezides ajoutent foi, comme à une vérité avérée, encore bien qu'il n'en ait aucune apparence. Un homme ayant vu, dit-il , en passant par une forêt entrer un oiseau dans un arbre creux, le poursuivit pour tâcher de le prendre au sortir de cet arbre ; mais n'ayant pu y réussir; choqué de ce qu'il s'était peiné en vain, boucha le trou et le renferma ; ce qui déplût tellement à Dieu, que pour tirer vengeance de cerre inhumanité, il permit à quelque temps de là, que cet homme repassant par le même endroit , fut attaqué par des voleurs, lesquels après l'avoir dépouillé, le garrottèrent, et le lièrent au même arbre où l'oiseau était resté prisonnier ; ce qui lui fit faire réflexion sur son péché, et reconnaître qu'il avait mérité ce châtiment pour la cruauté commise envers cet animal, dont il entendit la voix ou plutôt celle d'un Ange, qui lui disait en reprochant : Ne te plains pas du malheur que tu t'es procuré toi-même, et de te voir traité comme tu as fait les autres.
Le Supérieur raconta cette histoire en présence de quelques Arméniens, en compagnie desquels j'étais venu chez lui, pour les dissuader d'aller à la pêche au poisson, et pour leur remontrer qu'ils commettraient en cela une action très désagréable à Dieu, laquelle leur pourrait causer quelque désastre : mais ses menaces et ses conseils furent inutiles, et ne les purent empêcher de faire ce qu'ils avaient projeté.
Ils conservent comme des reliques les vieilles pièces de leurs habits noirs, bien loin de les jeter ou de les brûler : Et si par inadvertance il en tombait quelque morceau ou filament, ils le relèvent aussitôt, le baisent par respect , et se le mettent sur la tête et sur les yeux. Cela fait ils le serrent soigneusement : en sorte qu'avec le temps ils font des magazins de haillons et de vieilles pièces. Et afin de ne les point perdre ils les cousent au lieu de laine et de cotton dans des coussins, ce qui leur engendre une grande quantité de poux et de vermine.
Ils estiment que c'est un péché de se tailler ou couper tant soit peu la barbe, ils se la laissent croître si longue sur les lèvres, que les moustaches leurs couvrent la bouche et entrent dedans. Ils haïssent et tiennent pour hérétiques ceux qui pratiquent le contraire, ou qui se la coupent pour plus grande commodité ou bienséance. Ils peuvent répudier leurs femmes pour se faire Supérieurs des Noirs ou bien Hermites, et non pour d'autres motifs. Le mari achète son épouse deux cents écus, qui est entre eux le prix ordinaire des femmes, de quelque condition et qualité qu'elles puissent être, pauvres ou riches, belles ou difformes, et les deux cents écus restent au beau-père, lequel n'est pas obligé de donner la moindre chose à son gendre pour sa fille ; et s'il le fait, ce sera par un effet de pure libéralité. Cette ridicule pratique est cause que les femmes sont méprisées de leurs maris, et traitées comme des esclaves.
Ils épousent pour l'ordinaire leurs cousines germaines, ou filles de leur oncles , à dessein de les avoir de lui à meilleur marché : ou bien ils s'accordent avec quelqu'un et font un échange de soeur pour soeur, sans débourser de l'argenr, et concluent à même temps deux noces. Cette coutume de donner sa soeur à son beau-frère n'est pas illicite entre-eux, non plus qu'en Europe, bien qu'elle le soit chez les sectes Chrétiennes Orientales, qui croiraient commettte en cela un grand péché, et qui ne permettent pas mêmes aux deux frères d'épouser les deux cousines germaines ou deux parentes.
Si quelque femme ou fille est prise en adultère, ou convaincue d'être tombée dans quelque péché honteux, son père, son frère ou son mari la tue , et fait payer son sang à celui qui en a abusé, duquel il exige le prix de trois femmes; à savoir six cents écus, autrement sa peau paye pour lui, en cas qu'il fût pauvre et insuffisant de satisfaire à cette somme. Si le mari de l'adultère ou le parent ne la tue pas, les Turcs l'obligent à leur payer une bonne amende : mais s'il les tue tous deux, à savoir la femme et son corrupteur, il n'en est rien du tout, et l'on ne fait contre lui aucun acte ni poursuite en Justice. Tous ceux qui entrent dans la maison de celui qui a tué sa femme ou sa fille, au sujet de son péché, donnent un coup d'épée ou de couteau dans le corps mort, s'il est encore présent, en détestation de son crime, et pour approuver par cette action barbare a fausse justice de l'homicide.
S'il arrive que dans une compagnie quelqu'un d'eux ait eu querelle et contestation avec un autre, et qu'il vienne à se reconnaître comme le plus coupable, il est obligé pour obtenir le pardon de sa faute, de faire ce qui fuit. Il se lève en présence de tous, se couvre la face de ses mains, comme par confusion, croise un pied sur l'autre, et s'incline profondément la face vers la terre devant le plus honorable de la compagnie, auquel il s'accuse de la faute qu'il a commise, après quoi il lui fait en peu de mots une charitable correction, dit sur sa tête quelque prières, l'envoie embrasser son compagnon, et baiser la main de tous les assistants qui sont vêtus de noir.
Si après telles querelles ou débats ils viennent trouver le Supérieur à son logis pour faire leur paix et se  reconcilier en sa présence, il s'informe d'abord d'eux du sujet de leur contestation et leur fait raconter en détail tous leurs griefs, afin de mieux connaître qui a droit ou qui a tort. Cela fait, on observe toutes les cérémonies que nous venons de rapporter, on fait une douce correction à l'agresseur, et les prières accoutumées sur la tête ; et après fa réconciliation faite, et les embrassades mutuelles, le Supérieur lui impose une pénitence à son profit et de la compagnie, comme serait de faire un festin aux assistants pour l'expiation de son péché, de payer deux barils de vin, de sacrifier un mouton, etc., lesquelles ridicules pénitences se reçoivent avec beaucoup d'humilité et de dévotion extérieure, et s'accomplissent en buvant à qui mieux mieux.
Quand dans l'entretien ou la dispute, l'un d'eux parle toujours, sans vouloir écouter les raisons de l'autre, celui qui veut être entendu à son tour, n'a qu'à lui dire pour le faire taire, sabah el khayr, c'est à dire "bonjour", à même temps il s'arrête tout court dans le fort de son raisonnement, et ne passe pas outre, jusqu'à ce que son antagoniste ait parlé, et dit ce qu'il veut. Cette louable pratique, encore bien que très fréquente, est si inviolable parmi eux, et s'observe si exactement, que je n'ai jamais vu transgresser, non pas même dans la colère et les emportements qui accompagnent d'ordinaire les querelles et les disputes, dont je me suis étonné plusieurs fois avec sujet.
Les Père Capucins ont pratiqué et fréquenté cette Nation durant sept mois, et en ont passé trois avec eux dans les montagnes, travestis, vivant comme eux et à leurs dépens. Ils avaient appris leur langue, dans laquelle ils les catéchisaient avec un fruit merveilleux : de sorte qu'ils baptisèrent les deux principaux de la Secte, ausquels ils imposèrent les noms de Pierre et Paul avec treize autres des plus anciens. Ces Pères étaient demandés de toutes parts par ces pauvres gens pour être instruits dans la Foi et baptisés, ce qui se serait fait sans doute, et cette Mission s'allait continuant de mieux en mieux à la gloire de Dieu et au salut de ces âmes abandonnées, sans les obstacles qui y furent mis de la part des hommes. Les Yezides promettaient aux RR. Pères Capucins d'armer dans le besoin trente mille hommes au service de sa Majesté Très Chrétienne, qu'ils ne qualifiaient plus que de notre Prince et de Roi de nos coeurs, et pour lequel ils offraient à Dieu des prières publiques, qui sont pour l'ordinaire précédées par certaines danses ou branles qu'ils font avec une gravité espagnole, et une cadence assez agréable au son des flûtes et des tambours de basque. Il leur tarde de voir les armées Chrétiennes dans le Levant. Quel feu n'allumerions-nous pas, disent-ils, dans l'intérieur de la Turquie, cependant que les dehors en seraient assiégés par notre futur Roi. Leurs Supérieurs voulaient à toute reste aller à Rome rendre leurs obéissances à notre saint Père et Pape, si on ne les eut empêché, dans la crainte que cela venant à se savoir des Turcs, on ne les entreprit à leur retour comme apostats de leur Religion et rebelles à l'État.
Théâtre de la Turquie, où sont représentées les choses les plus remarquables qui s'y passent aujourd'hui touchant les Mœurs, le Gouvernement, les Coûtumes et la Religion des Turcs, & de treize autres sortes de Nations qui habitent dans l'Empire ottoman. (le tout est confirmé par des exemples et cas tragiques arrivés depuis peu). Traduit de l'italien en français par son auteur, le Sieur Michel Febvre.

vendredi, octobre 15, 2010

théâtre de la Turquie, XXX : Des désordres que peuvent causer dans l'Empire la pluralité des sectes qui l'habitent

SECTION II. YEZIDES : De leur Religion.

Les Yezides ne sont ni Turcs ni Chrestiens, encore bien qu'ils soient plus affectionnés à la Religion du Messie, qu'à celle du faux Prophète Mahomet. Ils font gloire de boire du vin, et de manger de la chair de porc, si abhorrée des Turcs et des Juifs, qu'ils se laisseraient plutôt mourir de faim que d'en goûter. Ils évitent autant qu'ils peuvent la circoncision, d'autant qu'ils y font contraints par les Turcs de vive force, et par la violence des tourments.
Le principal point de leur Religion consiste à me point vouloir maudire le le diable ; il n'est pas possible de les induire à cela par la raison, non plus que par les supplices : jusques-là, que quelques-uns d'eux se sont laissés écorcher tous vifs plutôt que de le faire. Voici les raisons qu'ils allèguent en leur faveur; à savoir, que nous ne pouvons pas en conscience maudire les créatures, ce droit n'appartenant qu'à Dieu seul qui en est l'Auteur, et que nous n'avons aucun commandement ni précepte dans l'Écriture, de faire des imprécations sur le diable ; et qu'ainsi nous ne sommes pas obligés encore bien qu'il soit rebelle et désobéissant à Dieu, de l'injurier, comme font à tout propos les Chrestiens et les Turcs, non plus que nous ne serions pas obligés de maudire à tout moment un premier Ministre d'État, qui seroit déchu des grâces de son Prince : tant c'en faut que la charité nous oblige à faire le contraire, et lui souhaiter du bien.
Qui sait, ajoutent-ils, si le diable ne fera pas quelque jour sa paix, et s'ils ne se réconciliera point avec Dieu. Il semble que nous le devons espérer de sa miséricorde : Et si cela arrive, pensez-vous qu'il ne se ressente pas alors de tant d'injures que vous avez vomi contre lui durant le temps de sa disgrâce. Mais supposons même qu'il reste tel qu'il est à présent, et que vous veniez par vos crimes à tomber entre ses mains après la mort, ce sera encore pis pour vous, d'autant qu'il se vengera au double de toutes ses invectives, et qu'il déchargera sur vous toute sa rage. Et ainsi de quelque côté que tourne la chance, soit qu'il se réconcilie avec Dieu ou non, vous ne pouvez remporter, disent-ils, aucun avantage de toutes ces malédictions.
Voilà le sentiment des plus capables d'entre-eux ; car quant aux autres, ils ne prononcent pas même le nom du diable, et ne parlent de lui que par circonlocution, en l'appelant l'Ange Paon ou celui que vous savez, celui que les ignorants maudissent, etc. Me trouvant un jour avec eux à saint Siméon Stilite, où je les avais prié de me conduire, pour satisfaire à la curiosité, et à la dévotion que j'avais depuis lontemps de voir ce beau Couvent, où demeuraient anciennement cinq cents Religieux ; l'un d'eux m'ayant fait remarquer une fente dans le rocher de la montagne, au bas de laquelle était autrefois une Ville de la grandeur de Blois, dont nous considérions les ruines, me demanda si je savais l'origine de cette fente et pourquoi elle s'était faite en cet endroit. Sur quoi lui ayant répondu que non, il me raconta, qu'un Yezide étant un jour poursuivi par des Infidèles, qui voulaient l'obliger à maudire l'Ange Paon, et à proférer contre lui des blasphèmes, la pierre s'entr'ouvrit pour le mettre à couvert de la persécution de ses ennemis, et le rocher lui fit place dans son sein. Prodige qui étonna si fort ces incrédules, qu'ils se convertirent à l'heure même et reconnurent leur faute, et demandèrent pardon à celui qu'ils voulaient mettre à mort, lequel étant ressorti de cette cellule miraculeuse, le rocher se rejoignit, et retourna en son premier état : en sorte qu'il ne resta plus rien que cette fente pour marque perpétuelle du miracle. Je n'osais pas le contredire ouvertement, ni rire de cette fable en présence de ses compagnons, de peur de les choquer et de passer pour un hérétique : d'autant plus qu'alors je dépendais entièrement d'eux. Je me contentais seulement de demander à ce prêcheur, comment s'appelait cet Ange Paon, en considération duquel était arrivé ce grand prodige, pour voir s'il dirait son nom : mais il me fut impossible de lui faire proférer le mot de diable autrement que par circonlocution, de quelque biais que je le pusse prendre.
Ils n'ont ni Livres ni lecture pour règle de leur Foi ; ce qui fait qu'ils vivent dans une profonde ignorance, et qu'on leur fait accroire facilement tout ce l'on veut. Ils croient à l'aveugle et sans savoir, à la Bible, et là l'Évangile et quelques-uns d'entre eux à l'Alcoran. Ils disent communément comme les Turcs que ces trois livres sont descendus du Ciel. Ils n'ont durant tout le cours de l'année ni jeûnes, ni abstinence, ni heures déterminées pour la prière, ni aucune fête ou solemnité : si bien que toute leur Religion consiste à ne maudire point le diable, et à se donner de garde de ne pas même proférer son nom, à porter un habit qui ait quelque différence de celui des autres, à apprendre par coeur certains Cantiques spirituels à l'honneur de Jésus-Christ, de sa sainte Mère, de Moïse, de Zacharie, et quelquesfois du faux Prophète Mahomet, qu'ils apprennent à l'envi l'un de l'autre, plutôt par vanité que par aucun autre motif, et pour les chanter sur la guitare, dans les festins, aux visites qu'ils se rendent, et dans d'autres occasions.
Ils font leurs prières la face tournée vers le Levant comme les Chrétiens, et contre la pratique des Turcs qui regardent le Midi. Quand le Soleil commence à poindre, aux premiers rayons qu'il lance dans leurs pavillons, ils se lèvent tous sur pied par révérence, joignent les mains et adorent Dieu en sa présence ; laquelle pratique a donné sujet de croire à plusieurs qu'ils étaient idolâtres et qu'ils adoraient cet astre comme premier principe & auteur des créatures ce qui n'est pas vérifiable.
Ils croient plusieurs miracles de Nostre Seigneur, lesquels ne se trouvent ni ne furent jamais dans l'Evangile, comme qu'il ait parlé dès le jour de sa naissance, qu'il ait ressuscité un homme mort depuis mille ans, pour délivrer la sainte Mère des fausses calomnies des hommes, et leur prouver qu'elle l'avait conçu sans aucune opération d'homme, et par le seul souffle de Dieu, et qu'ainsi il n'avait point de Père sur la terre.
Ils enterrent leurs morts, sans aucune cérémonie ou pompe funèbre, en quelque lieu qu'ils se trouvent, comme ils seraient le cadavre d'un chien mort. Quelques-uns d'eux se font inhumer dans certains lieux de dévotion où l'on va quelquesfois en pèlerinage, et à ceux-là qui font pour l'ordinaire les plus riches, on chante en mettant leur corps en terre quelque Cantique à l'honneur de Jésus-Christ et de la sainte Vierge, ou d'Iezide, ou bien de Moïse sur la guitare, avec laquelle l'un d'eux marie sa voix, un peu mieux et plus agréablement que ne font les Turcs, dont les crieries à pleines têtes ne s'accordent nullement avec cet instrument à deux cordes, fort commun et ordinaire en Turquie, où les Bergers mêmes se mêlent d'en jouer.
Il ne leur est pas permis de pleurer à la mort d'un vêtu de noir ; les larmes sont défendues dans cette rencontre comme illicites, et l'on blâmerait leur tristesse comme un crime énorme. Il faut qu'ils se réjouissent malgré eux et qu'ils passent ce jour-là comme une Fête dans les jeux et les festins, à sauter et à danser : ce qui se fait pour congratuler , disent-ils, le défunt de son entrée dans le Ciel.
Ils font des vœux et des pèlerinages, à l'imitation des Turcs et des Chrestiens. Ils n'ont point de Temples pour prier Dieu, et n'entrent jamais dans les Mosquées, si ce n'est par curiosité, pour voir comme elles sont faites; ce qu'ils feraient sans doute plus volontiers, & pour une meilleure fin au regard des Eglises des Chrestiens, s'il leur était permis et qu'ils le pussent faire sans péril d'avanie, et d'être maltraités par les Turcs.
Leur serment solennel est de jurer par la vertu de leur habit noir et par la tête ce ceux qui ont l'honneur de le porter. Ils ne qualifient pas leurs habits noirs du nom des autres, encore bien qu'ils ne soient différents d'eux que quant à la couleur, ils se servent de termes plus emphatiques, et honorables pour en exprimer l'excellence : en sorte que parlant par exemple de la chemise d'un vêtu de noir, ils ne l'appellent pas du nom commun; mais ils la nommeront autrement, comme qui dirait une aube : ils ne diront pas son manteau, mais sa chappe ; son turban, mais sa tiare, sa mître, ou son diadème : cependant la pluspart d'eux ne sont que Pasteurs et leur plus noble exercice est de garder les chèvres dans les montagnes. Or ce grand honneur qu'ils rendent à leurs habits, est fondé sur la croyance qu'ils ont, qu'il est semblable quant à la forme à celui d'Iezide ou de Jésus-Christ, que plusieurs d'entre-eux croient être le même, quoique diversement appelé ; ou du moins ils s'imaginent que tous deux étaient de même sentiment, et s'accordaient en fait de Religion, ce qui n'est pas une petite disposition pour leur future conversion.
Quand quelqu'un a dessein d'être reçu à la compagnie des Noirs, autrement dits pauvres, il est obligé, avant que de prendre l'habit, de servir le Supérieur quelques jours durant, lesquels expirés, il se revêt en la manière qui s'ensuit. Il se dépouille entièrement de ses habits, et ne réserve rien sur lui qu'un linge pour couvrir sa nudité. Dans cet état deux autres le prennent par les oreilles et le conduisent vers le Supérieur, lequel tient entre ses mains la tunique noire dont il le doit revêtir. Quand il est arrivé à ses pieds, il la lui présente avec ces paroles : Entre dans le feu, et sache que dorefnavant tu es disciple d'Iezide et qu'en cette qualité tu dois souffrir les injures, les opprobres et les persécutions des hommes pour l'amour de Dieu. Cet habit , ajoute-t'il, te rendra odieux à toutes les Nations; mais agréable à sa Divine Majesté. Après telles et semblables paroles, il lui endosse cette tunique, pendant que les assistants font quelques prières pour lui, lesquelles finies, le Supérieur embrasse le novice et baise la manche de son habit. La compagnie en fait de même successivement, et lui semblablement rend le réciproque à tous ceux qui sont vêtus de noir, mais non pas aux blancs qui ne sont estimés que séculiers en comparaison des autres. Depuis ce moment-là on commence de l'appeler cutchaco, c'est à dire Clerc ou Disciple. 
Après la cérémonie, tous ceux qui y ont assisté, vont à la maison du novice, lequel leur fait un festin, où sont reçus indifféremment toutes sortes de gens qui se présentent, aussi bien les étrangers et inconnus, que les parents et amis.

Théâtre de la Turquie, où sont représentées les choses les plus remarquables qui s'y passent aujourd'hui touchant les Mœurs, le Gouvernement, les Coûtumes et la Religion des Turcs, & de treize autres sortes de Nations qui habitent dans l'Empire ottoman. (le tout est confirmé par des exemples et cas tragiques arrivés depuis peu). Traduit de l'italien en français par son auteur, le Sieur Michel Febvre.

jeudi, octobre 14, 2010

Théâtre de la Turquie, XXX : Des désordres que peuvent causer dans l'Empire la pluralité des sectes qui l'habitent

ARTICLE V.
Des Yezides.


SECTION PREMIÈRE : De leur genre de vie, moeurs et inclinations.

Les Yezides sont environ deux cents mille âmes tant en Turquie que dans la Perse. Ils ont une langue particulière voisine de la Persienne qu'on appelle le Courde. Ce sont des gens robustes, infatigables, et qui se passent de peu. Ils habitent sous des pavillons noirs, tissus de poil de chèvre , enroulés de roseaux et d'épines liés ensemble. Ils sont en long ou en carré, différents en cela de ceux des Turcmans dont la forme est ronde comme une tour. Ils se retirent l'Hiver dans les montagnes, et descendent l'Été dans les plaines et en rase campagne. Ils vont attroupés comme les Arabes et Turcmans pour plus grande sûreté , et disposent leurs pavillons en rond, de manière qu'il reste au milieu d'eux comme une grande place d'armes, dans laquelle ils mettent leurs troupeaux comme à couvert des larrons et des loups qui n'osent s'en approcher, et qui ne le peuvent sans être aperçus de ceux qui sont sous les tentes, qu'il leur faut nécessairement traverser pour enlever ce qu'ils prétendraient.
Ils n'ont point d'autres armes que l'arc, le sabre à la Turque, et la fronde, de laquelle ils se servent avec une dextérité merveilleuse et d'une manière qu'on ne pourrait presque le croire sans l'avoir vu. Ils se campent pour l'ordinaire le long des fleuves et des rivières, à cause de la commodiré de l'eau et parce que le passage y est meilleur pour leurs troupeaux. Quand ils ont été quinze jours, ou environ dans un endroit, ils vont rendre leurs pavillons ailleurs pour y trouver de l'herbe, et continuent ainsi successivement à roder cinq ou six journées de chemin et se trouvent tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre.
Ils sont assez charitables envers les passants, et ne leur refusent jamais à manger lorsqu'ils s'approchent de leurs tentes, sous prétexte de demander le chemin. Ils les invitent eux-mêmes à faire collation avec ces paroles civiles et honnêtes, be kair ati: sar saran sa' tehavan [be kheyr hatî, ser seran serçevan], leur présentent pour l'ordinaire du pain, du fromage et des oignons ou bien de l'ail. Je me suis étonné cent fois comment ils pouvaient fournir à donner à tant de personnes, et de ce qu'ils ne se rebutaient pas de cette importunité presque continuelle : d'autant plus que ceux ausquels ils faisaient cette charité, étaient des gens inconnus, lesquels n'étaient pas pour leur rendre jamais le réciproque.
Les Turcs les abhorrent plus qu'aucune autre Nation, tant à cause de leur Religion contraire à la Mahométane, que parce qu'autresfois ils tuèrent les parents de leur Prophète nommez Hessin et Hassan. Ils disent d'eux qu'ils doivent être les ânes ou les montures qui porteront les Juifs en enfer au jour du jugement, et la plus grande injure qu'ils puissent donner à un homme c'est de l'appeler Yezide, fils de Yezide. Ils exigent d'eux plusieurs sortes de tributs , et leur font tant d'injustices et de tyrannies , qu'ils les ont réduit au désespoir : ce qui fait qu'ils haïssent réciproquement les Turcs plus que la mort, et voudraient de tout leur cœur les pouvoir détruire. Lorsqu'ils maudissent quelque animal dans la colère, ils l'appellent Musulman, c'est à dire Turc. Et quand ils veulent représenter un homme sans foi, un tyran, un barbare, ils le comparent à un Musulman.
Ils aiment les Chrestiens autant qu'ils haïssent les Turcs, et les appellent par amour leurs Compères , dans la créance qu'ils ont que Jésus-Christ et Yezide n'est que la même chose; ou bien parce que leur Chef prit autrefois le parti des sectateurs du Messie, et fit alliance avec eux contre les Mahométans qu'il défit en bataille rangée où furent tués ces deux Généraux Hessin et Hassan.
Les Yezides sont de deux sortes, c'est à dire vêtus de deux différentes manières , les uns de noir et les autres à la façon du pays, qu'on appelle les Blancs. Les noirs sont estimés des autres comme les Religieux de la Secte, encore bien qu'ils soient mariés et que même aucuns d'eux aient deux femmes. Ils se font appeler fakirs, c'est à dire pauvres par les Blancs, quoiqu'ils soient riches: aussi la qualité de pauvre est-elle honorable parmi eux, bien qu'ils haïssent extrêmement la pauvreté.
Les Blancs sont semblables aux Turcs quant à l'extérieur et ne se peuvent reconnaître pour Yezides sinon à leur chemise, laquelle n'est pas fendue au colet comme les autres, et n'a qu'une ouverture ronde, capable de recevoir et de passer la tête, ce qui est mystérieux entre-eux et se fait (disent-ils) en mémoire d'un certain cercle d'or et de lumière descendu du Ciel dans le col de leur grand Chec Adi, après un jeûne qu'il fit de quarante jours.
Ils ont tous tant les blancs les noirs la même foi et croyance en vertu de laquelle ils s'aiment passionnément les uns les autres et se tiennent fort unis. Ils sont assez beaux hommes, fort blancs et bien proportionnés. Et quoiqu'ils n'habitent que la campagne, ils tiennent cependant plus du soldat que du paysan ce qui procède, je crois, des grandes persécutions qu'ils souffrent, qui les obligent d'être toujours sur la garde d'eux-mêmes.
Leurs emplois consistent à garder les troupeaux, et à ensemencer les terres, dont les Turcs tirent presque tout le profit, et leur laissent à peine de quoi subsister. Ils ne cultivent pour l'ordinaire, ni vignes, ni jardins, d'autant qu'ils ne sont pas permanents dans un lieu : en sorte que s'ils veulent avoir des raisins, des fruits et des herbes potagères, il faut qu'ils les dérobent ou qu'ils les achètent, aussi ne vivent-ils que de chair et de laitages. Leur pain est extrêmement mince et de la largeur d'une grande assiette; ils le cuisent sur une plaque de fer, avec un feu clair, comme l'on ferait des hosties et le mangent tout chaud en sortant du feu : aussi ne commencent-ils à détremper la farine, que lorsque l'on est prêt de se mettre à table. Cela se pratique particulièrement quand ils ont compagnie chez eux et qu'ils traitent des étrangers : car pour ce qui est d'eux, ils n'y apportent pas tant de cérémonies, ils le font plus épais, et se contentent d'en cuire le matin pour tout le jour, encore bien qu'il ne soit pas si bon ni si savoureux froid que chaud.
Ils mangent fort goulûment et boivent à proportion, quand ils ont du vin ; mais leur ivresse est plus divertissante que dangereuse. C'est un plaisir de les voir quand les fumées commencent à leur échauffer le cerveau, ils ne font que chanter, s'embrasser et se faire des protestations de service, bien loin de blasphémer et de se quereller, comme font plusieurs Chrestiens.
Quand ils vont à quelque festin, ils n'attendent pas qu'on les invite à s'asseoir à table , c'est à qui se placera le premier, de peur que d'autres plus diligents qu'eux ne se prévalent de leur retardement. Cette incivilité est suivie d'une autre plus grande, qui est de dormir à table lors que l'envie leur en prend et après qu'ils ont mangé leur suffisance, ils n'en veulent pas sortir, pour ne pas perdre leur poste et se couchent ainsi le long de la table, pour reposer, cependant que les autres continuent à manger. Ils se récompensent à leur réveil, et commencent tout de nouveau à manger durant que leurs compagnons dorment à leur tour. Ils continuent dans cet exercice, je veux dire à boire et à dormir, et à se divertir vingt-quatre heures pour l'ordinaire, et personne ne prend congé pour s'en retourner chez lui, qu'il n'y soit, en quelque façon contraint par le manquement de vin et de viandes : en sorte que si le Maistre du logis ne leur vient dire qu'il n'y a plus rien à présenter, ils resteront toujours là ; Et pour le leur persuader, il faut qu'il jure, et qu'il leur proteste que tout est fini, et qu'ils peuvent partir quand ils voudront ; alors chacun se retire, en le remerciant de ses biens , et après lui avoir souhaité toute sorte de prospérité.
Ils sont amateurs du vin dans l'excès et le boivent, non seulement par inclination qu'ils y ont mais encore en dépit des Turcs, qui le défendent. Ils le qualifient quelquesfois de l'auguste nom de Sang de Jésus Christ : Et lorsque dans les festins l'un deux présente la tasse pleine de de vin à un autre avec ces paroles, "prend le Calice du Sang de Christ", celui qui le reçoit, fut-il Supérieur, baise la main de celui qui l'offre, et tous les assistans se lèvent par respect, croisent les bras et s'inclinent profondément, jusqu'à ce qu'il ait bu, après  quoi chacun se remet à sa place. Cette cérémonie que je leur ai vu faire souvent, en la manière que je viens de rapporter, jointe à plusieurs autres pratiques qu'ils ont conformes à celles des Chrétiens, donnent sujet de croire, qu'ils pourraient être issus, ou des Arriens, ou de quelque autre secte hérétique, qui s'est ainsi corrompue et abastardie par succession de temps, ou du moins, qu'ils auraient contracté avec ces Hérétiques une si étroite amitié et union contre les Turcs leurs ennemis, qu'ils les auraient reçu à leur communion, comme les Luthériens ont fait les Calvinistes, encore bien qu'il y eut entre-eux une très grande différence.
Ils portent la tasse à la bouche avec les deux mains et estiment que c'est une légèreté notable de faire autrement, et de pratiquer le contraire.
Leur salutation consiste à se baiser l'un à l'autre la manche de leur habit, s'ils sont vêtus de noir: mais s'ils sont blancs, ils se saluent à la façon ordinaire du pays, en disant, rougetabe kair bi haleta tchée [? kheyr be, halê te çi ye]. Si les deux espèces viennent à se rencontrer, c'est à dire les noirs avec les blancs,  il n'y a que les premiers qui reçoivent cet honneur , sans que les autres leur rendent le réciproque, à cause qu'ils ne sont pas  Religieux comme eux.

Théâtre de la Turquie, où sont représentées les choses les plus remarquables qui s'y passent aujourd'hui touchant les Mœurs, le Gouvernement, les Coûtumes et la Religion des Turcs, & de treize autres sortes de Nations qui habitent dans l'Empire ottoman. (le tout est confirmé par des exemples et cas tragiques arrivés depuis peu). Traduit de l'italien en français par son auteur, le Sieur Michel Febvre.

mercredi, octobre 13, 2010

Radio : souâd ayada, chrétiens d'orient, maître Eckhart, musique orientale, bassidji,

Dimanche 17 octobre 

Sur France Culture :
- à 6h00 et 22h00 : L'Esthétique des théophanies. Avec Souâd Ayada, philosophe, auteur de L'Islam des théophanies. Une religion à l'épreuve de l'art (CNRS).



Présentation de l'éditeur
L'islam offre deux visages : celui d'un monothéisme abstrait, où domine la transcendance de Dieu, au risque d'engendrer le fanatisme. Mais aussi, et surtout, celui, plus discret, mais non moins insistant, d'un monothéisme concret, qui valorise la manifestation visible de l'essence de Dieu dans l'apparition sensible des actions divines. Dans cette étude pionnière qui surprendra par sa liberté de ton, Souâd Ayada renouvelle en profondeur notre connaissance des systèmes de pensée qui ont fondé l'islam des théophanies. Un modèle de sagesse aux antipodes de l'austérité coranique, selon lequel Dieu se donne à voir par l'entremise de l'" homme parfait " et par toutes les formes de beauté qui révèlent sa majesté. Réconciliant l'amour, l'intelligence et la connaissance, cette conception de la révélation, notamment portée par le soufisme, préserve l'islam de toute dérive juridique et politique, et accorde à l'art toute sa place. Elle constitue l'antidote que l'islam a lui-même produit pour guérir le mal du dogmatisme et l'intolérance. Dévoilant les impasses et les contradictions du fondamentalisme, dialoguant avec les sources juives et chrétiennes, confrontant le message du soufisme à la philosophie de Hegel ou à la pensée d'Emmanuel Levinas, Souâd Ayada signe un livre essentiel, en forme de plaidoyer pour une approche audacieuse, exigeante et ouverte de l'islam.
Biographie de l'auteur
Agrégée et docteur eu philosophie, Souâd Ayada exerce les fonctions d'inspecteur de l'enseignement. Spécialiste de philosophie de la religion et d'esthétique, arabisante, elle s'est fait connaître par un ouvrage sur Avicenne (Ellipses 2002).

Broché: 368 pages
Editeur : CNRS (20 mai 2010)
Collection : Cnrs philosophie
Langue : Français
ISBN-10: 2271069866
ISBN-13: 978-2271069863



Sur RCF :
- à 7 heures : Histoire des Églises d'Orient (4). Histoire du christianisme, V. Alzieu.
- à 8h00 : L'art des chrétiens d'Orient, avec Mahmoud Zibawi. L'Art et la foi, T. Lyonnet.
- à 23h00 : Maître Eckhart (1). Maîtres spirituels, par B. Martin-Chave.
- à 23h30 : La musique orientale. Musiphonie, P. Lacombe.

Sur RFI :
- à 9h30 et 15h 30 : Les Bassidjis, avec le réalisateur iranien Mehran Tamadon pour son film Bassidji. La Marche du monde, V. Nivelon.

Lundi 18 octobre :

Sur RCF :
- à 9h00, toute la semaine, le synode des églises catholiques pour le Moyen-Orient à Rome. N. Trouiller.

Mercredi 20 octobre :

Sur RCF :
- à 13h30 : Histoire des Églises d'Orient (fin). Histoire du christianisme, V. Alzieu.

Concert de soutien à l'Institut kurde