mercredi, juin 30, 2010

SYRIE : INQUIÉTUDE DES ORGANISATIONS DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME


Le rapport du Kurdish Human Rights Projects de ce mois porte sur la situation des Kurdes en Syrie, qu’il estime à 1.7 million, dans tous ses aspects, politiques, culturels et sociaux. En ce qui concerne la liberté d’expression, d’opinion et d’association, le KHRP rappelle qu’en 2009, plusieurs Kurdes, qui militaient pacifiquement dans des actions de type culturel, ont été arrêtés et mis au secret. De façon générale, toute activité en dehors du parti Baath au pouvoir est de facto considérée comme illégale par les forces de sécurité qui exercent une pression constante sur tout élément suspect de dissidence.

En mars 2009, 26 Kurdes ont été ainsi détenus arbitrairement pour avoir participé à une marche silencieuse qui protestait contre le décret 49, lequel restreint considérablement le droit à l’achat, la vente, la location d’une propriété dans les régions frontalières.

En juin 2009, Djigerkhwin Sheikhun Ali, un responsable du Parti démocratique kurde, a été emprisonné, de même qu’en décembre dernier l’avocat Mustafa Ismaïl, dont les écrits sur des sites Web étrangers ou les interviews téléphoniques qu’il a données au sujet des droits de l’homme en Syrie ont sans doute déplu au régime. Durant sa détention il a été mis au secret. La répression de toute dissidence utilise aussi le système judiciaire et pénal. La Cour suprême de sûreté de l’État (SSSC) a plusieurs articles de loi dans le code pénal syrien qui permettent de condamner des militants non-violents sur le motif d’atteinte à la sûreté nationale, articles dont elle use largement dans ses actes d’accusation.

En novembre 2009, un tribunal de Damas a condamné Sheikhu Muhammad, Sa’id Omar et Mustafa Jumah à trois ans de prison pour « affaiblissement du sentiment national » et « incitation à la haine sectaire ou raciale et aux conflits », après qu’ils ont été convaincu d’avoir distribué un journal critiquant la discrimination de la Syrie à l’égard des Kurdes. Les forces de sécurité et les tribunaux se servent d’autres articles du code pénal afin de rendre illégal toute appartenance à des organisations sociales ou politiques qui n’ont pas obtenu l’aval du gouvernement.

En mai 2009, Mashaal Temo, porte-parole d’un parti politique interdit, a été condamné à 3 ans et demi de prison pour « affaiblissement du sentiment national » et pour avoir propagé des « informations fausses ou exagérées ». Aucun des témoins qui avait été requis en faveur de l’accusé par la défense n’a été admis à la barre, ni même à assister au procès.

Autre source d’inquiétude : l’emprisonnement de Kurdes ayant fui la Syrie et étant ensuite expulsés de leur pays d’accueil. En septembre 2009, Khaled Kenjo, expulsé d’Allemagne vers la Syrie après que sa demande d’asile politique a été refusée, a été arrêté dès son retour et mis au secret. Il est accusé de « propagation de fausses informations », en vertu de l’article 187 du code pénal syrien. De même, Barzani Karro, expulsé de Chypre vers le Syrie en juin 2009 a été arrêté à l’aéroport de Damas, mis au secret et des témoignages sur son sort font état de tortures.

Pour les auteurs du rapport, la dénomination même de l’État syrien, qui se qualifie de « république arabe » induit par avance la négation ou la discrimination de toutes les autres minorités ethniques vivant en Syrie. En tant que plus importante minorité en nombre, les Kurdes sont particulièrement ciblés par une législation discriminatoire et répressive. KHR rappelle qu’en 1962, 120 000 Kurdes de Syrie ont été déchus de leur nationalité, et que ni eux, ni leurs enfants et petits-enfants n’ont pu, par la suite, recouvrer une citoyenneté en Syrie, devenant ainsi des apatrides héréditaires. Toute expression de l’identité kurde est découragée. La tension est particulièrement grande lors des fêtes de Newroz, le Nouvel An kurde, et les festivités sont souvent interdites ou violemment perturbées par les forces de l’ordre. De même, l’usage de prénoms kurdes est interdit ainsi que l’apprentissage de la langue kurde dans les écoles.
Kurdish Human Rights project revient ensuite sur une affaire étrange qui inquiète la communauté kurde en Syrie : les décès mystérieux, en nombre anormalement élevé, de jeunes Kurdes effectuant leur service militaire. À ce jour, 36 appelés ont perdu la vie dans des circonstances mal élucidées, et ce en l’espace de cinq années. La version officielle des autorités a toujours été celle du suicide ou de l’accident, mais plusieurs militants pour les droits de l’homme, ainsi que les familles des victimes ne cessent de réclamer des enquêtes approfondies pour déterminer la cause exacte de ces morts. Jusqu’ici, leurs demandes sont restées vaines.

En juillet 2009, la République arabe syrienne a présenté son premier rapport périodique portant sur l’application de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ce rapport, adressé au Comité contre la torture, niant ou minimisant ces agissements, est contredit par l’ensemble des témoignages de prisonniers ou d’associations locales, qui indiquent au contraire que la pratique d’extorsion d’aveux sous la torture demeure la règle dans les prisons syriennes. Ainsi, ce même mois de juillet 2009, Rojin Juma Rammo, membre d’une organisation féminine, a été arrêtée dans la ville kurde de Koban. Elle a alors été torturée en détention et envoyée par la suite à l’hôpital Al-Kindi sous un faux nom. Le mois suivant, deux sœurs, Esma Murad Sami et Eyhan Murad Sami ont été arrêtées dans la ville de Hassaké et ont rapporté avoir été torturées et contraintes de collaborer avec les forces de sécurité contre d’autres activistes kurdes.

Le 23 juin, un avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme en Syrie, Muhannad Al-Hassani, a été condamné à 3 ans de prison. Il avait remporté en 2010 le prix Martin Ennals, qui est décerné chaque année, depuis 1993, à « une personne ou à une organisation dont le combat contre les violations des droits humains a été courageux et remarquable. » Le jury de ce prix est composé de dix grandes organisations internationales : Amnesty International, la Commission internationale des juristes, la Fédération internationale des droits de l’homme, Human Rights First, Human Rights Watch, l’Organisation mondiale contre la torture, le Service international pour les droits de l’homme et Diakonie Germany. Cela n’a pas empêché la Syrie de le condamner et un porte-parole du Foreign et Commonwealth Office, en Grande –Bretagne, s’est publiquement exprimé sur cette sentence : « Le mercredi 23 juin, Muhannad Al Hassani, éminent avocat et militant des droits de l’homme, a été condamné à 3 ans de prison par un tribunal syrien, pour « propagation de fausses informations visant à affaiblir le moral de la nation ». Le Royaume-Uni regrette profondément cette condamnation et demande instamment au gouvernement syrien de revenir sur cette décision et de libérer Al-Hassani. Nous demeurons sérieusement préoccupés par la situation des droits de l’homme en Syrie et appelons le gouvernement syrien à remplir toutes ses obligations en matière de droits de l’homme, et à permettre à ses citoyens d’exercer leurs droits à la liberté d’expression sans craindre des arrestations arbitraires, des intimidations ou la prison. »

Concernant le sort de Mustafa Ismaïl, évoqué par le rapport du KHRP, le Second procureur du tribunal militaire d’Alep a accusé ce dernier d’avoir fomenté des plans et des actes visant à nuire aux relations de la Syrie avec des pays étrangers, et d’être membre d’une organisation illégale ayant pour but la division de la Syrie et d’annexer une partie de son territoire à un nouveau pays. Mustafa Ismaïl risque de 1 à 5 ans de prison. Le même procureur a rejeté toutes les demandes de libération sous caution de l’accusé présentées par ses avocats. Mustafa Ismaïl est un militant de longue date, bien connu des services syriens. Il a été arrêté une première fois en 2000 par les services secrets politiques, pour avoir participé à une émission de télévision sur la chaîne kurde Medya TV. Il avait alors été détenu plusieurs semaines à Alep et depuis, convoqué à plusieurs reprises par les services syriens. Ainsi, en octobre 2009, il a été convoqué par les départements militaire et d’État des services de renseignements. Mustafa Ismaïl est actuellement détenu à la prison centrale d’Alep, après avoir disparu trois mois, période pendant laquelle on suppose qu’il se trouvait aux mains des services secrets.

Né en 1973 à Koban, ville kurde du nord de la Syrie, Mustafa Ismaïl est marié et père de trois enfants. Il exerce la profession d’avocats et a défendu de nombreux Kurdes ou Arabes arrêtés et jugés pour leurs activités d’opposants politiques. C’est aussi un journaliste influent et un poète. Il est auteur d’une dizaine d’articles traitant de politique et de droit. Il a aussi traduit beaucoup d’articles et de travaux de recherche pour des sites Internet, des journaux ou des revues, arabes comme kurdes. Ses propres écrits traitent principalement des violations des droits de l’homme en Syrie. Il a aussi participé à des émissions de télévisions kurdes, en tant qu’analyste politique ou militants des droits de l’homme. Il est également correspondant du journal Azadiya Welat qui paraît à Diyarbakir et aussi pour la radio australienne Sydney 2000. D’autres militants ont été condamnés ce mois-ci.

Le 15 juin, le même tribunal militaire d’Alep a infligé 5 ans d’emprisonnement à Dilshêr Khatib Ahmed, de la ville de Qamishlo, et à Lawrence Hejarm d’Amude, en vertu des articles 267/288 du code pénal, réprimant l’appartenance à une organisation politique visant à détacher une partie du territoire syrien pour l’annexer à un autre pays. La peine a été ramenée finalement à 2 ans et demi. Fawaz Mohi al-Din, lui aussi d’Amude, a reçu la même peine de 2 ans et demi de prison, en vertu lui aussi de l’article 267 sur les organisations illégales. Sa peine a été réduite à 1 an et 3 mois. Le Comité des droits de l’homme en Syrie a fait part de sa préoccupation devant l’accroissement de ces peines, et appelle les autorités judiciaires à faire preuve d’indépendance et d’impartialité dans leurs jugements et leur façon de traiter ces dossiers. Il réclame aussi la libération des prisonniers politiques et d’opinion, tout particulièrement Mustafa Ismaïl. Mahmoud Safo, membre du bureau politique du Parti de la gauche kurde, arrêté le 28 mars 2010 a été condamné le 20 de ce mois par un juge militaire de Qamishlo à un an de prison, pour incitation à la haine raciale et sectaire, et pour avoir dirigé une association illégale.

Mustafa Mohammad Ali Khalaf, né en 1968 à Koban, a disparu depuis son arrestation, survenue à son domicile, le 3 mai dernier, par la branche de la Sûreté politique de sa ville natale, où il réside toujours. Marié et père de 7 enfants, c’est également le seul soutien financier de sa famille.

Toujours à Koban, Subhy Osman Berkul, né en 1965, a été arrêté le 14 février 2010 alors qu’il revenait chez lui de son travail. Aucune information n’a transpiré depuis sur son lieu de détention ni sur les raisons de son arrestation. De façon générale, on observe une augmentation des arrestations dans cette ville.

Enfin, comme nous l’avons vu avec le cas des sœurs Murad Sami, cité plus haut, les femmes kurdes ne sont pas épargnées par cette répression. En mars 2010, deux jeunes filles, Bêrivan Ramzi Rachid et Dijla Nuri Sheikh ont été arrêtées à leur domicile et emmenées de nuit vers une destination inconnue, sans que leurs proches soient informés de leur sort. Une organisation féminine kurde, Sittar, est ainsi en butte aux persécutions des autorités. Plusieurs de ses membres ont été arrêtées et sont détenues au secret. Parmi elles, Fatima Ahmed Hawool, qui souffre d’une infection chronique et ne peut être maintenue en prison sans danger, ou bien Hediya Ali Yussef et Menal Ibrahim, arrêtées en octobre 2009 à Alep, ainsi que Fekret Murad. D’autres membres, Aisha Effendi, Sadiqa Osman et Sara Ali sont régulièrement convoquées par les services de sécurité.

Concerts, exposition






Dimanche 4 juillet à 18h30, à l'Abbatiale Saint-Florent-le-Vieil, 49410:



"Shahram Nazeri déclame comme nul autre la poésie persane des grands maîtres soufis. Son origine kurde, au-delà du raffinement inhérent au répertoire classique, lui donne ce grain vocal, cette rugosité d'une émotion habitée par quelque paysage de montagnes et de ruisseaux.


Artiste vénéré dans son pays, ce chanteur surnommé « le rossignol persan », sert de sa voix chaude et profonde aux accents parfois déchirants les textes de Rûmî, Hafez ou Saadi, exprimant ainsi la quête de l'homme vers le Divin, sa soif inextinguible d'Amour et de Lumière. Au sein de son petit ensemble traditionnel, dans lequel il joue du daf, entouré par ses musiciens virtuoses au zarb et au târ, Shahram Nazeri se produit dans le monde entier.

La musique classique persane comporte des espaces de perception qui soulèvent notre imaginaire vers la réalité des anciens chants épiques et guerriers des montagnes, avant de nous faire basculer dans cette profondeur nostalgique du trouble et du déchirement mystique, dans cette souffrance d'une extase sans cesse effleurée. L'âme perse a toujours préféré s'immerger dans cet océan de la transe et de la connaissance symbolique plutôt que de se laisser porter par le fleuve calme de la légalité religieuse.

Ce répertoire musical, tel que l'incarne Shahram Nazeri, se situe au carrefour du modèle traditionnel et d'une interprétation personnelle positionnant le musicien comme créateur à part entière, selon notre conception moderne de l'art. Le système du radif ouvre la voie de l'improvisation au sein d'une structure modale : soumise aux lois mélodiques, cette liberté contribue à créer la tension nécessaire à l'éclosion du sentiment.

Le pouvoir émotionnel de la musique ouvre ainsi une sorte de passage entre le monde réel et spirituel. Il faut constamment franchir la ligne qui permettra au hâl, ce souffle d'inspiration divine, de s'épandre dans le cœur de l'artiste ou du disciple."

*






Samedi 17 juillet à 20h30,
Sorbonne nouvelle, 13 rue Santeuil, Paris 5º, Amphi B.


*


L’espoir kurde

de
Suayip ADLIG

Jeudi 8 juillet 2010 à 18 h 30

à la Bibliothèque municipale Jacques Prévert et
à la Ruche Centre Culturel, rue Vastel à Cherbourg-Octeville.

Reportage photographique réalisé au Kurdistan irakien de juin à août 2005.

(Exposition du 8 juillet au 29 août 2010).

L’ESPOIR KURDE

"Après 21 ans d’exil en France pour raison politique, je retrouve ma terre avec une émotion infinie.

Je vais enfin pouvoir revoir ma famille et mes amis, mais rien n’est simple, il me faut patienter encore quinze jours pour organiser la rencontre avec mes parents près de la frontière entre la Turquie et le Kurdistan irakien, je commence alors mon reportage photographique après avoir obtenu les autorisations nécessaires.

En temps de guerre, il est difficile, même parfois dangereux de se déplacer en toute liberté.

Tout me captive, les lieux, les gens, leur mode de vie, leur résistance, leur espoir. Traduire toutes ses émotions est pour moi aujourd’hui l’objet de cette exposition. C’est aussi le témoignage que le peuple kurde après la chute du régime de Saddam Hussein est toujours vivant debout et croyant dans un avenir plus serein.

J’ai voulu montrer d’une part, l’horreur vécue par les Kurdes de Halabja ( 5000 morts empoisonnés par des armes chimiques) ainsi que dans la région de Barzan ( 8000 morts), exterminés, meurtris et de l’autre des hommes qui se relèvent et souhaitent vivre dans une dignité et une reconnaissance légitimes.

Mon souhait le plus cher serait de voir se propager cet espoir de liberté aux pays limitrophes (Turquie, Iran, Syrie) pour que les kurdes retrouvent enfin leur identité et les territoires dont ils ont été spoliés ; mais ce sera encore au prix de combats et de sacrifices.

Malheureusement, rien ne laisse présager un changement à court terme dans la politique de répression de ces trois pays dans lesquels règne toujours l’aliénation d’un droit à l’expression et à la reconnaissance d’une différence culturelle d’un peuple en quête d’égalité et de légitimité.

Depuis mon reportage, une partie du Kurdistan (nord de l’Irak fédéral) est devenue une région en pleine expansion au sein de laquelle les ressources pétrolières représentent un véritable atout politique et économique.

Aujourd’hui l ’exploitation de cet « or noir » permet le brassage pluriethnique de travailleurs venants des quatre coins du monde et ce, sous la haute surveillance des peshmergas (combattants kurdes) maintenant, ainsi, ce territoire dans une sécurité bien établie.

D’autre part, des moyens ont été donnés pour que des manifestations culturelles (expos-festivalsconférences) puissent exister sans censure.

La nouvelle génération s’ouvre au monde occidental et développe une énergie constructive dans l ‘élaboration d’un avenir pacifique de cohabitation.

Mon travail photographique consiste dans la restitution la plus « juste » du quotidien de ce peuple, qui, après plusieurs décennies de guerre réapprend l’espoir.

Merci à tous ceux qui ont apporté un peu de leur humanité et de leur confiance face à mon objectif pour un plaisir partagé.

Je dédie cette exposition aux martyrs kurdes morts pour la liberté."

SUAYIP ADLIG


lundi, juin 28, 2010

Description d'Amid par Nasir-e Khosrow


Les fondations de la ville reposent sur un rocher monolithique. La longueur de la ville est de 2000 pieds et de même sa largeur. Il y a une enceinte tout autour, faite d'une pierre noire, chaque bloc pesant entre 100 et 1000 maunds (159-1589 kilos). La taille de ces pierres est si habile qu'elles s'ajustent exactement, sans qu'il soit besoin de boue ou de plâtre entre elles. La hauteur de cette enceinte est de 20 coudées, et sa largeur de 10. Toutes les cent aunes, il y a une tour, la semi-circonférence de chacune étant de 8 aunes. Les créneaux sont aussi faits de cette même pierre noire. De l'intérieur de la ville, il y a plusieurs escaliers de pierre, afin que l'on puisse accéder aux remparts, et il y a une embrasure au sommet de chaque tour. La ville a quatre portes. toutes de fer sans aucun éléments de bois, et chaque porte fait face à un des quatre points cardinaux. La porte de l'est est appelée Porte du Tigre, celle de l'ouest Porte byzantine, celle du nord Porte arménienne, et celle du sud Porte du Tell. Hors de ce rempart que je viens de décrire, il y a une autre enceinte, faite de la même pierre. Elle a dix aunes de haut et le sommet est entièrement couvert de créneaux. À l'intérieur des créneaux, il y a un passage assez large pour qu'un homme en armes y circule, s'y arrête et combatte aisément. Les murs extérieurs ont aussi des portes de fer, situées exactement à l'opposé de celles du mur interne, de sorte que si quelqu'un franchit une porte du premier mur, il doit traverser un espace de 15 aunes avant d'atteindre la porte de la seconde enceinte.

À l'intérieur de la ville, il y a une source qui jaillit d'un roc de granit à peu près de la taille de 5 meules. Cette eau est extrêmement plaisante, mais personne ne sait où se situe la source. La ville a beaucoup de jardins et d'arbres grâce à cette eau. Le prince régnant sur la ville est un fils de Nasruddawla* que j'ai déjà mentionné. J'ai vu beaucoup de villes fortifiées de par le monde, dans le pays des Arabes, des Perses, des Indiens et des Turcs, mais jamais je n'ai vu la pareille d'Amid sur la face de la terre, ni n'ai jamais entendu dire qu'elle ait son égal.

* un prince kurde, troisième fils du fondateur éponyme de la dynastie des Marwanides.

Nasir-e Khosrow, Amid, novembre 1046 ; Safarnameh.

mercredi, juin 23, 2010

radio : Charles-Henri de Fouchécour,

Dimanche 27 juin à 6h00 et 22h11 sur France Culture : Le sage et le prince. Avec Charles-Henri de Fouchécourt, auteur de Le Sage et le Prince en Iran médiéval. Morale et politique dans les textes littéraires persans, Xe-XIIIe siècles (L'Harmattan, réedition). Cultures d'islam, A. Meddeb.


Présentation de l'éditeur
La littérature persane est bien représentative d'une morale islamique aux siècles considérés, du 9e au 13e siècle (3e - 7e siècle de l'hégire). De L'Alchimie du bonheur de Mohammad Ghazâli aux Boustûn et Golestûm, chefs-d'oeuvre de Sa'adi, onze ouvrages du genre sont ici présentés. Traités à part, six grands " Miroirs des princes " sont également analysés. Enfin, cinq ouvrages persans de morale systématique sont étudiés, non seulement pour leur référence spéculative aux classiques grecs, mais parce qu'ils appartiennent tout autant à la tradition littéraire proprement persane, objet de notre recherche. Cette morale est un anti-destin. Le sage et le prince croient au pouvoir de l'homme, ils croient aussi qu'il y a un ordre divin animé d'une pensée de perfection. Le ciel fermé du destin est troué d'occasions propices où placer leurs choix décisifs. La parole et la noble conduite sont pour eux les lieux où la perfection humaine est possible. La ruse est un grand sujet, il arrive aussi que des actions bonnes attirent le regard du soupçon.

Biographie de l'auteur
Charles-Henri de Fouchécour est Professeur émérite de l'Université Paris III / Sorbonne Nouvelle. Il a été Professeur à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Directeur du Département des Etudes Iraniennes de l'Institut Français de Recherche en Iran à Téhéran, fondateur de la revue Abstracta Iranica, éditée par l'Institut Français de Recherche en Iran. II est l'auteur de la traduction intégrale du Divân de Hâfez (Paris, Verdier, 2006) récompensée par de nombreux prix en France et à l'étranger.


Broché: 511 pages
Editeur : L'Harmattan (8 janvier 2010)
Collection : Méditerranée médiévale
Langue : Français
ISBN-10: 229609936X
ISBN-13: 978-2296099364



mardi, juin 22, 2010

Flâneries ottomanes : L'humilité chrétienne, cauchemar du voyageur européen




Que ce soit en lisant le récit du père Giuseppe Campanile sur ses années passées au Kurdistan, ou bien le comte de Cholet sur les Arméniens d'Erzurum, les chrétiens de Diyarbekir ou de Mossoul, ou bien Gobineau qui, dans son essai Religions et philosophies dans l'Asie centrale, défend l'islam mais juge le christianisme local d'une "ignorance effrayante"

"Quand, par un grand hasard, il m'est arrivé de rencontrer un prêtre chrétien indigène qui s'occupât, outre le soin exagéré de ses intérêts temporels, de quelques questions plus élevées, j'ai constaté qu'il était soufy. Rien de plus simple."

j'avais déjà été frappée par le mépris, voire l'horreur hostile des voyageurs européens envers le christianisme oriental. Il est vrai que les églises du christianisme ottoman ou safavide et qadjar étaient tombées dans une certaine décadence intellectuelle et économique, en ce qui concerne en tout cas les régions les plus pauvres des empires, dont les provinces kurdes faisaient partie. On peut aussi envisager, de la part d'un Dominicain pétri de culture classique comme Campanile, que l'image du christianisme que lui offraient les chrétiens nestoriens ou chaldéens, tribaux ou rayas, semblait peu flatteuse pour un catholique romain.

Dans ses lectures des voyageurs anglais de l'époque victorienne, Philip Glazebrook se fait, lui aussi, cette réflexion que le mépris des voyageurs ou missionnaires européens ou américains envers leurs coreligionnaires d'Orient a pour source le malaise, ou la gifle sociale, que provoquait, parmi les "maîtres du monde blanc", la vue des chrétiens soumis et humiliés par une classe dominante musulmane, alors même que le lectorat chrétien occidental, protestant ou catholique, devait se sentir conforté dans la supériorité de sa civilisation, une supériorité qui devait être non pas circonstancielle, uniquement due à des rapports de force politiques ou économiques toujours mouvants, mais essentialiste, l'islam devant porter en lui, intrinsèquement, les germes de la stagnation et de la récession.

Écrivant pour cette classe, le voyageur était tenu de porter sur ce qu'il voyait le regard d'un chrétien ayant une solide connaissance de la Bible, de l'archéologie qui s'y rattachait comme de l'histoire de l'église. Le lecteur attendait des attaques en bonne et due forme contre le mahométisme et ses effets pervers sur l'organisation politique, économique et sociale des pays islamiques, et rares étaient les livres de voyage qui le laissaient sur sa faim. Une citation de Rich [Claudius James Rich, auteur, entre autres, d'un Narrative of a Residence in Koordistan and on the site of Ancient Nineveh, d'après un voyage fait en 1821] s'adressant à son public anglais résume fort bien tout ceci : "La religion mahométane est un obstacle à tout progrès. Il est impossible qu'une nation devienne civilisée sans renoncer au mahométanisme." (Flâneries ottomanes)

Mais voilà, sous la plume de beaucoup de ces voyageurs ou missionnaires, fondamentalement hostiles à l'islam, transpercent un plus grand mépris, voire une répulsion irrationnelle, envers les sujets chrétiens des empires musulmans, qui leur offrent un miroir avilissant, un peu comme si un gentleman sorti d'Eton se découvrait un cousin parmi les coolies de Bombay...

Chemin faisant, je me mis à songer à l'attitude ambiguë des auteurs de livres de voyages victoriens envers l'Islam. Ils condamnaient avec la plus grande vigueur Mohamet et ses œuvres, et en particulier l'aspiration des mahométans à un paradis de "luxure", mais surtout pour se dédouaner auprès des bibliothèques de prêt. Leurs véritables sentiments, qui filtrent à la faveur d'apartés, sont bien plus complexes. Tout d'abord, l'Anglais qui voyageait à travers l'Islam se sentait par nature attiré par les puissants plus que par les traîne-misère – par le pacha et le cheikh plus que par le domestique et le prêteur sur gages – et en cela il était amené à s'associer plus aux musulmans qu'aux chrétiens. Les chrétiens, grecs ou syriens, étaient de tous les habitants de l'Empire ottoman, les plus misérables et les plus méprisés. Certes le Christ en personne avait été misérable et méprisé dans ces contrées au temps de l'Empire romain, mais le regard que le gentilhomme anglais portait sur le monde était déterminé par la confiance qu'il avait dans son propre ascendant, lequel n'était nullement en contradiction avec les vertus chrétiennes telles qu'elles s'étaient affinées en Angleterre. Qu'il dût avoir pour partenaires naturels ses coreligionnaires, des mendiants et des domestiques, ne faisait ni son affaire ni celle de ses lecteurs. C'est ainsi que Rich déplore l'état dans lequel il trouve un village du Turkestan "qui serait un endroit convenable sans l'extrême saleté qui est, avec les relents d'alcool, je suis au regret de le dire, le trait distinctif des villages chrétiens de la région." En consignant simplement les faits, le voyageur s'éloigne insensiblement de sa défense inconditionnelle du christianisme contre l'Islam.

L'Empire byzantin ayant succombé depuis quelques siècles, le reste du christianisme d'Orient n'ayant jamais été la religion au pouvoir, le chrétien européen se trouvait donc confronté à un chrétien soumis, bien plus semblable aux juifs de la Palestine romaine et aux premiers chrétiens que le colonisateur européen, qui, lui, jouait le rôle de l'occupant romain ou de l'oppresseur ottoman aux Indes, en Afrique et en Extrême-Orient. Là-bas, les races inférieures à civiliser et convertir étaient hindoues, animistes, bouddhistes ; en terre d'islam, les sous-sujets méprisables et forcés d'être humbles (vertu de "ceux qui y sont contraints par la force des armes", idée des plus nietzschéennes) étaient les giaours, d'où un tiraillement entre loyauté religieuse et de classe qui amène Glazebrook, partant d'une réflexion sur l'humilité dans l'art chrétien, à parier très drôlement sur la relation d'étape qu'aurait choisi un voyageur distingué du XIXe siècle parachuté dans la Jérusalem de l'an 28-30 !



L'humilité est une vertu inconnue du monde antique. Seuls ont l'air humble dans l'art préchrétien ceux qui y sont contraints par la force des armes. On voit souvent sur les stèles funéraires cette merveilleuse acceptation sereine de la mort, une noble tristesse, mais jamais la contrition ni l'humilité, encore moins l'abjecte autohumiliation si répandue dans l'art chrétien.

L'idée m'intéressait pour la lumière qu'elle jetait sur l'humilité et la soumission extrêmes des chrétiens des empires de l'Orient au siècle dernier, humilité qui, comme je l'ai dit, provoquait le dégoût de ces gentlemen chrétiens lorsqu'ils devaient se rendre à l'évidence que leur religion les associait dans ces pays à une race inférieure. Il n'y a guère que le docteur Wolff, juif allemand converti en missionnaire chrétien, qui brille à chaque page de son récit insensé en tant que voyageur d'une humilité à toute épreuve pour qui tous les hommes qu'il rencontre sur sa route se valent. Mais à l'exception du docteur Wolff, le voyageur se sentait plus proche du puissant que de l'opprimé, que ce puissant fût le sultan de Stamboul ou César Auguste à Rome. La veille de la Crucifixion, il n'aurait pas dîné là-haut mais avec Ponce Pilate. Au vrai, la classe dirigeante a toujours dû placer les vertus antiques – bravoure, tempérance, sagesse, justice – au-dessus des vertus spécifiquement chrétiennes d'endurance dans la souffrance, de charité, de foi, d'espérance et d'humilité, qui sont les vertus de l'opprimé. On touche ici à la difficulté absolument centrale, difficulté qui torturait tant Gladstone et maint autre érudit chrétien de l'époque victorienne, qu'il y a à réconcilier Homère et la Bible.

Mais, comme Voltaire brocarde Mahomet pour s'en prendre en filigrane à la papauté, on peut, suppose Glazebrooke, voir derrière le mépris des voyageurs, une façon de régler quelques comptes avec leur propre éducation religieuse et de railler un clergé et leurs ouailles lamentables de superstition, ce qu'ils ne se seraient sans doute pas permis par bienséance ou prudence politique s'ils étaient restés chez eux :

On peut imaginer que le voyageur de l'époque, qui était le plus souvent un homme, disons, affranchi, ait été dans un premier temps surpris de trouver ses coreligionnaires en Orient dans un tel état d'abjection tandis que les riches et les puissants dont ils se sentaient plus proches embrassaient des croyances qu'ils tenaient a priori pour maléfiques et ridicules ; mais je le vois aussi bien puiser dans cette liberté donnée au voyageur loin de chez lui pour prendre ses distances avec les idées reçues de son éducation religieuse. Dans une salle de classe anglaise, il n'avait sans doute pas vu toute la difficulté qu'il y avait à concilier l'humilité, vertu judaïque inconnue des Grecs, avec les vertus classiques qui lui avaient été inculquées tout au long de ses études ; en Orient confrontée à l'humilité chrétienne telle qu'elle était mise en pratique par des hommes pour qui l'humilité n'avait rien d'une vertu, il se rendait peut-être compte qu'il n'était pas, qu'il n'avait jamais été, ni de près ni de loin, humble au sens chrétien du terme. En mettant l'accent dans son récit sur la saleté, la fourberie, l'idolâtrie des chrétiens de l'Orient, en s'appesantissant sur les énormités et les absurdités du sectarisme chrétien en Terre sainte, il pouvait railler par la bande, en quelque sorte, le christianisme de bon aloi des couches supérieures de la société anglaise. C'est à Jérusalem, et dans le Saint-Sépulcre même, que la raillerie était la plus facile.

Les récits de voyage au Kurdistan, assez uniformément peuplés de chrétiens ignorants et abrutis par la soumission, ou sournois quand ils contrarient les projets des missionnaires, ou de Kurdes brigands, sauvages et proches de l'animalité, permettent au moins de réconcilier les deux antagonismes socio-religieux : certes les chrétiens, arméniens ou syriaques, sont opprimés, crasseux, couards, superstitieux, mais au moins ils sont asservis par des musulmans qui ne sont guère plus élevés dans l'échelle civilisationnelle : Les Kurdes, tribus guerrières, brutales, qui les exploitent et les volent sans vergogne. Les clichés sur la rusticité et l'animalité des montagnards sont d'ailleurs empruntés aux descriptions de la paysannerie européenne vue par les classes urbaines ou rurales dominantes. Au Kurdistan, du moins, un voyageur pouvait se sentir à la fois étranger aux chrétiens rayas et supérieur aux seigneurs kurdes, ce qui, de façon logique, les induit à avoir plus de sympathie pour ces derniers et même, suscite de la part des Européens une certaine indulgence, voire compréhension, pour les exactions des tribaux envers les paysans sédentaires, tant ces derniers semblent finalement mériter leur sort.

"Ceux-ci, de nature essentiellement timide et poltrons de père en fils, se plaignent, se lamentent, et au lieu de réagir ouvertement et de s'organiser eux-mêmes en bandes armées pour rendre la pareille à leurs turbulents voisins, intriguent en cachette et ont si bien su s'aliéner tout bon sentiment des autorités locales que celles-ci les ont complètement abandonnés et se refusent à les protéger d'aucune manière. Il leur a même été défendu, à la suite des derniers complots d'Erzeroum, de porter quelque arme que ce fût, même pour la sécurité personnelle, et tandis qu'on ne peut rencontrer le moindre Kurde sans son yatagan, son sabre, son fusil, sa lance ou ses pistolets, voire même quelquefois avec toutes ses armes ensemble, les Arméniens errent lamentablement et sans défense sur le sol qui leur appartenait jadis." (Voyage en Turquie d'Asie, Arménie ; Comte de Cholet).

La couardise et l'aspect misérablement antipathique de la population raya ressort dans toute la description des villages arméniens d'Erzurum par le comte de Cholet, qui ensuite insiste longuement sur les efforts désespérés des missionnaires pour moderniser un peu les chrétiens arriérés de Mossoul. Finalement, vient immanquablement un passage sur les superstitions ou hérésies des églises orientales, ce qui aboutit même à la justification du génocide de 1915 par François Balsan, pour qui les Arméniens sont de toute façon des hérétiques, traîtres génétiques, qui ont ainsi attiré sur eux les massacres. L'on retrouve aussi, chez ce Français, la fascination ou la sympathie pour les "races supérieures et dominantes", ici les Turcs, alors que les Kurdes apparaissent encore comme de braves sauvages, le brigand montagnard rude et pas malin, mais guère méchant pour peu qu'on le tienne en joue.

Ainsi dans ce dégoût ambivalent des nations européennes pour leurs coreligionnaires "opprimés", on peut y voir les sources de l'indifférence relative envers les massacres et les génocides, voire même ensuite, avec Balsan, sa justification a posteriori, "ils l'avaient bien cherché, en somme"...


Histoire de Titan Tamar Hussein

Des massacres de l'Anfal, le génocide des Kurdes perpétré par Saddam, les témoignages sont rares concernant les fosses communes car, contrairement aux attaques chimiques qui tuèrent beaucoup mais pas toujours instantanément, il y eut peu de possibilités d'en réchapper. Un nombre infime de personnes a pu survivre à la fois aux balles et à l'étouffement quand les soldats irakiens les croyaient morts dans les fosses.

Titan Tamar Hussein, 56 ans, de la ville de Qasrok, près de Shekhan (province de Duhok) est de ceux-ci.

Le 13 mars 19919, alors qu'il est âgé de 19 ans, son destin aurait dû s'achever, comme trois de ses frères, un oncle et six autres Kurdes, dont un enfant de 12 ans, criblé de balle et enterré dans une fosse commune. Par miracle, des 8 balles qui le visèrent, aucune n'entama plus que les vêtements qu'il portait et, au bout de 20 minutes, il put se dégager de la fosse qui ne contenait plus que des cadavres.

Au soir du 13, en effet, la mère de Titan lui demande de ramener son frère Bashar. Il se rend alors à Duhok en voiture avec deux autres de ses frères, Muhammad et Abdul-Jabar, pour se rendre chez leur oncle Abdul-Rahman où ils le trouvent. Tous reprennent alors le chemin du retour.

C'est alors qu'ils sont capturés par l'armée irakienne :

"C'était l'heure de la prière du soir et nous avons passé l'intersection de la ville de Faïda (20 km à l'ouest de Duhok). C'est alors que nous sommes tombés dans une embuscade des Forces militaires irakiennes. Au début, nous pensions que c'était des Peshmergas (résistants kurdes), mais quand nous nous sommes approchés, nous avons vu que c'était des soldats. Ils nous ont immédiatement tirés hors de la voiture et nous ont bandés les yeux. Nous ne cessions de demander ce que nous avions fait et de répéter que nous étions des Irakiens, tout comme eux. Ils nous disaient qu'ils ne nous feraient pas de mal. Ils voulaient seulement nous interroger et ensuite nous libéreraient."

Titan, ses frères et leur oncle Abdul-Rahman sont emmenés au quartier général militaire de Filfel, près du village de Badrik, district de Faïda. Ils y restent enfermés, toujours aveuglés, deux jours durant.

"La troisième nuit, ils ont amené six autres personnes, des Kurdes. L'un d'entre eux était un enfant de 12 ans. Le troisième jour, qui était aussi le premier jour du Ramadan, on nous a mis dans une voiture et ils nous ont dit que nous allions être interrogés. Ils nous ont conduit hors du quartier général, nous avons roulé près d'un kilomètre, quand soudain la voiture a stoppé, deux personnes sont descendues et ont crié : "Ils vont nous abattre !" Alors deux soldats sont venus sur moi, m'ont saisi par le cou, m'ont tiré hors de la voiture à côté de ces deux personnes. Ils ont mis 11 d'entre nous dans un trou qui faisait 12 m de long, qui avait été creusé par un camion-pelle."

Titan et les autres implorent les soldats en leur assurant qu'ils n'étaient que de pauvres gens, sans liens avec les Peshmergas, mais sans résultat :

"ils nous ont dit de rester tranquilles, fils de porc, vous êtes des amis de Mam Jalal (Jalal Talabani, l'actuel président kurde de l'Irak). Nous allons vous tuer."

Basharm le frère de Titan, se tourne vers lui et lui demande pardon (quand des Kurdes se séparent, pour la mort ou un long voyage, ils se pardonnent mutuellement leurs offenses), prononce la Shahada, la profession de foi musulmane et dit : "Nous sommes finis."

"Juste quand Bashar parlait, les tirs ont commencé et nous avons tous commencé de crier et pleurer. Après un tir nourri, l'enfant de 12 ans a hurlé : "Finissez-moi !" Le commandant de la troupe a abattu sur l'enfant, et j'ai pu voir qu'il abattait encore deux autres personnes derrière moi."

Après avoir tiré, les soldats recouvrent la fosse. À ce moment, Titan ne savait plus s'il était mort ou vivant – "J'ai vu le Jour du Jugement de mes propres yeux", avant de réaliser qu'il est sauf. "Je me suis examiné et j'ai vu que j'étais sain et sauf, et je me suis dit : "Mon Dieu ! Qu'est-ce qui se passe ? C'est le Jour du Jugement ? Qu'est-ce qui se passe ?"

"Après 20 minutes, j'ai entendu les voitures partir et j'ai essayé de sortir de la tombe ; quand je suis sorti, j'ai pris la direction du nord. J'ai fait 20 mètres en marchant, puis mes yeux se sont assombris et je suis tombé. Je ne pouvais plus marcher. Le matin suivant, j'ai pu gagner le village d'Alkishkiye. On m'a demandé où j'allais et j'ai dit que je me rendais à la ville de Qasrok. Ils m'ont demandé comment je pourrais y aller, car c'était très loin. Je suis alors allé en voiture à Qasrok et quand j'ai raconté à mes parents ce qui s'était passé, ils sont devenus fous."

26 jours après les meurtres, Titan revient à Faïda, avec quelqu'un de sa famille, déguisés avec des vêtements arabes, pour tenter de retrouver les corps.

"Nous avons cherché dans toute la zone jusqu'à ce que nous trouvions la tombe et j'ai vu tout de suite les corps de mes frères, mais nous avions trop peur des forces de Saddam pour les en retirer."

8 mois plus tard, Titan entend dire que Tahsin Beg, le prince des Yézidis, a fait exhumer une fosse de yézidis tués. Titan vient alors l'informer qu'il connaît, lui aussi, une fosse contenant les corps de 11 personnes.

"Immédiatement, nous nous sommes rendus sur les lieux et avons ouvert la tombe. Par leurs cartes d'identité et leurs vêtements j'ai identifié mes frères, ainsi que mon oncle. Entretemps, ils avaient mis d'autres personnes dans la fosse, il y en avait maintenant 6 de plus, mais nous ne les connaissions pas, aussi nous les avons ré-ensevelis."

Deux des frères de Titan étaient mariés et leurs familles revinrent à sa charge. Actuellement, il doit entretenir 3 familles, soit 20 personnes. Sa situation financière n'est pas aisée et il a reçu peu d'aide du gouvernement. "Ils ont donné seulement deux terrains aux familles de mes frères. Je suis un martyr survivant mais je ne touche aucun revenu. Je demande au PDK et au président Barzani de nous aider, parce qu'après ce qui s'est passé, nous ignorons ce qu'est le bonheur."

La semaine dernière, Titan a été appelé à témoigner devant la cour suprême irakienne, à Bagdad, qui juge les meurtres de masse de 1991 (ceux qui ont suivi la révolte kurde et chiite de cette même année, quand après le retrait de Saddam du Koweit, les Forces alliées ont laissé massacrer les chiites et les Kurdes que Bush senior avait pourtant appelé à se révolter en les assurant de leur appui) :

"J'ai été très heureux quand j'ai vu ces tyrans derrière les barreaux. J'ai dit au tribunal ce que j'avais vécu et que j'espérais que ceux qui étaient derrière les barreaux connaissent le même sort que Saddam."

La cour suprême irakienne doit d'ailleurs envoyer une équipe pour ouvrir la fosse et identifier le reste des victimes, mais, selon un avocat kurde de la partie civile, ce déplacement a été reporté "pour raisons financières", les frais en incombant à cette cour.

Quand au jugement, il se poursuit et en est à sa 35ème session.

(source Rudaw.net, reportage Abdulla Niheli)

mercredi, juin 16, 2010

TV, radio : Iran, Irak, Tiherry Zarcone

TV

Mardi 22 juin sur ARTE , THEMA : Être jeune en Iran.

-20h 35 : Iran, révolution verte. Documentaire d'Ali Samadi Ahadi (All., 2010). 55 mn.
-21h 30 : Les Couleurs de l'amour, documentaire de Maryam Keshavarz, (All., 2005). 55 mn.

Radio

Dimanche 20 juin à 16h sur France Culture : Les mutations de la société irakienne depuis la fin de la guerre, avec Jean-Piere Luizard ; Place des peuples. Madeleine Mukamabano.

Vendredi 25 juin à 21h00 sur France Culture : Thierry Zarcone, spécialiste de l'Islam et de la Turquie ; For intérieur, Olivier Germain-Thomas.

mardi, juin 15, 2010

Hommage au Sheikh Ma'shouk Khaznawî



Samedi 19 juin 2010, à 16h00, à l'Institut kurde de Paris, en commémoration du 5ème anniversaire de l’assassinat du Cheikh Ma’shouk KHAZNAWI, un débat-hommage aura lieu animé par :

Mme Sève IZOLI, avocate au Barreau de Paris, Mme Françoise MORZIE, Amnesty International, M. Adi ADI, représentant le Comité de la Déclaration de Damas en France, M. Abdelrazzak AID, écrivain, M. Murshid Ma’shouk KHAZNAWI, Me Hussein Sado, avocat au Barreau de Paris et Hasan SALEM, représentant le Comité de la Déclaration de Damas en France,

Pour évoquer le problème des prisonniers politiques et l’état de la démocratie en Syrie.

Institut kurde de Paris, 106 rue Lafayette, 75010, Paris. Entrée libre.


samedi, juin 12, 2010

Le Kurdistan et ses chrétiens : Entretien avec Louay Shabani, syro-antiochien d'Irak, Italie

"Toute ma famille est syro-antiochienne, ce qui n'a pas empêché des mariages interconfessionnaux ou mixtes. Deux de mes sœurs ont, de fait, épousé des jacobites, donc des orthodoxes, mais cela n'a entraîné aucun problème. La coutume en Orient voulant que les enfants suivent la confession du père, les équilibres familiaux sont sauvegardés par une rotation : on alterne la célébration des fêtes religieuses, pour Pâques on fréquente une église et pour Noël l'autre, bien que les enfants soient affilés à l'église syro-jacobite. En général, il ne se pose pas de gros problèmes, quelquefois seulement des difficultés peuvent surgir pour la célébration de Pâques à cause de sa date et des calendriers liturgiques différents suivis par les deux églises.
*
En ce qui concerne leur localisation, les chrétiens qui se trouvent dans l'hinterland de Mossoul, vers la région Nord, sont les plus proches des Kurdes. Et ces derniers temps, un tel voisinage n'est pas seulement géographique mais encore de nécessité : les chrétiens doivent pouvoir disposer d'une force prête à les protéger.
Comme dans tout l'Orient chrétien, chez nous aussi le culte de la Vierge Marie est très développé. Outre les temps liturgiques qui lui sont consacrés par notre rite, sous influence latine, tout le mois de mai lui est aussi consacré par la récitation du rosaire. Les sanctuaires mariaux sont toujours pleins de monde, parfois même de musulmans qui eux aussi ont une grande vénération envers Notre Dame.
Nous autres chrétiens nous constituons une minorité assez faible et nous devons nous confronter à l'islam, c'est pourquoi nous ne créons pas de tension avec les autres chrétiens. Nous avons de bons rapports avec les yezidis.
Dans la province de Mossoul, comme dans tout le pays, l'enseignement est donné en arabe, l'arabe étant la langue officielle de l'Irak, mais nous chrétiens nous parlons le soureth araméen qui se transmet de père en fils et se maintient dans la liturgie. Habituellement il y a des personnes âgées de la communauté qui donnent des leçons aux enfants. Au cours de la divine liturgie, même si elle se célèbre parfois en arabe, le moment de la consécration est toujours en syriaque-araméen. Le missel lui-même est bilingue : arabe et araméen. Le temps passant, à cause des problèmes de survie et de la globalisation, l'usage de l'araméen est un peu en train de se perdre, cette langue qui naquit à l'origine comme parlée et est devenue liturgique, se détachant un peu de celle que les chrétiens parlent à la maison, et devenant quasi-incompréhensible. C'est la raison pour laquelle, dans les célébrations liturgiques, en fonction de son inspiration du moment, le prêtre alterne les deux langues (arabe et syriaque). Dans mon village de Bartella, en semaine les messes du matin sont célébrées en syriaque parce que les personnes âgées préfèrent leur langue maternelle, la messe de fin d'après-midi est en arabe parce que fréquentée surtout par des jeunes qui étudient ou travaillent à Mossoul. Autre particularité : la messe du matin est traditionnelle, le célébrant tournant le dos aux fidèles. Au contraire le soir le prêtre célèbre face au peuple.
Les chants et les hymnes les plus beaux et les plus populaires sont ceux d'Ephrem, transmis oralement de père en fils et mis aujourd'hui seulement par écrit. Nous chantons surtout à Pâques. Il y a une grande participation populaire et beaucoup d'émotion. Par exemple un chant dit "de la Croix" raconte que la croix sur laquelle est mort Jésus a parlé et raconte les différents moments de la crucifixion."
Mirella Galletti, Le Kurdistan et ses chrétiens : Entretien avec Louay Shabani, syro-antiochien d'Irak, Italie, 2007.

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Conférence : Lecteurs et copistes dans les traditions manuscrites iraniennes, indiennes et centrasiatiques


Du 15 au 17 juin 2010,
colloque international
organisé par
Mondes iranien et indien :

Lecteurs et copistes dans les traditions manuscrites iraniennes, indiennes et centrasiatiques

Université Sorbonne nouvelle Paris 3
13 rue Santeuil, 75005 Paris
Salle Las Vergnas (3e étage)


Responsables
Nalini Balbir et Maria Szuppe
Comité scientifique
Nalini Balbir, Georges-Jean Pinault, Francis Richard, Maria Szuppe.

Présentation
Ce colloque international réunit des spécialistes et des jeunes chercheurs dont le travail sur le manuscrit et le document constitue le quotidien. Le but est de contribuer à l’histoire de la culture écrite dans les aires orientales, depuis le début de notre ère jusqu’au tournant du XXe siècle, en étudiant, en particulier, ce qui fait la vie d’un manuscrit à partir de son support aussi bien que de son contenu.

Au centre de nos réflexions figure la question des rapports et des relations historiques et philologiques entre les trois différentes traditions manuscrites, iranienne, indienne et centrasiatique. Ces traditions qui se déploient sur un vaste espace géographique et culturel où les interactions et les points de contact sont anciens et nombreux, utilisent des langues et des écritures très diverses. Transmission écrite et transmission orale sont intimement liées dans ces cultures où le texte copié ne semble jamais définitif. La réalité des pratiques d’écriture et de lecture aussi bien savantes, administratives que quotidiennes peut être éclairée par l’étude matérielle des manuscrits et des documents, de même que par l’analyse du contenu que ceux-ci transmettent.

Dans ce processus, le copiste joue un rôle central par le contrôle qu’il exerce sur le texte même ou le pouvoir qu’il a de l’adapter, de l’altérer voire de le corrompre. L’existence d’un grand nombre de manuscrits en circulation dans ces aires culturelles à toutes les époques conduit à s’interroger sur leur réception à travers l’espace et le temps, et les usages multiples qu’en font leurs propriétaires et lecteurs. Mais au-delà de sa fonction utilitaire, le livre manuscrit est considéré au sein de ces sociétés comme un objet de prestige et de valeur.

vendredi, juin 11, 2010

action poétique : Dix poètes kurdes


Ferhad Pîrbal, Quarante-quatre définitions de l'exil (extraits)



1) Un tourbillon t'emporte.
2) Un enfant de neuf ans entre dans un bazar et ne comprend la langue ni des personnes ni des objets.

5) Contraint de se prendre pour un autre.
6) Le cœur infatigable de la création.
7) L'indignité, les yeux baissés, le sentiment d'infériorité.
8) L'indigne indignité, les yeux bas baissés, le sentiment inférieur de l'infériorité.
9) La nostalgie des voisins.

17) Ne pas oser regarder dans les yeux un petit vaurien allemand.
18) Acheter à moitié prix à un réfugié libanais un manteau volé.
19) À Copenhague, dire à une vieille Polonaise décrépite et divorcée : "Je suis très hreux de vous connaître, Madame."

22) La maladie d'attendre, perpétuelle, attendre, attendre, une lettre.
L'envie toujours d'écrire, toujours, toujours, une lettre.


24) L'angoisse du dimanche soir : aller ou ne pas aller s'asseoir dans un bar.
25) Être jaloux d'un chien norvégien.


27) "Porc noiraud".

35) À Paris, une vieille Juive portugaise te prend en pitié et te dit :
Pourquoi ne pas rentrer dans ton pays, mon fils ?

38)Ne pas parler kurde pendant dix-huit mois.

44) Enivré de haschich, jurer sur les quarante-quatre prophètes que tu es le quarante-cinquième.


Ferhad Pîrbal : Né en 1961 à Erbil, où il demeure. Il a fait une partie de ses études à Paris. Critique littéraire, il enseigne l'esthétique à l'université Selaheddîn d'Erbîl. Personnalité marquante de la vie culturelle et intellectuelle du Kurdistan d'Irak, il a publié de nombreux livres (poèmes, romans, pièces de théâtre, essais...).

Le Kurdistan et ses chrétiens : Entretien avec Gladys Warda, assyrienne de Turquie, Uruguay, 2006

Quelle est l'importance de la religion pour maintenir vivante l'identité nationale ?

Je crois qu'il est intéressant de raconter pourquoi mon père est devenu méthodiste. Il lisait la Bible en araméen, et fréquentais l'Église catholique. Un jour, en parlant avec le curé, il lui dit qu'il lisait la Bible dans la langue de Jésus-Christ. Le prêtre lui répondit que ce n'était pas permis, que seules les autorités de l'Église pouvaient lire la Bible et l'interpréter. À cette époque, mon père était marchand ambulant, et l'un de ses clients était le pasteur de l'Église méthodiste. Quand le pasteur sut ce que lui avait raconté le curé, il dit à mon père qu'il pouvait venir dans son Église et lire la Bible autant qu'il voulait.

Donc, pour répondre à votre question – au moins dans le cas de mon père – la religion est fondamentale pour maintenir l'identité nationale.

Mirella Galletti, Le Kurdistan et ses chrétiens, entretien avec Gladys Warda, assyrienne de Turquie, Uruguay, 2006.


jeudi, juin 10, 2010

Radio : Syrie, Assyrie

Samedi 12 juin à 13h20 sur France Inter : Le nucléaire syrien (1). Rendez-vous avec X.

Du lundi 14 au vendredi 18 juin à 6h00 sur France Culture : Assyriologie - Le roi mésopotamien et ses prophètes. Cours de Jean-Marie Durand. Collège de France, l'Éloge du Savoir.

Action poétique : Dix poètes kurdes


Terze Caf, Portraits de la ville (extraits)



Premier portrait

Aux pieds du mont Gwêje, face à la route de Heware
Berze, un tout petit village timide, craintif,
Un châle de boue sur les épaules,
Contemple les bottes gigantesques
Et sans peur de la ville !



Troisième portrait

Une enseignante, dans un lycée, à Erbîl,
Elle porte un chemisier blanc, une jupe
Trois-quarts bleue et une cravate
Bleue et une paire de bijoux
Pour les pieds, vingt-cinq carats
Aux chevilles.


Sixième portrait

Un chat blanc au milieu de la chaussée,
En début de soirée, face aux klaxons
Des voitures, reste figé, à un mètre
Et demi de son copain écrasé
Par les voitures.


Huitième portrait

Devant la foire "New City"
Face à toute cette agitation
Multicolore, une charrette
De fèves nues attend sa chance.


Portrait de Du'a*

Une jeune fille amoureuse,
Sous le jet de pierres,
Avant que son crâne n'explose,
De deux doigts, tente, en vain,
Devant les téléphones portables,
De cacher sa jupe déchirée.

* Jeune fille yézidie de Ninive lapidée par les siens en avril 2007 pour relations coupables avec un musulman. La lapidation avait été photographiée ou filmée par les portables de la foule.

Terze Caf : Née en 1972 à Silêmanî. Elle vit à Erbîl. Elle est journaliste et traductrice, notamment de l'arabe. Elle a publié deux livres de poèmes.

Le Kurdistan et ses chrétiens : Entretien avec Francis Sarguis, assyrien d'Iran

Comment définissez-vous assyriens, chaldéens et syriens ?
Je vais vous donner mon opinion, mais je précise que je ne prétends pas être un grand connaisseur. Mon opinion relève de lectures faites d'un point de vue général, ne concernant pas les trois seuls groupes dont il est question, mais l'histoire des identités nationales.
En premier lieu, je pense que le terme d'assyrien appliqué à la population contemporaine est une invention relativement récente. Je crois qu'il a été introduit pour la première fois par la mission de l'Église d'Angleterre auprès des assyriens, il y a environ cent cinquante ans.
Je ne m'oppose pas résolument à cette dénomination identitaire, même si je la considère comme présomptueuse. Pourquoi ? En général, ceux qui proclament "Je suis assyrien" affirment implicitement leur pureté de sang face aux autres habitants de la Mésopotamie. Selon mon point de vue, il n'y a pas de doute que notre peuple vient de Mésopotamie et y a vécu pendant des siècles, mais il n'y a pas de raison évidente pour que dans cette région nous soyons les plus "anciens" par rapport à d'autres groupes. Pour autant que je sache, la seule différence entre nous et les yézidis, les Turcs, les Persans, les Kurdes, les Qashqai, etc. c'est que nous, nous sommes chrétiens, et que eux ne sont pas chrétiens. Si notre revendication d'une "identité unique" est associée à notre christianisme, nous ne sommes pas en mesure de rendre compte de la période de sept siècles séparant la chute de l'Empire assyrien de celle où notre peuple embrassa le christianisme.
En d'autres termes, je considère comme bien douteuse la revendication selon laquelle nous sommes "assyriens" au sens où nous serions les descendants directs des assyriens antiques, ce qui implique que d'autres peuples, dans la région, sont différents à cet égard.
Votre question concerne d'autre part les chaldéens. J'appartiens au groupe selon lequel les chaldéens ne constituent pas un groupe unique distinct des assyriens. Selon moi, ces groupes constituent soit un seul, soit le même peuple. Un groupe est chaldéen catholique et l'autre est nestorien (ou membre de l'Église de l'Orient). Je suis conscient de ce que la majeure partie des chaldéens n'accepte pas la prémisse selon laquelle ils ont la même identité que les nestoriens.
Quant aux "syriens", il y a deux réponses. D'abord, tous les citoyens de la moderne république de Syrie sont syriens, quelle que soit leur religion. Mais pour répondre plus précisément dans le sens probable de ta question, j'associe le qualificatif "syrien" aux membres de l'Église syro-orthodoxe (jacobites) et aussi à ceux de l'Église syro-catholique (à l'exclusion des melkites).
Et que les "syriens" soient un seul et même peuple comme les chaldéens et les nestoriens, je n'en suis pas certain. Quelques personnalités syriennes ont prétendu être assyriennes, comme David Perley dans le passé et Ninos Aho aujourd'hui. De toute façon, comme chez les chaldéens, un gros pourcentage de syriens ne souhaite pas être identifiés dans le même groupe que les assyriens.
Mirella Galletti, Le Kurdistan et ses chrétiens : Entretien avec Francis Sarguis, assyrien d'Iran, 2006.

mercredi, juin 09, 2010

La beauté chez le Persan

La beauté réside pour le Persan dans trois spectacles : le vert, un visage séduisant et l'eau qui coule.

Thierry Zarcone, Le Soufisme, voie mystique de l'islam.

Bougies-derviches

Le Kurdistan et ses chrétiens : Entretien avec Albert Edward Ismail Yelda, Ambassadeur auprès du Saint-Siège

Quels sont les rapports des chrétiens avec le mouvement national kurde ?

Chrétiens et Kurdes ont une relation spéciale et unique, ils ont cohabité pacifiquement pendant des centaines d'années, mis à part dans le passé quelques conflits tribaux relevant du banal.

Les chrétiens soutiennent pleinement les droits nationaux du peuple kurde à une région démocratique et autonome du Kurdistan, et ils ont activement participé au mouvement national et démocratique kurde, surtout depuis la révolution de 1961, sous le leadership de l'immortel leader kurde Mustafa Barzani, en s'opposant aux politiques chauvines des divers gouvernements irakiens et en luttant pour leurs droits politiques, religieux et nationaux.

Nous avons donc des relations privilégiées avec les Kurdes et le gouvernement régional du Kurdistan placé sous le leadership du président de la région, Massoud Barzani. Et notre population chrétienne jouit des droits politiques, culturels, sociaux et religieux, il a ses représentants au parlement régional du Kurdistan et au gouvernement régional.

Aujourd'hui des milliers de réfugiés chrétiens irakiens qui ont été obligés de fuir leurs maisons à cause des extrémistes ont trouvé protection et refuge au Kurdistan irakien."
Mirella Galletti, Le Kurdistan et ses chrétiens : entretien avec Albert Edward Ismail Yelda, ambassadeur d'Irak auprès du Saint-Siège, 2007.


mardi, juin 08, 2010

Le Kurdistan et ses chrétiens : Entretien avec Mgr Rabban Al-Qas

"Pour nous, être libérés de Saddam a signifié la fin des espions à l'intérieur de la famille, quand une personne pouvait être dénoncée par un proche si elle n'était pas considérée comme fidèle au raïs. Aujourd'hui, la règle c'est le respect. L'Occident ferme les yeux sur l'Irak, il ne connaît pas le pays. Il observe les événements du jour et ne prend pas en considération la situation globale. Il a donné de l'argent à Saddam qui, après la défaite, encourage les terroristes.
Les Kurdes constituent la partie la plus évoluée de l'Irak. En exil à l'étranger, ils ont participé à la reconstruction du pays par différents projets. Ils réclament l'État fédéral, et non l'indépendance. Les Kurdes font confiance à l'avenir et reviennent, les chrétiens s'en vont définitivement.
Le mouvement assyrien est guidé par des fanatiques qui aspirent à la reconstruction d'un État remontant à quelques milliers d'années. Ils ne sont pas réalistes.
Les Kurdes se sentent en sécurité et cette sécurité les incite à revêtir moins fréquemment les vêtements traditionnels. Dans cette région, le PDK est, de fait, le parti unique. Ici, c'est la démocratie. Les portes des habitations sont grandes ouvertes.
À Dehok les églises chaldéennes sont bien visibles, vastes, propres, alors que le mouvement assyrien se situe dans une position non visible à l'extérieur."
*

"L'école [Lycée international de Duhok] s'adresse à toutes les composantes de la société irakienne. C'est la seule façon de créer une société nouvelle. Les élèves sont kurdes et turkmènes, de religion musulmane, et aussi yézidis et chrétiens. Aucun Arabe n'est inscrit, parce qu'il n'y a pas eu de demande. L'école a été crée en 2004, en tant que fondation humanitaire française avec participation de la Principauté de Monaco. Élément essentiel : la présence simultanée des connaissances et de la tolérance, avec des fidèles de toutes les religions. Nous devons préparer les générations nouvelles à se tenir éloignées du fanatisme. Il faut être attentif à cohabiter avec les autres."
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"Le ministère de l'Éducation a donné le terrain pour construire les bâtiments scolaires et les moyens de transport. Presque tous les élèves sont de Dehok ; pour une dizaine provenant de zones éloignées le gouvernement régional a pris en charge les dépenses dues à leur accueil en internat.
L'école s'adresse à une élite intellectuelle, l'élève n'est admis que sur un niveau élevé, et si les performances ne suivent pas il est invité à changer. Le lycée est ouvert à tous, sans acceptation d'ethnie ni de religion, il vise à un niveau élevé surtout dans les domaines scientifiques, tient pour essentielle la maîtrise de l'anglais et de l'ordinateur.
Connaître la langue de l'autre est fondamental pour abattre les barrières et les incompréhensions. L'enseignement comprend au moins l'étude de cinq langues. C'est la seule école secondaire au Kurdistan où l'on apprend le français. Les autres langues enseignées sont l'arabe, le kurde, l'araméen. La meilleure élève en araméen est fille de mollah. L'anglais est la langue fondamentale pour les matières scientifiques, il est indispensable pour utiliser le laboratoire de chimie et surtout l'informatique. Chaque élève dispose d'un ordinateur dont il est responsable. En dernière année, tous les enseignements sont donnés en anglais.
Est privilégié l'enseignement des principes de la démocratie, en théorie et en pratique, fondements de la Déclaration des droits de l'homme. L'expérience de la démocratie est proposée et mises en œuvre par les élèves qui présentent des idées et font des propositions dans les assemblées, publient un journal dans les cinq langues enseignées. Dans les cours d'histoire, afin d'éviter les frictions, on omet les références aux invasions de l'islam, et on traite longuement de la révolution kurde qui a apporté la liberté.
Pour éviter les problèmes liés au credo religieux, il n'y a pas d'enseignement de la religion, considérée comme une affaire privée. Dans les autres écoles au contraire on enseigne habituellement l'islam ou le christianisme. On évite aussi avec le plus grand soin tout ce qui concerne les partis politiques."
Mirella Galletti, Le Kurdistan et ses chrétiens, entretiens avec Mgr Rabban Al-Qas, 2005, 2006.


Concert de soutien à l'Institut kurde