lundi, mai 31, 2010

TURQUIE : LE HARCÈLEMENT JUDICIAIRE LIMITE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION


Dans son dernier rapport sur la Turquie, le constat d’Amnesty International est plutôt pessimiste, jugeant que ce pays n’a fait que peu de progrès en ce qui concerne le respect des droits de l’homme. Les cas de torture et de mauvais traitements en détention persistent, ainsi que les procédures judiciaires visant à limiter la liberté d’expression.

L’organisation pointe également le harcèlement judiciaire et les tracasseries administratives entravant les activités des associations de défense des droits de l’homme en Turquie. « Les défenseurs des droits de l’homme sont poursuivis pour avoir exercé leur travail de façon légitime et rapporter les violations des droits de l’homme. Certaines personnalités éminentes font régulièrement l’objet d’enquêtes criminelles. Ils sont aussi soumis à des contrôles administratifs abusifs et dans certains cas, des procédures judiciaires ont été lancées pour fermer des organisations. Ethem Açıkalın, qui dirige la branche de l’Association des droits de l’homme (IHD) à Adana a ainsi fait l’objet de plusieurs plaintes déposées contre lui en raison de ses activités de défense des droits de l’homme. En octobre dernier, il a été reconnu coupable d’ « incitation à l’inimitié ou à la haine parmi la population » et condamné à 3 ans de prison pour avoir dénoncé la détention, en 2008, d’enfants kurdes impliqués dans des manifestations de rue, ainsi que la suppression des aides de l’État alloués à leur famille. Il a fait appel. En décembre 2009, Muharrem Erbey, vice-président de l’IHD et directeur de la branche de Diyarbakir, a été arrêté car soupçonné officiellement d’appartenance à l’Union des communautés kurdes (KCK), considérée comme étant une branche du PKK. La police l’a interrogé en fait sur ses activités au sein de l’IHD et a saisi des documents relatifs aux abus des droits de l’homme de l’IHD de Diyarbakir. Il est actuellement en détention préventive.

Dans de nombreux cas, les plaintes pour manquements aux droits de l’homme de la part des autorités n’ont fait l’objet d’aucune enquête et les chances de voir juger un fonctionnaire pour de tels abus sont très improbables, alors que les procès irréguliers ont toujours cours, notamment dans le cadre de la législation « anti-terroriste » qui permet d’emprisonner et de punir des mineurs aussi sévèrement que s’il s’agissait d’adultes. Il arrive que des mineurs soient détenus avec les prisonniers adultes et, de toute façon, Amnesty note que le régime des prisons pour enfants offre peu de différence avec les autres centres de détention. En particulier, aucune disposition n’est prise pour que les enfants puissent poursuivre leurs études durant leur peine. Ces mineurs ont été jugés sous les mêmes procédures que pour les adultes, et condamnés sur des allégations douteuses, sans preuve tangible, pour participation à des manifestations ayant dégénéré en violences. De façon générale, le traitement des détenus en prison ne s’est pas amélioré et l’accès aux soins médicaux est régulièrement refusé. Autres manquements aux droits de l’homme : le statut d’objecteur de conscience continue d’être refusé pour échapper au service militaire, les droits des réfugiés et demandeurs d’asile continuent d’être violés. Les homosexuels et les transsexuels rencontrent toujours une grande discrimination dans leur vie quotidienne. Cinq transsexuelles ont été assassinées et un seul de ces meurtres a abouti à une condamnation. Les femmes sont toujours sujettes à des violences privées et familiales, sans que la protection de l’État soit adéquate, en raison du nombre insuffisant de foyers d’accueil, bien que la loi prévoie un foyer pour 50 000 personnes. En septembre 2009, le gouvernement a pourtant signé un protocole en vue de faciliter la coopération des institutions d’État pour lutter contre la violence domestique.

Les atteintes à la liberté d’expression et d’opinion, par le biais de procédures pénales et de condamnations, souvent très lourdes, n’ont de fait pas cessé et n’épargne aucun milieu. Ainsi, le chanteur kurde alévi Ferhat Tunç encoure-t-il 15 ans d’emprisonnement pour « propagande en faveur du PKK » et « agissement au nom d’une organisation illégale », le tout pour un discours tenu lors d’un festival, le 15 août dernier, dans la ville d’Eruh (province de Siirt). Le 15 août 1984 étant l’anniversaire du début de la lutte armée du PKK, l’acte d’accusation affirme par ailleurs que les festivités ont été directement organisées par le Parti des travailleurs du Kurdistan. Ferhat Tunç est poursuivi en vertu de l’article 7/2 de la loi Anti-Terreur sur la propagande pour organisation illégale, ainsi qu’accusé de « crime pour le compte dune organisation sans en être membre » du code pénal turc. Il doit être jugé par la haute cour pénale de Diyarbakir, un tribunal réputé pour sa sévérité et ses condamnations souvent disproportionnées au regard des faits reprochés. Le discours incriminé par la justice turque est celui-ci : « Depuis 25 ans, j’ai été un témoin et un artiste de ce que vous avez vécu dans cette région. J’ai été le témoin oculaire de ces meurtriers en uniforme, qui ont été jugés pour leurs liens avec l’organisation Ergenekon, qui ont tué, qui sont les auteurs d’assassinats non élucidés dans cette région. J’ai été le témoin de la façon dont ces meurtriers en uniforme ont transformé cette géographie paradisiaque en enfer. Oui, je ne suis pas seulement un artiste, mais aussi un témoin. Après 25 années, vous ouvrez, à Eruh, une fenêtre nouvelle vers la paix et la fraternité. Je suis aussi enthousiaste que vous en prenant ce tournant, que vous avez initié en donnant votre sang et votre vie, pour la paix (…) Nous soupirons après une Turquie où les gens pourraient vivre selon leurs croyances, leurs langues, leurs cultures, à égalité. Je dis et j’espère que nos appels pour la paix et la fraternité à Eruh, d’où fut tiré le premier coup de feu, sera entendu dans toute la Turquie. J’espère que notre cri pour la paix sera entendu par les Turcs, les Arabes, les Arméniens et les autres peuples de cette région. Parce qu’il n’y a pas d’autres moyens que la paix et la fraternité, et c’est avec ces sentiments que je vous fais part de mon amitié. »

Autre catégorie socio-professionnelle payant un lourd tribut au harcèlement judiciaire en Turquie : les écrivains, éditeurs et journalistes. Reporter sans frontières dénonce ce mois-ci la condamnation surréaliste de 166 ans et six mois de prison prononcée à Diyarbakir à l’encontre de Vedat Kursun, l’ancien rédacteur en chef du quotidien kurde Azadiya Welat. Vedat Kursun a été reconnu coupable en vertu des articles 314-3 et 220-6 du code pénal et de l’article 7-2 de la loi Anti-Terreur pour appartenance au PKK et propagande en faveur de cette organisation, sentence qualifiée d’ « absurde » par Reporters sans frontières. Arrêté à l’aéroport d’Istanbul le 30 janvier dernier, Vedat Kursun a dû répondre devant la justice turque de 103 chefs d’accusation, tous concernant le journal Azadiya Welat, accusé de « faire la propagande du PKK ». Alors que le procureur avait requis contre lui plus de 500 années de prison, le verdict a fait preuve d’une certaine « clémence » en ramenant la peine à 166 années d’emprisonnement. Le successeur à la tête d’Azadiya Welat, Ozan Kilinç, reconnu coupable des mêmes délits en 2009, a été condamné à 21 ans et 3 mois de prison le 10 février dernier. Un autre éditeur est détenu depuis 4 mois : il s’agit du propriétaire des éditions Aram, Bedri Adanır, dont 38 ouvrages ont été confisqués. En tant que propriétaire du journal kurde Hawar, il est poursuivi pour 4 articles. Le procureur de la Haute Cour pénale de Diyarbakir, Adem Özcan, a requis contre lui 50 années d’emprisonnement, pour « appartenance au PKK » et « propagande pour une organisation illégale », et pour avoir publié un recueil des déclarations d’Abdullah Öcalan, le chef de ce mouvement, adressées à la Cour européenne des droits de l’homme, en vue de sa défense. Ce livre avait été interdit par le ministère de la Culture.

dimanche, mai 30, 2010

De Superman au Surhomme



Tarzan, c'est l'avant-garde des "gendarmes du monde" : toutes les cinq minutes il franchit son Mékong pour aller séparer deux groupes en conflit (au choix : des singes, des Vietnamiens, des Noirs ou des Cambodgiens).
*
Tarzan se transforme en matamore de piscine, son naturisme en circuit touristique. Sa vie est réglée par une femme fixe, un fils idiot et une guenon factotum, sa maison, même si elle est perchée au sommet d'un arbre, s'enrichit de confort et de gadgets multiples. Prochainement sur vos écrans, il aura une télé, un frigo et une machine à laver les pagnes. Certes, Tarzan plonge dans les fleuves (pour que les spectateurs puissent l'imiter), mais il ne se déplace plus en sautant de liane en liane (l'opération n'est pas prévue dans les villages du Club Med).
*
Pourquoi le mythe refleurit-il en France ? Comment s'est-il refait une virginité ? Je ne saurais le dire. Il s'agit probablement d'une exploitation de la nostalgie du quadragénaire en mal d'aventures. Mais je ne crois pas que les Italiens soient particulièrement attirés par Tarzan en tant que tel. Le retour à la nature ? Nous sommes un peuple qui tue les petits oiseaux. Alors, les singes, vous pensez...
Umberto Eco, De Superman au Surhomme.

TURQUIE : POURSUITE DES AFFRONTEMENTS ARMÉS AVEC LE PKK


Le mois de juin a vu la reprise d’affrontements armés entre la Turquie et la guérilla du PKK, qui ont fait plusieurs victimes dans les deux camps. Le 19 juin, une attaque nocturne du PKK contre un poste militaire à Şemdinli, près de la frontière irakienne a fait 11 morts et 14 blessés parmi les soldats turcs. Selon les autorités militaires turques, 12 combattants kurdes auraient été tués.

Naturellement, l’armée s’est livrée à des bombardements de représailles, violant pour la première fois depuis deux ans et demi la frontière irakienne pour tenter d’atteindre les bases de Qandil et pénétrant de 10 km dans la province de Duhok. Par ailleurs, l’état-major a annoncé que depuis le mois de mars, 130 combattants du PKK avaient été tués contre 43 militaires turcs. L’attaque du PKK à Şemdinli et les bombardements de représailles ont été le même jour confirmés par un porte-parole du PKK à l’AFP. Ahmet Deniz a par contre indiqué ne pas pouvoir donner de compte exact des pertes de part et d’autre, les opérations étant encore en cours, faisant simplement état de deux victimes kurdes. Le même porte-parole a menacé de représailles les villes turques si l’armée continuait ses opérations. Commentant le chiffre donné par l’armée de 130 morts dans les rangs du PKK, Ahmet Deniz l’a confirmé tout en rectifiant la période : il s’agirait du nombre de victimes depuis avril 2009 et non 2010.

Les raids turcs en Irak ont fait 4 victimes parmi les civils, et parmi elles une adolescente de 15 ans, dont la mère et le frère âgé de 2 ans et demi ont été blessés. Répondant aux critiques et à l’indignation de l’opinion publique turque après la mort de ses soldats, le chef de l’état-major, Ilker Başbug a déclaré, lors d’une conférence de presse tenue à Çanakkale, être « absolument déterminé à combattre l’organisation terroriste jusqu’à son anéantissement. Ce combat est à long terme et requiert de la patience. » Le général a cependant ajouté que la « terreur » ne sera éradiquée que si, aux mesures sécuritaires, viennent s’ajouter des mesures économiques et des initiatives socio-culturelles en direction des Kurdes, en même temps qu’il juge erronée l’idée inverse, à savoir que seules des mesures économiques et socio-culturelles mettront fin aux armes.

Les États-Unis ont fait part de leur soutien à la Turquie. L’ambassadeur américain à Ankara, James Jeffrey, a ainsi déclaré : « Nous sommes prêts à examiner d'urgence les demandes nouvelles de l'armée turque et de gouvernement concernant le PKK. Le PKK est un ennemi commun de la Turquie et des USA et nous soutenons activement les efforts de notre allié turc pour vaincre la menace terroriste.» L’ambassadeur américain a aussi répété que la coopération des services de renseignements de son pays avec les Turcs demeurait inchangée, faisant allusion à un refroidissement supposé par quelques observateurs politiques des relations entre les deux pays, après le refus de la Turquie d’emboiter le pas aux États-Unis sur les sanctions contre l’Iran et la récente crise-israélo-turque après la mort de 9 Turcs dans l’attaque des bateaux d’ONG tentent de forcer le blocus de Gaza. L’affaire de Gaza n’a d’ailleurs pas arrêté la coopération militaire entre Israël et la Turquie, puisque l’agence de presse Anatolia a fait état de l’utilisation de drones achetés aux Israéliens pour surveiller les mouvements de la guérilla au Kurdistan irakien. Le général Ilker Başbug a confirmé ces faits, en précisant que cet usage des drones à l’intérieur de la frontière irakienne s’est fait avec l’accord des États-Unis. Le contrat, signé en 2005, d’un montant de 185 millions de dollars, portait sur l’achat de 10 avions, du matériel de surveillance et des stations de contrôle au sol, à l’Israel Aerospace Industries. La Turquie a déjà reçu 6 de ces drones et la livraison des 4 autres doit avoir lieu cet été.

Cette annonce a aussitôt provoqué la réplique ironique du porte-parole du PKK, Ahmet Deniz, faisant écho aux accusations passées de certains milieux politiques turcs, notamment les islamistes, accusant Israël de soutenir en secret le PKK pour nuire à la Turquie : « La Turquie disait toujours qu’Israël soutenait le PKK, afin de s’attirer la sympathie des pays musulmans et ternir la réputation du PKK dans l’esprit du peuple kurde. Mais aujourd’hui ils reconnaissent être les seuls à soutenir Israël. Cet aveu illustre la faillite de la politique turque. Si Israël et l’Amérique ne soutenaient pas la Turquie, elle ne pourrait pas combattre le PKK plus d’une heure. » Ahmet Deniz a ajouté que l’utilisation de drones israéliens pour surveiller leurs bases n’avait rien de nouveau.

Les combats n’ont pas cessé malgré les ripostes turques et le 22 juin, la mort de 7 combattants kurdes et d’un soldat turc était annoncée. Une attaque du PKK contre le poste de gendarmerie de Bagdere, près de Silvan a fait 5 morts kurdes, tué un soldat, blessé 2 autres ainsi que 3 civils. Dans un autre accrochage, 2 autres Kurdes ont été tués et un troisième prisonnier.

Le même jour, une bombe explosait à Istanbul, visant un bus transportant des soldats et leurs familles. Quatre soldats, d’ailleurs kurdes, ont été tués, ainsi qu’une jeune fille. Douze autres personnes ont été blessées. Même si l’action n’a pas été revendiquée par le PKK, l’organisation a été pointée du doigt par les autorités turques, après que son porte-parole ait menacé de porter la guerre dans les villes de l’ouest si l’armée poursuivait les combats.

Le 25 juin, c’est une autre patrouille militaire qui était attaquée, à Elazig, causant la mort de deux soldats turcs et d’un civil, et blessant 6 autres personnes. La riposte a eu lieu le même jour, la police turque effectuant un raid dans une maison où se cachaient deux « séparatistes », selon ses dires. Les deux hommes sont morts. Les victimes « collatérales » des affrontements n’ont pas seulement été kurdes irakiennes : l’armée a ainsi tiré sur des villageois au sud-est d’Antioche, pensant avoir affaire à des combattants alors qu’il s’agissait de paysans partis cueillir du thym dans les montagnes. Deux personnes ont été tuées et d’autres blessées.

Le ministre irakien des Affaires étrangères, le Kurde Hoshyar Zebari, a critiqué les incursions turques en Irak, qualifiées d’action « unilatérale » et appelé le Premier Ministre Recep Tayyip Erdoğan à revenir à des moyens de règlement pacifique du conflit, faisant allusion à la politique d’ouverture annoncée par l’AKP l’année dernière et qui a, depuis, fait long feu. « Cette initiative était sage » a poursuivi le ministre, et doit être adoptée, améliorée et traduite en actions, c’est la meilleure solution à ce problème ancien. Bien sûr nous ne soutenons ni fermons les yeux sur une quelconque attaque terroriste du PKK, néanmoins, aucun pays ne doit recourir à une action unilatérale. »

De son côté, le président de la Région kurde, Massoud Barzanî, dans une conférence de presse donnée à Erbil, n’a pas hésité à blâmer ouvertement le PKK pour la reprise des violences, l’accusant de vouloir nuire aux relations que le Kurdistan d’Irak essaie de nouer avec la Turquie : « Le PKK a lancé ses actions, et la Turquie a alors bombardé la frontière ». Massoud Barzani a ajouté que le PKK fournissait lui-même tous les prétextes dont Ankara avait besoin pour violer le territoire kurde. Le président n’a en effet guère apprécié que le PKK profite de son séjour en Turquie pour reprendre les combats : « Il est extrêmement dommage que, alors que j’étais en Turquie, le PKK a annoncé qu’il mettait fin à son cessez-le-feu et recommençait la guerre. Ce fut vraiment malheureux. Je n’aurais jamais attendu cela du PKK, qu’il prenne une telle mesure alors même que je me trouvais en Turquie. » Massoud Barzani a promis de faire tout ce qu’il pouvait pour stopper les attaques. Mais il n’a pas manqué, tout comme le gouvernement irakien, de condamner les bombardements frontaliers, à la fois perpétrés par les Turcs contre le PKK et par l’Iran contre les forces du PJAK.

Certains échos dans la presse ayant suggéré que le président kurde aurait pu donner son aval à de telles incursions, Massoud Barzani a dénié tout accord de ce genre : « Nous n’avons donné de feu vert ni à la Turquie ni à l’Iran pour bombarder les régions frontalières. Les media qui ont dit cela sont loin de la réalité. Nous condamnons ces bombardements. »

La reprise de la guerre n’empêchant pas les affaires, une importante délégation de buiseness men turcs s’est rendue le 27 au Kurdistan d’Irak, afin de renforcer et développer des liens commerciaux. Le ministre d’État turc, Zafer Çağlayan, accompagné de 200 hommes d’affaires, a exprimé l’espoir que les échanges économiques entre la Turquie et le Kurdistan d’Irak aideraient à résoudre les tensions. “Le commerce est la clef de la politique... Améliorer les liens commerciaux éradiquera les problèmes qu’il y a entre nous.” a déclaré le ministre au journal turc Miliyet. “Le terrorisme déclinera si l’économie s‘améliore dans la ‘région’ (le Kurdistan) et en Turquie. 80% de l’alimentation et de la confection vendus au nord de l’Irak sont des produits turcs. Les entrepreneurs turcs participent à de nombreux projets dans la région. Mais il y a encore beaucoup à faire : infrastructures, hôpitaux, écoles. Les Turcs sont les candidats les plus ambitieux pour tout cela.”

jeudi, mai 27, 2010

tv, radio : Hors-jeu, Mirella Galletti,


TV




Mercredi 2 juin à 22h 35 sur ARTE : Hors-jeu, de Jafar Panahi (Iran, 2006).













Radio


Dimanche 30 mai à 8h00 : Le Kurdistan et ses chrétiens, Mirella Galletti (Cerf). Foi et tradition, Jean-Pierre Enkiri.

Présentation de l'éditeur :
Les chrétiens du Kurdistan relèvent des Églises assyrienne, chaldéenne, syrienne-catholique et syrienne-orthodoxe, qui comptent parmi les plus anciennes communautés chrétiennes. L'ouvrage de Mirella Galletti analyse l'histoire de ces communautés du Kurdistan depuis l'Antiquité, quand la région était sous l'emprise des Empires romain et perse, jusqu'à nos jours, quand la région a été partagée entre la Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie. Puis l'auteur donne la parole à dix-sept personnalités chrétiennes qui témoignent de la richesse culturelle, de la vitalité, des épreuves et des fragilités de ces communautés. Les massacres du début du XXº siècle, les guerres successives – les plus récentes notamment – l'émigration massive... tout cela menace la culture et l'existence même de ces communautés chrétiennes. Ce livre est un acte de foi dans la vitalité des chrétiens surtout en Irak et de leur courage dans la sauvegarde de leur culture.

Docteur en sciences politiques de l'université de Bologne, Mirella Galletti a fait de nombreux séjours et accompli plusieurs missions dans le Kurdistan, spécialement en Irak. Elle a enseigné l'histoire et la culture kurdes dans les universités de Bologne et de Trieste, le droit des communautés islamiques à l'université Ca' Foscari de Venise, l'histoire des peuples transnationaux de l'Asie occidentale à l'université de Milan-Bicocca. Elle enseigne actuellement l'histoire du monde arabe et musulman à l'université de Naples "L'Orientale". La plupart de ses travaux ont été traduits en arabe, arménien, kurde et turc.





Broché: 399 pages
Editeur : Cerf (18 mars 2010)
Collection : L'histoire à vif
Langue : Français
ISBN-10: 2204083410
ISBN-13: 978-2204083416



mardi, mai 25, 2010

L'urbanisation au Kurdistan d'Irak


Un entretien intéressant avec Francesca Recchia sur l'urbanisation au Kurdistan d'Irak et ce boom de la population citadine, par une chercheuse en urbanisme qui trouve l'expérience kurde si fascinante, en raison de son caractère si spécifique : sorties de rien, d'un pays auparavant à dominante rurale, mais dont les campagnes ont été détruites aux trois-quarts par les Baathistes irakiens, quel est l'avenir des villes du Kurdistan d'Irak et donc de sa société ?


Comment définir et comprendre ce qu'est l'urbanisation par rapport au Kurdistan d'Irak ?

Quand nous parlons d'urbanisation, nous prenons en compte une combinaison de facteurs économiques, politiques et sociaux qui déterminent la croissance et l'expansion des villes. Nous observons comment ces éléments interagissent entre eux, nous détectons quelles sont les forces motrices majeures qui entraînent la transformation physique de l'espace et quel est le rôle joué par la population dans le façonnement de leur environnement .

Erbil, Shesti Meter avenue, 2006

L'étude du développement urbain au Kurdistan est très intéressante car il est profondément lié à son histoire politique. Les trois dernières décennies ont vu une expansion rapide dans la Région du tissu urbain et de ses infrastructures. Hewlêr [Erbil] est un exemple frappant à cet égard : avec une croissance annuelle de sa population estimée à 35%, la ville a explosé, passant d'environ 90 000 habitants en 1965, à près d'1,3 million en 2010. Jusqu'au milieu des années 1970, la majeure partie de la population kurde se répartissait dans les villages et menait une vie essentiellement rurale, utilisant occasionnellement les villes comme les nœuds vitaux d'un réseau élargi. La campagne d'anéantissement des villages, menée dans les années 1980 par le régime du Baath, et les vagues successives de destruction durant l'Anfal ont causé des déplacements massifs de la population, qui a été forcée de quitter ses terres, soit pour être relogée dans les mujamma'at [camps de concentration] dans les plaines ou contrainte de migrer vers les grands centres urbains. Ces événements ont provoqué une accélération spectaculaire du processus de croissance urbaine et ont modelé le visage du territoire kurde contemporain.


Parc Sami Abdulrhaman, Erbil, 2007

Quelle forme d'urbanisation voyez-vous dans la Région du Kurdistan ? Est-elle dirigée et contrôlée, ou bien hors de contrôle et livrée au hasard, et comment évaluez-vous le rôle du GRK à cet égard ?

Il me semble que le processus d'urbanisation dans la Région du Kurdistan suit deux tendances totalement opposées bien qu'entrelacées. D'un côté, on voit une conscience croissante de l'importance et de la nécessité d'une planification, et de l'autre on voit encore beaucoup de développement anarchique. Les conseils municipaux mettent en œuvre leur plan directeur local, mais en marge, les gens continuent d'utiliser des réseaux informels pour adapter et gérer les espaces urbains. Le GRK fait beaucoup d'effort pour développer les infrastructures - les centres-ville de Hewlêr comme de Suleïmanieh ont bénéficié d'améliorations majeures en terme de routes, de passerelles routières, de parcs, de sentiers pédestres, etc. Il y a beaucoup de nouveaux quartiers résidentiels et le rythme des constructions est étonnant. Ce qui va certainement demander du temps et un effort plus général de la communauté est la promotion d'une culture de la planification et de la participation du public, qui rendrait bien plus efficace et plus réussie la mise en œuvre des politiques.


Duhok, Parc Dream City, 2007

Peut-on dire que l'urbanisation de la Région du Kurdistan et son développement sont deux processus séparés qui se chevauchent ?

La croissance urbaine va sans aucun doute de pair avec le développement économique de la Région du Kurdistan. L'expansion des villes kurdes est une source de richesse tout autant qu'elle crée une complexité sociale croissante. L'interconnexion des dynamiques d'urbanisation et de développement nécessite une réflexion urgente sur les problèmes de durabilité. Le bien-être urbain et son développement à long terme ne peuvent pas exister si les valeurs écologiques, le respect de l'environnement, une consommation énergétique responsable et des modèles vernaculaires d'interaction sociale et de modes de vie sont pris en compte. Une expansion urbaine trop agressive risquerait de rompre à la fois la solidarité sociale et les écosystèmes locaux. Le culte du béton et des structures modulaires pourrait menacer les modèles de construction vernaculaires et l'artisanat. Ce que je veux dire, est que l'urbanisation peut contribuer à un développement durable si elle module un idéal de modernité en fonction de la culture locale et des traditions afin de produire des modèles de croissance et d'expansion sociales et environnementales durables.


Erbil, devant le Palais du Gouverneur, 2007

Quels effet et impact le secteur privé et les sociétés étrangères ont-ils sur le phénomène de l'urbanisation ?

Je ne crois pas que le secteur privé et les sociétés étrangères ont un impact sur l'urbanisation en tant que telle, mais ils ont certainement leur mot à dire dans la forme que prennent les villes kurdes. Je peux voir leur influence dans les modèles de conception urbaine qui sont en train d'être adoptés. Le nombre de tours construites, et la multiplication des communautés suburbaines, par exemple, parlent un langage urbain très différent des modèles traditionnels kurdes d'habitat et d'interaction sociale. Il sera intéressant de voir dans une dizaine d'années quelles seront les conséquences et les effets produits sur la société kurde par cette importation de nouvelles formes d'espaces de vie.

Dans le contexte propre à la Région du Kurdistan, comment l'urbanisation a-t-elle affecté l'agriculture et quel va être son impact dans les zones rurales ?

Comme je le mentionnais auparavant, le processus d'urbanisation dans la Région du Kurdistan a été déterminé de façon significative par les événements politico-historiques des années 1980. La destruction des villages durant la guerre Iran-Irak et les vagues de destruction qui ont suivi sous l'Anfal ont eu entre autres conséquences l'expansion et la multiplication des villes kurdes. Cette stratégie planifiée d'éradication de l'environnement architectural ont provoqué l'arrêt de l'économie rurale. Les expropriations des terres et le relogement des réfugiés kurdes dans les mujamma'at ont rompu les liens entre la population et la terre, ont créé un système de dépendance vis-à-vis de l'État et ont eu un effet préjudiciable sur l'agriculture. En ce sens, je dirais que, plus que l'urbanisation en elle-même, ce sont les conditions géopolitiques qui ont eu un impact majeur sur les zones rurales kurdes.


Quels sont les éléments favorables ou nuisibles que l'urbanisation peut induire, dans la Région du Kurdistan, en termes de développement économique et de prospérité sociale ?

L'urbanisation a introduite une complexité sociale, économique et culturelle croissante dans la Région du Kurdistan. L'environnement urbain offre un large éventail d'activités professionnelle, un champ plus vaste de choix et de possibilités, de modes de vie et de comportements sociaux. Les villes kurdes sont devenues des axes animés qui comprennent des entreprises économiques, des investissements locaux et internationaux, un choix large d'alternatives éducatives et de centres de loisirs. Dans le même temps, l'accumulation rapide de richesses et une spéculation immobilière peuvent créer une fragmentation sociale et un plus grand niveau d'inégalités qui poussent les groupes les moins avantagés en marge de la société. Cela amène aussi de sérieuses menaces contre l'environnement, avec la pollution, une mauvaise gestion de l'espace et une surconsommation des ressources naturelles.


Amadiyya, 2007

Si l'on prend comme exemple d'urbanisation la surpopulation dans les plus grandes villes, à savoir Erbil, Duhok et Sulaïmanieh, quels peuvent en être ses inconvénients ?

La croissance urbaine au Kurdistan d'Irak n'a pas encore atteint un niveau de surpopulation. Comparées aux cas extrêmes que l'on voit au Moyen-Orient et ailleurs (Le Caire par exemple) les villes kurdes sont loin d'avoir rejoint un tel niveau de surpeuplement. La disponibilité de terrains et la capacité de développement dans des espaces ouverts et des terres en friche dans les banlieues d'Erbil, Duhok et Sulaïmanieh offrent à ces villes la possibilité de s'étendre en douceur sans pression démographique.


Erbil, vue de la Citadelle, 2006

On considère généralement que l'urbanisation est une bonne chose et l'on entend même dire que "le Kurdistan sera le nouveau Dubaï du Moyen-Orient". Quelle est votre appréciation à ce sujet ?

Je trouve cette déclaration tout à fait intéressante et qui engendre des idées et des réflexions à différents niveaux. Dubaï est souvent présenté en modèle de charme, de prospérité hors du commun, de modernité et de chic. C'est un lieu qui doit son existence à la fois à l'argent du pétrole et à la spéculation urbaine, se créant une image de richesse, de vie luxueuse et à la mode qui ne peut être que séduisante. Cependant, si nous regardons plus attentivement l'évolution récente de ce petit émirat, nous voyons clairement que son expansion urbaine a été le résultat d'une combinaison d'investissements financiers, de spéculation immobilière et d'une volonté de "miser" sur le développement urbain comme facteur de croissance économique. Dubaï s'est rapidement construit (en exploitant des travailleurs sous-payés venus d'Asie du Sud-Est) en fournissant une offre immobilière qui va bien au-delà de la demande réelle du marché. Ce qui veut dire simplement que d'énormes investissements ont été faits dans la construction d'appartements de luxe, de tours et de villas, en pensant que les ventes allaient couvrir les frais réels. La crise financière de 2008 et une production qui excédait les demandes ont entraîné l'effondrement du marché immobilier dans l'Émirat contredisant les prévisions commerciales de départ. Une estimation récente de l'USB (US Bancorp) montre que les biens immobiliers vacants auront atteint un seuil de 30% à la fin de 2010. Si nous envisageons Dubaï dans cette perspective, je ne vois pas Dubaï comme un modèle de bon augure.


Parc du Minaret, Erbil, 2007

Comment et par quels moyens le GRK doit-il mener et gérer l'urbanisation pour améliorer le développement ?

Dans un pays qui connaît une phase passionnante de transition vers la démocratie, le meilleur moyen de développement via l'urbanisation est de renforcer la participation du public aux processus décisionnels de la ville. Reconnaître et promouvoir ce que les planificateurs appellent le "droit à la ville" aurait des effets vertueux de responsabilité et de bien-être qui inévitablement seront des sources de richesse. Les consultations communautaires sur les questions d'usage des terrains, de services et du développement des infrastructures pourraient aider à évaluer les besoins réels des gens et leurs désirs, et de rendre les villes plus conviviales, et par là même plus justes et plus ouvertes à tous .

FRANCESCA RECCHIA est chercheuse et conférencière. Elle a enseigné dans plusieurs universités (TU Delft; Bocconi, Milan; Ca’ Foscari, Venice) et donné des conférences internationales (Londres, Karachi, Ramallah, Rotterdam entre autres). Ses travaux sont à la croisée des études sociales, postcoloniales, urbaines et des arts visuels, avec une attention particulière sur la dimension géopolitique des processus culturels. Elle traite des problèmes d'éthique, de migration, de conflits sociaux, de traduction culturelle, de réactivité et de transformation urbaines. Elle est chargée de cours européenne pour la formation en études urbaines – diversité ethnique de la ville financée par l'UE et les cours de formation et la conférence Marie Curie ; elle a été boursière post-doctorante à la Bartlett School of Planning, l'University College of London, est titulaire d'un doctorat en études culturelles l'Oriental Institute de Naples et d'une maîtrise en cultures visuelles au Goldsmiths College, University of London. Elle a participé au Documenta11_Education Project de Kassel, en 2002. Elle collabore avec les groupes de recherche interdisciplinaire de la Multiplicité et à l'Osservatorio Nomade de Stalker. Elle a contribué à plusieurs journaux et revues comme Abitare, Domus, Africa e Mediterraneo.

Source Rudaw.net.

Quelles histoires pour l’Islam médiéval ?

Le séminaire Quelles histoires pour l’Islam médiéval ? tiendra sa dernière séance pour cette année le :

Jeudi 27 mai, de 17h à 19 h, à l’IISMM , au 96 Boulevard Raspail, salle du haut.

Dans le cadre de la réflexion sur l’État islamique médiéval, la séance sera animée par Gabriel Martinez-Gros, autour du thème : L’Etat et ses peuples : réflexion sur la notion d’ethnie dans l’Islam médiéval.

Hüseyin Karabey : Come to my voice



Hüseyin Karabey, dont nous avons parlé maintes fois dans ce blog, avait été sélectionné à Cannes, par le 'Cinéfondation Atelier' du festival, qui distingue les nouveaux talents avec leur sprojets de film, ce qui a fait de lui le seul cinéaste kurde et même le seul cinéaste de nationalité turque à être représenté à Cannes cette année.

Son projet, 'Sesime Gel' (Come to my voice) sera un film de 90 minutes, tourné à Diyarbakir, à l'automne 2010, en langue kurde et turque. Comme Gitmek (My Marlon and my Brando) il mêlera fiction et documentaire.


Synopsis
Dans un village de montagne enneigé de l’est de la Turquie, Berfê (une vieille femme) et Jiyan (sa petite fille) se retrouvent seules, confrontées à l'absence de l'unique homme du foyer. En effet, Temo, respectivement fils et père des deux femmes, est désormais incarcéré. L’officier en chef a été informé que des villageois dissimuleraient des armes. Il annonce alors que tous les hommes du village vont être gardés en détention jusqu’à ce que leurs familles capitulent et remettent les armes qu’elles sont censées dissimuler. Mais à la connaissance de ces deux femmes qui n’ont rien à se reprocher, ces armes n’existent pas. Désespérées, Berfê et Jiyan entament un périple pour trouver une arme contre laquelle échanger leur cher Temo. Leur innocence et leur naïveté leur permettront-elles de faire face à un système qui peu à peu les jette dans un monde terni par un conflit sans fin ?



Hüseyin Karabey, qui a écrit le script en collaboration avec Abidin Pırıltı, raconte ainsi l'action :
"Durant le raid sur le village, tout le monde est rassemblé sur la place. Les soldats prenne alors un homme dans chaque famille et disent aux femmes : 'Amenez vos armes et nous les relâcherons.' Mais il n'y a pas d'armes dans ce village. Et c'est alors que les héroïnes du film entrent en scène :
Berfê, âgée de 70 ans, entreprend un voyage avec sa peite-fille, Jiyân, qui a 8 ans, afin de trouver un fusil qu'il échangerait contre la liberté de son fils Temo. Mais en dépit de tous leurs efforts, elles ne peuvent en trouver un seul chez eux et doivent donc se rendre à la ville. Ensuite, tout le problème est de ramener le fusil acheté, dans leur village, sans se faire coincer en route. C'est pourquoi elles choisissent de passer par les montagnes.

Parlant du comportement des soldats turcs, Hüseyin Karabey montre aussi le doute qui envahit les hommes :
"Par exemple, un soldat compare Berfê à sa propre mère âgée, à qui il écrit, dans une lettre, qu'il n'arrive pas à donner un sens à ce qu'il est en train de faire."
Hüseyin Karabey ajoute que les blessures des crimes commis ne sont pas encore guéries, et que son but est de relater un événement réel à travers le cinéma :
Ces 20 dernières années en Turquie, nous sommes face à une guerre « larvée ». A travers l’histoire de Grand-Mère Berfê, je souhaite montrer à quel point cette guerre pourrait devenir absurde. Mon objectif n’est pas de faire une dé- claration politique implacable quant à cette situation, puis- que nous savons qu’une mauvaise situation induit de part et d’autre des pertes et des souffrances. C’est pour- quoi je préfère faire appel à un dispositif et à une histoire pouvant générer à la fois du rire et des larmes, et espérons le, offrir au spectateur de quoi nourrir ses pensées lorsqu’il sortira de la salle de cinéma. J’espère sincèrement qu’à l’occasion du périple de ces deux femmes, nous pourrons également découvrir beaucoup de choses sur nous-mêmes et le monde dans lequel nous vivons.

Sur l'usage de la langue kurde qui connaît un succès croissant dans le cinéma en Turquie, maintenant que les interdictions se lèvent progressivement, Hüseyin espère ainsi faire aimer le kurde aux Occidentaux et aux Turcs.
"Nous devons utiliser le kurde avec richesse et poésie afin de donner au public l'envie d'apprendre cette langue."
Sur la récente "initiative kurde" lancée par le gouvernement AKP l'été dernier, le cinéaste estime que
"les changements, les solutions, le statu-quo et les blocages se mêlent tous ensemble. Parfois, vous pouvez voir les choses avec optimisme et parfois, rien de ce qui arrive n'a de sens. Afin de participer à ce processus, d'apporter ma contribution à une solution, j'essaie de raconter ce que vit le peuple kurde ; dans ses tragédies, il y a matière à beaucoup d'histoires, qui doivent être racontées." Sur l'état du cinéma turc en général, Hüseyin le juge passif, et plus enclins à se retrancher derrière des excuses d'ordre bureaucratique que mû par la bravoure de vouloir changer les choses : "La jeune génération fait un effort, mais en général, le cinéma turc est dominé par le conservatisme."

mercredi, mai 19, 2010

TV, radio : Iran, Atatürk, Maïmonide, Fawaz Hussain

TV

Lundi 24 mai à 17h00 sur TV5 Monde : L'Iran, une révolution cinématographique, documentaire de Nader T. Homayoun.

Mercredi 26 mai à 20h35 sur Histoire : Mustapha Kemal Atatürk, documentaire de Séverine Labat, 2005.

Radio

Dimanche 23 mai à 8h00 : Les lumières de Maïmonide. Avec Géraldine Roux pour Du prophète au savant. L'horizon du savoir chez Maïmonide (Cerf). Maison d'études, Vicotr Malka.


Présentation de l'éditeur
A partir d'une lecture du Guide des perplexes de Maïmonide, rabbin, philosophe et médecin (1135-1138-1204), l'auteur analyse la figure du savant et son rôle, dans le temps de l'Exil et de la perte de la prophétie, depuis la chute du Second Temple. La vocation du savant est interrogée à travers la question de la perplexité qui parcourt le traité. Celle-ci n'est pas un égarement mais, en raison des contradictions qu'elle engendre chez le savant, nourrissant sa révolte, elle représente également l'impulsion initiale préparant le savant à restaurer la science profonde de la Loi, c'est-à-dire à refonder la religion grâce à la philosophie pour revivifier cette science ancienne que Maïmonide juge perdue. Par l'étude du mode de restauration de cette science, ce sont les " lumières " proprement maïmonidiennes qu'il s'agit de dessiner. Cette restauration, par le Guide des perplexes, est-elle réservée à une élite ou sa fonction est-elle également sociale, celle de l'enseignement des masses par cette élite ? De même, est interrogée, en creux, la temporalité de l'accomplissement de la Loi. Cette dernière ne serait pas linéaire mais parcourue de suspens, d'oublis et de pertes, et ce serait à travers ces stations irrégulières que le savant-perplexe aurait à trouver sa voie. Si ce projet de restauration est ouvertement philosophique et intellectuel, cette étude vise à montrer qu'il est également social et politique à travers la vocation du savant à endosser le rôle de guide des communautés, figure charnière entre le prophète absent et le roi-messie dont la venue semble repoussée sur le fond d'un horizon infini.

Biographie de l'auteur
Géraldine Roux est docteur en philosophie. Elle a publié Lumières médiévales, ouvrage collectif, Editions Van Dieren, collection " Débats ", mars 2009.




Broché: 359 pages
Editeur : Cerf (11 mars 2010)
Collection : Patrimoines. Judaïsme
Langue : Français
ISBN-10: 2204089036
ISBN-13: 978-2204089036



Dimanche 23 mai à 14h sur RCF : Avec Fawaz Hussain pour En direction du vent ( Non Lieu). Au fil des pages, E. Fischer.

Présentation de l'éditeur
Lorsque je suis parti de chez moi, je n'aurais jamais imaginé que je m'éloignerais autant de ce Kurdistan de toutes les convoitises et de toutes les douleurs. Sur le chemin jonché de traquenards et de dangers, j'étais en nage comme si je sortais des eaux de l'Euphrate. La sueur qui me coulait du front se frayait un chemin entre mes sourcils et mes cils pour me piquer les yeux et me brouiller la vue. Que fuyais-je ? De quoi avais-je peur ? Il nous était difficile d'être Kurdes sur la terre de nos ancêtres. Des guerriers arabes, turcs et iraniens avaient juré notre anéantissement sur la tête de leur mère et le Coran de La Mecque. Depuis qu'ils avaient envahi notre sol, ils nous imposaient des identités qui nous allaient comme des guêtres à un lapin. Ils voulaient tout contrôler, absolument tout ; notre façon de respirer, de bouger et surtout de rêver. Ces hommes craignaient nos rêves de liberté et nos phantasmes de paix comme la peste et le choléra réunis. Ainsi débute l'une des nouvelles de ce recueil, nouvelles dont l'assemblage constitue un véritable roman qui conte les tribulations d'un Kurde exilé en France, hanté par la figure du Père, resté au pays.

Biographie de l'auteur
Fawaz Hussain est né au nord-est de la Syrie dans une famille kurde. Il arrive à Paris en 1978 pour poursuivre des études supérieures de lettres modernes à la Sorbonne où il soutient une thèse de doctorat en 1988. Début 1993, il s'installe en Suède où il travaille à l'Institut français de Stockholm et enseigne à l'université de Lulea en Laponie. Depuis son retour en France en 2000, il est professeur de français en Seine-Saint-Denis et à la Mairie de Paris. Du même auteur : Le Fleuve, Méréal, 1997, réédité dans la collection Motifs, Le Serpent à Plumes, 2000 ; Chroniques boréales, L'Harmattan, 1999 ; Prof dans une ZEP ordinaire, Le Serpent à Plumes, 2006 ; Les Sables de Mésopotamie, éditions du Rocher, 2007.

Broché: 113 pages
Editeur : Editions Non Lieu (18 mars 2010)
Collection : A la marge
Langue : Français
ISBN-10: 2352700809
ISBN-13: 978-2352700807

lundi, mai 17, 2010

La "norme" en Islam

Vendredi 28 Mai 2010, de 9h, à 12h, EHESS-IISMM, 96 Bd Raspail, 75006, Paris, salle Lombard.


Journée d’études organisée par Orkhan MIR-KASIMOV (Freie Universität, Berlin – CNRS, Paris), et présidée par Daniel de Smet (CNRS), dans le cadre du projet :

Repenser la normativité en Islam post-mongol :
courants ésotériques, syncrétistes et messianiques

de l’UMR 8167 « Orient et Méditerranée » (laboratoire Islam médiéval), en partenariat avec le Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (UMR 8032), le Laboratoire d’études sur les Monothéismes (UMR 8584, CNRS - EPHE), l’Institut d’Études de l’Islam et des Sociétés du Monde Musulman (IISMM, Paris), l’Institut Français au Proche-Orient (Damas) et l’Institut Français d’Études Anatoliennes (Istanbul).

Résumé : Cette rencontre, la troisième dans le cadre de notre projet, vise à confronter et à comparer différents courants – Nusayris, Druzes, Hurufis et un certain soufisme - dont les doctrines et les pratiques s’écartent significativement de l’idée générale de ce qu’est la « norme » de l’islam. S’agit-il seulement de quelques cas isolés et marginaux, ou de représentants d’un islam différent, encore très peu connu dans son intégrité ? L’objectif de cette rencontre est de poursuivre la réflexion sur la diversité de la pensée et de la spiritualité dans la culture musulmane entamée lors des précédentes journées d’études.


9h - 9h15 : Ouverture, Orkhan MIR-KASIMOV.

9h15 – 9h45 : Jad HATEM (Université Saint-Joseph de Beyrouth), « Les théophanies anthropomorphes dans le christianisme, le druzisme et le nusayrisme : convergences et divergences ».

9h45 – 10h15 : Hassan FARHANG (Institut für Islamwissenschaft, Freie Universität Berlin), « al- Shalmaghānī et Hidāyat al-kubrā : une des sources d’al-KhaMībī ».

10h15 – 10h45 : Pause café

10h45 – 11h15 : Ahmet KARAMUSTAFA (University of Washington), « Deciphering Early Sufi Discourses in Anatolian Turkish : The Voice of Kaygusuz Abdal ».

11h15 – 11h45 : Orkhan MIR-KASIMOV (Institut für Islamwissenschaft, Berlin – CNRS, Paris), « Anthropomorphismes : fondements théoriques du symbolisme de visage et de corps humain dans la pensée Ourūfī ».

11h45 – 12h : Conclusion, Daniel DE SMET

samedi, mai 15, 2010

L'affaire Serdeşt Osman en bref



Le Kurdistan est toujours secoué par l'affaire Serdeşt Osman et les manifestations ne se cantonnent pas à Erbil. Le gouvernement et les forces de sécurité, toujours interpellés par l'opinion publique et la presse, ne leur ont pas, pour le moment, apporté de clarifications satisfaisantes. Un récapitulatif des faits et des événements qui se sont succédés, ainsi que toutes les questions et zones d'ombre qui, jusqu'ici, n'ont pas trouvé de réponse, peut être utile pour ceux qui n'auraient pas tout suivi, ni tout bien compris :

Le 4 mai dernier, Serdeşt Osman est déposé par son frère, Serdar Osman, devant l'entrée principale de l'Institut des Beaux-Arts de l'université Salahaddin, à Erbil, en plein cœur de la Région du Kurdistan. Serdeşt Osman y aurait achevé ses études d'anglais le mois prochain. Il écrit aussi pour plusieurs journaux indépendants, des articles critiques envers les deux partis au pouvoir, en traduit d'autres.

D'après des témoins, il a été alors kidnappé par un groupe d'hommes armés circulant dans un minibus de couleur blanche. Son frère Serdar, lui, n'a pas vu l'enlèvement, en raison du nombre de gens qui ont masqué la scène. Il se souvient seulement avoir vu à l'entrée de l'Institut une dizaine de soldats de l'unité Zerevani (relevant du PDK) gardant cette porte, comme à l'habitude.

Le 6 mai, la famille apprend que le corps a été retrouvé à Mossoul, hors de la Région, donc. Selon les forces de l'UPK qui y sont basées (il y a aussi dans la région des forces du PDK), la police de Mossoul les avait alertées après avoir découvert le corps, portant des traces de torture et tué de deux balles dans la tête, identifié par sa carte d'étudiant.

Un autre de ses frères, Beşdar Osman, fait immédiatement le lien avec des menaces téléphoniques que la victime a reçues en janvier dernier, et dont elle avait fait elle-même état dans un article, en raison de ses écrits dans la presse.

Les hypothèses avancées de la part des services de sécurité et des autorités de la Région sont celles d'un groupe terroriste ayant agi à Erbil comme ils font le plus souvent à Mossoul ou Kirkouk, et dans le reste de l'Irak.

Les 75 signataires d'une pétition adressée au GRK, journalistes, rédacteurs, intellectuels, rétorquent, dans leur communiqué, qu'un tel enlèvement ne peut être l'œuvre d'une seule personne, ni d'un petit groupe de gens, ce qui éliminerait, d'emblée, une vengeance personnelle.

Maintenant, dans le cas d'un acte de mafieux-terroristes, est-il plausible d'envisager qu'un groupe venu de Mossoul puisse entrer dans Erbil, enlever en plein jour, sous le nez des Peshmergas, un étudiant sur le seuil d'une université fréquentée, l'embarquer dans son minibus, ressortir de la ville, ressortir de la Région et gagner Mossoul sans être inquiété aux différents check-points de Peshmergas qui contrôlent les allées et venues entre Erbil et Mossoul, sachant la dangerosité de cette frontière avec la province de Ninive ?

C'est ce point précis sur lequel s'appuient des journalistes et des proches de Serdeşt Osman pour accuser les forces de sécurité kurdes des deux partis d'être impliquées directement dans le crime. Plus affirmatif, Reporter sans Frontière accuse, lui, directement les services secrets du PDK, qui ont à leur tête Masrur Barzani, le fils du président Massoud : Erbil est en effet contrôlé par ses membres et non par l'UPK.

Sur le motif du crime, les hypothèses varient, Serdeşt Osman ayant été l'auteur de plusieurs articles mettant en cause différents responsables des deux partis. Le Comité pour la protection des journalistes a d'abord mentionné un article publié dans le quotidien Aştîname, critiquant un haut responsable du GRK, Kosrat Rassoul. D'autres voix dans la presse ont ressorti des charges satiriques visant le président lui-même et l'ancien Premier Ministre, son neveu Nêçirvan Barzani. Selon Beşdar Osman, les menaces de janvier avaient été suivies d'autres avertissements par téléphone, lui demandant de cesser "de se mêler des affaires du gouvernement".

La question est quand même de savoir pourquoi Serdeşt Osman, qui n'était pas le seul à critiquer dans la presse le gouvernement et les partis au pouvoir, qui n'a pas été le premier à avoir été menacé ou intimidé, aurait-t-il fait l'objet d'une vengeance aussi extrême de la part d'officiels ? L'importance de la victime par rapport à tout ce qu'impliquerait un tel crime d'État frappe par sa disproportion.

Le chef de la police d'Erbil, Abdul Khaliq Ta'lat, affirmait le 4 mai au journal Rudaw ne pas avoir été informé auparavant de menaces qui pesaient sur la victime. Mais dans un article antérieur, Serdeşt Osman racontait sa tentative infructueuse de porter plainte auprès de ce même chef de police, dans un article daté du 21 janvier de cette année, ce que Abdul Khaliq Ta'lat continue de nier. Admettons que Serdeşt ait pu affabuler ou vouloir se faire mousser, pourquoi le chef de la police d'Erbil, aussi directement et nominalement mis en cause dans la presse depuis janvier, n'a jamais réagi, sachant combien les autorités, politiques ou militaires, sont prompts à faire usage des lois réprimant la "calomnie" pour faire taire des journalistes ?

Autre point qui interpelle les protestataires : le silence prolongé des media gouvernementaux ou des organes des partis sur l'affaire, jusqu'à ce que, protestations et accusations se multipliant, il n'a plus été possible de l'ignorer. Le 7 mai, le journal Xebat (PDK) rapporte laconiquement que le corps de Serdeşt Osman, un étudiant kurde, a été retrouvé dans la province de Mossoul, après avoir été kidnappé à l'université Salahaddin et qu'une enquête a été ouverte par la police de la Région. Les activités de journaliste de Serdeşt ne sont pas mentionnées, ni le fait que l'enlèvement s'est produit en plein jour, par un groupe d'hommes armés.

RSF a fait le lien avec l'assassinat de Soran Mam Hama, tué à Kirkuk en juillet 2008, mais ce n'est guère convaincant. Certes, les deux victimes ont en commun d'être kurdes musulmans (et donc de n'avoir pas été tués pour raisons religieuses par des islamistes), d'avoir écrit des articles visant des officiels du GRK (mais ils sont loin d'avoir été les seuls), et d'avoir reçu des menaces avant d'être assassinés. Cependant, Soran Mam Hama a été tué à Kirkouk, ville officiellement sous contrôle irakien et non kurde. Et puis le laps de 2 ans entre les deux meurtres ne permet pas d'y voir une politique suivie d'exécutions extra-judiciaires, comme celle du JITEM au Kurdistan de Turquie.

Le choc provoqué par le meurtre de Serdeşt est que cela remet en cause la sécurité interne du Kurdistan et que, bien sûr, le Gouvernement kurde ne peut se défausser de sa responsabilité, quelle que soit la vérité mise à jour, si cela arrive : coupable si son implication est directe, non-coupable s'il s'agit de négligence, mais dans ce dernier cas de toute façon responsable.




vendredi, mai 14, 2010

Opération villes mortes au Kurdistan




Pour protester contre l'exécution de Farzad Kamangar et des autres, hier jeudi, une grève générale a été lancée au Kurdistan d'Iran, à Sine, Meriwam, Mehabad... Je ne sais les chiffres exacts de son succès dans toutes les catégories socio-professionnelles, comme on dit, mais les vidéos tournées du bazar de Sine (Sanandadj) montrent que dans la capitale de la province Kordestan, les rideaux ont bel et bien été tirés.

jeudi, mai 13, 2010

Le 6 mai, la fête des "Maîtres du temps"



Un peu partout en Anatolie, la date du 6 mai donne lieu à des festivités connues sous le nom d'Hıdrellez, appellation qui associe les noms de Hızır (Al-Khâdir : le Verdoyant) et de Ilyâs (Elie) qui occupent une place privilégiée dans la prophétologie musulmane.
Selon la légende, Hızır et Ilyâs qui voyagent dans le ciel empyrée toute l'année, réalisant divers prodiges – Hızır sur les mers et Ilyâs sur la terre–, se rencontrent la nuit du 5 au 6 mai au sommet d'une montagne, près d'une source.
Un grand nombre de vertus et une suite d'occurrences favorables dont on espère la matérialisation sont associés à cet événement mythique. Ils ont pour trait commun le renouveau de la nature, l'espoir de la fécondité, de l'abondance de nourriture et de biens, la disparition de diverses formes de malheurs biologiques (maladies, infirmités, divers stigmates de la laideur, etc.). Toutes les pratiques rituelles et le dispositif symbolique qui les sous-tendent s'articulent de manière manifeste et constituent les composantes d'une "stratégie de l'attente".
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Sur le plan de la signification astronomique, la date de Hıdrellez constitue d'abord un point fort d'un système calendaire différent du calendrier musulman. Alors que l'écart de onze jours un quart avec le calendrier solaire fait errer très vite les mois lunaires à travers les saisons, Hıdrellez intervient à date fixe : or, cette nuit du 5 au 6 mai constitue un événement astronomique intéressant puisqu'il se produit, en l'occurrence, une conjonction entre le soleil et les Pléiades. Le repère visuel est le coucher héliaque des Pléiades. Pour un observateur, à partir de cette date et jusqu'au 7-8 novembre les Pléiades ne sont plus visibles après le coucher du soleil.
Le repère du 8 novembre est, pour sa part, symétrique et inverse de Hıdrellez : à la conjonction soleil-Pléiades de mai correspond cette fois-ci leur opposition sur l'écliptique. Le coucher héliaque des Pléiades cède ainsi la place au coucher acronyque : la "constellation" apparaît dans le ciel peu après le coucher du soleil et la présence des Pléiades dans le ciel nocturne durera jusqu'à Hıdrellez prochain.
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Le rituel de Hıdrellez permet ainsi de structurer le temps comme une alternance de contraires, et ce faisant, de penser Al-Khadir et Elie comme "Maître du temps". En effet, immortels, ils le sont tous deux, mais de façon différente ; Hızır envoyé de Dieu sur terre et ayant bu aux sources de la vie d'une part, et Elie d'autre part, le dispensateur de la pluie rendu immortel par enlèvement divin. À l'alternance contrastée de la belle et la mauvaise saison, marquée par la conjonction entre le soleil et les Pléiades, la pensée mythique fait correspondre le retour sur terre d'une conjonction des contraire.
Hıdrellez constitue par ailleurs le seuil d'une transition, une limite. C'est ce qui pourrait expliquer, dans le rituel comme dans les légendes de la mise en scène, des formes variées de transgression : la patience d'une part et l'indiscrétion qui rompt le charme (Épisode de Moïse, Enoch rencontrant la mort, Köroğlu avec le cheval, etc.). Une des fonctions du rituel, comme le relève P. Bourdieu, est de rendre licites en les euphémisant ces transgressions inévitables de la limite.
Enfin, le temps que le rituel de Hıdrellez et les ressources du dispositif symbolique qu'il agence autour d'une stratégie de l'attente se situent dans le registre sacré d'une religion constituée comme l'islam : les festivités d'Hıdrellez sont vécues non pas comme un ensemble d'aimables pratiques païennes, mais dans la ferveur religieuse. En ce sens, Hıdrellez et les Maîtres du temps apparaissent comme les médiateurs privilégiés entre les conditions matérielles de l'existence (en l'occurrence un mode de production agro-pastoral) et le registre divin.
Cette manière de repenser le monde ne peut donc être réduite à sa seule dimension calendaire ou religieuse. Une étude attentive montrerait que nombre de messianismes anatoliens et leurs meneurs charismatiques ont essayé, avec succès, d'articuler cette stratégie de l'attente inscrite dans la pensée populaire avec une dimension politique : Le Vilayetname de Hacı Bektaş Velî fourmille de séquences et de personnages qui mettent aussi en scène les attributs et les légendes de Hızır et Ilyâs, Maître du temps et de son retour. On connaît, dans ce cas précis, l'audience, l'étonnante vitalité et la pérennité du bektachisme au sein des peuples différents par leurs langues et leurs religions mais semblables dans leur rapport à une civilisation matérielle et un pouvoir qui régit les choses et les hommes.
Altan Gökalp, Têtes rouges et bouches noires et autres écrits



mercredi, mai 12, 2010

Obscures et courtes funérailles de Muhammad

Dans les rues, l'agitation gagnait les membres des autres tribus qui se trouvaient à Médine et ne voulaient pas être les dupes dans la décision qui allait intervenir. La nuit tombait. Tous oubliaient le cadavre qui gisait dans la petite cabane de 'Aïsha.

La discussion fut longue, ardente et confuse à la lumière des lampes à huile et des torches. Un Médinois proposa qu'on élise deux chefs : un Qorayshite et un Médinois. La plupart comprirent que c'était faire courir la communauté à la division et à l'effondrement. Tous criaient ensemble et peut-être en vinrent aux coups. Il fallait en finir. Obscurément ces hommes comprenaient que l'écroulement du système serait un désordre pour eux. Aucun Médinois n'arriverait à obéir sans contestation dans sa ville même. Les tribus non-médinoises se refuseraient à suivre des gens que l'on soupçonnerait de penser en premier lieu aux intérêts de leur tribu. Le candidat idéal, c'était un de ces Qorayshites détachés de leur propre tribu par une longue émigration et une longue lutte contre elle, un des héritiers de la pensée du disparu. Abou Bekr proposa 'Omar ou Abou 'Obayda. Ses discours d'homme pondéré et intelligent, qui ne perdait pas la tête dans les heures graves comme celles qu'on vivait, avaient impressionné les assistants. Le nom de 'Omar qui avait la réputation d'être trop emporté se heurtait à des réticences. Il se désista en faveur d'Abu Bekr. L'accord se fit tard dans la nuit sur la désignation de celui-ci. Il serait le "remplaçant" (khalîfa, dont nous avons fait calife) du messager d'Allah. L'Islam continuait.

Pendant ce temps, dans la maison de Mohammad, s'étaient réunis les gens de la famille. 'Ali le gendre, 'Abbâs l'oncle, Ossâma le fils du fils adoptif, Shoqrân un client. Ils méditaient de recueillir l'héritage du mort au bénéfice de leur clan, les 'Abd Manâf de Qoraysh. Mais ils n'avaient guère de partisans, quelques Qorayshites de bonne réputation : Talha, Zobayr, plus peut-être le compromettant Abou Sofyân. Des informateurs bien intentionnés leur rapportaient les échos de la réunion du hangar des Banou Sâ'ida. Ils étaient furieux et impuissants. Peut-être comptaient-ils prendre leur revanche un peu plus tard. Pendant des mois ils refusèrent de reconnaître Abu Bekr. Cette nuit-là, ils firent quelque chose d'anormal et d'inattendu. On pouvait s'attendre à ce que l'auguste cadavre fût enterré solennellement comme on l'avait fait maintes fois pour des morts moins importants, dans le cimetière de Baqî, à côté de son fils Ibrâhîm, de sa fille Roqayya, de tant d'autres Compagnons. Il semble bien que 'Ali, 'Abbâs et leurs amis voulurent éviter une telle cérémonie où Abou Bekr, dirigeant la procession funéraire, serait apparu comme le successeur désigné du prophète. On songe à Antoine aux obsèques de César, à Staline utilisant ainsi les funérailles de Lénine. Quoi qu'il en soit, ils décidèrent d'enterrer le prophète cette nuit-là même, dans la cabane où il était mort. On n'avertit même pas 'Aïsha (la fille d'Abou Bekr !) qui, dormant sans doute chez une co-épouse, entendit tout à coup le pic des fossoyeurs. On lava sommairement le cadavre, on l'entoura de trois manteaux, on le plaça au fond du trou et on lui jeta de la terre sur la tête. Ç'en était finit pour toujours de Mohammad ibn 'Abdallah le Qorayshite.

Mahomet, Maxime Rodinson.



J'ai d'abord trouvé ces pages très plutarquiennes, dans ces funérailles hâtives, clandestines, presque celles d'un corps assassiné que l'on soustrait de nuit. Puis j'ai pensé à ce que Shakespeare aurait pu en tirer : l'ensevelissement dans le secret et l'intrigue, les détails triviaux, le cadavre, le réveil de l'épouse sur le giron duquel il a choisi de mourir... et l'on peut imaginer, une fois la famille partie, le discours moraliste ou philosophique sur le pouvoir, la mort, la commune condition des hommes, tenu au-dessus de la fosse par un esclave grave ou un peu bouffon ou bien les fossoyeurs, le tout à la lueur fantasque des lampes à huile.

TV, radio

TV

Dimanche 16 mai à 20h40sur Orange cinénovo : Yol, de Yilmaz Güney et Serif Gören.











Radio

Dimanche 16 mai à 8h00 : Journal de déportation. Le témoignage de Yervant Odian (1869-1926), journaliste et écrivain : Journal de déportation, éd. Parenthèse. Foi et tradition, J.P. Enkiri.

Présentation de l'éditeur

Septembre 1915, Istanbul. Un soir, on frappe à la porte: « Yervant Odian est-il là ? ». Dès lors, l'implacable organisation génocidaire turque va l'entraîner sur les routes et dans les sinistres camps du désert syrien. Au sein des colonnes de déportés, il rejoint le destin de ses compatriotes arméniens, bien que se considérant presque comme un « privilégié », en raison de son statut d'écrivain reconnu.

Immergé dans un quotidien de tortures, glacé d horreur devant les situations d humiliation, les impitoyables persécutions que subissent les déportés et, pour finir, les exécutions et l'extermination, un rare instinct de survie préserve Yervant Odian. L'écrivain satirique et journaliste, survivant à ces « années maudites », ce cauchemar, revient à Istanbul en 1918 au terme d'un long voyage en enfer et retrouve sa table de rédacteur. Aussitôt, il s'attache à consigner ses souvenirs témoignant ainsi au nom de tous ces anonymes disparus, et il sera l un des rares écrivains arméniens à s'y consacrer au lendemain du génocide. De ce travail de mémoire résulte un récit à la fois distancié, précis et dépouillé, pour surtout « être fidèle à la réalité, n'altérer en rien les faits, n'en exagérer aucun ».

Une forme de « poétique de la simplicité ».

Biographie de l'auteur
Yervant Odian (1869-1925), écrivain satirique arménien, est arrêté en août 1915 après la rafle des intellectuels marquant le début du génocide arménien ; il est déporté dans le désert syrien. Il survit par miracle, revient à Istanbul plus de trois ans plus tard et reprend ses activités de journaliste et d'écrivain pour le quotidien Jamanak dans lequel il publiera ses souvenirs de déportation. Son œuvre protéiforme, sa plume acérée et sa satire féroce lui confèrent une place singulière dans la littérature arménienne.

Broché: 488 pages
Editeur : PARENTHESES (25 février 2010)
Collection : Diasporales
Langue : Français
ISBN-10: 2863641964
ISBN-13: 978-2863641965






Mardi 18 mai à 21h sur RCF : Avec Fawaz Hussain pour En direction du vent ( Non Lieu). Au fil des pages, E. Fischer.

Présentation de l'éditeur
Lorsque je suis parti de chez moi, je n'aurais jamais imaginé que je m'éloignerais autant de ce Kurdistan de toutes les convoitises et de toutes les douleurs. Sur le chemin jonché de traquenards et de dangers, j'étais en nage comme si je sortais des eaux de l'Euphrate. La sueur qui me coulait du front se frayait un chemin entre mes sourcils et mes cils pour me piquer les yeux et me brouiller la vue. Que fuyais-je ? De quoi avais-je peur ? Il nous était difficile d'être Kurdes sur la terre de nos ancêtres. Des guerriers arabes, turcs et iraniens avaient juré notre anéantissement sur la tête de leur mère et le Coran de La Mecque. Depuis qu'ils avaient envahi notre sol, ils nous imposaient des identités qui nous allaient comme des guêtres à un lapin. Ils voulaient tout contrôler, absolument tout ; notre façon de respirer, de bouger et surtout de rêver. Ces hommes craignaient nos rêves de liberté et nos phantasmes de paix comme la peste et le choléra réunis. Ainsi débute l'une des nouvelles de ce recueil, nouvelles dont l'assemblage constitue un véritable roman qui conte les tribulations d'un Kurde exilé en France, hanté par la figure du Père, resté au pays.

Biographie de l'auteur
Fawaz Hussain est né au nord-est de la Syrie dans une famille kurde. Il arrive à Paris en 1978 pour poursuivre des études supérieures de lettres modernes à la Sorbonne où il soutient une thèse de doctorat en 1988. Début 1993, il s'installe en Suède où il travaille à l'Institut français de Stockholm et enseigne à l'université de Lulea en Laponie. Depuis son retour en France en 2000, il est professeur de français en Seine-Saint-Denis et à la Mairie de Paris. Du même auteur : Le Fleuve, Méréal, 1997, réédité dans la collection Motifs, Le Serpent à Plumes, 2000 ; Chroniques boréales, L'Harmattan, 1999 ; Prof dans une ZEP ordinaire, Le Serpent à Plumes, 2006 ; Les Sables de Mésopotamie, éditions du Rocher, 2007.

Broché: 113 pages
Editeur : Editions Non Lieu (18 mars 2010)
Collection : A la marge
Langue : Français
ISBN-10: 2352700809
ISBN-13: 978-2352700807


Concert de soutien à l'Institut kurde