vendredi, février 26, 2010

SYRIE : LA QUESTION DE L’AUTONOMIE KURDE DIVISE L’OPPOSITION


Le 12 février, la Chambre des Lords, en Grande-Bretagne, a interpellé le gouvernement britannique sur la situation des Kurdes de Syrie, concernant les discriminations qu’ils subissent en tant que citoyens et les interdictions pesant sur leurs droits culturels et linguistiques. La Chambre des Lords s’est aussi interrogée sur la légalité de l’arrestation de quatre Kurdes membres du parti politique Yekitî, Hassan Ibrahim Saleh, Mohammed Mustafa, Maruf Mulla Ahmed et Anwar Nasso, sur le motif qu’ils avaient appelé de leurs vœux une autonomie pour les régions kurdes en Syrie et, de façon générale, sur le nombre important des arrestations de militants politiques et d’étudiants kurdes en Syrie depuis 2002, dont Dilbixwin Osey Hamdin, étudiant à Derbasieh et arrêté le 16 août 2009, et Havraz Mohammed Amin Hassan, étudiant de Qamishlo, arrêté le 14 décembre 2009.

Selon le ministre d’État du Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth, la baronne Kinnock of Holyhead, le Secrétaire des Affaires étrangères britanniques a évoqué la question kurde lors de rencontres avec son homologue syrien et a exprimé son inquiétude au sujet de la situation des Kurdes de Syrie. « Mes collaborateurs à Damas ont des contacts réguliers avec les défenseurs des droits de l’homme en Syrie et suivent la situation de très près, y compris les droits de citoyenneté et les droits linguistiques. »

Lady Kinnock of Holyhead a aussi rappelé que le ministre d’État aux Affaires étrangères, Ivan Lewis, avait estimé dans un débat à Westminster Hall, le 24 août 2009, que les droits des Kurdes n’étaient toujours pas garantis par la constitution syrienne, et que le rapport annuel des droits des l’homme émanant de ce même ministère a, en 2008, été particulièrement consacré aux droits des Kurdes syriens. Le ministre d’État a reconnu, dans sa réponse aux Lords présents, que le système judiciaire syrien avait besoin d’être réformé, et tout particulièrement la Cour suprême syrienne, où les avocats voient leur client uniquement le jour de leur procès, lequel ne dure qu’environ une demi-heure, où ils n’ont le droit ni de plaider ni de faire appel à des témoins. Enfin, la défense ne peut faire appel des sentences émises.

Deux jours plus tard, le 14 février, le Comité syrien des droits de l’homme annonçait la mort d’un détenu kurde sous la torture, dans la prison d’Alep. Il s’agit de Mohammed Musto Rashid, originaire d’Afrin. Emprisonné depuis près de quatre mois, il avait été soumis à des sévices sévères, avant d’être hospitalisé à Alep pour quatre jours. Renvoyé ensuite en détention, il est mort le 19 janvier dernier. La raison de son arrestation et de son maintien en détention n’a jamais été expliquée par les autorités, et le Comité syrien n’est même pas en mesure d’affirmer si cela avait un quelconque lien avec des activités politiques. Les condamnations, même à de courtes peines d’emprisonnement et souvent pour des motifs assez insignifiants, se sont multipliées ce mois-ci contre les militants de parti Yekitî, dans ce qui semble ressortir d’une tactique de harcèlement. Le 16 février, Hassan Saleh, membre du Bureau politique a été condamné par contumace à un an d’emprisonnement (ramené à 8 mois par le juge) pour appartenance à une organisation secrète et interdite, et incitation au sectarisme et au racisme. Le juge militaire de Qamishlo a aussi condamné à six mois d’emprisonnement (réduits à 4 mois) Shahbaz Nazir Ismaïl et Siwar Abdul Rahman Darwish pour avoir été en possession de publications émanant de Yekitî.

Le 18 février, deux Kurdes d’Amude étaient arrêtés par les forces de sécurité de la ville de Qamishlo sans motif connu et maintenus en détention : il s’agit de Montasir Ahmad Khalaf, photographe et propriétaire d’un Internet café et d’Alan Ahmed Hussein, fleuriste. Le même jour, Mohammed Salih Khalil, membre du Bureau politique du Parti démocratique kurde de Syrie comparaissait devant le tribunal militaire d’Alep. Il était accusé d’appartenance à une organisation secrète en vertu de l’article 288 du code pénal syrien. Son procès a finalement été reporté au 25 mars prochain. Né à Afrin en 1953, Mohammed Salih, qui vit à Alep, a été arrêté le 11 novembre 2009 par la sécurité militaire et détenu par la branche Palestine des même services à Damas, avant d’être transféré à la prison d’Alep.

Par ailleurs, la récente déclaration des 4 membres du parti Yekitî, souhaitant l’instauration d’une autonomie dans les régions kurdes de Syrie a agité fortement l’opposition syrienne. En effet, en décembre dernier, lors du congrès de ce parti, des membres du Bureau politique avaient déclaré que la solution au problème kurde en Syrie passait par une forme de gouvernement autonome. Ces membres ont été arrêtés peu de temps après. Mais cette déclaration a divisé la plate-forme commune appelée « Parapluie de Damas », formée en 2005, pour unifier les différents partis et mouvements d’opposition en Syrie, qu’ils soient kurdes ou arabes, islamistes ou laïques. Les partis arabes ont vigoureusement condamné la proposition des Kurdes, qu’ils ont qualifiée d’ « intempestive » et de « séparatiste ». Mais Fouad Aliko, le Secrétaire général de Yekitî a répliqué que les Kurdes de Syrie avaient le droit légitime de gérer leurs propres affaires et de jouir d’une autonomie pour autant que cela ne nuise pas à la Syrie et à son intégrité territoriale. Fouad Aliko a cité en exemple « l’ouverture » de la Turquie sur la question kurde et le cas du Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak, qu’il voit comme des modèles pour résoudre le problème kurde en Syrie.

C’est la première fois dans l’histoire politique des Kurdes en Syrie que l’autonomie est ouvertement évoquée et ce nouveau pas a provoqué l’irritation des mouvements arabes, peu enclins à voir les Kurdes autrement que comme une minorité discrète en Syrie. Hassan Abdel-Azim, le dirigeant de l’Union démocratique arabe socialiste, a « rejeté catégoriquement l’usage de termes comme celui de ‘Kurdistan syrien’, d’auto-gouvernement ou tout autre propos séparatiste ». Il a ajouté que les groupes d’opposants en Syrie cherchaient des solutions au problème kurde « dans les limites de l’unité de la terre syrienne et de son peuple », en ajoutant qu’il soutenait les droits à l’égalité citoyenne des Kurdes et leurs droits culturels. Faïk Al-Mir, membre du Parti syrien démocratique a estimé, pour sa part, que les « demandes séparatistes » divisaient et affaiblissaient l’opposition : « Les Syriens aujourd’hui ont besoin d’être dans une situation de totale unité et de solidarité dans leur lutte pour bâtir une société libre et un État démocratique ».

Depuis que cette plate-forme d’opposants de Damas a été fondée en 2005, ses résolutions sur les droits des Kurdes se sont cantonnées à de vagues déclarations d’intention, afin de ne pas heurter le nationalisme arabe. Mais selon Fouad Aliko, ce rejet résulte d’une méconnaissance du principe d’autonomie de la part de ces mouvements arabes, qui l’assimilent automatiquement au séparatisme. Il s’est dit « déçu » par ces réactions qu’il compare à l’intransigeance du Baath syrien.

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