vendredi, février 26, 2010

minorités en Islam : les Alévis ou le chiisme "vieux-paysan"

Les régions égéennes et méditerranéennes, où les Alévites sont peu nombreux et dispersés en villages isolés, sont celles où le grand nomadisme a imprégné beaucoup plus fortement et plus tardivement l'occupation du sol. Ce sont les régions où s'est individualisé, aux XIVe et XVe siècles, le concept de Yürük ("celui qui marche"), opposé à paysan, dans le cadre d'un binôme de paysans-nomades, encore renforcé au XVIIe siècle par la "seconde invasion nomade" résultant de la dislocation par l'autorité ottomane des grandes confédérations turkmènes de l'Est, binôme qui persista pendant plusieurs siècles. Les régions où les Alévites sont au contraire nombreux et groupés, centre-orientales, sont en revanche des contrées restées à peu près imperméables à ces mêmes nomades turcs, en tout cas des pays où la vie sédentaire a largement prédominé, dès avant l'époque ottomane.
Replaçons cette constatation dans le cadre de l'évolution historique du Chiisme anatolien et de son recul progressif. Dans cette perspective, on comprend aisément l'importance de celui-ci dans l'Anatolie centre-orientale, et les principes de sa répartition. Il s'agit, en situation éminemment résiduelle, des vestiges d'effectifs jadis beaucoup plus importants, qui ont réussi à maintenir et à préserver leur originalité dans des régions écartées, ou montagneuses, peu influencées par le pouvoir. Leur densité s'accroît vers l'Est, à mesure qu'on s'éloigne du siège de l'autorité impériale. Le modèle "centre-périphérique" est la base de l'explication. Mais il s'y ajoute un facteur supplémentaire, qui explique les détails régionaux. Ce Chiisme "vieux-paysans", comme on peut le qualifier, est certainement pour une grande part l'héritier direct d'éléments chrétiens préturcs qui ont trouvé dans l'Alévisme, comme on l'a montré, le paravent commode d'une pseudo-islamisation. Il est très remarquable, par ailleurs, que la carte de ce Chiisme oriental apparaisse très largement complémentaire de celle de la persistance du Christianisme. On ne trouve pratiquement pas de Chiites dans les régions où les populations grecques et arméniennes avaient réussi à préserver leur identité à la fois culturelle et religieuse : hautes chaînes Pontiques entre la côte et le Kelkit, ou Cappadoce notamment, pour les Grecs. Il s'agit de deux formes différentes de résistance culturelle à la transformation ethnique ou religieuse.

Xavier de Planhol, Minorités en Islam, 2, Le domaine turco-iranien : Le Chiisme anatolien.

2 commentaires:

  1. Merci Sandrine pour cette présentation. L'auteur est-il contemporain?
    Deuxième question : Est-ce que vous savez pourquoi Ahmet Türk et Aysel Tugluk ne vont finalement pas participer à la conférence d'aujourd'hui?

    RépondreSupprimer
  2. Oui, on peut trouver sa fiche ici :

    http://www.iesr.ephe.sorbonne.fr/index3680.html

    Sur l'absence du binôme, aucune idée. En fait je ne m'occupe pas du tout de cette conf', donc j'ai rien suivi.

    RépondreSupprimer

Concert de soutien à l'Institut kurde