dimanche, janvier 31, 2010

IRAK : PENDAISON D’ALI « LE CHIMIQUE »


Ali Al-Madjid, surnommé Ali le Chimique, cousin de Saddam Hussein et principal ordonnateur et exécuteur de l'Anfal, a été exécuté par pendaison le 25 de ce mois. Il s’agissait de la quatrième sentence de mort prononcée à l’encontre d’Ali Al-Madjid, toutes pour des crimes commis à l’encontre des Kurdes ou des chiites irakiens. Il avait été ainsi condamné à mort en juin 2007 pour avoir ordonné l’attaque au gaz de la ville kurde de Halabja, le 16 mars 1988 et en décembre 2008 pour crimes de guerre, quand la révolte des chiites avait été écrasée dans le sang, en 1991. En mars 2009, un autre tribunal l’avait reconnu coupable du meurtre de dizaines de chiites en 1999, dans le quartier de Sadr City à Bagdad.

Étant l’une des principales figures du régime baathiste, considéré comme le bras droit de Saddam Hussein, il était membre du Conseil de commandement de la Révolution, organe suprême du régime de Bagdad et a ordonné et organisé plusieurs répressions brutales et sanglantes dans tout le pays. En mars 1987, il avait obtenu les pleins pouvoirs pour mater la rébellion kurde dans le nord du pays. Arrêté en août 2003, il avait fait partie des 52 personnes recherchées par les forces de la Coalition et dont les portraits avaient été imprimés sur un jeu de cartes. Ali Al-Madjid y figurait le roi de Pique.

Si l’annonce de l’exécution a été accueillie avec satisfaction par la majorité des populations kurdes et chiites, le Gouvernement régional du Kurdistan a fait état de ses regrets concernant la teneur de la sentence elle-même, qui ne comprend pas le crime de « génocide », ce que réclament les Kurdes, pour les actes commis au cours de l’Anfal. Madjid Hamad Amin Jamil, le ministre des Martyrs du Kurdistan a déclaré : « Après avoir consulté plusieurs avocats, nous pensons que les verdicts sur le plan individuel sont justes mais nous avons des réserves sur la charge de « crime contre l’humanité » car nous considérons le gazage de Halabja, qui a tué plus de 5000 personnes, comme un acte de génocide envers le peuple kurde. Nous avons décidé de faire appel de ce jugement. » La question de la reconnaissance d’actes génocidaires durant l’Anfal permettrait aussi, selon les Kurdes, d’augmenter le montant des compensations dues aux victimes, en plus d’apporter une plus grande reconnaissance internationale de cette page noire de l’histoire kurde. Des milliers de personnes souffrent encore de séquelles physiques dues aux gaz chimiques, sans compter les séquelles psychiques, comme l’explique un juriste kurde en faveur de l’appel, Bakir Hama Sidiq, qui a lui-même perdu 23 personnes de sa famille dans l’attaque du 16 mars 1988 contre Halabja : « Il est important que soit retenue l’incrimination de génocide, car il ne fait aucun doute que ce qui s’est produit à Halabja, le 16 mars 1988 est un acte de génocide. Cela aiderait les victimes à obtenir des dédommagements. Le gouvernement [de l’époque] a prétendu que Halabja était une base militaire, mais ce fut en réalité un message adressé à l’Iran sur le fait que les dirigeants irakiens n’avaient aucune pitié, même envers leur propre peuple. Ce fut un génocide. »

L’avocat général, Goran Adham, a déclaré que son équipe et lui soutenaient la sentence, mais qu’ils feraient malgré tout appel pour obtenir le verdict de génocide, même si la reconnaissance de « crimes contre l’humanité » à Halabja peut, selon les avocats, donner malgré tout aux victimes la possibilité d’une poursuite civile pour obtenir des dédommagements des préjudices subis : « Nous allons poursuivre en justice les sociétés étrangères [ayant vendu les gaz chimiques utilisés en armes] et le gouvernement central comme le Gouvernement régional du Kurdistan peut les attaquer devant les tribunaux internationaux. » Le porte-parole du Gouvernement régional du Kurdistan, Kawa Mahmud a apporté le soutien de son gouvernement à l’appel de ce jugement : « Nous considérons juste ce verdict mais ne pas reconnaître officiellement ce dossier comme étant un génocide a soulevé des craintes parmi nous. Nous sommes donc heureux que l’accusation fasse appel. » La volonté de faire appel du jugement ne signifiait pas, cependant, un report de la peine de mort. Goran Adham s’était même dit persuadé que la peine capitale serait appliquée avant même que la cour d’appel ait rendu son jugement, ce dernier processus pouvant prendre plusieurs mois, ce qui s’avéra juste.

D’autres condamnations ont déçu l’accusation : l’ancien ministre de la Défense, Sultan Hashim Al-Taie et l’ancien chef des Services secrets Sabir Azizi Al-Douri ont été tous deux condamnés à quinze ans d’emprisonnement chacun, ce que les procureurs jugent insuffisant. Aussi Goran Adham a-t-il également décidé de faire appel de leur jugement Hashim Al-Tae a été condamné à mort avec Ali Al-Madjid en 2007 pour des crimes commis durant l’Anfal. Mais à l’époque, le président irakien, le Kurde Jalal Talabani, et son vice-président sunnite Tariq Al-Hashemi avaient refusé de signer la sentence, pour finalement l’approuver, en février 2008.

Mais certains observateurs politiques ont estimé que la volonté de procéder rapidement à cette exécution pouvait n’être pas étrangère à des fins électorales, à l’approche des législatives de mars 2010, d’autant que les débats autour de l’interdiction de candidats proches de l’ancien régime ont ravivé les sentiments anti-baathistes, surtout dans les milieux chiites. « Le verdict d’une peine de mort prononcée contre Ali Hassan Al-Majid dans le dossier de Halabja pourra être utilisé par le Premier Ministre Nouri Al-Maliki dans sa campagne électorale », estime ainsi l’analyste Hadi Jelow Mari, dans le journal irakien Al-Mada. « Maliki dira ainsi à la rue irakienne que c’est lui qui a mené à bien l’exécution de Saddam Hussein et qu’il va continuer de prendre des mesures strictes à l’encontre des anciens adjoints de Saddam. » L’exécution a finalement eu lieu une semaine après que la sentence a été rendue. Cette fois, contrairement à l’exécution de Saddam Hussein, aucune vidéo de la pendaison n’a circulé, et seulement deux clichés ont été diffusés sur les chaînes télévisées, tous deux montrant le condamné avant l’exécution.

À Halabja, les réactions ont été mitigées, entre satisfaction ou indifférence par rapport à cette exécution et surtout la déception que l’accusation de génocide n’ait pas été retenue. Le jour de la sentence, une commémoration avait eu lieu au cimetière de la ville, où sont enterrées les milliers de victimes du 16 mars, dont certaines inconnues et dans des fosses communes. « Je ne suis pas heureux de cette exécution parce que cela ne changera rien pour nous, explique ainsi Yahya Nawzar, instituteur à Halabja, il aurait même pu être exécuté sans le verdict de Halabja. Ce qui est important pour nous est la reconnaissance du génocide. » Durant la cérémonie, de fait, des banderoles réclamant cette reconnaissance ont été brandies. Le maire de la ville, Khidr Karim Muhammad s’est déclaré cependant optimiste sur cette question, pensant que la Cour suprême finira par leur donner raison.

samedi, janvier 30, 2010

SYRIE: LES KURDES DANS UNE SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE PLUS EN PLUS DIFFICILE


123 réfugiés se disant Kurdes de Syrie, ont été débarqués sur les côtes de Corse par leurs passeurs. Immédiatement transférés par les autorités françaises dans plusieurs centres de rétention administrative, sans avoir pu déposer dans les règles une demande d’asile, les réfugiés ont été finalement libérés par les tribunaux à l’issue d’une polémique opposant le ministre de l’Immigration, Éric Besson, aux associations de défenses des réfugiés et du droit d’asile, comme la CIMADE ou le Forum des réfugiés. En effet, la procédure pour les demandeurs d’asile prévoit de placer les requérants dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile et non dans des centres de rétention. Le ministre de l’Immigration a alors argué qu’il « était impossible d'amener en quelques heures à la pointe sud de la Corse des dizaines d'interprètes, d'avocats, de médecins et de trouver sur place un local de rétention administrative respectant l'ensemble des normes en vigueur. »

Mais la polémique portait aussi sur les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière dont les réfugiés ont fait l’objet avant même d’avoir pu déposer des dossiers de demandes d'asile. Finalement, les juges des libertés et de la détention de Marseille, Nîmes et Rennes ont décidé de libérer tous les réfugiés, en estimant que leurs droits ne leur avaient pas été notifiés et qu'ils n'étaient pas placés en garde à vue, ce qui induisait que leur détention n’avait aucun cadre juridique légal. Éric Besson a donc été contraint de faire marche arrière, en annulant l’arrêté de reconduit à la frontière et en acceptant l’hébergement des réfugiés « dans des lieux d'accueil gérés par l'Etat en partenariat avec la Croix-Rouge ».

Indépendamment d’une polémique juridico-politique purement française, le destin de ces 123 réfugiés a brièvement remis sur le devant de la scène médiatique le sort des Kurdes de Syrie, et particulièrement les Kurdes « sans-papiers », c’est-à-dire arbitrairement déchus de leur citoyenneté depuis le début des années 1960, et qui seraient plus de 300 000. Les persécutions contre les Kurdes, apatrides ou non, ne décroissent pas en Syrie et la pression contre les mouvements politiques et les militants pour les droits de l’homme s’accentue, sans pouvoir étouffer leurs revendications. Cela peut même, paradoxalement, les conduire à formuler de nouveaux objectifs politiques, jusqu’ici tabou dans l’espace politique syrien, et peut-être inspirés de l’expérience kurde en Irak : ainsi, quatre membres du parti politique Yekitî (interdit) ont été arrêtés ce mois-ci, ce qui n’est pas un fait nouveau en soi, mais pour avoir exprimé le souhait d’une « autonomie politique » pour les territoires kurdes de Syrie.

Cette revendication a été formulée ouvertement en décembre 2009 lors du Sixième Congrès du parti Yekitî. Les quatre hommes y avaient défendu l’idée d’autonomie comme solution à la question kurde en Syrie, idée qui avait été débattue à l’intérieur du Parti, jusqu’ici enclin à se concentrer sur la question des droits de l’homme, des libertés et du sort des sans-papiers. Par la suite, les quatre responsables politiques ont été arrêtés, sans que le lien direct entre leur prise de position et leur détention soit clairement établi. Les quatre politiciens arrêtés sont : Hassan Ibrahim Saleh, né en 1947, Mohamed Mustafa, né en 1962, tous deux résidant à Qamishlo. Marouf Mulla Ahmed, né en 1952, tous trois membres du Bureau politique de Yekitî, résident à Qamishlo. Le quatrième, Anwar Nasso, militant politique, est né en 1962 et à Amude. Leur arrestation a été condamnée par l’ensemble des partis politiques syriens et les ONG kurdes défendant les droits de l’homme en Syrie.

Des procès sont tenus aussi, pour des motifs encore plus arbitraires. Ainsi, sept hommes, dont certains faisant partie d’un groupe de musiciens professionnels, ont été arrêtés en octobre 2009 pour avoir chanté en kurde lors d’une noce. La fête a alors été dispersée par les forces de sécurité syriennes. Les musiciens et le frère d’un des garçons d’honneur ont été emmenés en détention dans une prison de Qamishlo. Des ONG locales ont reçu des témoignages attestant de tortures subies, ayant eu pour conséquences l’hospitalisation d’un des musiciens, Jamal Sadoun, qui présentait plusieurs lésions physiques, notamment aux pieds. Le 17 de ce mois, le juge militaire de Qamishlo a interrogé les détenus sur les charges pesant sur eux, à savoir « incitation à des conflits sectaires ». Les prisonniers, Jamal Sadoun, Mihad Hussain, Djawar Munir Abdullah, Djiwan Munir Abdullah, Hossan Ibrahim, Zahid Youssef, musciens, et Abdel Latif Malaki Yaco, le propriétaire du restaurant où avait eu lieu la noce, ont tous plaidé non coupables. Malgré l’indigence des faits, le juge n’a pas annulé le jugement, mais l’a seulement repoussé au 17 mars pour laisser le temps aux avocats de préparer leur défense.

Le même jour, le même juge a condamné d’autres détenus d’opinion à des peines de prison. Il s’agit de Khalil Ibrahim Ahmed, Mohamed Shekho Issa, Abdelsalam Sheikhmous Issa et Rami Sheikhmouss al-Hassan, détenus depuis la mi-mars 2009. Ils avaient participé à une commémoration du 16 mars 1988, jour où la ville kurde de Halabja avait été anéantie sous les bombes chimiques par l’armée irakienne. Ils avaient été auparavant condamnés à 6 mois de prison pour incitation aux conflits sectaires, mais leur peine avait été réduite à 3 mois chacun. Les trois hommes ont fait appel.

Mais en plus des pressions politiques, les Kurdes de Qamishlo subissent de graves difficultés économiques, aggravées par une sécheresse face à laquelle les agriculteurs, majoritaires dans cette région, ne reçoivent aucune aide gouvernementale. Beaucoup d’entre eux quittent leur village pour la capitale, Damas, ou d’autres grandes villes, ne pouvant plus vivre de leurs terres. La contrebande de cigarettes ou de produits électro-ménagers, d’essence et même de moutons est également florissante avec l’Irak. Beaucoup de villages dans ce nord-est de la Syrie offrent ainsi un aspect fantomatique, à demi-désertés. L’appauvrissement de toute une population a des répercussions inquiétantes, non seulement sur la santé mais aussi sur l’accès aux soins. La plupart des familles ne peuvent se rendre dans les cliniques privées très onéreuses et dépendent des établissements hospitaliers publics et des dispensaires, où les soins sont médiocres. La situation affecte aussi l’éducation. Des instituteurs témoignent du nombre croissant d’enfants manquant l’école, poussés par leur famille à travailler. De plus, les fournitures scolaires sont trop chères pour les foyers nécessiteux.

La Djezireh est pourtant une riche terre agricole, abondamment pourvue en cours d’eau, où sont traditionnellement cultivés le blé, le coton, des fruits et légumes. 30% des productions agricoles syriennes viennent de cette région. De l’avis d’experts, la sécheresse a été aggravée par une politique insuffisante en matière d’irrigation. Selon des sources gouvernementales, ainsi que des estimations de l’ONU, c’est plus d’un million de personnes qui seraient ainsi touchées par la sécheresse. 800 000 d’entre elles vivraient dans des conditions de survie très précaires. Toujours selon l’ONU, ce serait de 40 000 à 60 000 familles qui auraient quitté leur foyer pour vivoter dans les villes. En août dernier, la Syrie, relayée par des organisations humanitaires, avait tiré la sonnette d’alarme en parlant de « catastrophe humanitaire ». L’ONU avait lancé une demande d’aide alimentaire, d’un montant de près de 53 millions de dollars, destiné à la population et au bétail. Mais en raison des tensions politiques qui existent entre la Syrie et ses voisins, et de sa mauvaise réputation sur le plan international, les fonds mettent beaucoup de temps à se débloquer, comme l’a confirmé, en octobre dernier, un responsable des Nations-Unies en poste à Damas, dans une interview donnée au Financial Times. En plus des fonds provenant de l’ONU, les pays donateurs sont, pour le moment, l’Australie, l’Irlande, l’Arabie saoudite, la Suède. D’autres aides sont attendues des États-Unis et de l’Union européenne.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU prévoit en plus une aide alimentaire de 22 millions de dollars pour le mois de juillet prochain, qui devrait concerner 300 000 personnes dans les régions de Raqqa, Deir Ezzor et Hassakeh. Le responsable du PAM pour la Syrie, Mohannad Hadi, explique que « la majorité de la population touchée fait face à des difficultés extrêmes et a épuisé tous ses recours de survie. Le PAM a lancé une nouvelle opération d’urgence pour palier les déficits nutritionnels auprès de la population la plus vulnérable, avec une attention particulière pour les femmes et les enfants de moins de cinq ans. » Mais des responsables locaux estiment cette aide insuffisante au regard des besoins de la population vivant dans les régions sinistrées. « Il n’est pas exagéré de dire que les gens meurent de faim ici », affirme un représentant du Parti Baath pour la Djezireh, s’exprimant sous couvert d’anonymat. Selon lui, les autorités locales ont averti le gouvernement central à maintes reprises de la gravité de la situation, mais sans effet, même si en juin 2009, le gouvernement avait distribué des rations alimentaires, contenant de la farine, du sucre, de l’huile et autres produits pour les familles les plus en difficulté : « Les distributions de nourriture ne suffisent pas, parce que la corruption est générale et une partie de cette nourriture est volée. »

Mais la sécheresse n’est pas la seule responsable de l’appauvrissement de la Djezireh. Beaucoup critiquent l’absence de programmes de développement industriel et touristique dans la région, pourtant riche en ressources naturelles, comme le gaz ou le sulfure, ainsi qu’en vestiges archéologiques qui pourraient être attractifs pour le tourisme.

vendredi, janvier 29, 2010

Pas ici, pas maintenant

À nous autres enfants, moi d'abord, par ordre d'apparition, puis ma sœur, on nous donna une éducation qui me sembla toujours appropriée au manque d'espace et de moyens ; on parlait à voix basse, on se tenait bien à table, essayant de ne pas salir le peu de vêtements décents que nous avions. On se déplaçait avec discipline dans le petit logement. On prit moins garde à ces usages dans la nouvelle maison, mais ils restèrent toujours gravés dans mon cœur, signes d'une mesure à jamais perdue entre moi et la portion du monde qui m'était impartie.

Une histoire, qui me poursuit du plus profond de ma mémoire, parle d'un ange qui frappe la bouche des enfants à l'heure de leur naissance. Il avait dû me donner un coup un peu plus fort, voilà pourquoi je bégayais : c'était la version de la légendre qu'on me racontait. Dans mes nuits d'enfant un ange venait souvent frapper à ma bouche, mais moi je ne parvenais pas à l'ouvrir pour lui souhaiter la bienvenue. Au bout d'un moment il s'en allait et dans le noir restaient ses plumes et mes larmes.

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Alors je l'ignorais, l'adolescence est une des stations de la patience, attendant de consister en de futurs accomplissements. Ces années étaient étriquées, le monde immense.

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À ce moment-là, j'ai dû comprendre que le mal est irrémédiable et qu'il est impossible de réparer un tort quoi que l'on fasse. Le seul remède est de ne pas commettre et ne pas en commettre est en ce monde l'œuvre la plus ardue et secrète.


C'est à ce moment-là que je pris l'habitude de ne pas terminer mes devoirs, d'en laisser une partie en blanc. Lors des interrogations aussi je gardais pour moi une partie de la réponse que je devais à l'enseignant. Je me réservais une part d'incomplétude, les choses allaient mal pour moi, je commençais à grandir.

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Il y a des pauvres pour qui le riche n'est pas un idéal. Il y a des pauvres, matériellement et spirituellement, insoumis. Si de mon banc je ne répondais pas au professeur qui me posait la question laissée sans réponse par l'élève au tableau, ce n'était pas par sentiment de solidarité. Je n'en éprouvais aucun envers mes camarades. Par tempérament et par conviction, j'étais hostile à la méthode qui nous incitait à rivaliser entre nous.

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Tendus vers un résultat, mes camarades agissaient et réagissaient de la même façon lors des nombreuses épreuves scolaires. Ils n'apprenaient pas à être les meilleurs, mais s'initiaient à des techniques d'hostilité. 

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Ton regret me comprenait mal. Je me mis à pleurer sous ton bras de t'avoir rendue coupable et à cause du bien que tu pensais de moi, parce que tu étais juste et que moi j'avais accentué le poids de ton erreur pour m'être senti étranger à moi-même. L'innocence pouvait être une sorte d'insolence.

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– Papa, si moi je ne veux pas être en attente et si je veux être sans attente, est-ce que je peux ?
Alors il cessa de se raser, ouvrit la porte en grand et, comme s'il avait compris quelque chose, je ne sais quoi, dit ces quelques mots : "Si tu es capable de vivre sans attente, tu verras des choses que les autres ne voient pas." Puis il ajouta encore : "Ce à quoi tu tiens, ce qui t'arrivera, ne parviendra pas par une attente." Il avait la moitié du visage rasée et l'autre encore pleine de savon, dans une main le rasoir et dans l'autre le blaireau. Il se pencha légèrement vers moi pour se faire comprendre.
Je le regardai de tous mes yeux. Ce n'était pas lui, même sa voix était différente. Quant à moi, je n'étais pas certain d'être celui qui avait posé la question.

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Alors, je ne sais comment cela se produisit, je compris que je n'étais pas témoin de tout ce mal et du monde, mais responsable. Toi, tu en faisais l'inventaire, m'en demandant compte rien qu'en parlant. Oui, maman, derrière son silence rêveur un enfant crut être la dernière parcelle de Dieu, fragment détaché d'un créateur qui avait laissé échapper son œuvre de sa bouche et de ses mains. En cet enfant, Dieu ne savait plus quoi faire ou quoi dire, sinon écouter.
Je ne l'ai pas fait exprès : c'est cela que je pensais, sans arrêt, sous le flot de tes histoires. C'était une bonne formule pour absoudre un enfant, mais bonne aussi pour enchaîner un Dieu aux malheurs du monde. Je ne l'ai pas fait exprès : je comprenais le monde, ne me souvenant plus l'avoir engendré. Je ne m'étonnais pas, puisque je n'avais même pas souvenir de ma naissance. Du reste aucun Dieu n'a souvenir de la sienne.

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Une grande partie du destin de chacun dépend d'une question, d'une demande faite un jour par quelqu'un, personne chère ou inconnu : on réalise soudain qu'on attendait depuis longtemps cette interrogation, peut-être banale, mais qui sonne comme une annonce et on sait qu'on tentera d'y répondre par toute sa vie.

Erri De Luca, Pas ici, pas maintenant.

IRAN : 18 KURDES ATTENDENT LEUR EXÉCUTION DANS LES « COULOIRS DE LA MORT »


Les condamnations à mort se poursuivent en Iran et les militants kurdes sont parmi les groupes les plus touchés, quel que soit leur sexe. Dans son dernier rapport annuel, Human Rights Watch pointe les violations des droits de l’homme et de la liberté d’expression et d’opinion envers les Kurdes d’Iran, qui sont au nombre de 12 millions, soit environ 7% de la population iranienne au total.

Shirin Alan Hove, actuellement détenue dans la prison d’Evin, à Téhéran, a été ainsi condamnée à la peine capitale par le tribunal révolutionnaire, en tant que « mohareb » (ennemie de Dieu). Elle avait été arrêtée un an et demi auparavant dans la ville de Maku (province d’Azerbaïdjan occidental) où elle résidait. Deux autres détenus kurdes, Mohammad Amin Abdollahi et Ghader Mohammadzadeh, originaires de Mir-Abad (Bokan), ont été condamnés à mort par le tribunal d’Ourmiah. Âgé de 25 ans, Mohammad Amin Abdollahi, a été condamné à 20 ans de prison, avant d’être rejugé et condamné à être exécuté, le 16 de ce mois, pour « menace contre la sécurité nationale » et « agissements contre Dieu ». Ghader Mohammadzadeh, âgé de 32 ans, a d’abord écopé de 32 années d’emprisonnement, mais le même tribunal d’Ourmiah l’a rejugé et condamné à mort. Ces seconds jugements visant à aggraver les peines s’inscrivent dans une pratique qui se généralise et rappelle les circonstances de l’exécution d’Ehsan Fatahiyan, le 11 novembre dernier. Comme Ehsan Fatahiyan et tous les détenus politiques, les deux condamnés ont été torturés et soumis à de fortes pressions durant leurs interrogatoires. Amnesty International a appelé par ailleurs l’Iran à ne pas exécuter un autre Kurde, Habibollah Latifi, qui vient d’être transféré ce mois de son lieu de détention, à Sanandadj, pour une cellule isolée, dernière étape avant la pendaison. Habibollah Latifi est accusé d’appartenance au PJAK, branche armée du PKK en Iran. Arrêté en octobre 2007 à Sanandadj, il a été jugé à huit-clos, sans même la présence de son avocat.

Il y a, actuellement, 18 Kurdes prisonniers politiques en attente de leur exécution dans les « couloirs de la mort ». Par ailleurs, dix militants kurdes, de Sanandadj, de Kermanshah ou d’Ourmiah, ont été arrêtés le 14 janvier, alors qu’ils rendaient hommage à un étudiant, Ebrahim Lotfollahi, mort sous la torture deux ans jour pour jour dans les locaux des services secrets de Sanandadj. Les militants se sont rassemblés au cimetière Nehesht Mohammadi, devant la tombe d’Ebrahim Kotfollahi afin d’observer une minute de silence. C’est alors qu’ils ont été brutalement assaillis par les forces de sécurité et que dix d’entre eux ont été emmenés. Depuis, leurs familles sont sans nouvelles.

jeudi, janvier 28, 2010

Trois chevaux




Honoré Daumier, collection P. Rosenberg
Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu'elles restent à plat. Les livres d'occasion ont le dos détendu, les pages, une fois lues, passent sans se soulever.

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En Calabre, il y a le passé, les oliviers plantés par les grands-parents, la maison en pierre taillée au ciseau, maçonnée de façon brute, sans enduit. Le soir, il y a quelque chose dans les assiettes, mais pas d'avenir.




photo Eugene Zelenko


Je prie, dit-il, pour tout ce que je porte à la bouche. Je prie pour lier le jour à son support, comme je le fais avec le roseau près du pied de tomates. Je bénis ce café de l'amitié.
Peut-être est-il plus facile pour un homme venu d'Afrique de lier terre et ciel par une ficelle.
Il tient la tasse blanche dans sa paume grise de pierre.
Nous buvons assis côte à côte sur le banc. Je lui dis que son italien est bon. Il répond qu'il aime la langue plus que tout le reste.
Dure vie ici ? demandé-je. Non, bonne, sans satisfaction du côté des hommes, mais bonne. On sort, on a envie d'échanger deux mots, dit-il, et rien, ici les hommes ne répondent pas. Sans satisfaction, répète-t-il, mais c'est une bonne vie.

*

Selim vient au jardin pour le mimosa et pour parler un peu de son pays où l'on va pieds nus et c'est pour ça qu'on parle volontiers.
Quand on met des souliers on ne parle pas, c'est ce qu'il pense de nous. Sans la plante des pieds nus sur le sol, nous sommes isolés, dit sa langue qui doit avoir une arête intérieure en argent pour être aussi sonore.
C'est la vérité, dis-je, c'est un pur amen : toute notre histoire est une chaussure qui nous détache du sol du monde. La maison est une chaussure, comme la voiture, le livre.

*

Je ne fais que souffler quelque merci vers le haut, dit-il.
Je fais monter mon souffle qui se mêle aux nuages et se change en pluie. Un homme prie et augmente ainsi la substance au ciel. Les nuages sont plein du souffle des prières.
Je regarde vers le haut, ils arrivent de la mer. Je dis : mince alors, ce qu'ils prient en Sardaigne.
Il rit avec moi et dit qu'il est bon de rire, que la foi vient après le rire, plus qu'après les pleurs. 



Je pense aux jours du Sud pleins de malheurs, gâtés par la mort qui nous détache par mottes, qui en glisse des vivants par milliers dans son sac, aussitôt attrapés. L'amour alors est un échange de fortes étreintes, un besoin de nœud. Et au bout de chaque étreinte, au bout de cette paix donnée, il reste le non-dit d'un adieu endurci.

*

Nous passons sur des terrasses de pierre, au milieu de restes de tranchées où de jeunes hommes d'un siècle encore enfant rêvent de vieillir avec lui, comme moi à présent je rêve de vieillir avec Dvora. La guerre, c'est quand les jeunes rêvent de devenir grands-pères.

*

Je quitte la maison de notre intimité, j'entre dans la guerre vagabonde où chaque logement est un faux domicile. De la maison des noces j'emporte une seule chose de Dvora, ses chaussures de gymnastique aux lacets encore noués parce qu'elle les retire en prenant appui sur ses talons. Il est de mon devoir d'en défaire les nœuds et de les tenir prêtes.
Je les emporte, sonné par le chagrin, en signe de dette pour négligence de soin, dans l'espoir de les lui voir encore aux pieds.
Puis je les oublie. Un an plus tard, je dois débarrasser un de mes logements clandestins et je les retrouve sous un sac, au fond d'une armoire. Je n'ai rien de Dvora, car sans elle je ne tiens à rien. Ses chaussures sont là avec leurs lacets bien attachés.
Je m'agenouille et défais les nœuds, libère les œillets. Puis je les laisse là.
Je sais qu'elle est au fond de la mer, les mains attachées. Je peux seulement défaire les lacets de ses chaussures. Je fais cet adieu à genoux devant une armoire vide. 

Sur le mur d'en face, il y a une carte géographique du monde. Elle est à l'envers, l'Antarctique en haut. Il s'aperçoit que je la regarde fixement.
"Tu es du Nord, dit-il, ceux du Nord n'en reviennent pas de voir leur belle planète sens dessus dessous. Pour nous en revanche le monde est comme ça, le Sud vers le haut."
Mon regard se perd sur la carte.
"Des marins irlandais viennent se remplir la vessie de bière, ils regardent et remuent la tête comme les chiens quand ils sentent quelque chose d'étrange. Têtes du Nord, têtes aveugles que vous êtes. On ne comprend la terre que si on la retourne comme ça. Regarde les continents : ils poussent vers le Nord, ils vont tous finir de l'autre côté. Parce qu'ils se sont détachés de l'Antarctique et qu'ils voyagent vers le bas de la planète, qu'ils dégringolent là-bas. Ils laissent les océans derrière eux. Même les courants marins partent d'ici, du Sud, car c'est ici qu'est le début, le haut de la terre. Et c'est une terre, l'Antarctique, avec des montagnes et des volcans, pas de l'eau refroidie comme votre glaçon. Le Nord dessine de fausses cartes avec son beau pôle au sommet, alors qu'il est le fond du sac. Et puis pour vous c'est l'orient et l'occident qui comptent, tandis que pour nous ce n'est que de l'eau fouettée, océans de ponant et de levant. Nous sommes sur la corne pointue du monde, accroupis sur le sol pour ne pas être emportés par le vent." 


Erri de Luca, Trois Chevaux.

IRAK : LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES RAVIVENT LES TENSIONS ENTRE CHIITES ET SUNNITES


Les élections législatives irakiennes devant avoir lieu le 7 mars, la campagne électorale a battu son plein tout le mois, les coalitions étant enfin formées.

État de Droit, la liste menée par le Premier Ministre, Nouri Al-Maliki, rassemble, en plus de son propre parti Dawa, des groupes divers, allant de leaders tribaux sunnites, des personnalités indépendantes, des chrétiens, des Kurdes chiites. Sa ligne politique se présente en effet comme laïque et son programme est surtout axé, comme aux élections provinciales de janvier 2009, sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme, en plus d’un État fort et des services publics fiables. Ce discours avait eu un succès indéniable en Irak aux élections provinciales. Mais, depuis, les dernières attaques terroristes sur Bagdad ont pu entacher le bilan de son mandat.

L’Alliance nationale irakienne est la liste chiite rivale de Maliki. Elle rassemble le Conseil suprême islamique irakien, le plus grand parti chiite, ainsi que des personnalités venant d’autres factions comme Moqtada As-Sadr, l’ancien Premier Ministre Jaffari, Ahmed Chalabi, l’ancien leader politique favori des USA avant 2003, quelques leaders sunnites.

Du côté des sunnites, la liste principale, Iraqiyya, est menée par l’ancien Premier Ministre Iyad Allawi, un ancien responsable baasiste d’origine chiite, et comprend aussi dans ses rangs l’actuel vice-président irakien, le sunnite Tareq Al-Hashemi, ainsi qu’un autre sunnite, Saleh Al-Mutlaq, dont les liens avec le Baath ont provoqué une vive protestation de la part des autres partis irakiens avant que plusieurs candidats soient interdits d’élection. Leur programme se veut avant tout nationaliste.

L’Unité irakienne est menée par le ministre de l’Intérieur, le chiite Jawad Al-Bolani, un leader tribal sunnite, Ahmed Abu Risha, et Ahmed Abdul Ghafur Al-Samaai, à la tête d’un autre mouvement sunnite. Comme pour la liste Iraqiyya, plusieurs de ses membres ont été interdits par la Commission électorale pour liens avec l’ancien parti Baath.

Le Parti islamique irakien et des chefs tribaux forment la liste du Front de l’Accord, menée par Ayad Al-Samarrai, le président du Parlement, qui était en 2005 la principale coalition sunnite, mais dont les effectifs ont fondu depuis.
Du côté kurde, plusieurs partis sont en lice, et l’unité des partis de la Région du Kurdistan est cette fois compromise par la rivalité entre l’Alliance du Kurdistan qui regroupe le PDK et l’UPK et Gorran, le parti dissident de l’UPK. Mais leur désaccord porte surtout sur le partage des pouvoirs au sein de la Région, et de la gestion des affaires internes kurdes. Sur les grandes questions irako-kurdes, comme Kirkouk, les programmes sont à peu près identiques et la campagne électorale au Kurdistan est tout à fait indépendante de celle d’Irak.

L’interdiction de centaines de candidats sunnites (environ 450) jugés trop proches des milieux du Baath a d’abord agité la scène politique en Irak, les politiciens interdits portant l’affaire devant la justice. Cette « liste noire » avait été vivement contestée dans les milieux sunnites, qui accusaient le gouvernement chiite d’user de cette arme juridique pour neutraliser les principales listes rivales. Ni les Américains n’y étaient favorables, en raison des tensions politiques à venir et craignant le retour de « l’insurrection sunnite » en Irak, ni même la Haute Commission électorale irakienne, qui jugeait hâtive la radiation des candidats et demandait que leurs liens réels avec l’ancien parti de Saddam soient soigneusement examinés par les tribunaux. Le président d’Irak, le Kurde Jalal Talabani, était également proche de cette position et a proposé que les candidats contestés soient autorisés à participer aux élections, mais qu’ils ne pourraient accéder à des postes officiels tant qu’ils n’auraient pas été blanchis de ces accusations, compromis qui a été finalement retenu par la Haute Commission électorale.

Mais l’opposition à ces candidatures suspectes n’a pas désarmé dans la rue irakienne, surtout parmi la population chiite. Le 8 février des centaines de manifestants ont contesté cette décision, avec les slogans : « Non au Parti Baath ! » et « Le retour du Parti Baath = le retour des charniers ». Finalement, parmi les 450 candidats devant prouver ultérieurement leur absence de liens avec le Baath, seuls 37 avaient de fait déposé leur dossier pour être examinés par les tribunaux. Par ailleurs, la plupart avaient été déjà remplacés par d’autres candidats au sein des listes, aucun des bannis n’ayant un grand poids politique.

Entre les deux camps arabes musulmans, chiites et sunnites, les Kurdes, depuis 2005, font figure de « faiseurs de rois » à Bagdad, leur soutien étant indispensable pour qu’une coalition irakienne puisse gouverner, comme le confirme Shoresh Hadji, du parti Gorran : « Personne ne peut être Premier Ministre sans le soutien des Kurdes, car celui-ci doit être soit arabe chiite, soit arabe sunnite, et comme ils ne se supportent pas du tout entre eux, nous serons le fait déterminant dans la balance ». Les relations entre Kurdes et Arabes connaissent pourtant de grandes tensions, autour de problèmes comme le statut des Peshmergas en Irak, la gestion des hydrocarbures et les contrats passés avec les sociétés étrangères, et surtout la question de Kirkouk. Mais, comme l’explique Joost Hiltermann, directeur-adjoint pour le Moyen-Orient du groupe International Crisis (ICG) : « Je pense qu’il y aura des négociations très dures, mais je ne pense pas que les partis arabes sont prêts à laisser les Kurdes entrer dans l’opposition... ce serait trop dangereux. » Même la division entre deux listes kurdes concurrentes ne changera guère cet état de fait, selon Gala Riani, analyste au Global Insight Middle-East (IHS) : « Même s’ils font campagne dans des listes différentes, quand on en vient aux problèmes avec le gouvernement fédéral, les Kurdes ont toujours réussi à se rassembler et à afficher une unité qu’ils n’ont peut-être pas en interne. » Dans cette campagne, les partis kurdes et les autres partis irakiens ne sont en compétition que dans les régions concernées par l‘article 140, dont le gouvernement d’Erbil demande le rattachement au Kurdistan. L’enjeu majeur en est bien sûr Kirkouk, où s’affrontent des partis sunnites ou chiites arabes, et des Turkmènes.

Face à eux, l’Alliance du Kurdistan est également attaquée sur son terrain par Gorran, le nouveau mouvement contestataire de la Région kurde, qui ne cache pas son ambition de remporter cette province, et attaque l’Alliance kurdistanî sur les thèmes de la lutte de la corruption et de l’amélioration des services publiques, ainsi que celui de l’emploi, en tentant aussi de ratisser du côté de l’électorat non-kurde : « Beaucoup de villes au Kurdistan ont besoin d’amélioration, mais Kirkouk plus que tout. Regardez autour de vous, rien ne marche. Les partis au pouvoir ont laissé tomber le peuple. Maintenant, tout le monde souffre : les Kurdes, les Turkmènes, les Arabes, les chrétiens, tout le monde », affirme Anna Khanaqa, candidate du parti Gorran. Même thèmes de campagne pour l’Alliance du Kurdistan, portant autour de l’amélioration des services, de l’eau, de l’électricité. La liste a le soutien actif dans cette ville du président Jalal Talabani, natif de Kirkouk et leader de l’UPK, qui a même l’intention, selon le porte-parole de son parti, Muhammad Osman, de rester sur place tout le temps de la campagne. De même que son rival kurde, l’Alliance tente de gagner aussi les suffrages arabes et turkmènes. Le rassemblement inter-ethniques est, de toute façon, une tendance politique générale à Kirkouk, pour ces élections, les partis arabes et turkmènes appelant aussi les électeurs kurdes ou chrétiens à voter pour eux, mais sous les listes majeures irakiennes, comme celle d’Allawi, ce qui rompt avec les précédentes élections où les Arabes et surtout les Turkmènes de la province avaient formé leur coalition entre eux, ce qui les avait affaiblis.

Kurdes de Syrie : encore des candidats pour les plages corses...


Quatre militants Kurdes, arrêtés le 26 décembre dernier, sont depuis tenus au secret et sont menacés de torture et de mauvais traitements (si ce n'est déjà fait).

Hassan Saleh (né en 1947, marié, 7 enfants), Muhammad Ahmed Mustafa (né en 1962, marié, un enfant), Anwer Naso (né en 1962, marié, 3 enfants) et Ma’rouf Mulla Ahmed (né en 1954, marié, 4 enfants), membres du parti Yekitî, interdit en Syrie bien que menant des actions uniquement non-violentes, comme des manifestations ou des sit-in sont toujours aux mains des services de la Sécurité politique syrienne, qui a à son actif de nombreuses arrestations d'opposants au régime. Leur crime a été d'avoir participé, trois semaines auparavant, à une conférence de Yekitî appelant à l'autonomie des régions kurdes. Evidemment dans un pays où, officiellement, il n'y a que des Arabes, tous heureux et fiers de l'être, c'est chercher les ennuis...

Convoqués par la Sécurité politique de Qamishlo, la principale ville de la région kurde de Djezireh (nord-est de la Syrie), ils ont été immédiatement arrêtés et gardés en détention. Selon le directeur de ce service lui-même, les quatre Kurdes ont été transférés "quelque part en Syrie". Depuis, ils sont sans contact avec l'extérieur, et bien évidemment sans avocat.

Ces prisonniers ne sont plus tout jeunes et sont en mauvaise santé. Muhammad Ahmed Mustafa doit suivre un traitement pour hyper-thyroïdie et Hassan Saleh pour des problèmes cardiaques, d'hypothyroïdie et de cholestérol élevé. De plus, une hernie discale le fait constamment souffrir et il prend régulièrement des antalgiques ; il lui est même interdit de soulever un poids de plus de 2 kilos. Ma’rouf Mulla Ahmed souffre aussi d'une hernie discale.

Amnesty International considère ces quatre militants comme des prisonniers d'opinion, au regard des moyens toujours pacifiques qu'emploie le Parti Yekitî pour faire valoir la cause des Kurdes, notamment celle des "sans-papiers", c'est-à-dire arbitrairement déchus de leur citoyenneté syrienne depuis 1962.

Concernant le passé politique de ces quatre militants, on voit qu'ils sont dans le collimateur des autorités depuis longtemps. Je me demande si la fréquence des hernies discales chez eux, en plus de leurs autres problèmes de santé, ne provient pas de certaines spécialités des prisons syriennes, comme la torture de la chaise, qui a cassé plus d'une colonne vertébrale...

Hassan Saleh a ainsi été arrêté en novembre 2008 pour avoir participé à une manifestation contre le décret d'État visant à réduire l'accès à la propriété dans des régions où vivent majoritairement des Kurdes. Au moment de son arrestation, Hassan Saleh avait déjà fait appel d'un jugement prononcé par un tribunal militaire, le condamnant à 13 mois de prison, pour appartenance à une organisation politique illégale et incitations à des "luttes sectaires". Hassan Saleh nie les faits qui lui sont reprochés, c'est-à-dire d'avoir participé à une manifestation en novembre 2007 pour protester contre les attaques militaires de la Turquie au Kurdistan d'Irak, contre les bases du PKK, alléguant que cette manifestation n'était pas organisée par son parti.

En 2002, Hassan Saleh avait également été arrêté et battu par les services de la Sécurité politique, après avoir participé à une manifestation pacifique pour la Journée des droits de l'Homme, le 10 décembre. Il avait appelé le gouvernement syrien à lever les interdictions pesant sur la langue et la culture kurde, et à libérer les prisonniers politiques ( Amnesty International’s Urgent Action of 18 December 2002, MDE 24/053/2002).

Ma’rouf Mulla Ahmed a déjà été arrêté en août arrested in août 2007 par un autre service, celui de la Sécurité d'État et détenus 6 mois, sans accès à un avocat(Amnesty International’s Urgent Action of 20 August 2007, MDE 24/041/2007 ).

Muhammad Ahmad Mustafa a déjà été arrêté en 2003 pour avoir organisé la fameuse "marche des enfants" réclamant le rétablissement des Kurdes dans leur citoyenneté.


Par ailleurs, concernant les Kurdes récemment échoués dans notre beau pays, certains font justement partie de ces Kurdes officiellement apatrides, sans nationalité ni carte d'identité ni passeport. Je ne sais comment s'applique en détail la Convention sur les apatrides, mais d'un point de vue technique, quand Éric Besson et Nicolas Sarkozy parlent de rapatrier ceux à qui sera refusé le droit d'asile, comment fait-on pour "rapatrier" des apatrides ?

Quelles histoires pour l’Islam médiéval ?


Dans le cadre du séminaire animé par Gabriel Martinez-Gros et Julien Loiseau, sur l’État islamique médiéval : Quelles histoires pour l’Islam médiéval ?

Julien Loiseau animera la séance :

« Autour de l’Ighâthat al-Umma ou Traité des famines de Maqrizi (1364-1442). Cherté, crise et mauvais gouvernement. »

jeudi 28 janvier 2010
IISMM, 96 bd. Raspail, Metro Saint-Placide, Paris.
17h.-19h., salle des séminaires Maurice et Denys Lombard

mercredi, janvier 27, 2010

Trois chevaux et le" yes" abîmé des yeux...


Ce qu'il y a de drôle avec les Kurdes c'est qu'ils ne vous lâchent jamais longtemps, on les retrouve toujours aux endroits les plus inattendus, et même dans des livres où, a priori, on ne s'attend pas à les rencontrer. Ainsi, chez Erri de Luca, qui pose l'énigme du mois dans ce beau passage des yeux qui deviennent des "yes abîmés" : Que signifiait au juste le geste du Kurde ?

Avant de prendre congé, je lui raconte une histoire : "Je suis sur un chantier, avec un manœuvre de mon âge, pas encore cinquante ans. C'est un Kurde, autrefois écrivain, il parle anglais. Sur les chantiers, on trouve des hommes intéressants, ballottés, de passage, des marins échoués pour toujours. Il est blessé à un œil.
"Comment est-ce arrivé ? Sa réponse est un geste de la main par dessus son épaule. Ce qui signifie chez nous que c'est du passé, en kurde je ne sais pas.
"À table, je lui demande s'il veut du café, il dit non, je lui en donne tout de même de mon thermos.
"Un jour, il sort une feuille écrite en anglais. La police d'un peuple que je ne veux pas nommer le jette en prison où il est roué de coups. Ses yeux s'abîment, l'un guérit, l'autre non.
"Yeux en anglais se dit 'eyes'. Une erreur de frappe sur le papier les transforme en 'yes'. Pour le coup il a les 'yes' abîmés. Et l'erreur est juste, tous ses oui sont détériorés, il est bien rare de lui en soutirer un, meurtri, en échange de la proposition d'un café ou d'un coup de main pour gâcher de la chaux.
"Les coups abîment les oui plus que les yeux. Il y a des erreurs qui contiennent une autre vérité."
Connaissant la vie d'Erri de Luca, c'est une anecdote certainement réelle. La question reste en suspens : le geste du Kurde voulait-il dire la même chose que pour l'Italien ? Ou y avait-il une autre signification ?

Autre énigme, presque une enquête à lancer : qui pouvait être cet écrivain kurde ?


mardi, janvier 26, 2010

Droits de l'homme, droits politiques au Kurdistan : L'année 2009

Comme à chaque début d'année, des ONG, ici Human Rights Watch et Reporter sans Frontière font paraître leurs rapports sur l'état des droits de l'homme et de la liberté d'expression.

On va commencer par le Kurdistan d'Irak, aligné par RSF pour la "recrudescence des violences contre les journalistes indépendants". Si les actes d'intimidations se multiplient aux dires de RSF, on n'en est heureusement pas encore au sang versé. Le climat politique agressif entre l'UPK et Gorran ne doit pas rendre les autorités d'humeur plus coulante (Apparemment, ce sont surtout les cadres et les forces de l'UPK qui sont citées, hormis Nabaz Goran, agressé, lui, par des membres du PDK).

De son côté, Human Rights Watch fait son tour d'horizon de l'année 2009, mais en mélangeant toujours, de façon gênante car cela ne rend pas les choses plus claires, ni les responsables bien identifiables, les faits s'étant produits en Irak, ceux ayant eu lieu dans les territoires disputés entre Kurdes et Arabes et contrôlés de façon mixte par l'Irak et les Peshmergas, et ceux qui ressortent uniquement de la Région du Kurdistan.

La situation difficile des minorités dans des territoires comme ceux de Ninive-Mossoul, présentées comme victimes du conflit kurdo-irakien est réévoquée avec en lien le rapport très discutable "On Vulnerable Ground". Il est d'ailleurs remarquable à ce sujet qu'un des leaders shabak présenté comme une victime des Kurdes pro-GRK dans ce rapport (il est le seul Shabak siégeant au conseil provincial de Mossoul, boycotté par les Kurdes), se soit illustré récemment à Bartala en étant accusé d'avoir pris la tête d'une manifestation religieuse de Shabaks au moment de l'Ashoura, qui s'en était pris aux quartiers chrétiens décorés pour Noël et à l'église de Bartala (attaquée à la bombe depuis). Un fait de plus démontrant que les minorités victimes d'agression peuvent tout aussi bien participer à ces mêmes violences contre d'autres groupes, tant la stupidité humaine se porte bien...

Sur les violences internes au GRK, les "crimes d'honneur" menacent encore les femmes, ainsi que la pratique de l'excision, difficile à éradiquer au sud des provinces kurdes. HWR s'interroge sur le fait qu'une loi condamnant l'excision, votée en 2008, mais qui avait besoin d'un décret d'application a vu ce décret annulé en février 2009 par le Parlement, décision que HWR juge "inexplicable" (mais pourquoi ne l'ont-ils pas demandé aux parlementaires ?).
C'est à peu près tout pour le Kurdistan d'Irak.

L'Iran avait déjà fait l'objet, en 2009, d'un rapport consacré uniquement à la répression et aux manquements à la liberté d'expression dans les régions kurdes. Pour cette année, HWR se concentre surtout sur les événements de la Révolution verte et de la répression qu'elle entraîne. La liberté d'expression et d'association ne s'est, de toute façon, améliorée en aucune manière au Kurdistan. Il est aussi indiqué que, hormis la Chine, l'Iran est le pays où la peine de mort est la plus appliquée. Là-dessus, les Kurdes paient un lourd tribut avec la pendaison d'Ehsan Fattahian, de Fasih Yasamani et d'autres... Près d'une vingtaine de prisonniers politiques kurdes attendent dans les couloirs de la mort. L'accès à culture et à la langues kurdes est soumis à des restrictions ou des interdictions.

En Syrie, il est souligné que l'état des droits de l'homme, de longue date peu brillant dans ce pays, a encore empiré en 2009 et que la répression du gouvernement, une répression politique, culturelle et économique, contre les Kurdes s'accentue (ceux qui viendraient ici pour vérifier si les Kurdes de Syrie ont de bonnes raisons de vouloir gagner la France, même en passant par la Corse, n'ont qu'à lire les rapport des ONG). La Syrie continue allègrement à pratiquer les emprisonnements et les condamnations arbitraires, les enlèvements, parfois suivis d'assassinat et la torture. Ainsi, HRW a pu recueillir les témoignages de dix militants kurdes qui ont tous été torturés par les services de sécurité. Plus importante minorité dans ce pays, les Kurdes sont ceux qui sont privés de leurs droits les plus élémentaires, à commencer par leur nationalité. Près de 300 000 familles kurdes sont ainsi déchus depuis les années 60 de la nationalité syrienne (afin "d'arabiser" la région) et sont ainsi privés de droits civiques, ainsi que d'accès à la propriété. Le kurde est interdit d'enseignement et toute promotion de la culture kurde fréquemment réprimée.

En février dernier, une manifestation de Kurdes a été violemment réprimée par les forces de sécurité. Ils protestaient contre une nouvelle loi sur la propriété visant les Kurdes, catastrophique pour l'économie de la région. Les célébrations du nouvel an kurde, le 21 mars, sont toujours l'objet de violences et d'arrestations, de la part des autorités.

9 leaders politiques kurdes ont été arrêtés en 2009 (et au début de 2010 pour Mustafa Juma, secrétaire du parti Azadî (Liberté)). Le 14 avril, une cour militaire a condamné 2 leaders du parti Yekitî (Unité). Fuad Aliko et Hassan Saleh à respectivement 8 et 13 mois de prison pour appartenance à une organisation illégale (c'est le cas de tous les partis kurdes). Le 11 mai, le porte-parole du Mouvement pour l'avenir kurde, Mashal Tammo a écopé de 3 ans et demi de prison pour tentative "d'affaiblir le sentiment national" et avoir diffusé de "fausses informations". Le 20 octobre, Ibrahim Berro a été condamné à 8 mois de prison pour appartenance au parti Yekitî (il a été libéré en décembre dernier).

Pour la Turquie, HRW espère que le plan d'action annoncé par le gouvernement AKP, pour résoudre la question kurde et améliorer les droits des minorités pourra être mené à bien malgré de nombreux "obstacles au changement" : L'interdiction du parti DTP, les nombreux procès et condamnations contre des personnes n'ayant fait qu'exprimer une opinion sur la question kurde, et l'emprise toujours forte des militaires au détriment du droit civil. La majorité des manquements à la liberté d'expression et d'opinion concernent des acteurs kurdes, politiciens, journalistes, éditeurs, membres d'association, régulièrement accusés de liens avec le PKK. La torture en garde à vue et les violences policières n'ont pas disparu et l'impunité judiciaire pour les soldats ou les forces de police est la règle, ainsi dans l'affaire Kaymaz.


Arméniens de Turquie

Certains Arméniens ne tolèrent même pas le mot "Turc". Les notions d'"Arméniens de Turquie", d'"Arménien turcophone" les rebutent. Ils pensent être les plus arméniens des Arméniens en mettant ainsi à l'écart ceux de Turquie. Ils ne comprennent pas qu'il est essentiel de rester en Turquie et de rester arménien. Les Arméniens de Turquie sont ceux qui réussissent, précisément, ce qui est difficile. Eux, ils parviennent à rester sur les terres où sont leurs racines et à protéger leur identité, en dépit des difficultés. Ces groupes de faucons traitent les Arméniens de Turquie d'Arméniens de troisième classe, alors qu'ils devraient les applaudir.
Laissons de côté cette manière de nous juger et adressons-nous, une fois encore, à la majorité silencieuse et à son bon sens. Ce qui distingue les Arméniens des chrétiens occidentaux, c'est qu'ils ont vécu avec les musulmans. Aujourd'hui, les chrétiens européens commencent à s'adapter, tant bien que mal, à un mode de vie multiculturel dont font partie les musulmans ; les Arméniens, eux, comme d'autres chrétiens d'Orient (les Assyriens, les Chaldéens, etc.), ont vécu les aspects positifs et négatifs de cette réalité. Ils sont, aujourd'hui, les dépositaires d'une expérience inestimable.
Hrant Dink, Deux peuples, proches, deux voisins lointains, Conclusion.

lundi, janvier 25, 2010

Les Kurdes. Écrire l'histoire d'un peuple aux temps pré-modernes

Samedi 30 janvier à 16h00, à l'Institut kurde de Paris,

Boris James et Vanessa van Renterghem présenteront le dernier numéro d'Études kurdes :

Les Kurdes
Écrire l'histoire d'un peuple aux temps pré-modernes





Qu'y a-t-il de commun entre la Bagdad du XIº siècle et l'Anatolie de l'Est à la période ottomane ? C'est la présence d'un mot : "Kurd". Pour désigner un groupe ? Un peuple en devenir ? Un territoire ? Les études que nous proposons ici sont représentatives du regain d'intérêt pour les études kurdes. Toutes portent sur les Kurdes à des périodes et dans des régions diverses. Elles s'appuient sur des sources de natures et de langues (arabe, persan, turc ottoman…) variées. Elles présentent les deux contextes et les deux types d'insertions sociales des Kurdes dans le Moyen-Orient pré-moderne : Le premier, le contexte rural et tribal, celui qui est le plus présent dans les esprits. Kurdes pastoraux transhumants, paysans, montagnards et guerriers tribaux ont longtemps peuplé l'imaginaire orientaliste. Mais des Kurdes étaient aussi présents dans les grandes métropoles de l'Orient dès le Xº siècle. Kurdes artisans, commerçants, ulémas, soldats des armées régulières sont les oubliés d'une certaine historiographie. Ces quelques articles leur rendent justice.

Ce numéro propose une série de points de vue, un florilège des possibles pour les études kurdes à la période pré-moderne.


Institut kurde de Paris, 106 rue Lafayette, 75010. Mº Poissonnière. Entrée libre.

Procès "kurde", procès "arménien"

À observer de près les procès intentés à Orhan Pamuk, Hrant Dink ou Ragıp Zarakolu, (ils ont fait souvent la une, récemment), il apparaît clairement que ces hommes sont jugés officiellement pour insulte à l'identité turque, ou à l'État, mais qu'ils sont tous visés, en réalité, en raison de leurs prises de position sur la question arménienne.
Il nous est donné de lire entre les lignes de souvenirs, généralement publiés par les maisons d'édition islamistes opposées à Ittihat ve Terakki, "le discours caché", opposé à la thèse officielle sur le problème arménien. On peut dire que le discours anti-officiel a commencé avec Ismail Beşikçi, qui réserva une place importante à la question arménienne dans ses ouvrages consacrés à la question kurde. Si l'une des causes principales des multiples condamnations de Beşikçi – qui passa la plupart de sa vie en prison – se rapportait au problème kurde, une autre tenait sans nul doute à l'intérêt profond qu'il portait au "problème arménien".
(…)
Résumons-nous, une fois de plus, au sujet de la Turquie et du "génocide arménien" : le problème du pays, aujourd'hui, n'est ni celui de la "négation", ni celui de la "reconnaissance". Son problème fondamental, c'est la "compréhension". Et la Turquie n'y aura accès, ne prendra pleinement conscience de son passé, de son histoire, que si elle progresse dans son combat pour la démocratie. Une négation ou une reconnaissance qui ne passe pas par la conscience et par la compréhension n'est dans l'intérêt de personne. Aussi, les interventions extérieures de ceux qui ne tiennent pas compte de ce facteur, prolongent l'état de rupture au lieu de l'abréger. Ceux qui imposent à la société turque de nommer le passé "génocide" et de le reconnaître pour tel font une mauvaise analyse de la situation. Car, pour finir, la société turque ne nie pas la vérité tout en la connaissant, elle défend ce qu'elle connaît comme vérité. Comment cette société pourrait-elle percevoir et nommer, sans difficulté, une histoire vieille de quatre-vingt-dix ans, quand on sait qu'elle a du mal à nommer, à définir en termes légaux des événements aussi récents que "le scandale de Susurluk" ou la découverte des cadavres enterrés, œuvre du Hezbollah turc ? Sachant, par ailleurs, que cette même société aura été bombardée, durant tout ce temps, par tant d'informations erronées.
Hrant Dink, Deux peuples, proches, deux voisins lointains, III, "Que faut-il faire ? Que faut-il ne pas faire ?"

samedi, janvier 23, 2010

TV, radio : Turquie, Des temps et des vents, le nouveau Sangatte, musique d'Iran



Samedi 23 et dimanche 24 janvier sur ARTE : Spécial Turquie.

23/01 :
- 14h30 : Prochain arrêt, Istanbul (1 et 2/4).
- 15h30 : Démocratie au féminin. Documentaire de Belim Söylemez, Berke Bas, Hasmet Topaloğlu et Somnur Vardar. (2009).

24/01 :

- 14h30 : Prochain arrêt, Istanbul. (3 et 4/4).
- 14h55 : Mariage sur un plateau. Documentaire de Dolga Kilcioğlu (2009).
- 15h50 : Un nœud dans mon Bosphore.



Jeudi 28 janvier à 22h05 sur Cinécinéma : Des Temps et des vents (Bes vakit), de Reha Erdem, Turquie, 2006.

Synopsis : Dans un pauvre petit village, proche de la mer Egée, les habitants, des gens simples et laborieux, vivent au rythme de l'air et de l'eau, des soins aux chèvres, de la nuit, des jours et des saisons. Entre culpabilité et colère, trois enfants vont grandir, et leurs personnalités vont se former : Omer, le fils de l'imam, qui souhaite désespérément la mort de son père ; Yakub, qui est amoureux de son institutrice ; et Yildiz, partagée entre l'école et les travaux que sa mère lui fait faire.


Radio

Samedi 23 janvier à 18h10 sur France Culture : Angers, le nouveau Sangatte. Le Magazine de la rédaction, Ch. Moncia.

Vendredi 29 janvier à 15h00 sur France Musique : L'Iran, au miroir de ses musiques, avec Hassan Tabar, auteur de Les Transformations de la musique iranienne au XXº siècle, 1898-1940. Les premiers enregistrements, (L'Harmattan). Les Vendredi de la Musique, J-M. Vacher.




Vendredi 29 janvier à 21h00 sur France Culture : Janine Altounian, essayiste et traductrice, membre fondateur de l'Association internationale de recherche sur les crimes contre l'Humanité et les génocides (AIRCRIGE). For intérieur, O. Germain-Thomas.


vendredi, janvier 22, 2010

L'Occident, paradis des libertés, enfer des identités

Si étonnant que cela puisse paraître, les régions où la diaspora arménienne a le mieux conservé son identité furent les pays à dominante musulmane du Moyen-Orient. Dans des pays tels que l'Iran, l'Irak, la Syrie, le Liban ou encore l'Égypte, plus d'un million d'Arméniens vivant en communauté fermée, dans des environnements de liberté partielle, accordés par les différentes républiques, ont bien mieux réussi à conserver leur identité, grâce à leurs écoles, églises et associations, que les membres de la diaspora occidentale. L'insécurité et les guerres endurées par ces pays, durant les trente dernières années, ont malheureusement poussé la plupart de ces Arméniens à émigrer vers l'Occident.
Partant de ce cas de figure, on peut en venir à la conclusion suivante : le grand degré de liberté ainsi que les facilités accordées aux identités minoritaires en Occident ont malheureusement joué un rôle de catalyseur qui a facilité la disparition de ces dernières. D'un autre côté, les restrictions de liberté en Orient ont vraisemblablement été les principales raisons d'une ténacité attachée à conserver les identités. Il se pourrait que les appels à la prière, entendus cinq fois par jour dans un pays musulman, aient eu un effet stimulateur à ne pas sous-estimer dans la mobilisation de l'identité arménienne ; un effet de rappel : "Tu es un Arménien et tu es chrétien." Disons qu'au moment où le paradis des libertés de l'Occident se transformait en enfer pour les identités, les facilités qui leur furent accordées au nom du multiculturalisme n'ont, hélas, pas suffi à éteindre le feu.

Hrant Dink, Deux peuples, proches, deux voisins lointains, II, "Les raisons qui alimentent l'absence de relations entre la Turquie et l'Arménie"


jeudi, janvier 21, 2010

"Apo est au Karabakh"


En livrant le discours de guerre aux socio-démocrates et celui de la paix aux nationalistes, la Turquie créa, à cette époque, une situation paradoxale pour le moins compliquée à gérer ; elle se servait, en somme, des sentiments et de la logique comme de boucliers, dirigés l'un contre l'autre. Cette politique, initiée par Turgut Özal, fut certes poursuivie par les gouvernements de Demirel et de Çiller, mais il convient d'ajouter qu'en dépit de cette vigilance, des déclarations délibérées et imprudentes créèrent un grave sentiment d'insécurité en Arménie.
Ces déclarations, qui induisaient par avance de la tension dans des relations encore inexistantes entre la Turquie et l'Arménie, tournaient en général autour de deux sujets : le problème kurde et celui du Haut-Karabakh. Le fait que la Turquie s'attelait manifestement à mélanger les deux questions méritait la plus grande attention. C'est le Conseil de sécurité nationale (MGK) qui laissa entendre que les Arméniens se trouvaient derrière le problème et préconisa que l'on s'en serve comme manœuvre psychologique ; l'affirmation fut portée à son comble par la fameuse déclaration du président de la République Turgut Özal : "Si seulement deux bombes pouvaient tomber, par erreur, sur Erevan", avait-il dit, au détour d'un discours sur les soldats qui pourchassaient les militants du PKK. Ce sont ces mots qui ont créé, à juste titre, l'inquiétude en Arménie et qui l'ont amenée à confier la sécurité de ses frontières à l'armée russe. Oui, la Turquie avait brandi une fois de plus son image de grand méchant loup ; la peur ressentie n'était pas sans fondement.
Pendant ce temps, la politique qui consistait à impliquer l'Arménie dans le problème kurde se poursuivait obstinément. Les manchettes de la presse turque diffusaient la thèse selon laquelle le leader du PKK – Öcalan – qui avait gagné l'Italie après avoir été chassé de Syrie, aurait été, pour finir, transporté, par des pilotes arméniens, dans la région du Haut-Karabakh, en passant par Moscou. Sans prendre la peine de vérifier la teneur de ces informations, Ecevit fit aussitôt une déclaration qui entérinait la situation, la rendait officielle. Il mettait, notamment, l'Arménie en garde, sans la nommer. De leur côté, les professeurs "officiels" des universités turques apportaient leur soutien aux allégations d'Ecevit, évoquant la remise sur le tapis, du "Kurdistan rouge" créé en 1923 à Lachin, par Lénine. L'effort consistant à liter l'Arménie au problème kurde était mené, dans un climat de surenchère, tant par le gouvernement que par l'opposition. Ainsi, la présidente du parti DYP, Tansu Çiller, voulant montrer qu'elle en savait plus que tout le monde sur le sujet, était-elle montée au créneau en déclarant à la télé : "Apo" est au Karabakh. L'Arménie, qui ne se souciait que de son pain quotidien, avait beau répéter : "Ne nous mêlez pas à cette histoire, Apo n'est pas chez nous et nous n'avons aucune intention de nous immiscer dans cette affaire", rien ne freinait l'hystérie de la presse nationaliste qui laissait entendre ceci : "ah, si seulement – Apo étant au Karabakh – nous pouvions faire d'une pierre deux coups."
Hrant Dink, Deux peuples, proches, deux voisins lointains, I, "L'histoire récente d'une absence de relation"



mardi, janvier 19, 2010

Parution : Que veut la Turquie ? Ambitions et stratégies internationales







Biographie de l'auteur
Gilles Dorronsoro, spécialiste de l'Afghanistan et de la Turquie, est professeur de science politique à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, actuellement visiting scholar à la Carnegie Endowment for International Peace de Washington. Il est auteur de La Révolution afghane (Karthala, 2000), éditeur de La Turquie conteste. Mobilisations sociales et régime sécuritaire (Éditions du CNRS, 2005) et coéditeur du European Journal of Turkish Studies (www.ejts.org).


lundi, janvier 18, 2010

Michael Rubin : "La position des Kurdes à Bagdad ne sera pas affaiblie"

Michael Rubin, un expert américain des problèmes géostratégiques du Moyen-Orient, de sensibilité démocrate, n'est pas connu pour son indulgence envers les Kurdes, à tel point que eux-ci l'accusent même fréquemment de partialité pro-turque, et qu'il a même été expulsé du Kurdistan sur un coup de sang, paraît-il, de Masrour Barzanî, fils du président et dirigeant des services de sécurité (il a visiblement gardé une dent contre lui). Mais le dernier entretien qu'il a accordé, de façon assez surprenante (peut-être parce qu'il est un peu grillé auprès des deux grands partis), au journal Yekgirtû, un organe de presse d'un parti islamiste kurde qui a subi un raid à Duhok lors de la dernière campagne électorale, montre une nuance dans ses positions, notamment sur l'article 140, dont il s'avère être partisan. Certaines de ses critiques font mouche, cependant, et il donne, en tout cas, une bonne analyse de la position prévisible de l'équipe Obama.



Q: Commençons par l'événement le plus récent qui est la loi électorale irakienne. Massoud Barzani, le président du Kurdistan, a appelé le bloc kurdistanî à voter pour cette loi parce que les USA lui auraient promis de faire pression sur l'Irak pour appliquer l'article 140 concernant les territoires disputés. Pensez-vous que les USA ont vraiment promis cette application or était-ce juste pour convaincre les Kurdes de voter cette loi ? Quels sont les scénarios possibles pour la province de Kirkouk ?

Michael Rubin : Je serais assez prudent pour ne pas mettre trop d'espoir en les promesses américainess. Massoud Barzani doit le savoir depuis Henry Kissinger et les événements de 1975. Henry Kissinger était un réaliste, comme l'est le président Obama. Obama voulait un accord immédiat avec les Kurdes sur les élections et c'est ce qu'il a obtenu de Massoud Barzani. L'année prochaine, si la situation change, la politique de la Maison blanche changera aussi, sans égard aux promesses du président Obama.

Personnellement, je soutiens l'article 140 et je crois que la constitution irakienne doit être appliquée, mais je ne m'attends pas à un changement du statu quo à Kirkouk. La prochaine fois qu'Obama aura besoin de quelque chose de Bagdad, il optera pour un compromis sur Kirkouk qui ne sera pas fait au bénéfice des Kurdes.

Q: Pensez-vous que les Kurdes vont perdre certains sièges au parlement irakien, du fait de la nouvelle loi ?

Michael Rubin: Il se peut que la liste Kurdistanî perde des sièges, mais pas les Kurdes. Les 'listes ouvertes' nuiront plus au PDK et à l'UPK qu'aux autres partis en raison de la colère publique envers la corruption au sein du PDK et de l'UPK, et aussi envers la tendance, à la fois chez le PDK et l'UPK, de donner la priorité aux liens familiaux plutôt qu'aux compétences. Barzani aime beaucoup mettre en garde sur le fait que voter pour d'autres partis kurdes, que ce soit Gorran ou Yekgirtû sapera les positions kurdes à Bagdad, mais je ne suis pas de cet avis. Ce que je retiens de mon expérience au Kurdistan, Gorran comme Yekgertû soutiennent les positions kurdes sur des problèmes comme celui de Kirkouk, tout autant que le PDK ou l'UPK. Ils diffèrent seulement par leur approche de la corruption, plus sérieuse pour Gorran et Yekgertû et, dans le cas de Yekgertû, certains questions sociales.

Q: D'après les accords entre le PDK et l'UPK, depuis deux mois, le Dr Barham Salih a remplacé Nêçirvan Barzanî en tant que Premier Ministre. Pensez-vous que Salih peut réussir dans sa nouvelle position? Croyez-vous que le PDK apprécie d'avoir le Dr. Salih comme Premier Ministre du GRK ?

Michael Rubin: J'aime bien le Dr. Barham et je pense qu'il est très compétent. Mais il est dans une position difficile. Il n'a pas beaucoup de soutien au sein de l'UPK et encore moins au sein du PDK. Ni Massoud Barzani ni Nêçirvan Barzani ne laisseront en aucune façon le Dr. Barham accomplire plus que ce qu'a fait Kek Nêçirvan, c'est-à-dire rien. Tout le monde sait que Massoud Barzani a passé en directive à tous les membres du PDK de limiter leur coopération avec le Dr. Barham. Les Barzani n'ont même pas laissé le Dr. Barham sélectionner sa propre équipe. Il semble que la principale tâche du Dr. Barham soit de garder le siège de Nêçirvan au chaud.

Q: Comment voyez-vous les relations kurdo-turques ? Ces derniers mois le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, et le ministre de l'Intérieur Bashir Atalay ont rendu visite à la Région du Kurdistan.

Michael Rubin : Je suis heureux que les relations entre les Kurdes d'Irak et les Turcs se soient améliorées. Ces relations sont avant tout commerciales : Barzani et Erdogan ont tous deux des intérêts commerciaux et ont utilisé ces relations pour leur enrichissement personnel. Tout en pensant que la Turquie et le Kurdistan mériteraient des gouvernements moins corrompus et plus transparents, je soutiens les investissements turcs au Kurdistan car ils mènent à des améliorations au Kurdistan et à créer un frein à la guerre. La plupart des négociations étaient commerciales, d'autres politiques, au sujet de l'amnistie des membres du PKK vivant au Kurdistan irakien. Malheureusement, comme la popularité d'Erdogan s'effrite, il va durcir sa rhétorique envers le PKK, le DTP, et les autres organisations kurdes en Turquie et cela pourrait raviver les tensions.

Q: Selon les accords du SOFA entre les USA et l'Iraq, les troupes de la Coalition se retireront d'Irak l'année prochaine. Pensez-vous que le gouvernement irakien et le GRK auront résolu les questions en suspens ?

Michael Rubin: Je m'attends à ce que ces questions empirent, surtout à Mossoul. Mais ne vous y trompez pas : Les troupes américaines vont se retirer. Et il sera difficile, pour les troupes américaines, de se maintenir au Kurdistan. Masrour Barzani pourrait être une des raisons pour lesquelles les États-Unis ne peuvent rester au Kurdistan. Si les États-Unis veulent laisser du personnel au Kurdistan, le Pentagone ne souhaitera aucune ingérence politique. Masrour Barzani, pourtant, place ses intérêts personnels avant les intérêts kurdes. Quand il a ordonné à ses agents de me bannir du Kurdistan d'Irak, il a oublié que je travaillais toujours pour l'armée américaine et ainsi démontré que le Gouvernement régional du Kurdistan et les forces de sécurité ne peuvent être fiables quand il s'agit de s'abstenir d'interférer politiquement contre les employés de l'armée américaine.

Q: Comment voyez-vous la Guerre froide entre Gorran, le mouvement de Nawshirwan Mustafa et l'UPK de Jalal Talabani? Pensez-vous que les rudes débats entre eux affaibliront les Kurdes à Bagdad après les élections ?

Michael Rubin: Presque tous les Kurdes que j'ai rencontrés, quelle que soit leur affiliation politique, sont du même avis sur des questions telles que Kirkouk, aussi je ne pense pas que ces débats en eux-mêmes affaibliront les Kurdes à Bagdad. Les partis kurdes saisiront la meilleure offre.

Je m'attends cependant à ce que la position de Mam Jalal soit ébranlée. Beaucoup d'Irakiens s'interrogent sur sa santé et si quelqu'un en aussi mauvaise santé doit être président. Et beaucoup d'Irakiens se demandent aussi si Mam Jalal, qui a été incapable de mener son propre parti avec efficacité doit diriger l'Irak.

Q: Est-ce que les Américains voient les Kurdes comme leurs allié ? Et si non, comment les Kurdes pourraient-ils devenir les alliés des USA ?

Michael Rubin: Les Kurdes sont alliés aux USA, en ce moment, du moins. Les Américains ont une sympathie naturelle pour les Kurdes. Mais les Kurdes ne sont pas des alliés solides pour les USA, et ce pour deux raisons :

• Premièrement, les Kurdes ne comprennent pas que les États-Unis veulent avoir de bonnes relations, pas seulement avec le Kurdistan d'Irak, mais aussi avec l'Irak et la Turquie. Trop souvent, les Kurdes demandent aux États-Unis de choisir entre leurs alliés, mais, s'ils sont forcés de le faire, Washington ne choisira pas le Kurdistan. Rappelez-vous que les États-Unis sont alliés à la fois avec l'Arabie saoudite et Israël. Ni Israël ni l'Arabie saoudite n'ont demandé aux USA de distendre leurs relations avec l'autre, aussi pourquoi les Kurdes demandent aux USA de choisir dans leurs conflits avec Bagdad ou Ankara?

• Deuxièmement, la représentation des Kurdes à Washington n'a pas fait un bon travail. Elle n'a pas été capable de sortir de la mentalité kurde. Au Kurdistan, les Kurdes veulent avoir de bonnes relations avec l'un ou l'autre parti politique. Mais à Washington, il est important d'avoir de bonnes relations avec les deux partis politiques. Mais pour être amis avec les Démocrates, les Kurdes ont attaqué les Républicains. Ce n'est pas de cette façon qu'on se fait des amis. Les Kurdes doivent laisser la politique des USA aux Américains et tâcher d'être amis avec les Démocrates comme avec les Républicains.

Q: Comment voyez-vous l'avenir en ce qui concerne les contrats kurdes sur le pétrole ? Pensez-vous que le scandale de DNO va affaiblir la position kurde au parlement irakien, au sujet des lois sur le gaz et le pétrole ?

Michael Rubin: J'ignore ce qui va se passer et je resterai en dehors de mes conflits avec Erbil et Bagdad sur ce coup-là. Il y a seulement trois choses qui m'ennuient :

• La corruption existante dans les contrats pétroliers kurdes, avec des bénéfices de millions qui reviennent à Barzani ou, dans d'autres cas, à Talabani. J'ai vu plusieurs de ces contrats pétroliers et ce sont des exemples écœurants de la corruption au sein des grandes familles kurdes.

• L'implication de responsables américains est profondément embarrassante. Plusieurs officiels américains—que ce soit d'anciens militaires et même un ancien ambassadeur des USA en Irak —sont en relations d'affaires avec le Gouvernement régional du Kurdistan. Plusieurs de ces officiels aiment laisser entendre qu'ils sont à Erbil avec la bénédiction et l'aval du gouvernement des États-Unis. C'est faux. Ils sont à Erbil du fait de leur propre cupidité et cela entache l'image de tous les Américains.

• Mes critiques envers DNO et, par extension, Peter Galbraith, ne portaient pas sur le pétrole, mais plutôt sur les droits de l'homme. Peter Galbraith doit être salué pour son action en tant que défenseur des Kurdes dans les années 1980 et au début des années 1990, surtout après l'Anfal. Mais quand il a décidé de faire des affaires, il a cessé de se soucier des droits de l'homme. Il a gardé le silence quand les Barzani ont commencé d'abuser ceux des Kurdes irakiens. Il a gardé le silence quand le PDK a attaqué le bureau de Yekgertû à Duhok lors des élections de 2005. C'est le silence de Peter Galbraith qui montre jusqu'où peut aller la corruption par l'argent du pétrole kurde.

Entretien avec Michael Rubin. Yakgrtu, 14- Jan. -2010. No. (773)

Concert de soutien à l'Institut kurde