jeudi, septembre 17, 2009

Ultime lettre de Mehdi Karroubi (I)


Au nom de Dieu. le Clément, le Miséricordieux,

À l'honorable et héroïque peuple d'Iran,

Comme vous le savez, votre serviteur [Karoubi] a écrit de nombreuses lettres d'avertissements adressés aux officiels de haut rang après les élections et ce qui s'en est ensuivi, dans l'espoir qu'une solution soit trouvée, qu'aucune injustice ni tyrannie soit infligée à des innocents, de sorte que les cris des opprimés ne nous poursuivent ni ne nous hantent à jamais. Car nos expériences historiques nous ont montrés qu'un gouvernement corrompu peut durer mais pas un gouvernement tyrannique.

Trois mois se sont écoulés dans la vie de notre pays, mais qu'ont été ces trois mois ? Si, aux élections de 2005, nos rares heures de sommeil ont été semblables au sommeil des 7 Dormants, quand nous sommes partis dormir et avons retrouvé tout sens dessus-dessous, lors des dernières élections, même rester éveillé n'a pas beaucoup servi.

(allusion aux fraudes de 2005 où Ahmadinejjad aurait été en fait battu par Rafsanjani, arrivé premier, et Karroubi, en second. Mais au cours de la nuit, le scrutin aurait totalement et radicalement changé et au matin, c'est Ahamdinejjad qui était passé devant les deux autres),


Car ils ne sont même plus assez effrayés pour ne voler que de nuit; les bandits maintenant volent en plein jour. Mais cela, bien sûr, n'est que le début de l'histoire. Je n'aurais jamais imaginé que dans la République islamique, on aurait répliqué de la sorte à des manifestations pacifiques. Certes, ils ont répondu aux doutes des gens sur les élections, pas en usant de la raison, de la logique, mais avec des balles, des matraques et des passages à tabac. J'ai vu toutes sortes de choses inimaginables dans les rues, des images qui seules ont pu réveiller des souvenirs de jeunesse. Mais après cela, d'autres informations horribles ont commencé à courir, comme la torture et d'autres abus incroyables dans des centres de détention inconnus. Des informations qui m'ont abasourdi, comme tous. Des gens viennent et disent des choses, ou montrent des preuves de ce qu'ils ont dû endurer en détention.

Mon Dieu, ce que Mehdi Karoubi a vu et entendu ! J'aurais souhaité qu'il ne fût pas en vie pour voir un citoyen de la République islamique venir vers lui et se plaindre d'avoir dû endurer toutes sortes d'actes obscènes, contre nature, dans des centres de détention inconnus, comme déshabiller des prisonniers et les obliger à se chevaucher, les traiter de toutes sortes de noms obscènes, d'uriner sur leurs visages, de relâcher des garçons et des filles au milieu du désert, les yeux bandés. Et comme si cela ne suffisait pas, nous avons entendu parler de viols. Nous nous sommes interrogés : Trois décennies après la mort de l' Imam [Khomeini], où en sommes-nous, vraiment ?

Il est naturel de sentir votre sang bouillir devant une telle honte, une telle déshonnêteté. Était-il possible de rester assis calmement à l'écoute de telles nouvelles ? C'est pourquoi j'ai pris un papier et un crayon et j'ai écrit une lettre à la présidence de l'Assemblée des experts [Rafsanjani]. Je lui ai écrit en faisant état d'informations concernent des tortures et des viols et toutes sortes d'actes indécents et que je voulais qu'il enquête pour vérifier si de telles atrocités avaient eu lieu. Quand cette lettre a été publiée, elle a reçu en réponse un torrent d'insultes et de menaces qui m'étaient adressé. Le jour de la prière du Vendredi, les imams, dans un mouvement concerté qui venait des dirigeants, ont lancé une attaque à grande échelle contre moi. Et c'est ainsi que mes doutes ont grandi. Je me suis dit que si de telles atrocités n'avaient pas eu lieu, ils l'auraient tout simplement dit. Mais des attaques tellement inhabituelles, venant de toutes les chaires, grandes et petites, de la prière du Vendredi, et une semblable obscénité dans les journaux, montraient clairement que certains avaient peur. J'ai senti qu'il était personnellement de mon devoir de rester sur mes positions et de voir jusqu'où les choses aboutiraient.

La lettre que j'ai écrite à la présidence de l'Assemblée des experts a été aussi remise letter au Garde des sceaux, et l'Ayatollah Shahroudi a donné ordre à Dori Najafabadi, le président de la Cour suprême, d'enquêter. M. Najafabadi m'a contacté et a dit qu'il m'enverrait un représentant et quand ce dernier est venu, j'ai fait identifier un individu qui s'était plaint d'avoir été à la fois violé et torturé. Ce représentant a aussi declaré que personne ne devait avoir vent de cela, pour ne pas interférer dans l'enquête et il a même insisté sur le fait que les interrogatoires devaient avoir lieu loin de mon bureau et rester secrets. Jusqu'à ce moment, les réactions étaient raisonnables.

Jusqu'à ce que le procureur de Téhéran [Mortazavi] entre en scène. Il m'a contacté en me disant qu'il m'enverrait un représentant. La personne est venue et a voulu des preuves. La meilleure chose à faire était de s'en tenir à ce qui avait été convenu avec le représentant précédent, et dire que les enquêteurs de M. Najafabadi étaient en train d'examiner la question et m'avaient demandé de ne pas partager mes informations. Mais je n'avais vu aucune erreur dans mes preuves et puisque je voulais coopérer avec les officiels, j'ai permis à ce second représentant
de rencontrer cet individu à non bureau et de lui faire entendre sa plainte. Je lui avais demandé sil voulait me rencontrer dans un autre lieu, mais contrairement au représentant de M. Najafabadi il a voulu que la rencontre ait lieu dans mon bureau.

Contrairement à la première rencontre, qui s'était bien passée, celle-ci se déroula de telle façon que le garçon est sorti en plein milieu, disant que ces gens cherchaient autre chose, qu'ils voulaient étouffer le problème en son entier et qu'ils n'enquêtaient pas sur sa plainte. Il a dit que le représentant du procureur de Téhéran voulaient qu'il passe une visite médicale avec des experts. Je l'ai encouragé à y aller. Mais sur le chemin, ils lui ont dit qu'il devait garder le silence et ne pas se déshonorer, ainsi que sa famille. Ils ont dit d'autres choses que je ne mentionnerai pas ici.

Le jour suivant, le même garçon est venu me voir terrifié, disant qu'ils étaient allés trouver son voisinage et avaient questionné à son sujet. Je lui ai dit de ne pas avoir peur,qu'ils cherchaient à connaître la vérité. Mais le garçon est revenu me voir en me disant qu'ils avaient été raconter toute l'histoire à son père, et qu'il en était mort de honte et que son père pleurait constamment. J'ai demandé au garçon de m'amener son père afin de le calmer. Mais le garçon est parti et n'est jamais revenu. A bout d'un certain temps, le père est venu me voir, mardi dernier, il était très inquiet pour son fils. J'ai vu un vieil homme de 70 ans, au visage dévoré de chagrin et d'angoisse. Il m'a dit : "Nous sommes musulmans, nous sommes pieux, pourquoi nous ont-ils fait cela ?" Il avait apporté des photos pour me montrer tout le passé de sa famille. Des photos de son fils à l'hôpital, blessé durant la guerre (avec l'Irak), avec le président et le guide actuel [Khamenei] à son chevet, lui baisant le front. Le père m'a dit : C'est notre vie passée, qu'est-ce qui arrive aujourd'hui ? Il a dit qu'il se sentait entièrement déshonoré aux yeux du voisinage, on avait même interrogé les boutiques voisines à leur sujet. Il m'a dit être terrifié dans sa propre maison. Ils l'avaient fait monter de force dans une voiture, et l'avaient interrogé sur son fils, ce à quoi il avait répondu que son fils était une personne honnête et intègre. Mais quand il est rentré chez lui, il a entendu la sonnette. Il est allé ouvrir, mais il n'y avait personne. Cela est arrivé de nombreuses fois ensuite, il y avait un homme, en moto, dont la présence le terrifiait, qui prenait des photos, criait et l'insultait. Le père m'a dit qu'ils n'étaient plus du tout en paix et en sécurité dans leur voisinage.

Il semble que ce soit les fonctionnaires judiciaires qui étaient venus pour enquêter sur l'affaire. Et c'était là le résultat du premier élément de preuve que nous avions donné à la Justice. La Justice qui, dans la République islamique, prétends suivre les races d'Ali, envoie des individus armés, menaçant, sur des motos, aux portes des victimes. Ils devraient avoir honte de se réclamer du nom d'Ali.

Aujourd'hui, je tiens une chronique de ces événements de sorte que personne ne mêle Ali à ce qui se passe. Je raconte cette histoire pour que les gens sachent à quel point ils ont déchiré le voile de la pudeur, de la prudence, de l'intégrité et pour que les générations futures ne disent pas que de telles injustices ont été infligées, tandis que personne ne disait un mot, ni ne se dressait contre cela.

(à suivre…)

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