vendredi, juillet 03, 2009

Cinéma : des films en cascade

Le cinéma kurde fort à l'honneur ce mois-ci, d'abord à Bobigny :


Séance le dimanche 5 juillet, à 20h30 au Magic Cinema, Bobigny.

J'avais déjà écrit une critique du film, il y a quelques années. C'est sans spoiler grave, enfin, je crois...

Dès les premières images, alors que la caméra flotte sur les eaux de la Corne d'or, un mot, un prénom éclate, SIRVAN en même temps qu'une musique. Et un autre prénom, BERZAN. Mais jamais, jamais dans le film, les noms du peuple et du pays interdits ne seront prononcés, comme on n'ose pas les prononcer en Turquie, même à Istanbul. Et c'est par une escalade d'aventures cruelles, que le jeune Mehmet, un Turc de l'ouest, va comprendre peu à peu ce que cela signifie de s'appeler BERZAN, et de venir de Zorduç.

- Où c'est ?
- A la frontière de l'Irak.
- Pourquoi tu es venu à Istanbul ?
- Pour compter les mouettes...
- Allons... Pourquoi tu es venu à Istanbul ?
- Ils ont tué mon père. Il y a eu une rafle en pleine nuit, il n'est jamais revenu.

Et cette réflexion de Mehmet, terrible de naïveté, parce qu'il n'est qu'au début de sa longue descente dans les strates sombres d'Istanbul, et que pour lui certaines choses si incroyables ne peuvent arriver :

- Tu penses qu'ils l'ont tué seulement parce qu'il n'est pas revenu ?
- Dans ma région, oui, c'est tout le temps comme ça.

L'amitié de Berzan et de Mehmet, l'amour de Mehmet et de la jeune Arzu, se déroulent dans le monde le plus attachant d'Istanbul, celui des quartiers pauvres, des petits métiers : vendeurs de cassettes, employé des canalisations, blanchisseuse, vendeurs de billets de loterie... Au début, la vie de Mehmet est simple, il a un ami qui porte un drôle de nom, Berzan, une petite amie qui se cache (un peu mais pas trop) de ses parents pour le voir, des colocataires avec qui il partage une chambre, et un téléviseur qui ne le quitte jamais. Si Berzan apparaît de temps à autre à la télévision justement, battu par les matraques des policiers, devant la prison de Bayrampasha où des détenus sont en grève de la faim, en quoi cela le concerne-t-il ? Mais voilà, un soir, dans un bus, un homme descend juste avant un contrôle, laisse son sac aux pieds de Mehmet, et la vie bascule.

Aller vers le soleil est une histoire de réseaux et d'ombres. Des fils invisibles courent dans la ville, qui, à l'image de la Turquie, est faite de strates étrangères les unes aux autres. Il y a celles des touristes allemands venus boire une bière sur le Bosphore. Il y a les strates où les Berzan s'agitent dans l'ombre. Et il y a, entre, de ces trous du destin où l'on peut tomber, où, si l'on s'appelle Mehmet de Tire et que l'on n'a pas de chance, on tombe. Et comme les voleurs d'Ali Baba, où que l'on aille ensuite, il y a toujours des gens pour vous retrouver et marquer votre porte d'une croix rouge, qui vous stigmatise comme terroriste dans tout le quartier, qui vous fait perdre votre travail, vos relations, qui fait que l'on n'a plus comme amis que les proscrits et les clandestins, ceux qui chantent entre eux dans une langue inconnue, et vous apprennent à danser sur le def û zurne.

Dès lors nous accompagnons Mehmet et Arzu dans ce qui est un parcours initiatique, et les spectateurs non avertis, sont, comme eux, aveugles aux signes qui courent dans tout le film, des signes si parlants pour ceux qui savent : La vieille femme qui attend avec Arzu sur le banc du commissariat, on ne sait rien d'elle, mais elle porte le foulard blanc des femmes de Mardin, Urfa, Cizre... Signe : cette famille ayant chargé tous ses biens dans un camion, "nous partons tous pour Istanbul, non mon père ne te comprend pas, il ne parle que le dialecte." Et quelques kilomètres plus loin, ce village abandonné, et puis plus loin d'autres encore, des villages démolis, et pour finir noyés sous les eaux... Signe : vous prenez des gosses en stop, de petits vendeurs de journaux, ils s'enfuient au premier contrôle militaire, les soldats furieux saisissent les journaux, dont on voit brièvement le titre : Özgür Gündem... Signe : un bruit de moteur la nuit, dans une ville, fait peur même aux hôteliers, et le lendemain, les rues sont pleines de chars, des chars qui tournent autour de panneaux indicateurs Sirnak, Siirt, Silopi... Tout cela se montrant sous les yeux incompréhensifs de Mehmet, signalisation d'une géographie subversive, celle du pays qui commence à Urfa et dont les ramifications douloureuses s'étirent jusqu'à Istanbul, prison de Bayrampasa.

Aller vers le soleil est un très beau film, attachant, d'une mélancolie sereine, sans désespoir ni haine. Au contraire, la beauté des rencontres humaines donne à cette histoire une chaleur réconfortante. Et l'image finale du soleil se levant sur les montagnes, au son du def (clarinette), a de quoi faire se pâmer n'importe quel Kurdistani !



Et surtout, dans le cadre du Festival Paris-Cinéma, du 2 au 14 juillet 2009 :


"Coup de projecteur sur la production cinématographique turque actuelle, pour partir à la découverte de toute la créativité de ses cinéastes, du dynamisme de ses producteurs et s'offrir un aperçu de toute la diversité du cinéma turc aujourd’hui.

À travers un panorama d’une trentaine de films (courts et longs métrages, documentaires…) et des rencontres avec les nouveaux talents du cinéma turc - réalisateurs, comédiens, scénaristes… -, découvrez sur grand écran les succès du box-office national ainsi que quelques raretés et curiosités issues du cinéma de genre : films cultes et séries Z.

Enfin, des incursions dans l’Histoire avec de grands classiques complètent cette plongée inédite au coeur de la Turquie."


Beaucoup de films films tournés par des Kurdes ou sur les Kurdes figurent dans la programmation. Pour les détails des séances, les lieux et la fiche du film cliquer sur les liens des titres.


LONGS METRAGES :


La dernière saison : Shawaks (Demsala dawî : Ewaxan), documentaire de Kazim Öz, 2008 :
Chaque été, les Shawaks, tribu nomade de l’est de la Turquie, quittent leurs villages pour aller sur les hauts pâturages. Des troupeaux entiers de moutons et de chèvres montent avec les familles à bord de camions loués, qui seront vidés au pied des montagnes. Commence alors une périlleuse ascension : les mules, chargées lourdement, dérapent sur les pentes enneigées, risquant à chaque instant de s’effondrer sous leur fardeau. Lorsqu’ils arrivent finalement dans les hauteurs, les Shawaks plantent les tentes dans lesquelles ils passeront la saison chaude. En suivant pendant un an le rude quotidien de bergers semi-nomades d’Anatolie, Kazim Öz fait le portrait intime et poétique d’un peuple vivant au rythme des saisons et de la vie des bêtes, quittant leurs maisons de pierres après la naissance des veaux pour n’y rentrer qu’avec les premières pluies. Le réalisateur instaure un rapport étonnamment libre avec ses sujets et porte à l’image un monde cosmogonique, saisi dans sa réalité physique. Une œuvre singulière où le cinéaste filme les animaux pour mieux cerner les hommes.



My Marlon and my Brando (Gitmek), de Hüseyin Karabey, 2008 :

Durant un tournage, Ayça, une jeune actrice stambouliote, et Hama Ali, un acteur kurde irakien, tombent amoureux. Une fois le tournage terminé, chacun rentre chez soi et leur relation se poursuit à distance grâce au téléphone et à l’envoi de cassettes vidéo. Mais, ne supportant plus d’être séparée de celui qu’elle aime, Ayça décide de tout risquer pour le rejoindre. Inspiré de l’histoire vraie d’Ayça Damgacı, qui joue son propre rôle dans le film, My Marlon and Brando hésite entre fiction et réalité et offre une vision à la fois sensible et documentée des horreurs de la guerre. Mêlant l’intime au politique, le film traverse des territoires aux identités culturelles proches (l’Iran, l’Irak et la Turquie) et souligne ainsi l’absurdité des conflits qui les agitent. Véritable fil conducteur du film, la correspondance en vidéo apporte un contrepoint parfois humoristique aux images de ce road-movie bouleversant, parsemé de paysages magnifiques et de rencontres insolites.


On the way to school (ki dil bir bavul), Özgür Dogan, Orhan Eskiköy, documentaire, 2008 :

Professeur des écoles, Emre est envoyé dans un village du sud-est de la Turquie pour enseigner le turc à de jeunes enfants kurdes. Les élèves ignorent tout de la langue nationale et Emre ne parle pas un mot de kurde… Après six documentaires réalisés en cinq ans, tous axés sur les principales questions sociales et politiques qui agitent leur pays, Özgür Doğan et Orhan Eskiköy se penchent sur le problème délicat de la cohabitation des Kurdes et des Turcs vivant dans une absence totale de communication. Le temps d’une année scolaire, ils suivent le parcours de ce jeune enseignant et filment, avec une mise en scène discrète, refusant tout effet d’image qui viendrait altérer l’immédiateté du réel, le lent apprivoisement mutuel de deux cultures qui s’ignorent. Oubliant la présence de la caméra, les enfants, les parents et le professeur dévoilent le quotidien d’un peuple étranger dans son propre pays et livrent un témoignage unique sur une situation encore très sensible.


Pari(s) d'exil, Ahmet Zîrek, 2009 :

Ahmet est Kurde de Turquie. Réfugié à Paris depuis plus de vingt-cinq ans, il envoie son fils au pays pour qu’il y rencontre son grand-père. Ce voyage de cinq jours, qu’il suit mentalement grâce au téléphone, ravive ses souvenirs et ses angoisses. Au cours de son périple, le fils redécouvre peu à peu son père, tandis que ce dernier, resté en France, retrace dans sa mémoire le cheminement qui l’a conduit à cet exil permanent en France. Réalisé après la publication d’un essai intitulé « Pense que… », Pari(s) d’exil est l’ultime tentative du comédien, écrivain et réalisateur Ahmet Zîrek, originaire du Kurdistan, pour témoigner de son parcours d’exilé. Très autobiographique, le film témoigne de la trajectoire du réalisateur, réfugié politique kurde inspiré par le grand cinéaste Yılmaz Güney, mort en France et enterré au Père-Lachaise, à qui il rend un hommage émouvant dans le film. Tourné à Paris, Pari(s) d’exil n’évoque le Kurdistan qu’au travers d’un univers sonore, suggéré lors de conversations téléphoniques et relayé par l’univers musical des chants traditionnels. Conjuguant le réel à la rêverie, le cinéaste crée un parfait équilibre qui confère à cette oeuvre sensibilité et poésie.

The Storm (Bahoz), Kazim Öz, 2008 :

Cemal, dix-huit ans, vient d’une petite ville kurde de l’est de la Turquie. Tout juste arrivé à Istanbul pour étudier à l’université, il découvre avec enthousiasme, et non sans une certaine naïveté, les premiers émois de la vie citadine. Tout d’abord peu intéressé par les questions politiques qui agitent son pays, Cemal se rapproche peu à peu d’un groupe d’étudiants activistes. Oeuvre fleuve au scénario labyrinthique, The Storm propose une plongée très réaliste au sein de la Turquie des années quatre-vingtdix. Le film donne à voir, à travers le parcours quasiment initiatique du personnage principal, les soulèvements sociaux qui ont marqué la décennie ainsi que le sentiment d’urgence qui anima les mouvements étudiants de l’époque. Jonglant habilement entre les préoccupations politiques et personnelles de ses personnages, Kazım Öz réussit un retour poignant sur les espoirs et désespoirs d’une jeunesse qui voulut changer le destin de son pays et dont la mise en scène abrupte capture, avec beaucoup de justesse, l’immédiateté fiévreuse.
COURTS METRAGES (MK2 Bibliothèque, 13°)

Le Saint, d'Elfe Ülüç, 2008.

À Istanbul, un ex-travesti de quarante-cinq ans, d’origine kurde, arpente la ville pour ramasser les ordures à recycler. De l’argent qu’il gagne, il ne garde que le strict nécessaire, et partage le reste avec les pauvres et les malades de son quartier, qu’il visite quotidiennement. Et certaines nuits, il offre son corps aux hommes en quête de plaisirs et sans le sou. En suivant les déambulations d’Ayşe, chiffonnier humaniste un rien déconcertant, Elfe Uluç s’attache à filmer la misère des faubourgs stambouliotes en évitant toute forme de misérabilisme. Aux images révoltantes du dénuement le plus total, il oppose les sourires et les rires parfois incongrus du personnage principal, d’un optimisme salvateur ; l’interprétation de l’acteur Şahin Çelik, d’une inventivité jouissive, offre un contrepoint presque burlesque à ce film incisif et poétique, et y insuffle une bouleversante dignité.
Racines, Eileen Hofer, 2008, Suisse.

Dans un village menacé par la construction d’un barrage, un père veuf et sans emploi cherche à célébrer dignement les neuf ans de son fils. Premier court métrage d’Eileen Hofer, Racines s’inspire de la construction du barrage d’Ilisu qui risque de provoquer, d’ici à 2012, l’engloutissement de cent cinquante villages. Le film prolonge les recherches de la réalisatrice sur l’exode rural et l’émigration dans le cinéma turc, effectuées durant ses études d’histoire du cinéma à Istanbul. Travaillant la première partie de l’oeuvre sur un montage alterné entre la journée du père et celle de son fils, Eileen Hofer dresse le tableau d’une Turquie rurale où coexistent l’attachement aux traditions et une immanquable ouverture au monde moderne : l’enfant ne rêve que de Spiderman, tandis que de l’immensité neigeuse que traverse le père pour aller d’un village à un autre émerge, de façon incongrue, un gigantesque panneau publicitaire pour McDonald's. Mais au-delà d’une simple chronique des gestes du quotidien, Racines est avant tout un film sur la filiation qui laisse affleurer, au détour d’images pudiques, une émouvante tendresse.

REGARDS CROISES ALLEMAGNE-TURQUIE :

De loin (Aus der Ferne), Thomas Arslan, documentaire, 2006.

De mai à juin 2005, Thomas Arslan a voyagé à travers la Turquie, d’Istanbul et Ankara à Gaziantep, dans le sud-ouest du pays, puis toujours plus à l’Est, de Diyarbakir et Van jusqu’à Dogubayazit, près de la frontière avec l’Iran. De loin est le carnet de ce périple, de villes occidentales encore familières vers des territoires moins connus, où des combats sévissaient encore récemment. Refusant toute démarche journalistique ou dogmatisante, Thomas Arslan, cinéaste allemand d’origine turque, construit son documentaire à contresens des discours et des images toutes faites sur la Turquie, sur ses clivages et ses contradictions. Il pose un regard à la fois personnel et distancié sur les contrées qu’il traverse et photographie avec justesse la réalité de ces villes dans leurs différences et leurs similarités. Tournée en pellicule avec beaucoup de précision, De loin est l’oeuvre d’un cinéaste exigeant dont les images imposent, au plus près du réel, une simplicité bouleversante.
Le programme complet est à voir sur le site du Festival.

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Concert de soutien à l'Institut kurde