mardi, juin 30, 2009

LE RESULTAT DES ELECTIONS PRESIDENTIELLES EN IRAN FORTEMENT CONTESTE PAR LA RUE


Contrairement aux précédentes élections dont le large boycott de l’électorat réformiste avait permis au conservateur Ahmadinejad de l’emporter, ces élections présidentielles ont été intensément suivies en Iran et les observateurs présents ont noté une large participation, le 12 juin, jour du scrutin. Sur une liste de candidats agréés par le Conseil des gardiens de la Révolution et le Guide suprême, seuls Ahmadinejad, le président sortant, et Hossein Mousavi pouvaient espérer l’emporter, ce dernier étant vu comme le grand favori.

Mais quelques jours avant le vote, Amir Taheri, un journaliste iranien en exil, rappelait dans un article publié dans le journal Asharq Alawsat que la victoire de Mousavi n’était pas si assurée. Amir Taheri rappelait en effet que le pouvoir dans ce pays était réellement détenu par Khamenei, le Guide suprême. Or, Ahmadinejad ayant été soutenu dans cette campagne par le Guide, voter contre lui équivaudrait à voter contre le Guide, ce que le pouvoir iranien ne peut tolérer.

Cette analyse était confirmée par Yves Bonnet, ancien directeur de la DST (Direction de la sécurité du territoire), auteur d’ouvrages sur l’Iran, dans une interview donnée à France Soir : « ... dans l’organisation politico-administrative de l’Iran, les élections ne jouent pas le rôle qu’elles ont en Occident. La seule élection véritable est celle du Guide suprême, dont le rôle est fondamental et qui cumule la totalité des pouvoirs dans un Etat, au niveau de l’exécutif, du constitutionnel et du législatif comme du judiciaire et du religieux. L’absolutisme est donc total, et le théocratisme absolu, au point de reléguer l’Ancien Régime français au rang des régimes particulièrement libéraux… Tout ce qui se fait en Iran ne peut se faire qu’avec l’aval du Guide suprême. Le système est très clair : une personne régit tout. » Selon Yves Bonnet, la liste des candidats retenus montre que l’ayatollah Khamenei a tout fait pour la réélection d’Ahmadinejad, en détaillant le parcours peu reluisant de la majorité des candidats, le religieux Mehdi Karoubi excepté : « Ahmadinejad, surnommé « l’homme aux 1000 coups de grâce » puisqu’il achevait les condamnés dans la prison d’Evin ; Mohsen Rezai, ancien chef des pasdaran (un peu l’équivalent des Waffen SS du régime hitlérien), qui fut conseiller pour la sécurité de Rafsandjani et fait l’objet d’un mandat d’arrêt international ; Hossein Moussavi enfin, ex-Premier ministre de Khomeyni, l’homme sous le regard duquel se sont perpétrés les massacres d’août 1988 quand 30.000 personnes furent tuées. En fait, le Guide suprême fait tout pour favoriser l’élection d’Ahmadinejad. »

De fait, dès le lendemain du scrutin, le président sortant fut annoncé vainqueur avec 64% des voix. Ces résultats ont été alors immédiatement dénoncés par les autres candidats, Hossein Mousavi et Mehdia Karroubi en tête, tandis que la rue iranienne explosait en manifestations spontanées. Très vite les accusations de fraude se multiplièrent, tandis que les chefs d’Etat étrangers restaient, pour la plupart, relativement prudents dans leurs déclarations.

Rapidement, les manifestations de protestation se heurtèrent aux violences des forces de l’ordre et des milices bassidji et des chiffres donnés en secret par des employés du ministère de l'Intérieur ont été repris par plusieurs sources, dont radio Farda, Voice of America, radio Zamane : Musavi serait arrivé en tête avec 19 millions de voix, en second, Mehdi Karroubi avec 13.3 millions et seulement en 3ème position Ahmadinejad, avec 5.7 ; Rezayi aurait obtenu 3.5.

L’ampleur des protestations dans la plupart des grandes villes d’Iran semble confirmer ce score, qui ne signifie pas forcément un soutien inconditionnel envers Mousavi (dont les appels à ne pas manifester ont été souvent conspués par les étudiants), qui est aussi un homme du régime, mais plutôt un rejet du système et surtout de la présidence d’Ahamdinejad. De plus, Hussein Mousavi a mené une campagne habile, contournant les censures et les obstacles policiers, comme l’explique un des innombrables blogueurs anonymes qui se sont exprimés de Téhéran, soit via Internet ou Twitter, sur les événements auxquels ils assistaient en direct, alors que les journalistes étrangers étaient consignés ou expulsés : 

«Beaucoup de gens ne connaissaient rien des candidats. Tout ce qu'ils savaient de Karroubi et de Mousavi était que Karroubi est un mollah et que Mousavi porte un costume civil (et que donc il doit être plus moderne).Mousavi a eu beaucoup plus d'argent que Karroubi, et il a été très bon dans sa campagne. Prendre pour symbole la couleur verte était un coup de génie. Cela a rendu sa campagne publicitaire peu chère et facile. Une fois, à un meeting de Karroubi nous chantions des slogans sur la place Vali Asr. Les supporters d'Ahmedinejad nous ont attaqués. Ils ont coupé l'électricité de sorte que Karroubi ne puisse plus parler. Mais les supporters de Mousavi n'avaient qu'à porter la couleur verte. Cette couleur est devenue la couleur du « Non à Ahmedinejad. »

Ainsi, deux footballeurs iraniens ont porté un brassard vert avant un match se déroulant en Corée du Sud, retransmis à la télévision. Ils ont été interdits de jeu à vie mais l’impact d’une telle « révolution », menée à l’aide d’images vidéo diffusées dans le monde entier via You Tube, Daily Motion, Facebook, a frappé l’opinion publique par le caractère particulier de cette dissidence en images et en courts messages (un phénomène qui avait déjà eu lieu en Birmanie ou au Tibet) que n’a pu arrêter complètement la censure étatique. La mort en direct d’une jeune fille à Téhéran, frappée d’une balle en plein cœur par un milicien basidji a aussi fourni une icône à ce mouvement, et le visage ensanglanté de Neda Salehi Agha Soltan a fait rapidement le tour du monde, tandis que des veillées avec des bougies étaient organisées aussi bien en Iran qu’à l’étranger.

Bien que l’ampleur du mouvement ait pu surprendre le régime, certains analystes y voient aussi une occasion, pour le Conseil des gardiens de la Révolution, « d’épurer » leurs rangs en arrêtant et intimidant les mollahs « réformateurs » proches de Mousavi ou Karroubi. Ainsi, pour Aaron Rhodes, porte-parole de l’International Campaign for Human Rights in Iran, « les services iraniens et les forces de sécurité profitent des manifestations publiques pour mener ce qui semble être une purge majeure des individus favorables aux réformes, dont les vies pourraient être menacées en détention. » Aaron Rhodes cite notamment le cas de Saeed Hajarian, ancien conseiller de Mohammad Khatami, qui avait soutenu la candidature de Hossein Mousavi. Diminué physiquement par une tentative d’assassinat qu’il avait essuyée 9 ans auparavant, Hajarian a besoin de soins médicaux constants et son arrestation récente met ainsi sa vie en danger. Il y a aussi la mort suspecte, dans un accident de voiture, de Mohammad Asgari, un responsable de la sécurité des communications au ministère de l’Intérieur. Asgari était soupçonné de détenir (et d’avoir diffusé) les preuves de la fraude électorales et les résultats qui donnaient Mousavi vainqueur.

Pour le moment, l’ayatollah Khamenei ne semble pas vouloir céder d’un pouce et se réfère toujours à Ahmadinejad comme étant « le président élu », malgré un simulacre de recomptage des voix dans certains secteurs, qui s’est conclu par la confirmation de la réélection du président sortant. Khamenei a catégoriquement rejeté les demandes de Mousavi et de Karroubi sur l’annulation du scrutin.

Les provinces kurdes d’Iran ont aussi emboité le pas à l’agitation partie de la capitale, même si manifester dans une ville de moyenne importance est bien plus dangereux qu’à Téhéran. Dès le 16 juin, les sit-in d’étudiants commençaient à l’université Avicenne de Hamadan, malgré les attaques des forces de sécurité et l’arrestation de 12 étudiants. A Kermanchah, la population a défilé dans les rues en scandant des slogans hostiles au régime. Là aussi, les forces de sécurité et des agents en civils ont chargé les manifestants, en blessant un certain nombre et procédant à des arrestations.

Le 23 juin, la ville kurde de Saqiz était presque totalement paralysée par une grève générale, avec 80% des magasins qui avaient baissé leurs rideaux dans les avenues principales. Au cours de la journée, la fermeture des boutiques s’est progressivement étendue à toute la ville. Le même jour, à Marivan, le bazar était également fermé en signe de grève, malgré les patrouilles intensives des forces de l’ordre et des agents en civil, qui empêchent tout attroupement. A Sanandadj, les Gardiens de la Révolution surveillent la ville et ont installé des caméras qui filment 24h sur 24 les principaux carrefours et place. Mais 3000 personnes se sont rassemblées le lendemain dans cette même ville pour organiser une veillée mortuaire à la mémoire de Neda Salehi Agha Soltan, avec des bougies et la photo de la victime. La commémoration a été interrompue par l’assaut des forces de sécurité qui ont dispersé les manifestants avec des gaz lacrymogène.

A Kermanchah, un couvre-feu a été instauré dès le 24 juin. Tout rassemblement de plus de 3 personnes a été interdit à partir de 16 h. Un régiment de l’armée habituellement posté à la frontière a été envoyé en renfort. Cela n’a pas empêché d’autres manifestations d’avoir lieu, notamment lors des funérailles d’un jeune étudiant Kurde, Kianoosh Assa, mort en détention sous la torture. 6000 personnes suivaient le cortège et se sont heurtées avec les forces de l’ordre. Ce n’était pas la première victime kurde. Le 18 juin, la famille de Farzad Jachni, 17 ans, originaire de la province d’Ilam, était enterré en secret dans la ville d’Abdanan (Ilam), alors qu’il avait été tué à Téhéran par les miliciens du régime. Les forces de sécurité ont obligé la famille du jeune homme à garder le silence sur sa mort et à procéder à des funérailles quasi-clandestines.

Une mosquée datant de 397 ap. J.C. volée par les Syriaques (suite) : finalement, la forêt est bien islamique

L'invraisemblable feuilleton tragi-comique qui oppose les moines du monastère de Mar Gabriel aux élus AKP de Mardin, ces derniers prétendant qu'un monastère bâti en 397 a été "volé à l'islam", continue dans la même réécriture grandiose de l'histoire, un sport national en Turquie où il est évident que sur tout le territoire de la République, les Syriaques, les Arméniens, les Grecs, sont venus APRES, mais alors bien après les musulmans bon teint installés dans la région depuis l'époque de Sumer (au moins).

Pour le rappel complet des faits, se reporter au post de février, qui vous explique tout ça, ou comment une poignée de moines spolient de braves gardiens de village, en plus de l'Etat, des Eaux et Forêt et d'Allah lui-même...

Derrière cette cupidité et cette hostilité religieuse (les deux ont toujours marché de pair dans la région), s'est en plus greffé un bras de fer politique entre les élus AKP (parti au gouvernement) et ceux du DTP (pro-kurde). Les élus AKP soutiennent les revendications des villageois (et d'Allah) et le DTP défend les Syriaques contre la spoliation et la répression. Ainsi, le député AKP de Mardin Süleyman Çelebi affirme : "Nous sommes les propriétaires légitimes du monastère et les Syriaques sont sous la protection de la République."

Or, c'est faux. Les Syriaques ne sont justement pas sous la protection de la République, en tant que tels. Qu'ils soient orthodoxes ou catholiques, ils partagent avec les Alevis l'inconvénient de ne pas figurer en tant que minorité religieuse dans le Traité de Lausanne. On ne peut spolier (en principe, parce que sur le terrain, c'est autre chose) des bâtiments grecs ou arméniens, ou juifs, mais les Syriaques de Turquie n'ont aucune espèce de protection légale prévue, ni religieuse, ni nationale.

Le DTP ayant épousé la cause de toutes les minorités du Kurdistan de Turquie, ses représentants défendent, eux, les droits des chrétiens. "Il n'y a ni or, argent, pétrole dans la région, mais des plants de chêne que les villageois voudraient utiliser. Je crois que le jugement sera rendu en faveur des Syriaques, à qui ces terres appartiennent", a déclaré à Hürriyet Ainsi, Metin Kutlu, adjoint au maire du Midyat, qui accuse le parti au pouvoir de mener toute cette bataille juridique.

De fait, Süleyman Çelebi, le maire AKP de Mardin, n'apparaît pas comme un grand ami des chrétiens. Au sujet de sa ville qui comptait une importante population syriaque jusqu'au début des années 1990, et ce malgré le génocide, il a par exemple affirmé que les Suryani avaient quitté la région de leur plein gré dès les années 1980 (en fait chassés par la guerre). En tout cas, s'il nie soutenir les villageois dans leur action en justice, il ne cache pas ses opinions sur la question : "Les villageois sont conscients de leurs droits." Et sur la question des minorités opprimées, posées par ces gêneurs de représentants de l'Union européenne, on a bien sûr le droit au couplet habituel concernant tout aussi bien les Kurdes : "On ne fait aucune différence, ils ont les mêmes droits que nous" (ajouter in petto : à condition qu'ils soient comme nous...)

Autre argument comique, des responsables locaux se seraient plaints que ce monastère pêchait décidément par trop d'arrogance mégalomaniaque. Ce serait, à les en croire, "le plus grand bâtiment cultuel du monde" (apparemment les élus de Midyat ne voyagent pas beaucoup). Une nuisance architecturale qui bouche la vue des splendides montagnes verdoyantes et le no man's land de la frontière, quoi...

Bref, le 24 juin, le verdict devait être rendu par le tribunal de Midyat, qui devait décider si oui ou non le monastère était bien propriétaire des terres qui entouraient les bâtiments, convoitées par les villageois alentour. Le tribunal a donc rendu son jugement concernant la "forêt" entourant les bâtiments : comme c'est une forêt, elle doit être déclarée publique et donc revenir à l'Etat. Le monastère perd ainsi 34 hectares de terre, que le Département forestier récupère, pouvant en faire ce qu'il voulait, a tranché le juge.



L'autre plainte concernait le mur que les moines avaient élevé autour des bâtiments pour se protéger lors des affrontements de l'armée avec le PKK. Accusés d'avoir violé la loi en bâtissant ce mur, leur procès est reporté au 30 septembre.

Petite consolation, l'Autorité du trésor d'Etat perd contre Mar Gabriel. Cette institution réclamait, on ne sait pourquoi, 12 parcelles de terrain, dans et hors le mur controversé, le tout faisant 24 hectares. Il a été jugé que ces terres resteraient aux moines. Mais le Trésor a fait appel, tout comme les avocats du monastère qui veulent porter l'affaire à Ankara et puis, s'il le faut, devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Si les juges d'Ankara sont du même acabit que ceux qui ont confirmé l'acquittement des meurtriers d'Ahmet et Ughur Kaymaz, on gagnerait peut-être du temps à porter l'affaire à Strasbourg.


'Stupidity, however, is not necessarily a inherent trait.'
Albert Rosenfield.




lundi, juin 29, 2009

Le massacre des chrétiens de la citadelle d'Arbil (5) : L'odyssée du métropolite

On se souvient que le métropolite avait été envoyé par le catholicos auprès du roi, pour lui porter la version chrétienne du premier massacre de la citadelle, opposée à celle de Sutaï. Il va, d'ailleurs, se faire désavouer peu glorieusement par le catholicos répondant à la fureur de l'émir : "C'est pas moi l'auteur du message, c'est le métropolite !" Il a aussi durement bataillé pour obtenir le décret de réconciliation que vont porter les envoyés du roi à Erbil. Ces mêmes envoyés se faisant froidement et chichement accueillir par les chrétiens d'en haut, on peut dire que jusqu'ici, le métropolite se démène beaucoup mais n'est pas aidé par sa hiérarchie. Après le départ des envoyés, on apprend qu'il reste trois jours au Camp royal, et balance à rester ou repartir à Erbil. Puis, s'avisant que si la paix se fait, sa présence à Bagdad n'est plus utile, mais que si le conflit se poursuit, il ne peut de toute façon agir sans les ordres du catholicos, il finit par regagner Bet Sayyade. Là, il apprend que le catholicos et tous les évêques sont coincés dans la citadelle et que les choses n'ont pas l'air de s'arranger. Le voilà seul, isolé de ses supérieurs et il hésite à nouveau avant de se résoudre, finalement, à retenter une ambassade auprès du Khan, cette fois de sa propre initiative.

Le métropolite ne parvenait pas à prendre une décision, ni à savoir que faire : il pensa retourner au Camp, mais il hésitait car les routes étaient bloquées et parce qu'il n'avait plus de compagnon ; il n'avait aucun moyen de demander conseil au catholicos ; par ailleurs, il demeurait dans sa résidence, alors que le catholicos et les évêques étaient opprimés et maltraités et les chrétiens persécutés, il se serait rendu coupable aux yeux de la loi règle de vérité, la loi du Christ, selon laquelle il est juste pour celui qui est pasteur, celui qui aime, de se dessaisir de son âme pour la remettre à la mort ; de dédaigner la vie, de supporter tous les tourments par amour du Christ. Il reprit courage et emmena avec lui les disciples de la résidence qui s'étaient enfuis et cachés, pour se rendre au village de Bet Sayyade le soir du 6 du mois de Iyyar de cette année-là (mai 1310). Ils marchèrent jour et nuit, à travers les montagnes et les plaines, les collines et les vallées, craintifs et effrayés par les embûches de leurs ennemis, sans abris ni provisions en quantité suffisante.

Et ils marchent longtemps car le Camp du roi est un camp volant, en bon camp mongol qu'il est. Ils vont jusqu'à Hamadhan (auj. au Kurdistan d'Iran, province d'Azerbaïdjan occ.), ayant entendu dire que le roi s'y trouvait. Là, ils apprennent qu'il est parti dans sa capitale de Soltaniyyeh (act. dans le Zendjan). Il faut donc aller l'y retrouver. Une fois sur place, ils apprennent ce que nous savons déjà, que le frère de l'émir Nasr, Hadjdji Dilqandi a eu le temps de faire un très mauvais rapport au roi, en lui expliquant que, de la citadelle, le catholicos dirigeait la rébellion des chrétiens, et que le roi est sur le point d'envoyer Hadjdji Dilqandi et l'émir Togan, un autre ennemi des chrétiens, avec un décret qui ordonne que toutes les forces musulmanes de la région se dressent contre tous les chrétiens, de la citadelle ou non. Seul moyen, encore et toujours, de se remettre dans la faveur des grands, leur graisser la patte. C'est ce que le métropolite va faire, histoire de rattraper le coup auprès d'un autre émir bien en cour :

Cette nouvelle leur fit tomber des bras et trembler les genoux, tandis que leurs yeux ruisselaient de larmes sur l'infortune de l'Eglise et ce qui était advenu de ses fils. Ils consultèrent certaines personnes, amis du catholicos et des fils de l'Eglise, sur ce qu'ils devaient faire et obtinrent cette réponse : "Ne ménagez pas vos biens ni ceux de la résidence, autrement le catholicos sera perdu et vous aussi ; les églises seront saccagées et même les waqf (fondation religieuse ou de bienfaisance en droit musulman, à qui l'on alloue des revenus en principe inaliénables) des chrétiens seront confisqués à cause de lui."

Le métropolite prit immédiatement une certaine somme et se rendit auprès de l'un des émirs très proches du roi. Celui-ci le reçut avec honneur et écouta tout ce qu'il avait à dire concernant le catholicos ainsi que les chrétiens.

Amadoué par le métropolite (et sans doute par l'or fourni gracieusement), l'émir l'introduit alors successivement (un par un est-il précisé, évidemment parce qu'à chaque visite, un "don gracieux" en or doit être attribué) auprès de "trois amis fidèles" qui l'introduisent eux-mêmes auprès de l'émir Esen Qutlug, puis de Khwadja Sa' ad-Dîn, le chef des scribes, et enfin auprès du vizir Khwadja Rachid ad-Dîn. Hé oui, le grand Rashid al-Dîn Al-Hamadhani, l'auteur du Jami al Tawarikh, (histoire remarquable à la fois par son témoignage sur la cour mongole et aussi par les manuscrits peints qui font l'orgueil de quelques bibliothèques et musées) qui en plus d'être historien et médecin servait comme ministre les Mongols (hélas ça s'est mal terminé). Au passage, le "chef des scribes" doit être Sa'd ad-Sawadji, vizir "associé" de Rashid al-Dîn qui durant toute sa carrière fut flanqué d'un adjoint.



Statue de Rashid ad-Dîn, Hamadhan.
photo :Mardetanha

Bref, fin de la digression. Peut-être encouragé par le passé juif du vizir Rashid (qui s'était converti quand il devint médecin auprès du Khan) qui l'incline peut-être à être plus bénin envers ses anciens cousins en dhimma, le métropolite fait une belle plaidoirie pour ses frères chrétiens, en exposant "avec confiance" la situation du catholicos et des siens. Comme c'est un beau morceau de rhétorique que nous reconstitue ou retranspose le chroniqueur, peut-être d'après des sources assez proches de l'original, je le reproduis intégralement :

"Le catholicos vous adresse ses salutations et dit : 'Vous savez bien, ô émirs, qu'il y a maintenant trente-cinq années écoulées depuis que je suis arrivé de l'Orient ; que je fus placé sur le trône de l'Eglise orientale par la volonté de Dieu ; que j'ai servi et béni sept rois avec une infinie patience et la crainte de Dieu, en particulier le père de l'actuel roi invincible, le défunt Argun et sa mère Uruk Qatun la croyante. Je n'ai fait de tort à personne et n'ai jamais désiré quoi que ce soit appartenant à l'Etat ; si j'ai reçu des dons [de l'Etat], je les ai dépensés pour son intérêt. J'étais jeune alors, à présent je suis vieux ; n'ayant ni épouse, ni enfants, ni parents, ni famille, quel amour, qu'est-ce qui, dans ce monde, pourrait me pousser à me rebeller contre le roi ou à songer à voler quelque chose qui lui appartient ? Comment est-il donc possible que l'on puisse croire aux accusations de mes ennemis à mon encontre ? Mieux encore, je n'ai jamais subi aucune offense de l'actuel roi invincible, pour l'amour de Dieu ! Mais même si [le roi] m'avait fait du mal - loin de moi cette idée - le Saint Evangile, le livre que moi je professe, m'imposerait le commandement de rendre le bien pour le mal, car il dit : 'Priez pour vos ennemis et bénissez celui qui vous hait', et moi je ne peux pas m'éloigner, tant soit peu de ce qui a été voulu par Dieu à travers le Christ, parce que celui qui transgresse un précepte se sépare de celui qui l'a formulé. Je vous le demande, si le roi est certain dans son coeur que j'ai eu une conduite répréhensible, conduisez-moi à la porte royale et désignez-moi exactement quel est l'acte qui me fait mériter la mort : ainsi, le roi sera innocent de mon sang. Ne m'abandonnez pas aux mains de mes ennemis !" Telles sont les paroles du catholicos.

Et les chrétiens qui vivent dans la citadelle disent : 'Nous ne sommes pas des rebelles contre le roi invincible, mais nous craignons que nos ennemis les Kurdes et les habitants musulmans de la citadelle ne nous massacrent sans pitié. Il n'est personne qui ait de la compassion pour nous et fasse connaître au roi l'angoisse dans laquelle nous nous trouvons. Nous sommes tes serviteurs et tes sujets ; nous avons toujours payé les tributs et les taxes qui nous étaient imposées ; mais, si le roi ordonne que nous fassions descendre les qayadjiyé, ceux contre lesquels son coeur est irrité, cela nous paraît au-delà de nos possibilités. Si c'est à nous que le roi ordonne de descendre de la citadelle, qu'il nous envoie quelqu'un pour nous libérer et nous irons partout où il nous commandera d'aller ; car ce n'est pas le charme de ce lieu qui nous y retient, mais la grande peur des Palestiniens (qui désigne-t-il ainsi ? peut-être une milice armée syrienne ou des tribus originaires de Syrie) et des Kurdes. Il en est ainsi : nos fils et nos filles sont en captivité et la plupart des hommes ont été tués.'

Vous tous, émirs, êtes au courant de ces faits ; moi, métropolite, votre serviteur, je suis garant de ce que j'ai dit, tout comme le document que j'ai écrit de ma main et que je vous ai remis."

Visiblement impressionnés par ce beau discours et les accents de sincérité que le métroplite avait su y mettre, et sans doute un peu par ses bakshish, les émirs le défèrent à l'émir des émirs, Tchoban, lequel est, nous apprend le chroniqueur, "en relation" avec Balu, l'émir de ces qayadjiyé par qui tous les ennuis sont arrivés, ce qui permet au métropolite de dire à Tchoban que tout ceci est arrivé par sa faute. De fait, l'émir des émirs ne doit pas être tout blanc dans cette affaire, car il interdit à Hadjdji Dilqandi de se rendre à Erbil avec le décret. On voit donc que les qayadjiyé n'était pas uniquement une bande de montagnards rebelles qui s'étaient saisi de la citadelle sans aucun appui à la cour. Si leur émir, Balu, est en cheville avec un homme aussi influent que Tchoban, la rébellion des qayadjiyé, leur "arrogance" peut se comprendre parce qu'ils se crus, à tort, intouchables de par leurs alliances politiques, tout comme le catholicos était persuadé du soutien inconditionnel des Mongols. La question se pose de l'intérêt que Tchoban pouvait trouver à s'allier aux qayadjiyé. Peut-être une rivalité ou une hostilité personnelle envers l'émir Nasr l'avait-il poussé à utiliser les montagnards chrétiens contre un ennemi ?

Hadjdji Dilqandi, cependant, ne se laisse pas abattre et joue également le jeu des entrevues et des graissage de paumes, en distribuant généreusement autour de lui de quoi décider les émirs à retourner la décision de Tchoban et leur propre bienveillance envers le métropolite. Aussi, empochant sans sourciller l'argent des musulmans après celui des chrétiens, les émirs livrent le malheureux métropolite au comparse de Hadjdji Dilqandi, l'émir Togan, que le roi avait chargé d'apporter le décret punitif à Erbil, Togan devant se servir du métropolite comme appât et otage :

Et ceux-ci revinrent sur ce qui avait été dit et stipulé. Ils capturèrent secrètement le métropolite pour le livrer à Togan, afin qu'il allât faire descendre le catholicos et les chrétiens de la citadelle, faute de quoi ils le menaçaient de le tuer sans pitié. Ils l'emmenèrent, de nuit, hors de la ville, dans une montagne voisine. Et dès lors, on ignora ce qu'il advint de lui. La souffrance des chrétiens de toutes confessions qui s'étaient rassemblés dans la ville s'accrut. Tous les disciples de la résidence s'étaient enfuis et dispersés. Il ne demeurait plus ni aide ni assistance autre que celle de la miséricorde vénérable de Dieu, qui agit selon sa bonté et pourvoit selon sa charité.
A ce moment, tout semble perdu : les chrétiens n'ont plus aucun chef, plus aucun porte-parole pour les défendre auprès du Khan...
Croit-on ! Car, comme dans les meilleurs romans de cape et d'épée, surgit un personnage providentiel, qui va tout faire rebondir...

(à suivre)



dimanche, juin 28, 2009

"No coma, no ANDS" : les chrétiens du Kurdistan sont sauvés.....

La nouvelle constitution kurde vient d'être votée et approuvée par 96 voix sur 97, 7 députés ayant protesté sur l'illégalité de ce parlement, qu'ils jugent "obsolète" depuis le 4 juin. Tout simplement parce que les élections qui étaient prévues en mai ont été reportées au 25 juillet (pour des raisons techniques qui dépendaient plus de l'Irak et de sa haute Commission électorale que de la Région). Les 7 députés désapprobateurs relèvent sans doute des listes concurrentes de la liste kurdistanî qui unit le PDK et l'UPK : celle de Nawshirwan Mustafa, le dissident ex UPK , et peut-être des partis religieux. Espérant un certain nombre de sièges aux prochaines élections, (surtout la liste de Mustafa), ils auraient probablement préféré qu'on attende les nouvelles recrues de leur liste pour voter le texte.

A part ce couac, excédé de la mauvaise volonté de l'Irak (et des USA et de l'ONU...) à faire appliquer l'article 140 de la constitution irakienne, qui prévoit un référendum dans les régions kurdes actuellement hors de la Région du Kurdistan, pour qu'elles optent ou non pour le rattachement, le Parlement kurde a décidé de frapper un grand coup en incluant dans la constitution le gouvernorat disputé : "Le Kurdistan d'Irak est une entité géographique et historique qui comprend les provinces de Dohouk, Souleimaniyeh, Erbil et Kirkouk" et 11 autres places situées dans les districts à majorité kurde des provinces de Ninive-Mossoul et de Diyala (comme Khanaqin).

Evidemment, cela ne va pas améliorer les relations entre Maliki, le Premier ministre irakien, et la Région kurde. Mais à ce point d'inertie nationale et internationale concernant Kirkouk, les Kurdes n'ont plus rien à perdre, d'autant plus que les dernières élections en Irak ont donné une écrasante majorité aux districts kurdo-chrétiens et kurdes de Ninive-Mossoul, ou kurdes de la Diyala. Tous ont voté largement pour la liste d'union des Kurdes (musulmans et yézidis), shabaks et chrétiens, ce qui vaut, de fait, un référendum pour l'intégration au Kurdistan d'Irak. Et c'est pour cela aussi que les élections provinciales à Kirkouk ont été retardées, car si les résultats du scrutin sont identiques à ceux de 2005, ce qui est probable, c'est-à-dire avec une large majorité pour la liste kurdistani, l'Irak, les USA, l'ONU seront bien embarrassés pour reporter le référendum, au vu des résultats qui là encore, pourraient y suppléer.

Passons aux nouveautés internes à la Région : la Constitution, sans surprise, réaffirme une citoyenneté multi-ethnique à l'intérieur du Kurdistan "composé de Kurdes, Turcomans, Arabes, Syriaques, Chaldéens, Assyriens, Arméniens et d'autres citoyens vivant dans cette région" (la traduction et surtout les virgules dans le texte sont de la responsabilité de l'AFP).

Au sujet des religions, le texte dit "reconnaître et respecter l'identité islamique de la majorité du peuple du Kurdistan en Irak" et la totalité des "droits religieux des chrétiens et des yézidis". On voit donc les yézidis cités en minorité religieuse, ce qu'ils sont effectivement, mais non en minorité ethnique, puisqu'ils sont Kurdes. Jusque-là, c'est logique. Il y a des Kurdes, des Arabes, des Turkmènes, certains sont musulmans, d'autres yézidis, Kaka'i, Shabaks. Pour ces heureuses personnes, la vie est simple. Ainsi, on ne parle pas de citoyenneté "yézidie" mais kurde, ce qui vaut pour tous.

Mais à côté de cela, la Région se peuple soudain d'un peuple tricéphale : Le peuple des Assyriens Chaldéens Syriaques ; c'est-à-dire les chrétiens respectivement ressortissants, au moins de par la naissance, si ce n'est par conviction, des églises assyrienne, chaldéenne, syriaque. Or, il y a encore moins de différence entre un Assyrien, un Chaldéen et un Syriaque du Kurdistan qu'entre un Kurde musulman et un Kurde yézidi, car les trois premiers parlent non seulement la même langue, mais ils sont tous chrétiens. Alors pourquoi trois noms pour un même peuple ? Comme l'avait expliqué Herman Teule dans son intervention du 2 avril au Sénat,

Le projet initial de la Constitution irakienne prévoyait de les mentionner en tant qu'Assyro-Chaldéens, mais cela a été abandonné en raison des réticences de certains partis et de l'église chaldéenne, qui craignait de voir amoindrir son autorité. Aussi les chrétiens d'Irak sont-ils dénommés dans la Constitution définitive comme Assyriens, Chaldéens, aux côtés des Turkmènes et autres minorités. Assyriens et Chaldéens sont ainsi inscrits dans la Constitution comme s'ils formaient deux ethnies différentes.

Oui, mais ça n'allait pas du point de vue des chrétiens du Kurdistan, qui ont voulu en rajouter une couche. D'abord les Syriaques n'étaient pas mentionnés. Il a fallu donc accoler un troisième nom (c'est à ce moment là que, découragée, j'ai laissé sur ce blog le libellé Assyro-Chaldéen quand je parlais des chrétiens pour le remplacer par Syriaques, ce qui fait que tout ce que vous pourrez lire ici émane d'un courant négationniste grave, sachez-le).

Ainsi naquit le Conseil des Assyriens- Chaldéens-Syriaques. Je passe sur le Mouvement démocratique assyrien, qui souhaiterait plutôt que tout le monde s'appelle Assyriens, car ils se rêvent tous descendant des rois d'Assur ; il y a aussi des groupes chaldéens, qui parfois se découvrent une identité chaldéo-babylonienne (à leur place, je prétendais carrément descendre d'un des rois mages, ça fait plus chic).


Quand vous saurez quel avenir radieux vos aînés vous ont préparé, avec le beau nom qui va avec, vous sourirez beaucoup moins, les enfants.

Après l'annonce du vote de la constitution, les représentants de ce peuple Un-en-Trois ou Trois-en-Un (au moins ça sonne bien chrétien), et ses journalistes se sont précipités sur les députés "Assyro-etc." du Parlement, pour s'enquérir d'un grave, mais alors très grave problème, qui les avait alarmés et avait failli tout bloquer, lors des sessions.

Là où, à leur place, j'aurais été attentive aux termes et aux nuances intéressantes par rapport à la constitution irakienne qui "garantit l'identité islamique de la majorité du peuple d'Irak" et "la totalité des "droits religieux des chrétiens, yézidis et mandéens-sabéens", alors que le Kurdistan a substitué à"garantir" les termes "reconnaître et respecter" ce qui, à mon avis, sonne plus désengagé des affaires religieuses : un Etat non-laïc "garantit" une identité confessionnelle, un Etat laïc la "reconnaît" et la "respecte" mais n'a pas à en faire la promotion ni à se soucier de sa pérennité.

Là où à leur place, je me serais enquise aussi de savoir s'il y a ou non, dans le droit civil, ou les affaires familiales, comme dans la constitution irakienne, une religion "par défaut", qui est l'islam, et des citoyens minoritaires qualifiés de "non-musulmans", dont la loi respecte la confession mais qui, en cas par exemple de mariage mixte, se trouvent de facto désavantagés si le ou la conjointe appartient à la religion dominante.

Là où, à leur place, j'aurais vérifié si, dans les cartes d'identité, les passeports, l'Etat-civil, la religion est mentionnée, de quelque façon et dans quelles circonstances... Ou bien si, dans l'article 14, le syriaque (et le turkmène) sont déclarés langues officielles (en plus d'être langues d'enseignement) avec le kurde, comme cela était prévu.

Mais non. Tout cela, visiblement, était sans importance à côté de LA QUESTION MAJEURE :

Avec ou sans "et" ?

En effet, nous apprend Ankawa.com, le texte de la Constitution (en arabe ici, désolée je trouve pas la page en kurde) mentionnait d'abord les Assyriens ET les Chaldéens ET les Syriaques, comme s'ils étaient trois peuples distincts, comme dans la constitution irakienne, ce qui n'allait pas du tout puisqu'ils sont UNE nation. Et si vous demandez pourquoi, dans ce cas, ils n'ont pas choisi tout simplement de se regrouper sous un seul nom, c'est que vous êtes de sales négationnistes, héritiers des jandarma ottomans, de Simko et des Britanniques. Ou que vous ne comprenez rien au mystère de la Trinité, sales mécréants !

Aussi, les journalistes A-C-S (on va abréger, à partir de là) apprennent, de la bouche des députés A-C-S, que le paragraphe 5 a vraiment posé problème, non pas dans ses dispositions, assez favorables aux minorités, comme l'explique Kalita Shaba, mais dans sa forme, tout cela à cause de ces "et", qui ont soulevé le coeur de 4 députés chrétiens sur 5.

Après de "nombreuses et longues discussions", le Parlement, composé d'une majorité de Kurdes, a, semble-t-il, accepté d'enlever les "et de la colère. Sinon, explique sans sourciller Kalita Shaba, elle était sur le point de boycotter les sessions et le vote final. Alors que là, l'essentiel est sauvé.

Ce que confirme Jamal Awaid, de la Société culturelle chaldéenne : le texte l'avait, au premier abord, satisfait : respect des droits religieux et nationaux (art. 5, 6, 29, 30) ; et, notamment d'une disposition de la constitution empêchant, dans les affaires privées que des principes religieux soient imposés à d'autres confessions ; l'article 35 garantit le droit à l'autonomie, la présence de ministres non musulmans au gouvernement, etc.

Mais, nous dit Jamal Awaid, ce qui compte par dessus tout, c'est que dans le texte final, les "et" ont disparu. Il parle même d'un référendum chrétien pour décider, une bonne fois pour toutes, comment les 111 futurs députés devront réécrire leur nom dans la constitution. La question de Kirkouk, à côté, c'est d'un reposant....

Alors qu'Adnan Mufti, le président du Parlement d'Erbil, annonçait le vote de la constitution et en exposait les grands principes dans une conférence de presse, il y a eu au moins un journaliste curieux (chrétien ou non, je ne sais) pour s'enquérir de la raison de ces trois noms qui sont maintenant comme des wagons dételés, sans conjonction de coordination : Assyriens Chaldéens Syriaques (dans l'ordre ou le désordre). Sobrement ou philosophiquement, Adnan Mufti s'est borné à répondre que c'était ainsi que la majorité des députés chrétiens (4 sur 5, hein n'espérez pas une levée en masse non plus) l'avaient voulu.

C'est vrai qu'il n'y a pas d'autres problèmes plus urgents à régler concernant les chrétiens : pas de réfugiés en masse, pas de gens à reloger, à réinserrer, à qui il faut trouver du travail, à qui il faut apprendre le kurde et le syriaque, personne à protéger dans les régions de Ninive-Mossoul, vraiment rien à côté de l'essentiel : "No coma, no ANDS" annonce triomphalement Ankawa.com. En effet, on a eu bien peur, mais heureusement pour les chrétiens du Kurdistan, leurs élus veillent sur eux.


'Stupidity, however, is not necessarily a inherent trait.'
Albert Rosenfield.

samedi, juin 27, 2009

Les sept degrés de l'échelle d'amour spirituel

Magnifique préface du traducteur aux Sept Degrés de l'amour spirituel de Ruysbroeck. J'en extrais des bouts :

N'écrivant jamais que pour conduire des âmes sur le chemin de la vie intérieure.

La vie intérieure, comme la vie quotidienne, est un chemin. On le parcourt pas à pas, on y progresse, on y chemine vers un but. Et, de même qu'on grandit et qu'on s'élève, la vie spirituelle est un chemin qu'on doit gravir, non sans peine. Il y faut une méthode. - Et la grâce.

Je dois dire que j'adore cet ajout final - et la grâce. Après le cheminement (et déjà avant de cheminer faut-il trouver le chemin), l'effort, la montée, la peine, la méthode, il faut quoi, déjà ? Ah oui, un petit rien que l'on nomme la grâce.

Sainte Perpétue, martyre à Carthage au III° siècle, eut une vision où les montants de l'échelle spirituelle étaient armés de lames, "de sorte que si quelqu'un montait avec négligence et sans fixer son attention vers le haut, il était déchiré." Sous l'échelle, au pied de l'échelle, un dragon cherchait à épouvanter ou dévorer ceux qui voulaient s'élever. Saint Augustin commenta cette vision dans un Sermon et dit qu'on ne peut s'élever sans fouler d'abord la tête du dragon : premier degré de l'échelle, premier pas.

Après Maître Eckhart et Sohrawardî, via les Cathares et les Manichéens, autre connexion : Sohrawardî qui, après Saint Augustin, écrit dans Le Livre des temples de la lumière :

Celui qui se dresse d’un élan victorieux sur les têtes des dragons des ténèbres…
Les sept degrés de l'échelle d'amour spirituel, traduction et introduction Claude-Henri Rocquet.

Conférence, radio, article : Ghassemlou, chrétiens de Turquie, Europe et Islam, berceuses kurdes




Samedi 25 juin à 16h00,
présentation et signature du livre de Carol Prunhuber :
Pasión y muerte de Rahmán el Kurdo,
édition Alfa, Venezuela, 2008.



Entrée libre : Institut kurde de paris, 106 rue Lafayette, 75010, Paris, M° Poissonnière.

Une interview pour les hispanophones au sujet du livre ici ; un bref article en kurde ici que je résume, le kurde m'étant bien plus accessible que l'espagnol :

Livre consacré à la vie et à la mort de Abdulrahman Ghassemlou, La Passion et la mort de Rahman le kurde, a été écrit en 1992 mais n'avait jamais trouvé d'éditeur jusqu'à ce que les éditions Alfa s'en chargent, l'année dernière. C'est en 1985 que la journaliste Carol Prunhuber s'est rendu au Kurdistan d'Iran pour y recnontrer Abdulrahman Ghassemlou, qu'elle décrit ainsi : "Ce n'était pas seulement le chef d'une organisation armée, mais un homme très intelligent et très cultivé, qui parlait huit langues, qui aimait beaucoup les romans étrangers, et lisait beaucoup de poésie."

Carol Prunhuber cite beaucoup d'autres entretiens passés avec des gens qui ont connu le leader kurde, comme Bernard Kouchner, qui insiste lui aussi sur son intelligence et sa grande culture internationale. D'autres, comme Peter Pilz, accuse directement et clairement l'actuel président iranien, Ahmadinjad, d'être le perpétrateur de son assassinat à Vienne, en 1989.


Radio :


Dimanche 28 juin à 8h00 sur France Culture : Sébastien de Courtois pour Périple en Turquie chrétienne (Presses de la Renaissance). Foi et tradition, J.P. Enkiri.



- à 18h10, sur France Culture : L'Europe et l'islam. Avec les historiens John Tolan (univ. de Nantes) et Gilles Veinstein (Collège de France). Cultures d'islam, A. Meddeb.


Enfin, à signaler, bel article de la Revue de Téhéran sur les berceuses des Kurdes, de Hâshem Salimi, traduit par Babak Ershadi :


Ô Dieu, par l’amour du mont Avalan-Kouh,
Que tes yeux ne soient jamais
sombres.
Dors mon enfant chéri, dors !
Que le désert et la plaine soient
ton doux oreiller.
Dors mon enfant chéri, dors !
Ferme un moment tes
doux yeux sur ce monde.
Tu es la lumière de mes yeux, l’âme de mon corps,
Tu es ce que j’ai de plus précieux au monde.
Dors mon enfant, tu feras
bientôt un beau voyage,
Et tu seras guidé par les ailes des anges.
Dors mon enfant, il est trop tard.
La nuit est ténébreuse et le monde est aussi
dur que la pierre.


vendredi, juin 26, 2009

LA NOUVELLE CONSTITUTION KURDE ADOPTEE PAR LE PARLEMENT D’ERBIL


Le 24 juin le Parlement kurde a voté et approuvé par 96 voix sur 111 (97 présents) la nouvelle constitution de la Région du Kurdistan d’Irak. 7 députés ont refusé de prendre part au vote, non pour des raisons tenant au texte lui-même mais en alléguant de ce que la légalité de ce parlement a expiré le 4 juin. En effet, les élections initialement prévues en mai ont été reportées au 25 juillet, pour des problèmes techniques et budgétaires qui dépendaient de l'Irak et de sa Haute Commission électorale. Les 7 députés protestataires se présentant sur des listes concurrentes à la liste qui détient actuellement la majorité du parlement, dont celle de Nawshirwan Mustafa, auraient préféré voter en tant que membres parlementaires nouvellement élus dans leur liste.

Mais le principal effet d’annonce de cette constitution a été la revendication de Kirkouk et des autres districts kurdes mentionnés dans la constitution irakienne (art.140), dans la définition des frontières du Kurdistan d’Irak : « Le Kurdistan d'Irak est une entité géographique et historique qui comprend les provinces de Dohouk, Souleimaniyeh, Erbil et Kirkouk » ainsi que 11 autres places situées dans les districts à majorité kurde des provinces de Ninive-Mossoul et de Diyala (comme Khanaqin). Concernant ses habitants, « le Kurdistan est composé de Kurdes, Turcomans, Arabes, Syriaques, Chaldéens, Assyriens, Arméniens et d'autres citoyens vivant dans cette région ». Au sujet des religions, le texte dit « reconnaître et respecter l'identité islamique de la majorité du peuple du Kurdistan en Irak » et la totalité des « droits religieux des chrétiens et des yézidis ». Comme la constitution irakienne, la constitution kurde reconnaît l'islam comme source principale de la législation (art. 6), ce qui est un recul par rapport à la volonté des Kurdes d'imposer, en 2004, la laïcité dans la loi pour la constitution irakienne, tout en énonçant, comme dans la constitution irakienne qu'aucune loi contraire à la démocratie et aux droits de l'homme ne peut être votée, ce qui est une façon de contrer la charia dans ses dispositions les plus conservatrices.

Les langues kurde et arabe sont les langues officielles de la Région, tandis que le turkmène et le syriaque seront langues officielles dans les zones où elles sont parlées par la majorité des habitants.

Le système politique de la Région du Kurdistan est parlementaire, républicain et démocratique, selon l'article 1 de la constitution, qui en comprend 122. L’ancien « Chef » de la Région du Kurdistan en 1992 est aujourd'hui le Président, élu au suffrage direct, et toujours commandant direct des Peshmergas (articles 60 à 65). Son mandat est de 4 ans et il peut être réélu une fois. Il a le pouvoir de proposer des lois et des amendements au Parlement ; délivrer des décrets présidentiels pour dissoudre le Parlement dans les cas mentionnés par la constitution; déclarer l'état d'urgence après consultation avec le président du parlement et le Premier ministre en cas de guerre, d'invasion, de désastres naturels, d'épidémies.

L'article 8 rappelle à Bagdad ses limites en tant que gouvernement central : aucun accord international passé avec l'Irak et concernant la Région du Kurdistan ne peut être valable s'il n'est pas approuvé par la majorité des députés kurdes, ce qui peut concerner le domaine des hydrocarbures et leur exploitation, grand sujet de litige avec Bagdad, mais aussi un éventuel accord militaire passé entre l'Irak et des troupes étrangères sans l'accord de la Région.
Dans le sens inverse, la constitution permet à la Région du Kurdistan de signer des accords avec d'autres pays ou régions qui devront être ultérieurement approuvés par le gouvernement fédéral. Si ce n'est pas le cas, les accords ne seront pas appliqués. Mais l'article précise que les accords devront être refusés à Bagdad « pour des raisons légales ou constitutionnelles ».

Comme la constitution irakienne est assez large et assez floue sur beaucoup de questions, notamment les pouvoirs fédéraux, cela laisse une marge de manœuvre à la Région pour passer outre le veto. La constitution reconnait à tous les citoyens la garantie de leurs droits. Tout aveu extorqué par la torture ou par la menace ne pourra être pris en considération. Les civils ne peuvent être traduits devant un tribunal militaire et les détentions arbitraires sont illégales. Les tribunaux d'exception sont interdits par l'article 84. Les juges et les membres du parquet ne peuvent être membres de partis politiques.

Dans une conférence de presse, le président du Parlement kurde Adnan Mufti a qualifié la journée "d'historique pour le peuple du Kurdistan qui possèdera désormais sa propre Constitution et pourra ainsi exercer ses droits". La constitution sera soumise au référendum dans la Région du Kurdistan. La date du 25 juillet avait été d’abord avancée (en même temps que les présidentielles et les législatives) mais la Haute Commission électorale a jugé que c’était techniquement infaisable et la date d’un tel référendum est donc repoussée à une date inconnue.

La définition sans équivoque des frontières du Kurdistan d’Irak a suscité immédiatement l’hostilité des partis nationalistes arabes en Irak ainsi que l’embarras de l’administration américaine. Le 30 juin, 50 députés irakiens, menés par le nationaliste Ossama Al-Nudiafi, qui vient de remporter les élections provinciales à Mossoul, ont signé une pétition condamnant la constitution kurde. « Non seulement elle n’est pas compatible avec la constitution fédérale mais elle la viole et donne à la Région plus de pouvoir qu’à Bagdad... Cette constitution attise la haine entre les différentes composantes de l’Irak et constitue une provocation à l’égard des voisins de l’Irak en essayant de bâtir un « grand Kurdistan ».

Parmi les députés pétitionnaires, on compte d’autres sunnites, comme Omar al-Juburi du Front de la Concorde, le principal bloc sunnite ou bien des membres du groupes sadriste chiite, comme Fawzi Akram qui juge que « cette constitution va mener à une crise dans les relations entre les différentes composantes du pays. »

Le prochain retrait américain attise les tensions et les craintes des différentes communautés de Kirkouk « Les Arabes de Kirkouk craignent que les forces de sécurité (kurdes) de la province qui travaillent pour les partis politiques prennent le contrôle de la ville après le retrait des forces américaines » déclare ainsi Mohammad Khalil al-Juburi, à la tête du « Bloc arabe » de la ville. « Même si la situation est stable aujourd’hui, du point de vue de la sécurité, il n’y a pas de participation équitable (entre les différentes communautés) dans ce secteur et c’est ce qui nous inquiète. »

La « participation équitable » au pouvoir, principale revendication des Arabes de Kirkouk, est en fait une distribution à parts égales dans les conseils provinciaux entre les communautés kurde, arabe et turkmène, sans égard à la démographie réelle et donc au fait que les Kurdes y sont largement majoritaires. C’est pourquoi les élections de ce conseil ont pour le moment été repoussées, les Arabes et les Turkmènes refusant une répartition des sièges à la proportionnelle.

Bien que l’armée irakienne tente, au moyen d’envoi de troupes, de reprendre le contrôle des régions disputées, comme Kirkouk et Khanaqin, pour le moment sécurisées par les Peshmergas, l’insuffisance des pouvoirs publics irakiens dans le domaine de la sécurité et des infrastructures n’est pas non plus pour rassurer la population après le départ des troupes américaines. Comme l’explique Turkan Shukur Ayoub, une Turkmène siégeant au Conseil de province de Kirkouk, « le gouvernement doit renforcer l’armée à Kirkouk après le retrait des USA car la police est faible et manque d’équipements. Nous espérons qu’ils nous écouteront et enverront des troupes supplémentaires. »

Mais ce n’est pas l’avis d’Ahmad al-Askari, un Kurde lui aussi membre du Conseil, qui se dit confiant sur la manière dont la police de Kirkouk pourra assurer la sécurité. Un autre conseiller kurde, Azad Jibari souligne que les Asayish (services de sécurtié kurdes) devraient être plus impliqués dans la protection de la ville, en raison de leur compétence dans la lutte contre le terrorisme.

Selon les chiffres des forces de sécurité, il y a actuellement 11.500 policiers à Kirkouk, dont 35% d’Arabes, 35 % de Kurdes, 28% de Turkmènes, avec quelques chrétiens.

Le massacre des chrétiens de la citadelle d'Arbil (4) : Le siège

Les envoyés du roi, c'est-à-dire les représentants du Campement, porteurs du décret royal, sont, en effet, fort bien reçus à Erbil par l'émir Nasr et les musulmans, qui les couvrent de cadeaux, et très froidement et chichement par les chrétiens de la citadelle. Or, cette insulte au Khan est d'une bêtise politique confondante, les faisant passer une fois de plus pour yâgîs (ennemis du Khan) ; de nouveau, les chrétiens vont payer l'aveuglement des qayadjiyé :

Mais nous avons dit déjà que les musulmans avaient fourni à Nasr, ainsi qu'à son frère, (Hadjdji Dilqandi) de l'or à volonté pour offrir des cadeaux. Ils en donnèrent à satiété aux messagers qui avaient apporté le décret, puis ils leur suggérèrent de monter à la citadelle. Ils s'y rendirent et là, personne ne leur offrit un tapis pour s'asseoir, ni un quignon de pain, ni même le moindre sou.

Alors les envoyés regrettèrent d'avoir conclu la réconciliation et adoptèrent de nouveau une attitude méprisante et cruelle, au point de vouloir faire du mal aux jeunes gens qui les avaient accompagnés. L'un de ceux-ci s'enfuit secrètement par la porte de la citadelle et se réfugia au village de Bet Sayyade ; ils se lancèrent à sa poursuite mais ne le trouvèrent pas. Ils prirent son compagnon et le mirent aux arrêts. Les envoyés se précipitèrent au village de Bet Sayyade ; ils firent venir le catholicos et lui répétèrent : "Ceux-ci ne descendront pas si ce n'est par ton ordre. Par conséquent, viens, obéis au décret !"

Une fois de plus, c'est donc le catholicos qui déguste pour les autres, mais on va voir que son attitude manque, là aussi, de discernement, trop assuré qu'il semble être de l'appui du roi, peut-être ignorant de l'accueil déplorable que la citadelle a réservé à ses ambassadeurs. En tous cas, le catholicos essaie, une fois de plus de faire descendre les chrétiens. Mais il apparaît que Nasr les menace une fois de plus avec ses hommes d'armes, et finalement, comme tout le monde se défie de tout le monde (avec raison), la médiation échoue une fois de plus dans le sang.

Lorsque le catholicos parvint à Arbil, toute la population musulmane se rassembla autour de Sutaï et tous commencèrent à l'invectiver. Et lui, parce qu'il avait confiance dans le gouvernement, répliquait avec autant de dureté. [Enfin] le catholicos, en accord avec l'émir Sutaï, envoya une seconde fois aux habitants de la citadelle un message les exhortant à descendre et à jurer sur l'Evangile qu'ils ne feraient aucun mal à Nasr ; ce dernier aussi jurerait et ils se réconcilieraient. [Les habitants] descendirent en nombre et jurèrent qu'ils ne lui causeraient aucun mal et se soumettraient à sa volonté. Toutefois, lorsqu'il fut avéré qu'il montait avec trois cents hommes, la porte fut refermée parce que les coeurs étaient pleins de duperie.

A cette vue, Sutaï s'empara de ceux qui étaient descendus et les tua. Le disciple de la résidence, compagnon de celui qui s'était enfui, fut violemment battu lorsqu'ils l'interrogèrent sur son compagnon et le catholicos lui-même ne réussit qu'à grand-peine à le sauver. Ils s'emparèrent des juments et des mulets, propriété de la résidence, ainsi que de tout ce qui appartenait aux disciples et aux évêques qui avaient accompagné le catholicos, jusqu'à leurs vêtements.

Pour ce qui est de Yahballaha, le chroniqueur le dépeint, une fois de plus, crédule et indécis, ballotté entre les musulmans, les Mongols, les qayadjiyé, dans une situation des plus confuses... Une chose est sûre, comme à chaque fois qu'ayant tenté de sortir, les chrétiens se sont fait massacrer pour une raison ou une autre, ils sont de moins en moins enclins à se rendre. Mais, du coup, ils se mettent dans une posture de plus en plus fâcheuse vis-à-vis du roi mongol, et le crédit du catholicos à Bagdad baisse inexorablement, comme en témoigne la tuerie ordonnée par l'émir Sutaï, excédé de ces chrétiens qui font toujours semblant de descendre. Décidément écoeuré et bien mal disposé envers son ancien ami, il laisse attirer le catholicos dans un piège qui va l'amener à être assiégé, avec les qayadjiyé, dans la citadelle, en le persuadant de monter lui-même dans le haut de la citadelle, avec les chefs chrétiens, afin de contenir ses habitants, en attendant que le roi rende son jugement. Or, rejoignant les qayadjiyé, le catholicos se coupait de tout contact avec le Camp du roi et laissait les musulmans faire les rapports qu'ils voulaient au Khan, par exemple qu'il avait bel et bien rejoint les ennemis du roi, et même les dirigeait.

La ruse vient-elle directement de l'émir Sutaï ? C'est difficile de trancher car l'historien nous informe aussi qu'il était gravement malade. Il est donc plus probable qu'il avait hâte d'en finir et la conciliation lui devait être plus aisée qu'un long siège. Si c'est donc aux musulmans qui ont toujours voulu sa perte que se fie le catholicos, sa naïveté est plus qu'impardonnable. Car depuis le début les chrétiens de la citadelle n'ont guère écouté ses avis, ce n'est donc pas maintenant qu'ils vont le faire, très échaudés qu'ils sont après la tuerie ordonnée par Sutaï, à l'idée de se fier encore aux promesses des troupes d'en bas.

C'est alors qu'un messager vient avertir Sutaï que le Diyar Bakr, qu'il avait en charge, était envahi par "les troupes de Palestine" (les Mamelouks) et que s'il tient à sauver son gouvernorat, sa demeure et sa famille, il vaut mieux qu'il retourne illico d'où il vient, ce qu'il se dépêche de faire, malgré son état de santé très mauvais. Vient ainsi le moment où plus aucune troupe du roi n'est là pour s'interposer entre les musulmans, les Kurdes, et les chrétiens, dans une ville ravagée parce qu'il faut bien appeler une guerre civile... Alors commence le siège proprement dit, qu'avaient tant voulu éviter les Mongols.

Seuls demeurèrent sous la citadelle les Kurdes et les habitants de la ville basse.

Le lendemain, la guerre recommença ainsi que le carnage entre les deux parties. Les communications furent interrompues ; la faim se faisait sentir dans la citadelle ; quiconque en sortait, pour fuir ou pour procurer des provisions aux siens, était tué sans pitié. Le catholicos, avec les trois évêques qui l'accompagnaient, ainsi que les disciples qui étaient restés auprès de lui, furent enfermés dans la citadelle sans vêtements, ni provisions ni vivres. Le châtiment se faisait plus sévère, les désordres faisaient rage, la terreur sévissait ; il ne restait plus âme qui vive pour les défendre, plus aucun lieu pour se réfugier, ni même personne pour les réconforter par des paroles.

Or, dans le même temps, les envoyés du Khan qui avaient été si mal reçus par les chrétiens de la citadelle, ont regagné Bagdad, en compagnie de Hadjidji Dilqandi, qui n'a pas dû digérer sa première déconvenue au Camp et le rapport qu'ils vont faire au roi ne va pas arranger les choses...

Entre-temps, les messagers, revenus au camp avec Hadjidji Dilqandi, avaient rapporté au roi que ces gens étaient yâgî et que le catholicos les avait poussé à se rebeller ; qu'il avait réussi à monter à la citadelle par la corruption et là, qu'il avait ouvert pour eux ses trésors et distribués de l'or ; qu'il avait mis à leur disposition les dépôts de grain, des armes de guerre, des cordes, des machines et qu'il les encourageait à poursuivre la guerre.

Dans le coeur du roi et de ses grands, l'irritation était à son comble. De nouveau des décrets furent promulgués, treize, directement et nominalement adressés à chacun des émirs des Kurdes et aux quatre émirs du roi des mongols, et un autre à tout le territoire d'Arbil, stipulant [que] quiconque ferait entrer des vivres dans la citadelle, ou la ravitaillerait verrait son village dévasté et massacré ; [que] s'il possédait des propriétés terriennes dans la zone, elles seraient confisquées et deviendraient propriété du roi ; [qu'] avec un armement adéquat, les émirs devraient mener la guerre jusqu'au triomphe pour la cause de la religion ismaélienne (musulmane). Au catholicos, en particulier, un décret fut adressé, qui lui intimait : "Nous et nos pères t'avons honoré afin que tu pries pour nous et pour que tu nous bénisses ; mais maintenant que tu te comportes autrement, c'est toi qui es responsable des conséquences et nonpas nous,s ache-le !" On remit les décrets à l'un de ceux qui se tenaient à la porte du royaume, du nom de Togan, et à Hadjidji Dilaqandi - tous deux ennemis déclarés de la chrétienté - afin qu'ils se rendissent à Arbil et fissent exécuter les instructions données sur les décrets.

On voit, dans le terme des décrets, que le catholicos faisant figure de chef des rebelles, ce qui était au départ une querelle locale entre les troupes chrétiennes de la citadelle et l'émir Nasr tourne au Djihad, à l'appel de tous les musulmans contre des ennemis intérieurs chrétiens, rebelles déclarés à présent. Cela commence donc à être très très mauvais pour tous les chrétiens de la région.

C'est alors que le métropolite, qui était resté au Camp après son ambassade auprès du roi, et est donc toujours libre, lui, essaie de sauver les chrétiens d'Arbil et d'infléchir le cours des événements...

(à suivre)


jeudi, juin 25, 2009

"Quand vous ne communiquez plus avec 70% d'une nation, cela pose un énorme problème"


Après ses quelques petits ennuis (arrestation puis libération de sa fiancée, Roxana Saberi, retour en Iran après la présentation à Cannes de son film (censuré) "On ne sait rien des chats persans", emprisonnement puis libération au bout d'une semaine, le tout dans une atmosphère d'insurrection, Bahman Ghobadi, le plus connu des cinéastes kurdes, qui vit en ce moment à Berlin, s'exprime sur Village Voice's Blog :


Q. Avez-vous pu joindre votre famille et vos amis et sont-ils OK ?

R. J'ai pu parler avec des collègues et des amis. Tous sont plongés dans un tumulte d'insécurité et de peur. J'ai appelé l'un de mes meilleurs amis--un des mieux informés, les plus au courant de tout ce qui se passe à Téhéran-- il y a trois jours. Il n'arrêtait pas de rappeler et de pleurer au téléphone, cela a été une énorme surprise.

Cet homme est considéré comme l'un des plus forts moralement de mon entourage. Cela m'a plongé dans le désespoir, d'entendre un ami, à l'esprit si solide, s'effondrer au téléphone. Des pleurs d'impuissance, de peur, de déception. Il pleurait comme un bébé.

Q. Est-ce difficile de ne pas être en Iran, en ce moment ?

R. C'est un cauchemar. C'est un cauchemar de ne pas être avec eux. Le plus triste dans cette situation est que je ne vois pas ce que je peux faire. Avec Shokof [ami proche et metteur en scène iranien, qui l'accompagne dans son exil allemand et a servi de traducteur] nous marchons 10 miles par jour ensemble, nous ne savons tout simplement pas quoi faire. Nous allons dans les Internet Cafés pour écrire des mails, nous essayons d'appeler les gens, de leur écrire, c'est très difficile.

Q. Et cependant vous êtes venu ici.

R. J'ai été capturé en passant d'Irak en Iran le 2 juin et j'ai été emprisonné 7 jours. J'avais quité Berlin pour voir ma mère -- J'avais le sentiment que quelque chose de terrible allait arriver et j'ai voulu voir ma mère, pensant que je ne la reverrai jamais plus. J'ai été capturé dans ma petite ville natale, sur la frontière Iran-Irak. J'y suis resté trois jours en prison et puis dans une prison à Téhéran pour 4 jours. Je viens tout juste de rentrer à Berlin.

Q. Comment avez-vous été traité en détention ?

R. Ce n'est pas très important ce qui m'est arrivé, comparé à ce qu'endure une foule d'Iraniens au même moment, c'est si peu de choses, que je ne veux même pas en parler en un tel moment. Un jour, j'expliquerai, mais je suis OK. Psychologiquement, je suis extrêmement frustré et perturbé, mais je suis OK.

Q. Votre dernier film, que vous avez tourné clandestinement, est sur la scène du rock à Téhéran et la répression culturelle. Avez-vous eu des nouvelles de certains de ces jeunes chanteurs (qui ont joué dans son film) ?

R. L'un des rappeurs vient juste d'arriver de Dubai à Téhéran, il y a quelques jours et là on lui a confisqué son passeport. Les deux premiers rôles sont à Londres en ce moment, et leurs visas de séjour en Angleterre vient tout juste d'expirer. On veut les renvoyer en Iran et ce qui peut leur arriver s'ils retournent est très inquiétant.

Q. Quand vous tourniez le film, avez-vous eu le sentiment que la jeunesse de Téhéran était prête à exploser ?

R. J'ai eu l'impression que quelque chose était sur le point d'arriver. Ils étaient si tendus, si agités, dans un état d'esprit révolté. Je voulais me servir de ce film pour hurler contre cette situation, hurler comme tous les membres de ces groupes avec qui j'ai travaillé. Je voulais hurler avec eux, faire de ce film un manifeste contre la situation brutale qui nous écrasait tous.

Q. Et maintenant ?

R. En 30 ans, je 'nai ajamis vu quelque chose de semblable. Je crois qu'il y a eu tricherie sur les votes, sans aucun doute. Ce qui me trouble, c'est qu'aucun pays n'a eu de déclaration ferme, n'a publiquement dénoncé les irrégualrités dans le vote. Selon la loi et les principes des nations du monde, il est du devoir des gouvernements de servir le peuple et à présent c'est exactment l'inverse qui se produit.

Je n'ai jamais rien vu d'égal à ce que nous voyions sur les écrans de télévision, ces deux ou trois derniers jours. Cela montre la faiblesse du gouvernement. Cela montre à quel point le gouvernement a peur en réalité. A quel point ils ont menti, de façon terrible, au peuple. Si le gouvernement n'avait pas eu peur, ils se seraient plié devant la volonté du peuple et aurait au moins pris en compte les votes des gens. Il est clair, à présent, pour le peuple d'Iran, que ce gouvernement n'est pas si solide qu'il en a l'air. Il ne l'est pas. A présent, les gens sont convaincus de cela, et ils veulent lui reprendre le pouvoir, prendre le pouvoir en main.

Q. Vos premiers films ont été tournés à l'intérieur du pays. Y a -t-il un fossé entre l'opinion des gens dans les villes et dans l'intérieur du pays ?

Le sentiment est le même. La différence est que le gouvernement peut toujours contrôler plus facilement les petites villes que les grandes.

Vous savez, l'unique raison pour laquelle nous ne voyons pas plus de monde dans les rues, est que nos parents, nos aînés ont connu tant de jours difficiles ces 30 ou 40 dernières années, qu'ils essaient d'empêcher leurs enfants de sortir. Mais cela montre à quel point la situation est terrible : Personne ne peut plus arrêter ces jeunes gens. Cela ne dépend plus du gouvernement, ni de Mousavi ni de Khatami ou d'Ahmadinejad. Les gens se prennent en mains.

Mon cousin me disait que les gens avaient déjà commencé à rassembler de la nourriture, du riz, et à les stocker. Ils se préparent à une guerre. 70% de la population a moins de 30 ans. Et au lieu d'utiliser cette formidable jeunesse et cette énergie dans le gouvernement et les infrastructures, le pouvoir est détenu par des fanatiques religieux, vieux, extrêmement conservateurs, arriérés, qui ont vraiment des idées tellement aberrantes sur la vie dans des sociétés libres qu'ils ne peuvent plus communiquer du tout avec la jeunesse. Et quand vous ne communiquez plus avec 70% d'une nation, cela pose un énorme problème.

Q. Donc, aucune reprise en main n'est désormais possible ?

R. Les gens n'ont plus peur. La jeunesse a vu à quel point elle pouvait nuire au gouvernement. Ces trois ou quatre derniers jours leur ont montré qu'ils pouvaient se ruer dans la rue et dire ce qu'ils voulaient, et prendre tout en mains. Et si le gouvernement ne les écoute pas, cela va tourner en un avenir sanglant. Le gouvernement ne peut plus contrôler les gens. Ils mentent depuis si longtemps qu'ils en sont venus à se mentir à eux-mêmes. Et à se haïr eux-mêmes pour ces mensonges. Et cela a été le dernier gros mensonge. Les gens étaient prêts à se soulever.

Q. Avez-vous été surpris par la façon dont les jeunes femmes ont fait entendre leur voix ?

R. Vous voulez connaître un pays, vous voulez passer la porte d'un pays, vous voulez connaître la culture d'un pays ? La clé essentielle pour tout cela est de connaître les femmes de ce pays. Les femmes sont la seule force capable de libérer l'Iran.

Q. Espérez-vous y retourner un jour ?

Shokof interrompt: Si je n'avais pas cet espoir--Je ne suis pas rentré chez moi depuis 39 ans--If si je n'avais pas l'espoir de retourner dans mon pays, de retourner là d'où nous sommes, librement, je préférerais mourir. Nous ne perdrons jamais cet espoir.

Ghobadi: Ces 30 dernières années, j'ai vraiment dû travailler dans des conditions misérables, sous la peur, pour tourner des films sous le contrôle entier du gouvernement. Je mentais constamment. Le ministère de la Culture, qui devrait nous enseigner la culture et l'éducation, nous a seulement appris à mentir. Depuis 30 ans. Dans un pays si civilisé - qui avait été civilisé--comme l'Iran, le ministre de la culture en Iran est vraiment devenu comme une armée. Et le plus grand ennemi des créateurs en Iran est le ministre de la Culture.

Mais nous deux, sommes d'une génération qui a plus de 30 ans. Le plus important est ce qui va arriver à la génération de moins de 30 ans. C'est l'avenir. Ils sont la ressource la plus précieuse, celle qui a la plus grande valeur que nous ayons en Iran, et ils doivent avoir assez de liberté pour accomplir leur devoir d'individus civilisés dans le monde, d'être de bons Iraniens, de bonnes personnes. Nous pensons qu'une fois que les jeunes auront le contrôle du pays, finalement, ils montreront le véritable visage de ce pays honnête, civilisé, cultivé, moderne qu'est l'Iran. Ils feront ce qu'ils devront faire pour un monde meilleur. Ils seront responsables d'un monde meilleur. De bons citoyens de cette planète. J'en suis convaincu.

16 juin 2009, blogs.villagevoice com

mercredi, juin 24, 2009

Update : la route de l'UE ne passe toujours pas par Mardin



En novembre 2004, l'assassinat par des policiers turcs d'Ahmet Kaymaz, âgé de 31 ans, et de son fils Ugur, âgé de 12 ans avait fait un certain bruit. Pour ceux à qui ça ne dit plus rien, un rappel des faits que je copie-colle ici (ou bien se reporter à ce post et à celui-ci).


En novembre 2004, dans le village de Qoser, (région de Mardin), Ahmet Kaymaz (31 ans et son fils Ugur Kaymaz (12 ans) ont été tués par les forces de sécurité turques, sur le pas de leur maison.

L'armée invoqua alors une opération anti-terroriste, et se borna à déclarer que des terroristes étaient morts lors de cette action militaire. Très vite cependant, l'âge du gamin et les témoignages de la famille et des villageois infirmèrent ces allégations.
Ainsi le frère d'Ahmet Kaymaz, Reshat Kaymaz avait déclaré à la presse :

“Mon frère était chauffeur, c'était ainsi qu'il faisait vivre ses enfants. Voici ce qui s'est passé : Un soir, mon frère et son fils Ughur sont sortis, ils voulaient conduire le camion. Quand soudain ils ont été la cible d'un tir nourri de la part de la police et de l'armée. Mon neveu a reçu 13 balles et mon frère sept. Ce sont des martyrs, tout le monde a pu voir comment un père et son enfant ont été criblés de balles… c'est un crime et j'appelle le monde entier à ne pas rester siliencieux et à mettre fin à la sauvagerie de l'armée et de la police turques...”
Ahmet Kaymaz était connu comme un membre du Parti de la démocratie du peuple (DEHAP) et des membres de sa famille avaient été incités à devenir gardiens de village, ce qu'ils avaient refusé. Les Gardiens de village sont ces milices de paysans kurdes, enrôlés plus ou moins de leur plein gré, pour combattre les membres de la guerilla, mais aussi les villages suspectés de sympathiser avec le PKK, et finalement les membres des partis successifs kurdes, HEP, DEP, HADEP, DEHAP, etc. Beaucoup d'exactions et de vengeances privées ont aussi eu leur part dans ces combats inter-villageois, et il est vrai que la "pression" exercée sur beaucoup de Kurdes, pour qu'ils s'enrôlent dans ces milices en ont amené un certain nombre à fuir à l'ouest du pays, ou en Europe, ou bien carrément dans la guerilla, l'Etat d'urgence qui régissait les régions kurdes en Turquie ayant toujours fait beaucoup pour le recrutement du PKK...
Bref, selon les rapports qui furent à cette époque publiés, c'est bien 13 balles que l'on dût extraire du corps d'Ughur, dont neuf d'entre elles avaient été tirées dans le dos, et à 0 cm du corps de l'enfant. La mère du gamin, qui avait assisté à la fusillade de sa maison, a affirmé avoir vu un officier de la Sécurité, le pied posé sur la nuque de son fils.

Quant à l'instituteur du village, accouru très vite sur les lieux au bruit des coups de feu, il corrobora les dires de la famille, réfutant également la possibilité qu'une arme retrouvée près du cadavre ait pu être utilisée par l'enfant. Selon lui, cette arme pesant près de 3 kilos était bien trop lourde pour la stature du jeune garçon. Autre fait troublant, et qui convient mal à l'équipement guerrier d'un terroriste, fût-il en classe junior, c'est que le gamin n'avait que des mules aux pieds (de ces mules qu'on laisse à l'entrée ou dans les cours et qu'on enfile ou retire dans les allées et venues autour et dans sa maison).
La présentation douteuse des excuses policières avait troublé les esprits pas trop sous-équipés en neurones et l'éditorialiste Mehmet Ali Birand avait écrit alors un papier vibrant d'indignation, et concluait que la route vers l'UE passait par Mardin...

Maintenant il est temps d'écouter votre conscience. Il est temps de passer au crible les rapports, de découvrir la vérité et de prouver que cela n'a pas été un assassinat. Nous sommes en train de parler d'un garçon de 12 ans, tué devant sa maison, alors qu'il disait au revoir à son père qui partait pour un autre trajet en camion. Nous parlons d'un père qui devait rester hors de chez lui pendant des mois pour joindre les deux bouts.

La vérité doit être faite. Personne ne doit être soustrait ou protégé de la justice. L'ensemble des lois que nous appelons les critères de Copenhague sont un choix de vie. En bref, ça s'appelle la démocratie. La démocratie est un régime qui doit s'appliquer à tous dans ce pays. Le gouvernement est confronté à un test de sincerité. Le moyen de prouver que la démocratie a réellement été instaurée en Turquie réside dans les efforts nécessaires pour enquêter sur le meurtre des Kaymaz. La route vers l'UE ne passe pas par Bruxelles mais par Kiziltepe, à Mardin.

Mais finalement, en avril 2007, les quatre policiers responsables de la tuerie avaient été acquittés à Eskishehir, même si une enquête parlementaire avait conclu à de "lourdes négligences" de la part des forces de l'ordre, lors de l'opération.

Et peut-être quelques affabulations en plus des "lourdes négligences"... Ainsi l'institut médico-légal d'Istanbul avait, dans son premier constat, établi que les balles retrouvées dans le dos d'Ughur Kaymaz avaient été tirées de si près qu'il était impossible qu'elles aient été reçues dans un combat de rue (par exemple en menaçant des policiers turcs armés d'un lancer de savates).

Les braves héros de la République ont tout de même allégué que le gamin était "grand pour son âge" : ça pouvait donc justifier un effroi tel qu'il faille plaquer le gosse sur le ventre, lui maintenir la tête du pied, et lui tirer 13 balles à bout portant dans le dos. Pas de leur faute si c'est si mal éclairé, ces villages kurdes... Manque de bol, le rapport indiquait que l'enfant était de taille "moyenne", dans les 1m60, ce qui n'est pas tout à fait une taille de basketteur...

Quant aux traces de poudre "retrouvées" sur les mains d'Ahmet Kaymaz et d'Ughur : décidément contrariant, l'institut avait refusé de les considérer comme des preuves formelles que les deux Kurdes avaient usé d'armes (non retrouvées) contre les policiers. Par contre, les médecins légistes n'avaient eu aucune difficulté à retrouver les armes qui avaient tiré les balles retrouvées dans les corps et même pu identifier à qui étaient ces armes...

Mais la Cour suprême a tranché : Mehmet Karaca, Yasafettin Açıkgöz, Seydi Ahmet Döngel et Salih Ayaz ont été une fois de plus acquittés, le tribunal jugeant que les quatre policiers avaient agi ou s'étaient senti "en état de légitime défense". Si les forces de l'ordre turques se sentent à ce point menacées par un chauffeur routier et un gamin de 12 ans, on imagine l'effet que doivent faire sur eux les forces du PKK. L'heureuse nation turque n'est pas près de gagner sa guerre sur les séparatistes kurdes avec des gars aussi émotifs...


'Stupidity, however, is not necessarily a inherent trait.'
Albert Rosenfield.

mardi, juin 23, 2009

Le massacre des chrétiens de la citadelle d'Arbil (3) : l'émir Sutaï est berné

Bon, que fomenta l'infâme émir Nasr (avec la complicité des autres musulmans) pour mettre le catholicos en porte-à-faux avec l'émir Sutaï et se débarrasser enfin de tous les chrétiens d'Erbil, qu'ils fussent qayadjiyé ou non ? On se croirait, à ce moment du récit, dans un épisode des aventures de Baïbars...

Les chrétiens, donc, à l'instigation du catholicos et se fiant aux promesses de Sutaï, commencent à descendre...

Dès que Nasr le sut, il donna immédiatement le signal convenu entre lui et les habitants de la ville : quand il l'aurait hissé sur le toit de la tour où il s'était installé, ils monteraient chez lui et se rangeraient en ordre de bataille.

Lorsque les malheureux qui, dans l'église, avaient été incités à descendre, virent scintiller les épées et pleuvoir les flèches pointues, ils se précipitèrent à grand-peine vers la porte de la citadelle. [Alors] ils se mirent, eux aussi, à se battre, de quatre heures de l'après-midi jusqu'au soir et encore toute la nuit. Trois musulmans furent tués ainsi que douze chrétiens, et si ce n'est qu'ils firent feu toute la nuit sous cette tour, ils auraient tous été tués sans obstacle.

La ruse était simple, mais des plus efficaces. De son camp, l'émir Sutaï n'a pu voir ce qui se passait et, ignorant tout de l'embuscade tendue aux chrétiens par Nasr, en a conclu que les qayadjiyé, au lieu de descendre en rendant les armes, en ont profité pour attaquer les musulmans. Du coup, il voit rouge et ça va chauffer sérieusement pour le pauvre Yahballaha :

A l'annonce de cette nouvelle, l'émir Sutaï, à la tête de ses troupes, partit en toute hâte pour encercler la citadelle, emmenant de force avec eux le catholicos qui pleurait. Le jour même, ils parvinrent sous la citadelle ; ils disaient au catholicos : "Ne permets pas qu'ils s'organisent pour entrer en guerre."

Durant la nuit du dimanche au lundi, certains descendirent de la citadelle et Dieu les sauva. Le catholicos demeura prisonnier [des troupes] avec ceux-ci et avec les évêques de sa suite. Le lundi à l'aube, l'émir Sutaï et les siens obligèrent de nouveau le catholicos à envoyer un message [aux occupants de la citadelle] afin qu'ils permissent à Nasr de descendre avec tous ses biens. Il envoya [donc] l'évêque Isho'-sabran et Rabban David, le reclus. A peine les musulmans les virent-ils qu'ils tuèrent sans pitié ce dernier ; quant à Isho'-sabran, ils le frappèrent avec des épées et des bâtons, mais Dieu le sauva de leurs mains et il put s'enfuir et revenir auprès du catholicos.

La situation s'aggrava puisque désormais le châtiment [divin] était advenu? Les musulmans et les troupes mongoles avaient déjà commencé à construire des terres-pleins et des machines de toutes sortes pour mettre le siège.


Le tour en est presque comique (bon, évidemment, les chrétiens rient beaucoup moins). Plus les chrétiens se font taper dessus, plus les hommes de Nasr viennent se plaindre auprès de l'émir Sutaï (pas très malin sur ce coup-là) que les méchants qayadjiyé les tuent et font passer les cadavres de chrétiens pour ceux d'innocents musulmans...

Il faut noter cependant que les chrétiens du bas ont tenté cependant de se réfugier chez des voisins musulmans qui ont dû tenter de les cacher. Mais soit ils furent menacés s'ils continuaient d'abriter des chrétiens, soit les chrétiens se fièrent aux promesses des "hérauts" qu'ils seraient sains et sauf s'ils se rendaient, ce qui t un peu douteux, car vu la tournure des événements, ils devaient quand même commencer un peu à se méfier.

Quant aux chrétiens qui se trouvaient dans la ville basse, depuis que Nasr avait hissé le perfide signal, ils avaient été massacrés dans les rues et sur les places de la ville. De nombreux fuyards entrèrent dans les maisons des musulmans, mais ils durent en sortir sur l'intervention des hérauts et ce lundi-là ils périrent dans un terrible massacre. Certains parmi ceux qui se trouvaient dans la prison de leur qâdî en furent extraits et impitoyablement fouettés à mort. Les jeunes filles furent dévêtues et ainsi promenées dans les rues de la ville, les femmes enceintes éventrées et les enfants tués ; leurs cadavres furent jetés devant la porte de la citadelle. [Alors] les musulmans allèrent dire à l'émir Sutaï : "Emir, envoie quelqu'un voir comment ils massacrent les musulmans et les jettent à la porte de la citadelle !" Celui-ci, dans sa naïveté, les crut et ordonna le saccage des quatre églises de la ville basse : les deux nôtres, celle dédiée au célèbre martyr Isho'-sabran et celle consacrée à Man'yo ; l'église des jacobites, dédiée à la Vierge, et l'église des Arméniens furent rasées de même que les maisons et les habitations des chrétiens et la résidence, siège du trône du métropolite.
Et le catholicos doit beau protester, personne ne l'écoute plus trop. Donc, Sutaï se fâche davantage et désireux d'en finir une bonne fois pour toutes avec les chrétiens, appelle en renfort les Kurdes qui, nous l'avons vu dans la chronique de Barhébraeus, avaient quelques raisons d'en vouloir aux qayadjiyé. Certes, c'était une génération avant. Mais les dettes de sang se gardent longtemps, dans la mémoire des tribus...

L'émir dépêcha des messagers dans toute la contrée et rassembla des hommes pour partir en guerre. Il fit descendre les Kurdes de leurs montagnes. Les chrétiens de la campagne, qui ne pouvaient plus se rendre à la ville, durent verser beaucoup d'argent dans tous les villages pour l'armement et le ravitaillement des troupes. La guerre contre la citadelle faisait rage tant au Nord qu'au Sud, à l'Est et à l'Ouest, la nuit et le jour. Il y eut de nombreux morts du côté des défenseurs et des attaquants : Kurdes et habitants musulmans, mais pas de Mongols ; en fait ces derniers ne s'étaient pas approchés, mais ils se contentaient de lancer des flèches, de loin.


On voit que la citadelle n'est pas aisée à prendre, et la mention des "nombreux morts" peut expliquer la lenteur de l'émir Sutaï à se décider à sévir. D'ailleurs, il utilise habilement les Kurdes et les musulmans contre les chrétiens, avec sans doute promesses de pillages et de butin, épargnant ainsi ses propres troupes. Quant à la distinction entre "Kurdes" et "musulmans", elle peut soit signifier que des musulmans d'Erbil ne sont pas kurdes, par exemple turcs ou arabes, mais aussi que, sous la plume du chroniqueur, le terme "kurde" désigne, comme c'était l'usage, courant, les tribus montagnardes, les semi-nomades, par rapport aux citadins.

Toujours en mauvaise posture, prisonnier des Mongols, le catholicos essaie de s'en tirer en écrivant secrètement au métropolite d'Erbil qui, lui, avait réussi à s'enfuir, en l'incitant à se rendre au Camp (c'est-à-dire auprès du souverain Öldjaïtu) pour qu'il rapporte tout ce qui s'était passé. Il envoie également, nous dit le chroniqueur, un message à la cour du Khan, également pour donner sa version du massacre. A ce moment-là, le khan ayant déjà eu un rapport de l'émir Sutaï, c'est parole contre parole. Le pire, est que les deux plaideurs sont de bonne foi !

Le métropolite, la nuit même de la réception de cette lettre, était parti et était parvenu en quatre jours à Bagdad, accompagné d'un jeune homme de sa suite. Arrivé au Camp, il rendit compte de ce qui était advenu au catholicos et aux chrétiens. Mais les émirs du Camp étaient [déjà] informés avec précision de tout ce qui s'était passé, car l'émir Sutaï avait envoyé des messages pour informer la Cour des initiatives qu'il avait prises. De plus, le catholicos avait envoyé une lettre à un des serviteurs de la résidence pour lui raconter ce qui était arrivé ; et celui-ci était allé rapporter ces événements aux émirs et aux secrétaires pour les informer du massacre. Ceux, parmi les émirs, qui n'étaient pas au courant de ces faits, furent très affligés ; à l'inverse, ceux qui s'étaient occupés de cette affaire se turent. Immédiatement après, le métropolite arriva en toute hâte et raconta ces faits devant tous les émirs. Un décret royal fut envoyé à l'émir Sutaï par un messager : "Toi, tu nous informes ainsi de ces événements, mais le catholicos, lui, les rapporte différemment. Auquel de vous deux devons-nous prêter foi, et lequel croire ?" Ainsi, le malheur fut écarté pour un moment.

L'émir Sutaï, apprenant ainsi que, dans son dos, le catholicos s'est plaint au roi en lui faisant, ce qui est, de son point de vue, un rapport calomnieux, entre dans une grosse colère. Yahballaha se dérobe et nie toute implication dans ces messages, ce qui est évidemment faux. en s'en sortant par une piètre excuse du style : "C'est pas moi, c'est le métropolite." Remarquons, à ce stade du récit, que le catholicos, s'il est habile courtisan, manque parfois de courage et de perspicacité, a le pleurs facile mais l'action plus hésitante et tremble un peu trop souvent quand il faudrait montrer de l'aplomb (bon d'accord, les Mongols lui en ont fait voir de toutes les couleurs et tout le monde n'a pas de prédisposition au martyre). La personnalité de Rabban Sauma, par exemple, était plus attachante et son attitude à la fois prudente et sincère quand les cardinaux romains cherchent à déceler dans son église des propositions hérétiques, a plus de panache. Quoi qu'il en soit, le catholicos ment maladroitement, se défend mal et, pour finir, plie devant Sutaï, en signant tout ce qu'il veut.

Lorsqu'il reçut ce message, Sutaï fut très irrité et se mit en colère. Il convoqua le catholicos : "C'est toi qui a écrit cela ?" lui demanda-t-il. Toute la population musulmane vociférait contre le catholicos et chacun d'eux hurlait ce que bon lui semblait. "Moi je n'ai rien écrit - dit alors le catholicos - mais c'est plutôt le métropolite du lieu qui est allé plaider sa cause et celle de sa ville."

[ls émirs] dirent : "Maintenant, fais descendre ces rebelles, conformément au décret royal ; sinon, atteste par écrit qu'ils sont yâgî". Le catholicos leur envoya le métropolite de Mossoul et quelques jeunes gens de la résidence qui les exhortèrent [à obéir] ; mais ceux-ci eurent peur de descendre. En effet, il y avait parmi eux des rebelles qui, par crainte d'être tués, avaient impliqué les autres dans la révolte, obtenant ainsi qu'ils ne descendissent pas. Ceci donna un avantage à Sutaï et aux siens sur le catholicos ; et ils insistaient : "Donne-nous un écrit de toi, attestant qu'ils sont yâgî, afin que nous mandions un messager pour en informer le roi." Ils dévalisèrent le catholicos et tout ce qu'il possédait sur les lieux ; ils tuèrent certains qui étaient descendus auprès de lui, ils en vendirent d'autres. Ils obtinrent par la force un document signé par lui et les évêques de sa suite, dans lequel il affirmait tout ce qu'ils voulaient.
L'affaire aurait donc pu, une fois de plus, très mal tourner pour le catholicos qui va devoir se désavouer devant le roi. Heureusement, Hadjdji Dilqandi, envoyé par Sutaï auprès du khan, est désavoué par un autre émir, qui sait que les aveux du catholicos lui ont été extorqués. Le khan, qui, peut-être, ne sait plus trop qui et que croire, ordonne une réconciliation générale entre les chrétiens et les musulmans, et que tous arrêtent de se battre une bonne fois pour toutes. A ce moment-là, on peut se dire que les qayadjiyé s'en tirent à bon compte et que l'émir Nasr ne va pas pouvoir refaire son mauvais coup.

Ce décret ne fut promulgué qu'après d'intenses fatigues, les tourments et les peines du métropolite et de ses compagnons. Il fut remis à certains nobles pour qu'ils le portassent à Arbil. Hadjdji Dilqandi s'en retourna honteux, parce qu'il avait perdu la face. Deux disciples de la résidence accompagnèrent ceux qui portaient le décret ; ils parvinrent à Arbil le vendredi des Confesseurs (premier vendredi après Pâques). Ils rétablirent immédiatement le pont de la citadelle qui avait été brûlé et réconcilièrent les deux parties. Nombreux furent ceux qui descendirent de la citadelle [pour se rendre] à la campagne.

A ce moment on peut penser que tout est fini. Mais décidément, les qayadjiyé, s'ils sont bons combattants, ne brillent pas par l'intelligence de la situation et c'est leur sotte et arrogante attitude , surtout face à l'habile Nasr, qui va, une fois encore, perdre les chrétiens...

(à suivre...)

Concert de soutien à l'Institut kurde