samedi, février 28, 2009

TURQUIE : LA LANGUE KURDE ENJEU DES MUNICIPALES


A l'approche des élections municipales, il semble que le seul véritable suspens se joue entre l'AKP et le DTP, tant les autres partis turcs comme le CHP semblent hors course par rapport à l'écrasante suprématie de l'AKP, consacrée par les dernières législatives de 2007. Si, aux municipales, l'AKP obtient là encore plus de voix kurdes que le DTP, sa position s'en trouvera renforcée par rapport aux partis nationalistes. Alors qu'Ankara entame des négociations avec le Gouvernement régional du Kurdistan d'Irak, il ne serait pas mauvais pour lui d'apparaître en plus comme la force politique qui a, bon gré mal gré, la confiance de la majorité des Kurdes de Turquie. Ce ne serait pas non plus pour lui une mauvaise chose devant l'Union européenne, l'AKP se présentant ainsi, malgré les remontrances de l'UE, sur son immobilisme, comme le parti en Turquie qui pourrait être à même de régler la question kurde sans violence.

Sa stratégie politique est donc double : D'un côté, aide économique et distribution de denrées et produits de première nécessité divers, comme le charbon. En soi cette tactique n'a rien d'originale par rapport aux campagnes électorales de l'AKP dans l'ensemble du pays, qui appuie, comme beaucoup de partis religieux musulmans, modérés ou non, son assise populaire sur des actions sociales et concrètes. Mais l’autre aspect de sa politique concerne évidemment les revendications des Kurdes sur le droit d'usage (privé et publique, médiatique et administratif) de leur langue ainsi que son enseignement. Le lancement de la chaîne publique TRT6, diffusant 24h/24 des programmes en langue kurde, sans sous-titre turcs a été, de ce point de vue, un pas en avant pour certains, une manœuvre électorale pour le DTP qui, au lieu de reprendre cette victoire à son compte, alors que c’est une de ses plus anciennes revendications, en a tout dénoncé l'ouverture, comme un geste superficiel et purement opportuniste.

Aussi le DTP a-t-il très vite contre-attaqué, dans l’idée de mettre le gouvernement turc devant ses propres contradictions. Il a ainsi souligné que des affiches en kurde étaient régulièrement interdites, que des maires DTP avaient été démis de leurs fonctions pour avoir fait imprimer des phrases kurdes avec certaines des lettres de l’alphabet kurde interdites par la loi (q, w et x) et que des prénoms kurdes sont encore refusés pour les mêmes raisons. Le 24 février, le chef de file des députés DTP au Parlement, Ahmet Türk, a, pour la première fois depuis le serment prononcé en kurde par Leyla Zana en 1991, parlé dans sa langue maternelle dans une réunion de son groupe à l’assemblée nationale turque. La chaîne publique qui retransmettait les débats a alors interrompu ses programmes. Même si, évolution politique oblige, cela n'aura pas les mêmes conséquences judiciaires que pour Leyla Zana en 1991, Ahmet Türk a tout de même réussi à relancer le débat sur le statut de la langue kurde en Turquie : pourquoi un député kurde n'aurait-il pas le droit de s'exprimer dans sa langue maternelle, par exemple pour rappeler que le 21 février était proclamé jour des langues maternelles par l'UNESCO ? Le journaliste Ahmet Altan, ironise ainsi dans le quotidien turc Taraf : « Hier en parcourant les sites Internet des journaux et en regardant les journaux télévisés, j’ai cru qu’il venait de se passer quelque chose de terrible. Discours, déclarations, censure. Que s’était-il passé ? Ahmet Türk avait parlé en kurde devant son groupe à l’Assemblée. Dans notre pays une réalité aussi évidente qu’un Kurde parle kurde étonne. Je suis d’un pays dans lequel un Kurde s’exprimant en kurde est considéré comme un événement exceptionnel. Alors voyez, je vais lever un lourd secret. Les Kurdes parlent kurde. Les Turcs parlent turc. Les Anglais parlent anglais. Les Français parlent français. Et si on m’énerve encore, je pourrais continuer longtemps l’énumération. Pourquoi nous paraît-il aussi étrange qu’un Kurde parle kurde ? » Enfin, d’autres voix ont rappelé le récent meeting à Diyarbakir où le Premier minsitre turc avait adressé quelques mots de kurde à la foule.

Ahmet Türk, lui, a expliqué son geste comme « un vieux rêve », celui de pouvoir parler kurde au Parlement, en souvenir du temps où emprisonné à Diyarbakir, sa mère et lui ne pouvaient échanger un seul mot en kurde, seule langue qu'ils avaient en commun, mais interdite au parloir. Cela dit, Ahmet Türk ayant été élu député en 2007 il aurait donc attendu 2 ans pour « réaliser son rêve », qui apparaît surtout comme une réplique habile dans la campagne électorale autour des revendications kurdes, en obligeant l'AKP à surenchérir ou à sévir, ce qui aurait dans les deux cas des inconvénients : soit l'AKP froisse son électorat turc, soit il accentue la défiance kurde envers lui.

Mais cette manœuvre va-t-elle suffire à rattraper aux municipales le relatif échec de son parti aux législatives, où les Kurdes avaient tout de même voté en majorité AKP ? Le DTP peut-il retrouver le succès du HADEP en 1999, quand ce parti avait raflé les grandes villes kurdes de Diyarbakir, Van, Batman, Hakkari, Siirt, Bingol, et Agri ou bien réitérer le mauvais score du DEHAP quand, en 2004, son alliance contre nature avec le SHP turc lui avait fait perdre Van, Bingol, Agri, et Siirt? Un sondage paru dans Haber montre que Diyarbakir semble tout de même en voie de réélire son maire, Osman Baydemir. Le scrutin des autres villes kurdes est plus incertain. Jusqu'ici, le Kurdistan a voté assez largement pour des partis religieux musulmans (sauf le Dersim, région alévie), souvent à titre de protestation contre les autres partis turcs proches de l’armée et niant farouchement les droits des Kurdes.

L'AKP et sa politique de détente avaient insufflé en 2002 un certain espoir aux Kurdes, très las de la guerre et désireux d'améliorer leurs conditions de vie. Mais le net recul de toute initiative concrète depuis 2004, (hormis la création de TRT6) a évidemment déçu son électorat kurde qui n'a pas vu son niveau de vie s'améliorer beaucoup, le seul espoir de remède au chômage consistant pour le moment dans le développement économique de la Région du Kurdistan d'Irak. La question se pose donc des attentes des électeurs. Jusqu'ici, dans cette campagne, le DTP a plutôt eu une position sur la défensive (critiquer les gestes du gouvernement visant à accéder à ses propres revendications pour lui piquer son électorat) mais ses prises de position habituelles, à caractère très politique peuvent paraître assez loin du quotidien de ses électeurs potentiels, de leurs problèmes sociaux et économiques, alors que l’AKP s’est toujours présenté comme un parti économiquement et socialement pragmatique, même face aux autres partis turcs.

Quant aux retombées de la TRT6, ils sont présentés de façon contradictoire selon les média et leur sensibilité politique : Espoir de faire taire les armes si l'on en croit le journal Sabah, ou bien indifférence ou désintérêt sceptique parmi les Kurdes, selon Bianet. Cela n'empêche pas l'AKP de continuer à courtiser les provinces kurdes notamment en jouant la carte de l’islam. Ainsi à l'occasion de la fête anniversaire de Mohammad (Mawlid) a été diffusé un programme spécial sur TRT6, tourné dans la Grande Mosquée de Diyarbakir, avec prières, lectures du Coran et prêches d'imam en kurde, par un imam kurde, qui a insisté sur « l’unité et la fraternité dans l'islam. » Alors que le DTP a plutôt une image de parti de gauche (et donc laïque, voire athée) il a de même organisé une célébration de Mawild à Silvan, une ville voisine de Diyarbakir.

vendredi, février 27, 2009

SULEÏMANIEH : A TROIS MOIS DES ELECTIONS, GRAVE CRISE INTERNE A L’UPK


Alors que les élections législatives approchent, l’UPK plonge dans la crise après que quatre hauts dirigeants, Saïd Qadir, Omar Saïd Ali, Jalal Jawhar et Othman Hadji Mahoud, aient démissionné du Bureau politique. Ils se plaignent que les réformes internes, demandées par une part importante de l’UPK, aient été refusées par ses dirigeants malgré leurs promesses. Ce n’est pas la première démission qui survient au sein de ce parti. Trois ans auparavant, Nawshirwan Mustafa, considéré comme le numéro 2 du parti, avait quitté ses fonctions pour fonder son groupe de presse. Il envisagerait aujourd’hui de se présenter avec une liste indépendante.

Le 14 février 2009, Kosrat Rassoul, le propre secrétaire général adjoint de Jalal Talabani et le vice-président de la Région du Kurdistan, avait aussi présenté sa démission avant de revenir sur sa décision, quand Jalal Talabani lui avait offert un meilleur artage du pouvoir au sein de son parti. Les quatre autres démissionnaires venaient de présenter 11 propositions pour réformer l’UPK, qui ont été refusées par Barham Salih, autre secrétaire adjoint, selon Faraydun Abdul Qadir, un ancien responsable qui a lui aussi démissionné en 2005. « Le parti vit une crise profonde sur plusieurs niveaux. Des réformes partielles et superficielles ne peuvent être le remède » a déclaré Jalal Jawhar, qui exige des « réformes radicales pour que le parti fonctionne démocratiquement et dans la transparence », ainsi que la réintégration de Nawshirwan Mustafa à son ancien poste de secrétaire général adjoint.

Voulant éviter une crise qui affaiblirait peut-être l’UPK aux législatives prochaines, Jalal Talabani a déclaré qu’il accédait aux demandes des démissionnaires, notamment « la transparence dans les finances de l'UPK qui seront désormais sous le contrôle du bureau politique, le remplacement de responsables du parti et de représentants de l'UPK au gouvernement régional, et enfin une supervision des services de renseignement du parti (jusqu’ici uniquement contrôlé par les hommes de Jalal Talabani) par un des deux vice-présidents. » Mais ces mesures, si elles ont fait changer d’avis Kosrat Rassoul, n’ont pas convaincu les quatre autres, malgré les tentatives de Kosrat Rassoul de les faire revenir sur leur décision. Quant à Jalal Talabani, occupé par ses fonctions à la présidence irakienne, il n’a pu intervenir directement au plus fort de la crise, étant en déplacement en Corée du sud.

Une des premières conséquences de la crise interne a été la démission de plusieurs membres UPK au sein du cabinet de Nêçirvan Barzanî, le Premier ministre du Kurdistan et une unification des trois ministères restant non rattachés à Erbil : celui des Peshmergas, qui revient à Jaffar Mustafa (UPK), celui de l’Intérieur, tenu par un membre du PDK mais avec Jalal Sheikh Karim au poste d’adjoint et Sheikh Bayaz (UPK) aux finances, en remplacement de Sarkis Aghajan. Omar Fatah, l’ancien vice-premier ministre est ainsi remplacé par Imad Ahmed, qui occupait jusqu’alors le fauteuil du ministère de la Reconstruction. Imad Ahmed fait aussi partie du Bureau politique de l’UPK. Le chef des Asayish (service de sécurité) de l’UPK) Seifedinne Ali Ahmad, a été lui aussi remplacé. Mais beaucoup de membres de l’UPK parmi les réformistes, jugent ces remplacements très insuffisants pour résoudre la crise interne. Pour Abdul Qadir, ancien haut responsable de l’UPK, « Les remplacements n'ont pu mettre fin au problème de Nawshirwan ou faire que les quatre dirigeants reviennent sur leur démission. Les remplacements (au sein du Gouvernement du Kurdistan) ne pourront empêcher la démission des membres les plus actifs de l'UPK dans l'avenir. Un changement réel passe d'une situation terrible à une situation positive. J'attendais que ces changements commencent par une réconciliation générale avant que des remplacements ne surviennent. »

Selon Feridun Abdul Qadir, la multiplication de listes indépendantes, notamment celle de Nawshirwan Mustafa peut faire craindre une série de « tensions durables » qui compromettraient l’équilibre politique de toute la Région du Kurdistan. Ainsi, pour Farid Asasard, membre dirigeant de l'UPK, à la tête du Centre du Kurdistan pour les études stratégiques, ce conflit et l’affaiblissement de l’UPK inquiète beaucoup le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), pourtant son rival historique, car cela pourrait mettre fin à la coalition kurde actuelle qui, depuis la chute du régime de Saddam, tient bon devant les autres partis irakiens. Selon Asasard, la crise trouve son origine dans la structure même de l’UPK : « A l'origine, ce parti ne s'est pas formé comme un véritable parti mais plus comme la coalition de plusieurs partis. Dans de telles organisations, il n'y a pas d'unité et les membres ont des idéologies différentes. L'UPK a été fondée de cette façon et a continué ainsi jusqu'en 1992, quand il a été décidé que ces bases devaient changer ; l'UPK est alors devenu un parti. Les trois ailes de l'organisation se sont ainsi unifiées en un seul parti mais ce faisant, elles ont aussi hérité des problèmes inhérents aux partis. Ces problèmes sont visibles aujourd'hui et la raison pour laquelle ils durent depuis si longtemps est que les trois ailes ne se sont jamais vraiment fondues dans l'UPK. » Pour Abdul Qadir, les tensions résultent surtout de la façon dont le Bureau politique prend ses décisions et traitent avec ses membres : « Tous ceux qui ont démissionné occupaient des positions élevées. Ils ne pouvaient donc se plaindre à ce sujet. Mais dans tous les partis il y un point très important qui est celui des prises de décision. Si les décisions prises ne représentent pas toutes les idées de tous les membres, et si elles sont imposées aux membres, peu à peu une situation émergera, où les gens se sentiront étrangers dans leur propre parti… Cela est dû aux procédures et aux méthodes d’administration du Parti. »

Quant à la réintégration de Nawshirwan Mustafa, réclamée par les réformistes, elle ne semble pas en bonne voie. A l’origine dirigeant du Komala, un des mouvements unifiés au sein de l’UPK, Mustafa avait pris la décision de le dissoudre, mais, ce faisant, selon Asasard, il a commis une erreur de jugement politique : « Au milieu des années 1980 Nawshirwan avait cessé de croire au marxisme et à une idéologie révolutionnaire. De sorte que dissoudre le Komala lui a paru normal. Mais il n'a peut-être pas songé aux conséquences de cette dissolution. Il n'a pas pris en compte le fait que le Komala était la base de son pouvoir au sein de l'UPK et qu'il se privait ainsi de cette assise. A présent, 17 ans après avoir dissous le Komala, il dit que cette décision a été une erreur. Je crois aussi que Nawshirwan a commis une faute historique et s'est privé lui-même de la source de son pouvoir. »

Faraydoun Abdul Qadir, ancien responsable du Komala, qui avait lui aussi participé à cette dissolution, confirme cette « erreur politique » et y impute une partie des dérives autoritaristes du Bureau politique, reprochée par certains membres : « L'UPK avait certains aspects qui amenaient une forme de décentralisation. Tout le temps qu'a duré le Komala, Talabani était vraiment notre frère le plus digne, le leader du mouvement et la figure de proue de l'UPK, mais dans le même temps, Nawshirwan était l'autre leader et non le second du parti. Ainsi, il y avait une forme de décentralisation dans l'UPK et l'autorité n'était pas monopolisée. » Ultime tentative d’apaiser la crise, Jalal Talabani aurait offert 6 sièges parlementaires à Nashirwan Mustafa et sa liste, souhaitant ainsi former une coalition. Mais des sources proches de l'aile réformiste de l'UPK affirment que l’ancien dirigeant du Komala souhaite rester dans l'opposition et refusera donc l’offre de Jalal Talabani. Quant aux 4 démissionnaires, Saïd Qadir, Omar Saïd Ali, Jalal Jawhar et Othman Hadji Mahoud, ils ont confirmé leur démission démentant ainsi les rumeurs d'un possible retour à leurs fonctions.

jeudi, février 26, 2009

TURQUIE : ENQUÊTE SUR DES CHARNIERS A SIRNAK


Une autre enquête a été ouverte dans la province de Şırnak sur l’existence de charniers, appelés « fosses de la mort », contenant les corps de près d’une centaine de civils qui auraient été tués par la gendarmerie dans les années 1990. L’existence de ces fosses communes était soupçonnée depuis longtemps par les Kurdes de la région, dont beaucoup ont perdu des proches dont on n’a jamais retrouvé les corps. Ces assassinats sont imputés au JITEM, un corps de gendarmerie clandestin créé à la fin des années 1980, affecté à la lutte contre le PKK et le « séparatisme kurde » et dont les exactions et la terreur qu’il a fait régner au Kurdistan sont de notoriété publique.

Le JITEM est accusé de nombreux enlèvements et exécutions sommaires, et d’avoir fait disparaître les corps, notamment dans de l’acide, ou bien en les brûlant ou les enterrant dans des charniers secrets. Jusqu’ici, l’Etat turc niait jusqu’à l’existence du JITEM et l’ouverture d’une telle enquête montre un changement dans l’opinion publique en Turquie. Les crimes du JITEM ont été confirmés par des anciens membres des forces turques, arrêtés lors des coups de filet dirigés contre le réseau Ergenekon, par exemple Abdülkadir Aygan, qui appartenait au JITEM ou Tuncay Güney, acteur majeur d’Ergenekon. L’association des avocats de Şırnak Bar a porté plainte après les déclarations de Tuncay Güney à la police, faisant état précisément de ces corps brûlés à l’acide ou enterrés.

Emin Aktar, président de l’association du Barreau de Diyarbakir est aussi d’avis que cette période sombre du Kurdistan de Turquie doit absolument faire l’objet d’une sérieuse enquête judiciaire et que les corps retrouvés doivent être examinés par des médecins légistes, notamment pour les identifier, notamment au moyen de leur ADN. Dès le mois de janvier 2009, le bureau du procureur de Silopi a autorisé la tenue d’une enquête.

En parallèle à cette affaire, depuis le 9 février, un des principaux survivants de l’accident (et du scandale) de Susurluk, l’ancien chef de la police et ancien ministre de l’Intérieur Mehmet Ağar, passe enfin en jugement, 13 ans après l’accident de voiture qui avait mis en lumière les liens étroits entre la mafia turque, les services spéciaux de sécurité à l’œuvre au Kurdistan de Turquie et l’extrême droite. Le 3 novembre 1996, en effet, à Bursa, une voiture qui transportait Abdullah Catlı, un militant ultra-nationaliste, et sa compagne, Hüseyin Kocadağ, chef de la police, Mehmet Ağar et Sedat Edip Bucak, tous deux députés du Doğru Yol Partisi, le parti du président Süleyman Demirel, heurte un camion. Les trois premiers passagers furent tués, les autres blessés. Ce scandale fut rapidement relayé par la presse turque et l’opinion publique réagit alors vivement, notamment en organisant dans les grandes villes un black-out quotidien en éteignant les lumières tous les soirs à 21 heures. On a commencé alors à parler ouvertement « d’Etat profond » et Mehmet Ağar dut démissionner de son poste ministériel. Mais en tant que député il bénéficiera d’une immunité parlementaire qui lui a évité, jusqu’à ce jour, d’être traduit en justice, en se faisant réélire 13 années durant. Cependant les élections législatives anticipées de 2007 furent désastreuses pour son parti actuel, le DP (une unification du DYP et de l’ancien ANAP) qui n’a pu franchir la barre des 5% nécessaires pour entrer au parlement. Mehmet Ağar comparait donc devant la justice, accusé d’avoir couvert, dans les années 1990, les activités des sections spéciales et clandestines de la police turque, notamment de nombreux assassinats dans les régions kurdes. Il plaide non coupable et nie que Sedat Bucak, l’autre député qui a réchappé à l’accident, ou bien ses anciens collaborateurs Korkut Eken ou Ibrahim Şahin, compromis eux aussi dans le scandale, soient également impliqués dans les milliers de meurtres dans le Sud-Est. Il est à noter qu’Ibrahim Şahin vient tout juste d’être arrêté dans le cadre de l’affaire Ergenekon, et que tous sont liés au JITEM et à ses exactions qui ont terrorisé les régions kurdes dans les années 1990.

mercredi, février 25, 2009

ERBIL : POURPARLERS AUTOUR D’UNE POSSIBLE AMNISTIE DU PKK ?


Lors d’une conférence de presse, Burak Özügergin, le porte-parole du ministre turc des Affaires étrangères a repoussé l’idée d’une amnistie accordée aux combattants kurdes du PKK, sans toute fois écarter qu’une initiative de ce genre ne serait jamais proposée un jour, en contrepartie d’un cessez-le-feu total. « Nous évaluons quelles sortes de mesures pourraient être prises en accord avec toutes les institutions concernées » a déclaré évasivement Burak Özügergin, en réponse aux journalistes qui l’interrogeaient précisément sur la question de l’amnistie. « Nous évaluons également ces mesures avec nos interlocuteurs, dans le cadre d’un mécanisme tripartite, ou bipartite, ou bien avec l’Union européenne. »

Par mécanismes « tripartite » ou « bipartite », il faut entendre les efforts conjoints des USA, de l’Irak, et même du Gouvernement régional kurde pour que le PKK fasse redescendre ses combattants des montagnes, notamment celles du Kurdistan d’Irak. Jusqu’ici, aucune opération militaire n’a pu réussir, malgré les renseignements fournis par les Etats-Unis sur les mouvements du PKK Un centre de forces tripartite a été installé à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, regroupant donc des représentants américains, turcs et irakiens, ayant pour tâche d’éradiquer les bases de Qandil. Des représentants du Gouvernement régional kurde ont été aussi inclus dans ce centre, et il ne fait pas de doute pour de nombreux experts internationaux, que les Kurdes d’Irak, notamment le parti démocratique du Kurdistan, dont le président est Massoud Barzani, ne servent d’intermédiaires dans d’éventuelles négociations entre le PKK et les représentants des trois Etats. Une des solutions envisageables serait donc que le PKK dépose définitivement les armes, en échange d’une amnistie.
Selon le journal turc Taraf, même l’armée turque, qui a été longtemps formellement opposée à toute solution autre que militaire à ce conflit, ne formulerait plus autant d’objections. Ce même journal fait état d’un rapport des services secrets qui enregistrait, le 20 janvier dernier, des « progrès » dans les pourparlers entre le PKK et le PDK, portant notamment sur cette amnistie. De plus, le gouvernement d’Erbil envisage la tenue d’une grande conférence internationale, à laquelle participeraient « les représentants de tous les Kurdes dans le monde » pour trouver une solution au problème du PKK et l’amener à déposer les armes. S’exprimant sur la force tripartite récemment installée à Erbil, Burak Özügergin a indiqué que « plusieurs arrangements » avaient été pris entre la Turquie, les Etats-Unis, le gouvernement irakien, et la Région kurde, sans donner de date ni de détails sur le déroulé des opérations envisagées. Mais le porte-parole des Affaires étrangères turques a fait état de réunions mensuelles avec, du côté turc, des membres de l’état-major et des attachés militaires ainsi que des membres civils de l’ambassade turque à Bagdad. Quant au ministre turc des Affaires étrangères, Ali Babacan, il préside à des entretiens trimestriels dans le cadre de ce mécanisme tripartite.

Taraf cite également un rapport publié par un magazine kurde qui paraît à Suleïmanieh, Livin, décrivant avec force précisions l’implantation militaire turque dans la Région kurde. Il donne ainsi le chiffre de 3235 hommes, installés dans 13 bases militaires au Kurdistan d’Irak. Selon Livin, la plus importante de ces bases, en termes d’effectifs, est à Qanimasi, dans la province de Dohuk, à 8 kilomètres de la frontière turque. Mais celle qui dispose de la plus grande capacité logistique et de renseignements est située à Bamarné, toujours dans la province de Dohuk, à 40 kilomètres de la frontière turque. Le rapport détaille ainsi les effectifs humains, qui comprendraient 2564 soldats, 91 officiers, 240 membres affectés aux « opérations spéciales » et 340 gendarmes, tandis que 20 agents des services secrets seraient installés à Batuffa, sous le commandement d’un colonel. Quant au matériel militaire, il comprendrait 58 chars d’assaut, 27 véhicules blindés, 31 canons à longue portée, 26 lance-mines, 17 lance-roquettes, 10 armes antiaériennes (des mitrailleuses de 12.7 mm), 40 véhicules militaires, 13 mitrailleuses, deux paires de jumelles à vision nocturne, deux trépieds pour jumelles, 10 fusils Sniper, une bombe Atar, quatre téléphones satellite, deux postes radio Racal, deux treuils et deux silencieux.

mardi, février 24, 2009

Le Livre des pénétrations métaphysiques

Citant Ibn Bâbûyeh et son Kitâb al-I'tiqâdât, Mollâ Sadrâ appuie la thèse des quatre âmes humaines, chacune dotée de cinq puissances et deux propriétés.

Pour Ibn Bâbûyeh, les prophètes, envoyés et imâms (chiites) ont en eux cinq esprits ou rûh (qui veut dire aussi souffle, âme) : l'Esprit-Saint (Rûh al-Qods), l'Esprit de la Foi (Rûl al-îmân), l'esprit de la capacité (rûh al-qowwa), l'esprit du désir (rûh al-shahwa), l'esprit qui fait croître. Ibn Bâbûyeh précise que chez les croyants fidèles, il y a quatre esprits (étant dépourvu du souffle de l'Esprit-Saint, mais pourvus de celui de la Foi. Chez "les impies et les bêtes", il y a trois esprits (étant sans Esprit-Saint ni Foi).

Commentant Ibn Bâbûyeh, Mollâ Sadra précise que le premier, l'Esprit-Saint est l'Esprit primordial, c'est-à-dire "celui que les philosophes appellent l'Intelligence agente" ; l'Esprit de la Foi est l'intellect acquis, "c'est l'intellect devenu en acte après avoir été intellect en puissance." L'esprit de la caapcité est l'âme pensante, qui est "intellect en puissance". L'esprit du désir est l'âme vitale ou esprit animal (nafs haywanî) c'est-à-dire des passions et appétits, celle que cherchent à dompter tous les soufis et les ascètes. L'esprit qui fait croître est "le pneuma physique qui est le principe de la croissance et de la nutrition.

Molâ Sadra explique que ces cinq âmes ou esprits, l'homme n'en est pas pourvu dès l'origine tous ensemble et que certains en manqueront tout à fait. "Ces cinq esprits existent en acte successivement et graduellement dans l'homme. Tant que l'homme est dans le sein de sa mère, il ne possède que l'âme végétative. Ensuite, après la naissance, l'âme vitale, c'est-à-dire la faculté d'avoir des images. Ensuite avec la croissance physique et quand sa forme extérieure a plus de force, advient en lui l'âme pensante, c'est-à-dire encore l'intellect pratique. Quant à l'intellect en acte [celui qui correspond à l'Esprit de la Foi] il ne se produit que chez une minorité d'entre les individus humains. Ce sont les gnostiques ('orafâ) et les fidèles au sens vrai qui croient en Dieu, en ses Anges, en ses Livres, en ses Envoyés et au Dernier Jour. Quant à l'Esprit-Saint, il est particulier aux Amis [ou Aimés] de Dieu (Awliyâ Allah)."

Variante : Toujours sur la multiplicité des âmes, Ibn Bâbûyeh rapporte dans le même ouvrage un hadith de 'Ali, transmis par Komayl ibn Ziyâd. Ce dernier, ayant demandé au Premier Imâm de lui faire connaître la nature de son âme, il s'entend répondre ceci : "O Komayl ! Quelle âme souhaites-tu que je te fasse connaître ? Je dis : Ô mon Seigneur, n'y a-t-il pas une âme unique ? Il me dit : Ô Komayl ! il y a quatre sortes d'âmes : il y a l'âme végétative qui fait croître ; il y a l'âme vitale qui a la sensibilité ; il y a l'âme pensante, indépendante de la matière [qodsîya, sainte] ; il y a l'âme divine intégrale." Chacune de ces âmes a cinq puissances et deux propriétés.

L'âme végétative a cinq puissances : celle qui attire, celle qui saisit, celle qui assimile, celle qui repousse, celle qui engendre. Elle a deux propriétés : l'une est accroissement, l'autre est la décroissance. Elle est émise à partir du foie.

L'âme vitale sensible a cinq puissances : réflexion, souvenir, connaissance, clémence, noblesse. Elle n'est pas émise à partir d'un organe. Elle est celle qui, entre toutes, ressemble le plus aux âmes angéliques. Elle possède aussi deux propriétés : l'une est la pureté, l'autre est la sagesse.

L'âme divine totale a cinq puissances : surexistence dans l'anéantissement, bien-être dans la misère, puissance dans l'abaissement, richesse dans la pauvreté, constance dans l'épreuve. Et elle a deux propriétés : agrément et abandon à Dieu. C'est elle qui a son origine en Dieu et qui retourne à Lui. Dieu le dit : "J'ai insufflé en lui de mon esprit (15:29) et "ô âme pacifiée ! retourne à ton Seigneur, agréante et agréée" (89:27-29). Et l'Intelligence est au centre du Tout.'


De façon générale, la littérature chiite est rarement gaie. A la fin de sa Huitième Pénétration, Mollâ Sadrâ cite une description assez lugubre ¨par l'imâm 'Alî de la mort, de la fin du monde et des enfers, qu'on ne peut même qualifier équitablement de dantesque car Dante a décrit un Purgatoire doux-amer et un Paradis éclatant. Là non, un interminable intermède, un jugement, les Bons dans un endroit plus dépourvu de malheurs que pourvu de bienfaits (un paradis en négatif, en quelque sorte), et on finit par une description bien réjouissante du devenir des damnés. Il faut cependant avoir en tête que la conception qu'avait Mollâ Sadrâ de l'Enfer était plus "imaginale", même si aussi sinistre que celle de Nasîr od-Dîn Tûsî. Mais enfin, rien à voir avec ces images de croque-mitaine.

"Puis l'Imâm, poursuivant son prône, en arrive à décrire la condition humaine et la pénétration graduelle de la mort dans l'homme. Pour finir, viennent ces paroles :

"Ainsi, dit-il, la mort ne cesse pas un instant de faire des progrès dans le corps de l'homme. Elle finit par atteindre son ouïe. Son regard est suspendu désespérément à leurs visages ; il voit les mouvements de leurs lèvres, mais il n'entend plus le son de leurs paroles. Puis, la mort s'insinue plus profondément en lui ; elle lui enlève la vue, comme elle lui avait enlevé l'audition. Puis son esprit finit par sortir de son corps. Ce corps n'est plus qu'un cadavre devant les siens ; il arrive même que les siens soient pris de frayeur à côté de lui, et cherchent à s'enfuir. Il ne peut aider celui qui pleure, il ne répond plus à celui qui l'appelle. On le porte dans une fosse creusée dans la terre ; on l'y abandonne à ses oeuvres ; les visites cessent... jusqu'à ce que le Livre ait atteint le terme fixé, que les temps soient accomplis, que le point final de la Création ait rejoint le point initial, et que, de par l'ordre de Dieu, advienne la palingénésie de la Création voulue par Lui. Alors il ébranle les cieux et les précipite ; Il émeut la terre et la fait trembler ; il déracine les montagnes et les disperse ; elles se broyent les unes contre les autres par terreur de Sa Gloire et par crainte de Son assaut. Il fait sortir tous ceux qui y sont ; Il les fait renaître après les avoir effacés ; Il les rassemble après les avoir dispersés. Ensuite Il les sépare en vue des questions qu'Il veut leur poser. Il en fait deux groupes. Il comble de bonheur ceux-ci ; Il se montre à ceux-là comme le Dieu vengeur. Les fidèles à leur allégeance, Il les récompense par Sa proximité ; Il les rend éternels dans Sa propre Demeure, là d'où aucun ordre ne les forcera de partir ; là où aucune vicissitude ne les atteindra jamais plus ; là où il n'y a plus de peur pour les épouvanter, ni d'infirmité à leur advenir, ni de péril à les menacer, ni de départ pour les troubler. Quant aux rebelles et traîtres, Il les fait descendre dans le pire des séjours. Leurs mains sont enchaînées à leurs cous, leurs toupets sont liés à leurs pieds, Il leur fait revêtir des chemises de poix et des vêtements taillés dans du feu."


Le Livre des pénétrations métaphysiques, de Mollâ Sadrâ Shirazî.

mardi, février 17, 2009

Update : Une mosquée datant de 397 ap. J.C. volée par les Syriaques

Où l'on reparle de Mar Gabriel (c'est décidément le mois syriaque...) avec une pétition qui circule en ligne ici et quelques infos supplémentaires sur le noeud de l'affaire, traduites d'un papier de Baskin Oran paru dans Radikal. Bref, après Hasankeyf, sauvez Mar Gabriel...

Texte français de la pétition :

"Afin de mettre fin à une guerre sale et tout ce qui en a découlé, comme la pollution écologique, des crimes non résolus, des exécutions sans procès, des massacres et des meurtres de masse, nous voudrions vous faire part d'une autre souffrance qui s'ajoute à celle, quotidienne, que connaît la région de Mésopotamie.

Depuis le 19 novembre 2008, les media, et surtout le journal Evrensel, ont publié une série d'articles afin d'attirer l'attention sur le fait que les Assyriens qui vivent dans leur patrie du Tour Abdin depuis 5000 ans vit sous pression et est en danger d'extinction tout comme les Yézidis.

Une fois de plus, au sujet du même pays, nous voudrions faire entendre notre voix, tout comme pour éviter que Hasankeyf à Batman soit engloutie, nous avons élevé nos voix contre la construction du barrage d'Ilisu sur le Tigre. Nous croyons que chaque culture apporte sa variété et que la destruction d'une culture se fait au détriment de toutes les autres ; que la liberté perdue par un seul est une liberté pardue pour tous. Ainsi nous cherchons à résoudre ce problème.

Le dernier scénario en date concerne le monastère Mar Gabriel, vieux de 1600 ans, à Midyat (Mardin), où les responsables locaux de villages, afin de créer une inimitié entre les groupes ethniques de la région (bien qu'ils ne soient nullement en droit de le faire), ont proclamé avoir des droits sur des terres que les habitants eux-mêmes savent très bien appartenir au monastère depuis sa fondation. De fait, ces responsables de villages réclament les terres-mêmes sur lesquelles le monastère a été bâti. Il est évident qu'ils menacent l'existence même de ce monastère. Et le monastère doit maintenant faire face à six procès similaires.

Le monastère de Mar Gabriel est un héritage de l'histoire assyrienne qui nous est transmis à tous. Pensez que depuis des milliers d'années, il est le témoin d'une vie fraternelle menée ensemble, malgré toutes les difficultés. La Mésopotamie a été submergée par des flots de sang, de souffrances, d'anéantissement et de persécutions ; il est maintenant temps, pour elle, de produire les fleurs de la paix. Les Assyriens ne sont pas en faute. Ils ont le droit de vivre dans leur patrie sans peur, comme tous les autres hommes. Nous invitons ceux qui croient qu'aucune nuances des couleurs de cette antique terre ne doit être perdue, de nous soutenir à l'instar du Conseil de la paix d'Izmir, sans souci des croyances religieuses, dans cette campagne que nous avons lancée et qui s'intitule : "D'Izmir à la Mésopotamie"



Mar Gabriel , cour intérieure
Un des plus vieux et des plus beaux monastères du monde encore en activité est le monastère Mar Gabriel, près de Midyat, dont l'église fut fondée en 397, et qui est le siège de l'évêché syriaque orthodoxe du Tour Abdin, l'évêque actuel en étant Mgr Timotheos Samuel Aktash. Le Tour Abdin est un des plus anciens et des plus prestigieux lieux d'occupation du christianisme oriental. La région a en gros pour limites Diyarbakir au nord et Mardin à l'ouest, et s'échelonne tout le long du Tigre, entre Hasankeyf, Nusaybin, Cizre. Inutile de dire qu'en raison de sa position frontalière avec la Syrie et l'Irak, la région a souffert, entre no man's land militaire, hostilité ou volonté de destruction de ces bâtiments qui commettent à la fois le crime d'être non musulmans et non turcs, en plus de rappeler à chacun les fantômes gênants des milliers de Syriaques massacrés (en 1895 sur ordre d'Abdulhamid II et en 1915, par le gouvernement Jeunes-Turcs.) Ajoutons-y depuis les années 1980 les affrontements entre le PKK et l'armée, qui évidemment n'ont pas fait dans le détail. La population, qui comptait 130 000 Syriaques dans la région dans les années 1960 est aujourd'hui tombée à près de 3000. Maintenant que la guerre s'apaise, que les touristes reviennent, et que même les Syriaques veulent se réinstaller et restaurer Mydiat ou Igdil, les ennuis ne sont pas terminés : le monastère est aujourd'hui menacé de spoliation.





Loin d'être inoccupé et semi-ruiné, comme hélas nombre de bâtiments chrétiens en haute Mésopotamie, Mor Gabriel abrite 3 moines, 14 nonnes et 35 étudiants. C'est en effet un des centres culturels et religieux où l'on continue d'enseigner la langue et l'histoire des Syriaques. Le monastère reçoit aussi la visite annuelle de plusieurs milliers de touristes et de pèlerins.


Fondations (grand jeu du mois : une mosquée s'y trouve cachée.)

Mais depuis août 2008, trois chefs de villages musulmans voisins ont décidé, sans doute par cupidité plus que par zèle religieux (encore que certains arrivent très bien à faire coïncider les deux) que ce monastère commettait le crime impardonnable à leurs yeux de "prosélytisme", en prenant pour prétexte la présence de ces 35 jeunes étudiants. Je ne sais si certains, venus étudier l'araméen et le christianisme, sont ou non musulmans d'origine, mais quand même cela serait, rappelons que la Turquie est censée être un Etat laïque, pour qui la prohibition de la conversion, dans la charia, n'a pas lieu d'être invoquée. Aussi leur plainte a été rejetée par le tribunal. Ce qui n'a pas découragé les villageois, qui maintenant éclament les terres du monastère afin de se les distribuer entre eux. Où y a de la gêne, y a pas de plaisir...





Cette fois-ci le motif de cette "redistribution" est encore plus gratiné : les villageois prétendent qu'à l'origine, avant la construction du monastère, il y avait une mosquée. Et que donc ces sales giaours ont volé au Dar al-Islâm des terres pour y bâtir dessus leur centre de contre-propagation de la vraie foi... Rappelons que l'église a été fondée en 397, les plus vieux bâtiments du monastère dans les années 400-401, et qu'à l'époque, pour trouver des musulmans, des muezzins et des mosquées dans la région, fallait vraiment chercher... Mais qu'à cela ne tienne, ils ont la preuve : un mur qui enserre les terres et le monastère, qui aurait été, selon eux une mosquée. Le fait que ce mur date en réalité des années 1990 et non 390, qu'il a été érigé pour protéger le lieu, alors en pleine ligne de front entre le PKK et l'armée, ne paraît pas beaucoup ébranler la certitude des plaignants : "Dieu est plus savant que vous sur ces choses, et ça tombe bien, Dieu est avec nous, compris ?"

Mais l'Etat turc n'est pas tout blanc dans cette affaire car conjointement - et la coïncidence dans le temps est curieuse - à la réclamation des maires locaux pour activités anti-islamiques et vols de terre musulmane, les fonctionnaires du cadastre ont voulu, en 2008, redessiner les limites des propriétés d'Etat en décrétant que les terres autour du Mor Gabriel étaient finalement "forêts publiques".


La "Forêt publique" volée par les moines à l'Etat




Interrogés par le journal Zaman, les paysans du village de Çandarlı, en fait 12 maisons sans aucune rue pavée, ont simplement dit qu'ils n'avaient rien contre les chrétiens, mais que le monastère avait pris des terres dont ils avaient besoin pour faire paître les bêtes. Selon les moines eux-mêmes, les accusations de prosélytisme et de complot anti-troupeaux musulmans viennent plus des maires que de pauvres bougres uniquement préoccupés d'accroître leurs zones de pâtures. Kurde, Turc ou Arabe, un paysan est un paysan ; les nôtres qui ne sont pas tous sur la paille, loin s'en faut, sont prêts à saccager le bocage ou à assécher tout le marais poitevin pour gagner quelques hectares, alors au vu de la pauvreté et du sous-développement des régions kurdes, ce n'est pas dur de manipuler quelques dizaines de culs-terreux ou de bergers en leur faisant croire en plus que c'est pour le bien de la religion.

Vue générale de la "Forêt"...
"Il y a une campagne constante pour casser le dos du peuple syriaque et fermer le monastère", dit Daniel Gabriel, direction de l'Alliance universelle syriaque (section droits de l'homme ) basée en Suède, en soulignant que si le gouvernement turc voulait vraiment protéger la communauté syriaque, il mettrait fin à ces manoeuvres procédurières.

Mais pour le moment, hormis la Région du Kurdistan qui a une politique de réinstallation et de repeuplement chrétien des montagnes, et les Alaouites syriens qui leur fichent relativement la paix, occupés qu'ils sont à chasser et spolier les Kurdes, les Etats qui sont censés abriter et protéger ces citoyens de seconde zone sont assez indolents sur la question, sinon fortement complices.

Selon David Gelen, qui préside la fondation araméenne, les religieux de Mor Gabriel, l'évêque, les moines et les moniales sont actuellement en butte à une campagne d'intimidations et directement menacés par les villageois, si bien qu'ils n'osent même pas se présenter eux-mêmes au tribunal ou se défendre d'une façon ou d'une autre. Ils restent confinés dans leurs murs, ne se sentant peut-être guère assurés d'une protection légitime de la part des autorités locales.

"En Turquie, explique David Gelen, la liberté religieuse est garantie par la constitution. Mais ceux qui ne sont pas reconnus en tant que minorités n'existent pas, en termes pratiques. Les Syriaques, contrairement aux Grecs et aux Arméniens, ne sont pas reconnus comme minorité religieuse, bien qu'ils vivent ici depuis des millénaires. Le but de ces menaces et de ces procès est d'opprimer cette minorité et de l'expulser de Turquie, comme un corps étranger."

Le 11 février, l'Union européenne doit aborder avec la Turquie la question des droits de l'homme et de la liberté de culte pour les minorités non-musulmanes en Turquie. "Nous espérons que nos droits seront reconnus", déclare David Gelen, "mais nous sommes convaincus que pour l'Etat turc, le temps est venu de reconnaître, d'accepter et de protéger la multiplicité culturelle du pays, au lieu de la combattre. La Turquie doit décider si elle veut préserver une culture vieille de 1600 ans, ou anéantir les derniers vestiges d'une tradition non-musulmane. Ce qui est en jeu est le multiculturalisme qui a toujours caractérisé cette nation, depuis l'Empire ottoman."




Comme les Kurdes, les Syriaques de haute Mésopotamie ont été dispersés et divisés entre 4 Etats, la Syrie, la Turquie, l'Irak, l'Iran. Le Traité de Lausanne aurait dû les protéger mais ses différentes clauses concernant la protection des minorités religieuses (Section III, article 37-45) n'ont, en ce qui les concerne, jamais été respectées. Comme les Kurdes, ils sont pourtant fortement unis par la langue, une histoire et une culture communes. Et au rebours des Kurdes, ils sont unis par une seule religion, même si leurs églises sont ultra-fragmentées. Par contre, là aussi au contraire des Kurdes, ils n'ont pas réellement de continuité territoriale dans leur peuplement, et cette dispersion ne s'est pas arrangée avec le génocide. Aussi dépendent-ils du bon vouloir des Etats pour les protéger contre la cupidité locale.

"Comme l'histoire nous l'enseigne, la religion a toujours eu un rôle dominant dans la civilisation, constate Yashar Ravi, président de la communauté syriaque orthodoxe d'Antioche. "La nôtre est sans aucun doute celle d'un peuple très religieux, et nous sommes fiers de parler la langue de Jésus : cette langue qui a été, en termes de diffusion, l'anglais du Moyen-Orient." (Apparu au XII° siècle avant J.C, l'araméen s'est peu à peu répandu en temps que lingua franca, langue de culture, langue religieuse, langue diplomatique et langue impériale avec l'Empire perse. Seul le grec a eu autant de prestige et de diffusion dans l'Antiquité).

Le procès concernant le statut de "forêt publique" que l'Etat turc veut attribuer aux terres du monastère, qui devait avoir lieu le 16 janvier, est reporté au 11 février 2009, le tribunal souhaitant étudier davantage le dossier avant de conclure. Peut-être ont-ils besoin, cette fois-ci, d'expertises sylvicoles pour décider (quand ils auront trouvé les arbres) si c'est une forêt musulmane ou chrétienne ?

(source, Asianews, Zaman).

'Stupidity, however, is not necessarily a inherent trait.'
Albert Rosenfield.



mardi, février 10, 2009

TV : Où l'on reparle de l'Iran

Mardi 17 et mercredi 18 février sur France 3 : L'Iran et l'Occident. Documentaire de Brian Lapping et Norma percy. (GB, 2008, inédit).

Mardi 17 février :
  • à 23h25 : 1/3 : Khomeiny, l'homme qui a changé le monde.

Mercredi 18 février :

  • à 23h00 : 2/3. Un Etat marginalisé.
  • à 0h00 : 3/3. Le défi nucléaire.

lundi, février 09, 2009

Présent et devenir des chrétiens d'Irak






Présent et devenir des chrétiens d'Irak
Les raisons d'une Espérance


Témoignage de Monseigneur Rabban, évêque d'Erbil, capitale du Kurdistan irakien
Conférence donnée au Collège des Bernardins
le lundi 9 février 2009





Conférence de 19h à 21 h, salle agréablement remplie au regard de l'austérité du sujet. Fulvia Alberti, qui était à l'origine du reportage tourné pour le Jour du Seigneur sert d'interlocutrice principale, c'est-à-dire qu'elle essaie de temps à autre de placer une question et monseigneur répond longuement, et largement et pour finir dit ce qu'il a à dire, lui, et qui s'en plaindrait ?


(Mes notes ont été prises à la va-vite et à la main et donc seront parfois des citations directes parfois un condensé de ce qui a été dit, et parfois ce que j'ai compris et les commentaires que ça m'inspire. Un bloc-notes informel, en quelque sorte, peut-être un peu brouillon, mais les conférences les plus vivantes sont les plus difficiles à retranscrire texto. ).

Tout commence par un cours d'histoire-géo "les chrétiens et le Moyen-Orient pour les Nuls" afin de bien situer l'espace temps des chrétiens et des Kurdes d''Irak, devant une carte projetée de la région. C'est, je crois, une bonne idée, car tous les Français n'ont pas une idée bien exacte du Kurdistan, je peux en témoigner :

A la question "D'où viennent les chrétiens d'Irak et quelles sont les raisons de l'exode ?", devant la carte de l'Irak monseigneur Rabban commence donc par faire un topo pour localiser tout ce monde. Il rappelle aux cancres les pays qui entourent l'Irak, plus ou moins directement, "le Koweit, la Syrie, la Turquie, l'Iran, la Jordanie et ici c'est l'Arabie saoudite, tous ces pays-là côtoient le Kurdistan irakien." Puis s'ensuit la présentation du Kurdistan d'Irak et des principales villes : " Duhok, Amadiyya, là c'est mon village, là c'est Sheikhan, Mossoul, Kirkouk, Suleïmanieh, et voici Erbil qui est la capitale fédérée du Kurdistan irakien".

Passons aux trois diocèses de la Région : Zakho (tenu par monseigneur Patros), Amadiyya, tenu par monseigneur Rabban et Erbil tenu aussi par monseigneur Rabban depuis 2005, après la mort du précédent évêque, "et ainsi je suis entre les deux diocèses, ce qui fait que j'ai plus de 1000 kilomètres de trajet, de villages en villages."

Les exodes passés des chrétiens d'Irak :
En octobre 2008, 2700 familles ont été obligées de s'enfuir et ont quitté la ville. A Bagdad, il reste encore 350 000 chrétiens. Avant les années 70, dans tout l'Irak, on en comptait 900 000. Aujourd'hui, la majorité d'entre eux se trouvent en Amérique, en Australie, en Europe. Beaucoup d'autres attendent depuis quelques années dans des capitales arabes voisines. Ainsi, à Alep, depuis 4, 5 ans, il y a eu un afflux de 50 000 réfugiés chaldéens, qui attendent d'être acceptés (ou non) par un pays, par les Nations Unies.

Mais l'exode n'a pas commencé en 2003. "Avant cela, tous les villages, dès 1961-1962, dans les zones qui échappaient au contrôle du gouvernement (le Kurdistan était en opposition avec Baghdad dès la chute de la monarchie) ont été vidés et les gens déplacés dans des "villages collectifs". Dans mon village, ils ont été ainsi forcés de quitter leurs maisons et leurs terres, et ils ont protesté contre l'éparpillement des familles, dans les "collectivités", le père là, le fils ailleurs, par exemple."


A Mossoul, les chrétiens ont souffert, comme les Kurdes, dans les années 1980, sous Saddam, avec la guerre Iran-Irak, qui a fait que plus d'un million et demi d'Irakiens ont été tués ou mutilés, ou ont fui pour ne pas être enrôlés. Aussi, même parmi les chrétiens, c'est surtout la jeunesse qui est partie. Tous ces jeunes qui refusaient de partir au massacre sur le front ont passé la frontière en Iran et de là ont tenté leur chance pour gagner l'Europe en partie et majoritairement l'Amérique et l'Australie. Avant, tous les Irakiens vivaient dans une grande prison appelée Irak. Mis à part une élite, ils ne pouvaient voyager. Le service militaire durait 10, 15, 20 ans. Ou bien les soldats restaient prisonniers en Iran, ou ne rentraient pas.

En parallèle, il y a eu la guerre et l'Anfal déclenchés au Kurdistan d'Irak par le gouvernement central, qui a touché les Kurdes, musulmans et yézidis, et aussi les chrétiens. Tout cela a entrainé une migration forcée à Mossoul, Bagdad ou à l'étranger. 80% des chrétiens du Kurdistan irakien ont été forcés de partir, ainsi que beaucoup de Kurdes. Même au sud de la Turquie, les Chaldéens ont émigré et ainsi ils forment une communauté en France, à Sarcelles, Lyon ou Marseille. Aujourd'hui, le mouvement s'inverse.

Après la fin de la guerre Iran-Irak, le 8 octobre 1988, les Chaldéens qui avaient fui en Turquie n'ont pas été compris dans l'amnistie des déserteurs. Saddam décimait les villages et en a massacré un grand nombre quand ils revenaient, tandis que les Kurdes étaient déportés de force dans les "Collectivité" (zones concentrationnaires autour des grandes villes comme Kirkouk ou Mossoul). "Petits et grands, femmes, hommes, tous ont été massacrés. On trouve encore aujourd'hui leurs ossements dans des charniers. Plus de 4500 villages ont été rasés, 200 000 Kurdes et chrétiens ont été tués ou déportés au sud de l'Irak. Dans la région de Barzan, 8000 personnes ont été tuées (en 1983, bien avant l'Anfal) et rien que dans la famille de notre président Barzani, 37 personnes." A Mossoul, 5000 chrétiens ont été déplacés de force dans la plaine de Ninive, à Al Qosh, Qara Qosh, Hamdanieh, etc.

Ici interruption de Fulvia Alberti qui se doute que pour le public il vaut mieux préciser de quel président il s'agit : "Quand vous dites président, il s'agit du président du Kurdistan ?"






Haussement de sourcils et mise au point en détachant fermement et clairement les mots en accentuant les points-clefs : "Il s'agit du président fédéral du Kurdistan, Barzani. Mais n'oublions pas que le président de l'Irak est lui aussi un Kurde, Jalal Talabani."

Après cette interruption, on reprend le fil :

Aussi, tout ce passé est cause pour nous tous de grandes difficultés pour faire revenir une deuxième fois ces villageois dans leurs villages, surtout sur la frontière, aussi à cause de la situation des Kurdes qui sont hors du Kurdistan d'Irak, en Turquie, et des bombardements dans cette région, tout cela les empêche de revenir. Mais des maisons ont été reconstruites dès 2003, et puis 2004, 2005, sur toute une ceinture de villages reconstruits pour les chrétiens, aidés par le Gouvernement régional du Kurdistan et Barzani, et aussi le ministre Sarkis Aghajan Mamendu (un chrétien assyrien). Il y a eu des formes d'accords passés avec les diocèses pour les financements, pour qu'ils donnent asile, et aussi qu'ils aident des médecins, des professeurs à trouver un travail à Erbil, Shaqlawa, Duhok, Suleïmanieh. "A Suleïmanieh, où j'étais il y a un mois, il y a même des Coptes qui ont été installés, ils ont émigré et ont trouvé plus de tranquillité. Le Kurdistan est donc un modèle de paix et de fraternité pour toute la Région.

Dans le village de Tell, dans mon diocèse, 70 maisons ont été construites. Les chrétiens l'avaient déserté depuis 40 ans. Lors d'une visite au président Barzani, celui-ci leur a promis que s'ils rentraient, ils pourraient se réinstaller en paix. Dans beaucoup d'autres régions, on reconstruit les villages, mais aussi de petites églises : sur le Khabour, le long du Tigre, etc."

L'exode actuel :

"La chute de Saddam a été comme ôter un couvercle de dessus une casserole, où bouillaient tous les fanatismes, et aussi a fait venir beaucoup d'éléments des pays frontaliers qui sont venus combattre les Américains. A Basra, il n'y a plus que 1500 chrétiens et un prêtre. Avant, ils étaient plus de 8000. On les empêche, par des mesures d'interdictions ou d'intimidations, de tenir boutiques, surtout les boutiques de boissons alcoolisés ou de coiffeurs. Bien sûr, ces mesures sont nouvelles en Irak, elles ne viennent pas de la mentalité irakienne, elles sont importées de l'étranger."



A Mossoul, le fanatisme était plus élaboré et plus préparé par un esprit antérieur, mais qui ne pouvait pas ouvertement se manifester. Après 2003, sans police, sans armée, il y a eu des rapts, des meurtres, pas seulement contre les chrétiens. L'exode a donc commencé à Mossoul dès 2003, et pas en 2008. Plus de 1800 Kurdes civils, qui y vivaient depuis 60, 70 ans, ont été tués. Toutes ces victimes, chrétiens et Kurdes, ont la cible des étrangers qui dominaient Mossoul dans un esprit de fanatisme religieux. En plus des meurtres (plus de 350 chrétiens) en 2008, les menaces ont fait que près de 2700 chrétiens ont fui Mossoul pour Al-Qosh, qui est ainsi passé, en population, de 10 000 à 35 000 Chaldéens.
Monseigneur Rabban rappelle aussi que le 13 février sera l'anniversaire du martyre de l'archevêque de Mossoul, monseigneur Paul Faraj Raho, enlevé et assassiné l'année dernière. "Ainsi, malgré des signes d'ordre et de paix, des cellules fanatiques exigent, par exemple, la conversion à l'islam des chrétiens ou qu'ils paient la taxe de la dhimmiya. "Et cela se passait aussi dès avant la chute de Saddam. Des papiers étaient envoyés aux chrétiens et même aux prêtres pour qu'ils se convertissent." Et puis des voyous, des prisonniers de droit commun ont été relâchés par Saddam en 2003 et ont participé au chaos.



Les chrétiens dans la Région du Kurdistan :

A partir de 1991, une zone de paix a été instaurée avec la No-Fly Zone au nord du 36° parallèle et dans les trois provinces autonomes, notamment grâce à l'action de la France. Beaucoup de villes et de villages ont été alors reconstruits, grâce à des ONG, dont Mission Enfances. Les Kurdes déplacés, les soldats déserteurs, ont pu rentrer chez eux aussi. Aussi, le climat a été bien différent, et en 2003 il régnait une paix durable dans le Gouvernement régional du Kurdistan.

A Ankawa, quartier à 98% chrétien, 30 000 personnes venues d'Irak sont ainsi venues vivre en s'ajoutant aux autochtones. Ils s'y installent, y travaillent, apprennent la langue kurde et surtout réapprennent la forme vernaculaire de l'araméen, le sureth. "C'est donc aussi un renouveau de la langue syriaque."

Enchaînant sur le renouveau du syriaque, Fulvia Alberti l'interroge sur sa grande oeuvre, son lycée mixte et multi-religieux à Duhok :

"Pour moi, c'est une des choses les plus importantes pour aller contre cette intolérance. En 1992 (dans la zone autonome kurde) il y a eu soudain la possibilité d'étudier en kurde, en arabe ou en araméen. Mais ce que je n'accepte pas, personnellement, c'est que les écoliers soient séparés les uns des autres, pour étudier chacun en leur langue. Moi, j'ai étudié côte à côte avec des Kurdes, des Arabes. Mais s'ils étudient chacun dans leurs écoles, les chrétiens ne connaitront pas de Kurdes jusqu'à leur entrée au lycée, ils ne verront que des chrétiens. De même les Kurdes doivent connaître leurs frères chrétiens et yézidis. Aussi, j'ai eu l'idée, dès 1998-1999, avec Edouard Lagourgue de Mission Enfances, d'une école qui a ouvert en 2002. Une école pour tous, chrétiens, Kurdes, Arabes, yézidis. Comme évêque et comme chrétien, je me suis décidé, avec le ministre de l'Education, à éliminer les programmes (les manuels scolaires du Baath) basés sur le fanatisme, l'histoire uniquement centrée sur les Arabes, et aussi qu'il n'y ait pas d'enseignement religieux, quel qu'il soit. Nous voulions aussi faire la promotion de la francophonie, qui maintenant va s'installer à Erbil aussi, mais nous étions des pionniers, même si nous n'avons reçu aucune aide de la Francophonie !

La majorité des étudiants sont des Kurdes, qui étudient aussi l'araméen ancien, l'araméen littéraire. Ainsi, parfois, je pose des questions de grammaire sur l'araméen ancien à mes prêtres auxquelles ils ne savent pas toujours répondre, ayant un peu oublié depuis le séminaire, alors que mes étudiants lisent et écrivent très bien l'araméen ! L'une de mes étudiantes était la première de l'école en araméen et son père, un mollah, est venu me dire combien il était fier que sa fille ait été la première parmi ceux qui étudiaient l'araméen.

Le Kurdistan doit devenir une oasis et un modèle de paix, disait monseigneur Raphaël Bidawid, mon prédécesseur à Amadiyya. Et aujourd'hui, les ministres irakiens arabes appellent tous les Irakiens à vivre cette tolérance et le respect des religions, des langues, et de l'Autre. Cette école est une réponse : Il faut connaître l'Autre et sa langue. Rappelons aussi que le fanatisme n'est pas toujours celui du terrorisme, il y a aussi le fanatisme du Bien.



Conclusion
:

"Aujourd'hui, ce que je vis au Kurdistan, c'est mon christianisme. Nous devons aimer notre pays, là où nous vivons. Nous devons rester, ne pas sacrifier toute une histoire, une civilisation de plus de 2000 ans et même d'avant, en Mésopotamie, pour être attirés en Europe, par ce que montrent les media, et ainsi perdre ce que nous sommes. Celui qui n'est pas fidèle à son pays n'est pas pour un autre pays. Il faut avoir le courage de reconstruire, malgré la souffrance. Pour avoir la démocratie, il faut que du sang soit versé, il faut patienter. Celui qui ne respecte pas son chez soi ne sera pas respecté. Les chrétiens ne sont pas obligés de baisser les bras et il faut refuser ce regard sur nous, qui dit toujours : "Ah, les pauvres chrétiens !" Il y a une fierté, une virilité chrétienne. Les chrétiens doivent vivre avec les autres pour faire ensemble l'Irak.

Aussi, il faut faire pression sur le gouvernement de Bagdad pour qu'il fasse une constitution juste pour les droits des minorités, des Kurdistanî. Ainsi, le président Barzanî a promis que toutes les lacunes qui existent dans la constitution irakienne seront comblées dans la constitution de la Région du Kurdistan (en cours d'élaboration et de vote).

Et moi je crois que la présence du christianisme au Kurdistan sera le lien avec l'Autre Lumière, éblouissante."

Rencontre avec Mgr Rabban


Après la visite ad limina à Rome des évêques irakiens, monseigneur Rabban fait une tournée à Paris. Il en profitera le lundi 9 février pour donner une conférence organisée par Communion et Libération en partenariat avec le Collège des Bernardins : "Présent et devenir des chrétiens d’Irak".

Inscription obligatoire sur le site www.clonline.org/fr ou par tél. 01 53 10 74 44.

lundi 9 février 2009 : accueil à 18h30
conférence et échange de 19h00 à 21h00
Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy 75005 Paris (métro Maubert Mutualité)


jeudi, février 05, 2009

TV : Spécial Iran

Mercredi 11 février, toute la journée sur ARTE, Spécial Iran :



10h10 : Made in Téhéran 1/10
10h15 : L'Iran, une révolution cinématographique. Documentaire de Nader T. Homayoun : Comment, du shah à la République islamique, s’est construit un cinéma novateur qui a révélé au monde les vrais visages de la société iranienne. Voyage en terre d’images, célèbres et inconnues, en compagnie d’une génération de pionniers.

11h55 : Made in Téhéran 2/10
12h00 : Chic. Spécial Iran, présenté par Isabelle Giordano
Rencontre avec l’architecte d’intérieur et designer Indhia Madhavi ; les herbes aromatiques d’Ali Moshiri ; « petite histoire » du safran ; portrait d’Hadi Teherani, architecte allemand d’origine iranienne ; «que faire avec» du riz basmati, par Ashraf Omidi.


12h30 : Le Dessous Des cartes : L’état de l'Iran, magazine géopolitique de Jean-Christophe Victor : A quelques mois des élections présidentielles iraniennes – prévues pour juin 2009 –, où en est l’Iran ?


13h00 : Architectures : La Mosquée royale d'Ispahan. Documentaire de Richard Copans, France, 2008, 25 mn. Inédit. Construite à la fin du XVI° siècle, la mosquée d’Ispahan est un enchantement de couleurs et de formes. Commanditée par le roi Abbas à l’architecte Ali Akber Isfahani en 1598, la mosquée royale d’Ispahan est un chef-d’œuvre de l’architecture persane. Cet immense bâtiment est doté de quatre minarets entourant une grande cour, une salle de prière protégée par un bulbe, quatre iwans (porches voûtés) monumentaux, des écoles coraniques, des salles pour les ablutions, un observatoire astronomique.


13h25 : Palettes : Miniatures persanes, les Jardins du Paradis. Documentaire d’alain Jaubert. À la découverte de la peinture persane, et notamment de l’une des plus belles pièces conservées au département des manuscrits orientaux de la BNF : un recueil des Cinq poèmes (Khâmseh) du grand poète persan du XIIè Nezâmi du XIIè siècle.


14h00 : Made in Téhéran 3/10.
14h05 : Le Footballeur, sa femme et sa maîtresse. Documentaire de Mahnaz Afzali. Nasser Khani est l’un des plus grands sportifs iraniens, une star du football et un entraîneur respecté. Mais lorsque sa maîtresse, Shahla Jahed, est accusée d’avoir assassiné sa femme, le héros national tombe brutalement de son piédestal. Enquête sur un fait divers qui a défrayé la chronique.

15h00 : Made in Téhéran 4/10
15h10 : Ma famille à Téhéran. Documentaire d’Afsar Sonia Shafie. Dans une famille de Téhéran, trois générations de femmes se racontent : vie de couple, aspirations amoureuses, conditions d’existence… Des paroles fortes qui montrent comment les Iraniennes parviennent peu à peu à se libérer de l’ordre patriarcal traditionnel.

16h35 : Made in Téhéran 5/10
16h40 : Meurtries, meurtrières, documentaire de Mahvash Sheikholeslami. Maltraitées, abusées, exploitées par leur mari ou leur père, ces femmes iraniennes n’ont pas trouvé d’autre recours que le meurtre pour échapper à leur condition.


17h10 : Made in Téhéran 6/10
17h15 : Des lettres pour le Président. Documentaire de Petr Lom. Petr Lom a suivi le Président Ahmadinejad dans les campagnes iraniennes, lorsqu’il s’adresse à la population rurale sur la situation intérieure du pays et sur sa politique étrangère dirigée contre les Etats-Unis. Ces images sont exclusives et uniques : Petr Lom est le seul réalisateur étranger qui a été autorisé à suivre le Président Ahmadinejad dans ses campagnes à travers le pays. Donnant la parole aux partisans religieux d’Ahmadinejad des campagnes, comme aux jeunes étudiants de Téhéran, ce film révèle les difficultés économiques auxquelles doivent faire face de nombreux Iraniens.

18h05 : Made in Téhéran 7/10
18h15 : La cave aux trésors. Documentaire de Bahman Kiarostami . Où trouve-t-on l’une des plus belles collections d’art contemporain, comprenant des œuvres de Picasso, Kandinsky, Miro,
Warhol, Monet, Van Gogh ou encore Pollock ? Dans les sous-sols du Musée d’art contemporain à Téhéran ! Récit d’une incroyable histoire, par le fils d’Abbas Kiarostami.


19h00 : Toutes les télés du monde. La télévision des Iraniens, réalisation : Sonia Kronlund. Pour les Iraniens, il y a deux télés : la télévision nationale, où les cours de morale côtoient les leçons de décoration florale ; et les chaînes iraniennes diffusées depuis l’étranger, captées par des paraboles cachées, qui montrent tout ce que les autorités religieuses interdisent.


20h44 : Made in Téhéran : 8/10
20h45 : Iran, une puissance dévoilée, un film écrit par Jean-François Colosimo réalisé par Jean michel Vecchiet. Du début du XX° siècle à nos jours, ce film retrace le destin contrarié d’une nation pivot, prise entre la tradition et la modernité, la sécularisation et la religion, la soumission et l’indépendance, l’occident et l’orient.Pays carrefour, nation divisée, l’Iran se relève d’un siècle de convulsions politiques. La crise du nucléaire a révélé sa volonté de puissance à la face du monde. Pour la première fois, ce film remontera cent ans d’histoire iranienne, jusqu’aux sources de la confrontation de l’Iran aux puissances occidentales. De 1908 à 2008, de la découverte du pétrole à la crise du nucléaire, voici un voyage spectaculaire au cœur d’un pays et d’un peuple, une fresque colorée qui privilégie le dialogue avec l’histoire vécue, qui dévoile les images d’archives et les documents d’époque avec des entretiens exclusifs et totalement inédits de témoins majeurs de l’histoire iranienne (l’ancien président de la République iranienne Hachemi
Rafsandjani, Zbigniew Brzezinski, Hubert Védrine, etc.), et qui donne la parole aux Iraniennes et aux Iraniens d’hier et d’aujourd’hui. Un regard croisé, sans préjugés et sans concessions, d’eux sur nous, de nous sur eux.

23h05 : Made in Téhéran : 9/10
23h10 : Le Cercle (Dayareh), film de Jafar Panahi : La course désespérée de femmes proscrites dans une Téhéran aux allures de prison, quadrillée par un ordre implacable. Un film âpre, magnifiquement filmé et interprété, de Jafar Panahi.


0h35 : Made in Téhéran 10/10.

mardi, février 03, 2009

Conférence

Quand tu te retires du monde
Le monde ne s'arrête pas pour autant
Ne se retire pas
Quand tu vas dans le vaste monde
Tu ne deviens pas vaste pour autant
Quand tu te prives de la multitude
Tu n'occupes pas pour autant ta solitude
Tu ne l'élargis pas
Quand tu te chasses du bruit
Tu ne découvres pas pour autant le silence
Quand tu te coupes les branches
Tu n'augmentes pas pour autant
La sève qui irrigue ton front

Seyhmus Dagtekin, Au fond de ma barque :


Le samedi 14 février 2009
à 16 h

Rencontre avec Seyhmus Dagtekin
poète, romancier
prix de l'Académie française "Théophile Gautier 2008"

Institut kurde de Paris, 106 rue Lafayette, 75010 Paris.
M° Gare du Nord, Poissonnière, Gare de l'Est
Entrée libre.




  • Poche: 93 pages
  • Editeur : L'idée bleue (1 avril 2008)
  • Collection : Le dé bleu
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2840312468
  • ISBN-13: 978-2840312468

Biographie de l'auteur
Sephmus Dagtekin est né en 1964 à Harun, village kurde au sud-est de la Turquie. Après des études dans l'audiovisuel à Ankara, il arrive en 1987 à Paris où il réside. Il écrit en français, en kurde ou en turc. Il a publié plusieurs livres au Castor Astral, parmi lesquels Les Chemins du nocturne (Prix international de poésie francophone Yvan Goll) et Juste un pont sans feu (Prix Mallarmé 2007), ainsi que chez Robert Laffont un roman A la source, la nuit (mention spéciale du Prix des Cinq Continents de la Francophonie).

Spectacle : Kurdomania



Le jeudi 13 février 2009 à 21h
au Satellit Café

Issa & Youssef Hbeisch

Chants et danses des fêtes Kurdes

Issa : Saz et chant
Youssef Hbeisch : multi instrumentaliste, percussions

Entrée :
8/10€

Issa Hassan

"Quand on est Kurde il est difficile de passer à côté de la danse kurde. Il est même quasi impossible, voire inimaginable, qu’un Kurde ne sache pas faire deux pas de danse ou pousser une chansonnette…
Certaines personnes cependant sont plus attirées que d’autres par cet art. C’est un peu mon cas. Dès l’âge de cinq ans, je dansais déjà avec les grands ! Je ne quittais pas ma petite guitare en plastique puis la vraie guitare de grand, et enfin le saz reçu à l’âge de 12 ans. Les premières chansons que j’ai jouées venaient des danses traditionnelles kurdes… 24 ans après, j’ai eu envie dans cet album de faire partager le bonheur de mon parcours initiatique et la joie de ce peuple encore si méconnu.

J’aimerais citer ces immenses chanteurs qui ont été ma source d’inspiration « pour cet album »: Youssef Chalabi, Daham, Silê Daham, Mohamed Arif Cizrawî, Hesen Cizrawî, Issa Berwarî, Said Youssef et Sivan Perwer…"


Youssef Hbeisch

Multi-percussioniste d’une grande finesse, Youssef Hbeisch a le pouvoir de rendre les percussions « spirituelles ». Il a développé tout un jeu plein d’imagination entre polyrythmie et timbres. Il prépare un livre sur les possibilités musicales de la polyrythmie. Que ce soit dans le monde de la musique orientale ou de la fusion-jazz, sa collaboration ainsi que ses master-class sont recherchées à travers le monde.

Musicien palestinien né en 1967 dans un village de Galilée, il a étudié la musique et la philosophie à l’Université de Haïfa. Spécialiste reconnu des percussions orientales, il maîtrise en outre des traditions musicales variées (indiennes, cubaines, africaines, latines) dont il mâtine son jeu pour en faire un style unique, subtil et novateur salué par les connaisseurs.

Il a enseigné durant sept ans au Conservatoire Edward Saïd (Palestine). Il enseigne à Beit Al Musica (Shefa Amr), seul conservatoire arabe d’Israël ; et donne chaque année, depuis 2004, un séminaire mensuel au Département des Musiques du Monde de l’université de Göteborg (Suède). Dans les écoles, associations, centre culturels et communautaires, il anime régulièrement des ateliers visant à présenter aux participants les musiques de différentes cultures, à travers leurs rythmes. D’autres ateliers, dans une perspective de thérapie par l’Art, visent à développer l’expression personnelle, l’intercommunication et la dynamique de groupe. Cette pluralité d’expérience lui a permis d’élaborer une méthode d’enseignement originale, pour le rythme et les percussions.


Il est membre de plusieurs ensembles :

En Palestine : Karloma, l’OME (Oriental Music Ensemble) ;

En France : le Trio Joubran, Abed Azrie, l’Ensemble Araméa de Rula Safar (musique baroque), le Quintet Elie Maalouf (jazz oriental) ;

En Suède : duo avec Ahmad Khatib.

Il s’est produit avec Bratsch, L’Ensemble de la Paix de Soeur Marie Keyrouz (musique sacrée), le groupe belge de modern jazz Aka Moon, l’ensemble Saltanah avec Durzaf Himdani, le groupe occitan Lo Cor de la Plana (France), Simon Shaheen (États-Unis), Süleyman Erguner (Turquie), Sameer Makhoul (Israël/Palestine), Issa Hassan, Ibrahim Maalouf (France), ou récemment à l’Unesco avec Jasser Haj Youssef…

Yousef Hbeisch a participé à de multiples festivals : Festival de jazz d’Anvers, Festival des Suds d’Arles, Festival de Théâtre Alternatif de Saint Jean d’Acre, Festival Gnaoua d’Essaouira, Festival de Jérusalem, etc...

Il a composé et joué pour le cinéma et le théâtre : théâtre Al Midan (Haïfa), théâtre Al Laz (Akko) et théâtre Al Nikab (Ussefia).

Il a enfin enregistré avec Soeur Marie Keyrouz, Elie Maalouf, le Trio Joubran, Abed Azrie et Cheb Khaled pour Bratsch.

Youssef vit entre Haïfa, Paris… et les scènes du monde entier.

Concert de soutien à l'Institut kurde