dimanche, novembre 30, 2008

Conférence : La Route de la Soie

Les 4 et 11 décembre et 8 et 15 janvier :

Conférences Clio :

"La Route de la soie, des origines aux Mongols"




par Étienne de La Vaissière Maître de conférences à l’École pratique des hautes études.

Présentation :

"Loin d’être née sous la plume des marchands romains ou de Marco Polo, l’expression « route de la soie » est d’invention récente : elle fut proposée en 1877 par von Richtofen, un géographe allemand. Jamais les marchands de Samarcande ou de Venise n’ont pensé leur commerce avec cette image d’un long fil de soie tendu de la Chine à l’Occident. Or, profitant de la déliquescence de l’empire chinois, les puissances occidentales envoyèrent, au début du XXe siècle, de nombreuses expéditions scientifiques vers l’Asie centrale chinoise, dont les résultats furent extraordinaires. Des civilisations, des langues sortirent de l’ombre, totalement inconnues auparavant. En outre, après la seconde guerre mondiale, l’URSS et la Chine accordèrent pour des raisons idéologiques, un primat et des crédits à l’archéologie. Des villes entières furent fouillées, des dizaines de milliers de textes découverts. Enfin, les nouvelles découvertes et les anciens corpus sont, depuis une quinzaine d’années, en train d’être intégrés les uns aux autres : qui sait que l’on connaît mieux désormais Samarcande en 720 ou Dunhuang en 900 que Paris ou Londres aux mêmes dates ? Paradoxalement, après avoir été laissée de côté par l’évolution de la recherche, l’idée de "route de la soie" pourrait maintenant en être revivifiée. Au lieu de survoler cet espace en s’intéressant essentiellement aux deux extrémités de la chaîne, et à de romantiques caravanes de chameaux entre les deux, on peut désormais identifier précisément les groupes sociaux, les facteurs économiques, les rythmes ayant présidé à l’établissement de liens commerciaux de grand rayon. Bref, conserver l’image d’une route de la soie, mais en la traitant de l’intérieur, en lui redonnant sa véritable histoire, sa chronologie, loin d’un Orient immobile, éternellement figé dans la poussière de bazars immémoriaux… Les quatre conférences aborderont chronologiquement cette nouvelle histoire de la route de la soie des origines aux Mongols."

* L’étape kouchane : jeudi 4 décembre 2008 à 11h00
* L’étape sogdienne : jeudi 11 décembre 2008 à 11h00
*L’étape musulmane : jeudi 8 janvier 2009 à 11h00
* L’étape mongole : jeudi 15 janvier 2009 à 11h00

Toutes les conférences ont lieu à Paris, à la Maison des Mines, 270 rue Saint-Jacques (5e) Métro : Port-Royal ou Luxembourg.

Entrée pour une conférence : 13 € Étudiants de moins de 26 ans : 10 € Carte Fidélité : 100 € pour 10 conférences. Carte Amis de Clio : 150 € pour 20 conférences

samedi, novembre 29, 2008

Mahhyâ' et H'amadât les preux



Les Croisés poursuivent les Turcs
(ms. Bibliothèque Médicis)


Comme les Arabes, les Kurdes peuvent se trouver dans les armées rivales des émirs turcs, ou bien en tribus indépendantes razziant la Syrie et attaquant indifférement l'une ou l'autre armée. Ainsi quand Usâma essaie d'attaquer la forteresse d'Apamée avec Chihâb ad-Dîn Mah'mûd Ibn Qarâjâ, il précise que ce dernier s'était arrêté "à bonne distance" de la forteresse, "avec un détachement par crainte des Kurdes".
S'ensuit d'autres prouesses d'armes accomplies par des Kurdes dont nous ne savons plus que le nom, Mahyyâ' et H'amadât. Certains détails nous informent malgré tout sur des us kurdes. Ainsi il se peut que le vêtement rouge des noces, qui est encore celui des mariées kurdes, fût aussi celui des hommes (mais dans tout le Moyen-Âge, même européen, le rouge était de toute façon la couleur de fête par excellence) :
"Un soldat à nous, un Kurde nommé Mayyâh', frappa de sa lance un cavalier franc, lui enfonçant dans le corps un fragment de sa cotte de mailles et le tuant. Quelques jours après, les Francs firent une expédition contre nous. Mayyah' venait de se marier. Il partit, vêtu pour le combat et portant sur sa cuirasse un vêtement rouge de ses noces, qui le désignait à l'attention de tous. Un cavalier franc le tua d'un coup de lance : Dieu le prenne en pitié !
Ah ! le jour de son deuil fut bien près de ses noces !"
"Autre coup de lance merveilleux : un vieux compagnon, un Kurde appelé H'amadât, fit route avec mon père - Dieu le prenne en pitié ! - jusqu'à la cour du sultan Malik-Châh, à Ispahan. Avec l'âge, sa vue faiblit. Comme il avait des enfants déjà grands, mon oncle Izz ad-Dîn - Dieu le prenne en pitié ! - lui dit : "H'amadât, tu es devenu vieux, te voilà faible. Tu nous as servis, et tu as des droits sur nous. Si tu restais à ta mosquée (il en avait une à la porte de sa maison), nous inscritions tes enfnats sur nos rôles et nous te donnerions, à toi, deux dinars chaque mois, pendant tout le temps que tu resterais à ta mosquée. - Fais donc, prince", répondit H'amadât. Cet arrangement dura quelque temps à peine, car H'amadât vint trouver mon oncle : "Prince, lui dit-il, j'ai fort à faire avec moi-même et n'en peux plus de rester à la maison. Être tué sur mon cheval a plus d'attrait pour moi que mourir dans mon lit. - A ta guise, répondit mon oncle, et il lui fit rétablir sa solde, comme avant. Quelques jours seulement se passèrent avant que l'homme de Cerdagne, le maître de Tripoli, fît une expédition contre nous. Nos hommes se hâtèrent à sa rencontre, H'amadât prenant sa part du combat. Il s'arrêta sur un monticule, face au sud. Alors, un cavalier franc le chargea par l'ouest. Un de nos compagnons lui cria : "H'amadât !" Il se retourna, vit le cavalier qui venait à lui. Il fit tourner tête à sa jument sur la gauche, assura la lance en sa main et l'enfonça tout droit dans la poitrine de son adversaire, qui fut transpercé de ce coup. Le Franc fit demi-tour, accroché au cou de son cheval et près de son dernier souffle. Quand la bataille eut pris fin, H'amadât dit à mon oncle : "Prince, si H'amadât était resté à la mosquée, qui aurait pu donner ce coup de lance ?" Cela me remit en mémoire les mots d'al-Find az-Zimânî :
Voilà comme un vieil homme usé, brisé,
Recru d'années, a frappé de sa lance !
Et si se battre au grand âge déplaît,
Ce coup, à moi, m'a rendu ma jouvence !"
Plus loin, Usâma nous donne un échantillon de l'humour kurde, toujours via le vaillant H'amadât (ce qui fait que nous avons peut-être sous les yeux, la plus ancienne blague kurde connue, sauvée pour les mémoires à la toute fin du XI° siècle) :
"Ce H'amadât dont j'ai parlé plus haut était un fin causeur. Mon père - Dieu le prenne en pitié !- m'a raconté ceci : il dit à H'amadât, alors qu'ils faisaient route vers Ispahan et que c'était l'aube : "Prince H'amadât, as-tu mangé quelque chose aujourd'hui ? - Oui, prince, j'ai mangé de la soupe. - Nous avons chevauché toute la nuit, sans nous arrêter ni faire du feu. D'où viendrait cette soupe ? - Prince, je l'ai faite dans ma bouche. J'ai, dans ma bouche, mélangé le pain à l'eau que je buvais par-dessus, et cela a fait comme de la soupe."
Des Enseignements de la vie. Souvenirs d'un gentilhomme syrien du temps des Croisades, Usâma Ibn Munqidh, trad. André Miquel, Imprimerie nationale.

vendredi, novembre 28, 2008

Coup de coeur du mois : The Companion






Ali Akbar Moradî le Yarsan et Ulas Özdemir l'Alévi. L'un né à Marash,à la frontière occidentale du Kurdistan de Turquie (j'ignore si Ulas Özdemir est Turc ou Kurde) l'autre à Guran, dans le Kermanshan. Autant dire qu'il s'agit presque d'une conjonction Orient-Occident, mais avec la parenté de ces deux religions qui appartiennent à la grande famille des spiritualités dissidentes de l'islam, yézidis-alévis-yarsans-shabaks-kaka'i. En plus d'autres ressemblances, les Yarsans et les Alévis ont en commun une place prédominante, voire essentielle de la musique dans leurs célébrations religieuses, qui se font essentiellement sous forme de semâ.

Ce n'est pas l'unique collaboration d'Ulas Özdemir avec les Yarsans, puisqu'il a joué également avec Kayhan Kalhor pour l'album The Wind, mais il n'avait qu'un rôle instrumental. Ici, dans Yare Asmany, on appréciera sa belle voix, claire et puissante.

The Companion, Ali akbar Moradi & Ulas Özdemir.

jeudi, novembre 27, 2008

Les émirs de Saladin

Hormis sa famille et ses mamelouks, quelques Kurdes illustres gravitèrent autour de Saladin, notamment les anciens compagnons de son oncle Shîrkûh :

"La figure du Kurde Sayf al-Dîn al-Mashtûb (le Balafré) est, de même, emblématique de ces émirs, anciens compagnons de Shîrkûh, qui se rallièrent tout de suite à Saladin. Sa fidélité fut sans faille et Saladin le récompensa en lui remettant, après ses conquêtes de 1187, Sidon, faisant de lui l'un de ses plus puissants officiers. Nommé à la tête de la garnison qui prit la relève dans Acre durant l'hiver 1190-1191, il fut capturé par les Francs, en juillet 1191, et libéré en avril 1192, en échange de cinquante mille dinars, une rançon qu'il eut du mal à rassembler. A son retour à Jérusalem, le sultan le reçut avec joie et lui remit Naplouse et Sébaste. L'importance de son rôle auprès de Saladin est souligné dans le fait qu'il fit partie de ceux qui prêtèrent serment avec lui, le 3 septembre 1992, pour sceller l'accord conclu avec Richard Coeur de Lion. Deux mois plus tard, cependant, il mourut à Naplouse et fut enterré à Jérusalem.

A la jonction des milieux religieux et militaires, Diyâ' al-Dîn 'Îsâ al-Hakkârî avait un profil original. Ce Kurde avait commencé sa carrière comme jurisconsulte chafiite avant de la poursuivre dans l'armée. Il portait ainsi le costume militaire mais restait coiffé du turban des oulémas. Après avoir servi dans l'armé de Nûr al-Dîn, il prit dès le début le parti de Saladin dont il devint un proche conseiller. En 1177, les Francs le firent prisonnier et il demeura trois ans dans leurs geôles. Malade, il fut soigné par un médecin arabe chrétien qui le fit libérer de ses fers et transporter chez lui en se portant garant de lui. En 1180, Saladin obtint sa libération en échange d'une importante rançon (soixante à soixante-dix mille dinars). Ensuite, le sultan mit à profit ses talents de diplomate en l'envoyant négocier avec Pahlawân, maître d'Azerbaïdjan, en 1185. De même, les liens qu'il avait noués avec les chrétiens orientaux de Jérusalem, durant sa captivité, incitèrent Saladin à le charger des négociations avec ces mêmes chrétiens en 1187."

Comment Gökbörî, souverain majeur et exemplaire d'Erbil, qu'il érigea au rang de capitale provinciale, prit possession de la ville qu'il convoita longtemps :

"Des émirs de provinces orientales abandonnèrent, eux aussi, le parti des Zenguides pour suivre Saladin quand celui-ci eut fait la démonstration de sa force. Le plus important fut sans doute le fils d'un ancien administrateur de Mossoul, Muzaffar al-Dîn Gökbürî, qui avait combattu Saladin en 1176, à Tall al-Sultân. Maître de Harrân, en Haute-Mésopotamie, il vint trouver Saladin, en 1182, pour l'encourager à s'emparer des territoires à l'est de l'Euphrate. Saladin le remercia en lui remettant Edesse, dont il s'était emparé cette année, ainsi que Samosate. Au printemps 1185, Gökbürî tomba momentanément en disgrâce. Saladin, n'ayant pas reçu de lui l'aide financière qu'il lui avait promise, semble l'avoir soupçonné de sympathies en faveur des dirigeants de Mossoul. Sur sa route vers Mossoul, il s'arrêta donc à Harrân où il fit emprisonner l'émir. Al-Fâdil laisse entendre que Gökbürî réclamait dès cette époque les territoires de son frère, maître d'Irbil, que Saladin refusait de lui donner. Le fidèle chancelier de Saladin restait toutefois persuadé qu'il ne s'agissait là que d'un malentendu dû à la trop grande témérité de l'émir et en appelait au pardon du sultan dans une lettre adressée à l'un de ses hommes de confiance :

Je ne doute pas que les bons sentiments de Saladin apparaîtront bientôt. [...] La cause de cette offense n'est qu'une trop grande hardiesse. [...] Mon absence en un moment comme celui-ci, ô Dieu, m'est difficile à supporter et je ne l'ai pas choisie. [...] Mais si - à Dieu ne plaise - tu perçois quelque chose qui nécessite ma présence, je viendrai même si je dois voyager sur une mule et supporter la chaleur sans même [l'abri] d'une tente.


L'affaire fut, en effet, très vite réglée et le malentendu dissipé, car Saladin n'avait aucun intérêt à s'aliéner l'un des émirs les plus puissants de la région, ce qui l'aurait non seulement privé d'un important soutien mais aurait aussi inquiété les autres émirs de Jéziré. Gökbürî ne passa donc que quelques jours en prison. Avec sa liberté, Saladin lui rendit ses territoires et lui accorda même, quelques temps plus tard, la main de sa soeur Rabî'a Khâtûn dont le premier mari venait de mourir. Une fois la confiance retrouvée, Gökbürî fut considéré comme un des meilleurs émirs de Saladin. C'est à lui que fut confié le commandement de l'aile gauche de l'armée à la bataille de Hattîn et, l'année suivante, 'Imâd al-Dîn ne tarit pas d'éloges en le décrivant comme celui "qui fit jaillir le feu du briquet de la victoire quand il cachait son célèbre sabre dans le sang de l'ennemi". En 1190, son frère, à qui il n'avait jamais pardonné d'avoir hérité d'Irbil à sa place, mourut, ce qui lui permit d'obtenir de Saladin l'échange de ses territoires (Edesse, Harrân et Samosate) contre ceux de son frère. En novembre 1190, il quitta Saladin pour aller prendre possession d'Irbil et ne devait plus jamais revoir le sultan."


Anne-Marie Eddé, Saladin, II : Le sultan, 10, L'appui des élites.

TV : De l'autre côté, Persépolis, Nelly Amri, Enis Batur

TV : Samedi 29 novembre, à 20h50 sur Canal+ Cinéma : De l'Autre Côté, de Fatih Akin, 2007.

"Malgré les réticences de son fils Nejat, Ali, veuf, décide de vivre avec Yeter, une prostituée d'origine turque comme lui. Mais Nejat, jeune prof d'allemand, se prend d'affection pour Yeter lorsqu'il comprend qu'elle envoie son argent à sa fille en Turquie, pour lui payer des études. La mort accidentelle de Yeter éloigne durablement le père de son fils. Nejat se rend à Istanbul dans l'espoir de retrouver la trace d'Ayten, la fille de Yeter. A Hambourg, Ayten sympathise avec Lotte, une étudiante allemande aussitôt séduite par le charme et l'engagement politique de la jeune Turque. Lotte propose même à Ayten de l'héberger chez elle, malgré les réticences de sa mère, Susanne. Arrêtée et placée en détention, Ayten est finalement reconduite à la frontière puis incarcérée en Turquie. Sur un coup de tête, Lotte décide de tout abandonner et de se rendre en Turquie."



TV

Mercredi 3 décembre à 16h20sur Canal+ : Persépolis, film d'animation de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, France/USa, 2007.

"Téhéran 1978 : Marjane, huit ans, songe à l'avenir et se rêve en prophète sauvant le monde. Choyée par des parents modernes et cultivés, particulièrement liée à sa grand-mère, elle suit avec exaltation les événements qui vont mener à la révolution et provoquer la chute du régime du Chah.
Avec l'instauration de la République islamique débute le temps des "commissaires de la révolution" qui contrôlent tenues et comportements. Marjane qui doit porter le voile, se rêve désormais en révolutionnaire.
Bientôt, la guerre contre l'Irak entraîne bombardements, privations, et disparitions de proches. La répression intérieure devient chaque jour plus sévère.
Dans un contexte de plus en plus pénible, sa langue bien pendue et ses positions rebelles deviennent problématiques. Ses parents décident alors de l'envoyer en Autriche pour la protéger.
A Vienne, Marjane vit à quatorze ans sa deuxième révolution : l'adolescence, la liberté, les vertiges de l'amour mais aussi l'exil, la solitude et la différence."




Radio

Dimanche 30 novembre à 18h10 sur France Culture : Le Soufisme au féminin, avec Nelly Amri auteur de La Sainte de Tunis (Sindbad, 2008). Cultures d'islam, A. Meddeb.

Le soufisme féminin reste le parent pauvre de la recherche sur la mystique musulmane, et les femmes soufies les absentes de l’histoire. ‘Âisha al-Mannûbiyya (m. 665/1267), incarnant la figure de la parfaite “ravie” en Dieu, qui transgresse les normes et revendique les deux dignités de qutba (pôle spirituel) et de khalîfa (vicaire de Dieu sur terre), témoigne de ce fait fortement de la vitalité et de la richesse des modèles féminins de perfection humaine en islam.

La Dame de Tunis, de son surnom le plus célèbre, est l’une des rares saintes médiévales à être créditée d’un recueil de manâqib (hagiographie), dont la rédaction est attribuée à l’imâm de la mosquée de Manouba (à six kilomètres à l’ouest de Tunis). ‘Âisha a une vingtaine d’années au moment où les Hafsides commencent à gouverner l’Ifriqiya et meurt dix ans avant la fin du règne d’Al-Mustansir (647-675/1249-1277), qui prit officiellement le titre califal et prolongea la période de paix, de sécurité et d’essor économique inaugurée par son père Abû Zakariyya.

Cet ouvrage présente la première traduction en français de l’hagiographie de la sainte, le récit de ses nombreux prodiges, les propos extatiques qui lui sont attribués, ses oraisons et prières, ainsi que les conseils, enseignements et exhortations qu’à titre de testament spirituel elle délivre à ses disciples ou à des personnes qui la sollicitent.
Nelly Amri est historienne et professeur à l’université de la Manouba-Tunis.
Elle a écrit entre autres Les Femmes soufies ou la Passion de Dieu (avec Laroussi Amri, éditions Dangles, Saint-Jean-de-Braye, 1992), Sainteté et société. Contribution à l’histoire religieuse et sociale de l’Ifriqiya hafside (2e éd., Tunis-Beyrouth, 2006, en arabe), Le Culte des saints en islam : les messagers de l’espérance. Sainteté et eschatologie au Maghreb aux XIVe et XVe siècles (Cerf, Paris, 2008), Le Soufisme en Ifriqiya à l’époque médiévale (Contraste Editions, Tunis, 2008, en arabe) et a codirigé avec Denis Gril le volume Saint et sainteté dans le christianisme et l’islam. Le regard des sciences de l’homme (Maisonneuve et Larose, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Paris, 2007).




Jeudi 4 décembre à 21h00 sur France Culture : Enis Batur, poète, romancier, essayiste et éditeur. Affinités électives, Francesca Isidori.

RTE fait de la hotline

Le Premier Ministre turc, bien agacé par l'arriération en matière de technologie de l'information qu'il rencontre même parmi les professionnels des media de son pays, s'est décidé à donner une leçon de contre-censure à cette bande d'empotés. Lors d'une conférence de presse, ayant déclaré qu'il avait suivi les dernières activités du parti CHP (l'opposition) via YouTube, une question (plus ou moins) innocente fusa dans l'assemblée :

- Mais YouTube n'est pas interdit en Turquie ?

Devant tant d'incompétence, le chef du gouvernement a dû y aller de sa petite leçon : Internet pour les Nuls :

"Si je vois YouTube, vous aussi pouvez le voir ! "('béciles ...) ; et d'expliquer obligeamment à cette bande de demeurés qu'il suffisait de taper "comment ouvrir YouTube" ou "la méthode pour accéder à YouTube" sur Google ou Yahoo et on avait instantanément cent mille réponses.

Ah là là, c'est du boulot d'être Premier Ministre en Turquie. Non seulement il faut censurer mais en plus aller expliquer soi-même à ses ahuris de concitoyens comment contourner sa propre censure, pfff, vivement la retraite...

(source Blog de Turquia via avesta)

Un référendum chasse l'autre...

Le gouvernement irakien, qui rechigne à adopter les accords du SOFA, permettant aux troupes américaines de rester en Irak après l'expiration du mandat de l'ONU, soit à la fin de l'année, envisage de consulter le pays par référendum sur la teneur de l'accord.

"Il n'y a pas que le parlement irakien qui a un rôle dans l'examen de cet accord, mais le peuple irakien" a assuré l'un des négociateurs pour Bagdad, Muwafaq al-Ruba'y. (source PUK Media)

Curieux comme pour certaines consultations populaires, il n'y apparemment aucun obstacle insurmontable ni de délai nécessaire, alors que pour d'autres, par exemple le référendum inscrit pourtant dans l'article 140 de la constitution et qui doit permettre à la population de Kirkouk, Khanaqin, Sindjar et Sheikhan de décider son retour ou non dans les régions kurdes, d'un seul coup, tout devient plus compliqué...

mercredi, novembre 26, 2008

Le clan de Saladin

"Sa légitimité de souverain, il l'acquit bien davantage par son action religieuse, politique et militaire, mais pour lui assurer solidité et continuité, il opta dès les premiers temps pour un système politique fondé sur la solidarité familiale et sur cet esprit de parenté ou de clan ('asabiyya) que le grand historien Ibn Khakdûn définissait, au XIV° siècle, comme la principale force motrice de l'histoire :

Lorsque celui qui participe à l'esprit de clan ('asabiyya) arrive au pouvoir et demande à être obéi, s'il trouve la voie de la domination et de la force, il la suit parce qu'elle correspond à ses vœux. Mais il ne peut réussir complètement sans l'aide de l'esprit de clan, qui oblige les autres à le suivre. Le pouvoir royal est donc un but que l'esprit de clan permet d'atteindre.

En répartissant le pouvoir entre les membres de sa famille, Saladin se situait dans la tradition non seulement des Turcs seldjoukides mais aussi des dynasties arméniennes et kurdes du nord-ouest de l'Iran. Les territoire de la petite dynastie kurde des Shaddâdides (environ 950-1170) au service de laquelle se trouvait Shâdhî, le grand-père de Saladin, étaient déjà partagés entre deux principales branches de la famille et lorsque Shâdhî quitta Dvîn avec ses deux fils, Ayyûb et Shîrkuh, pour aller s'installer en Irak, c'est ce même système de souveraineté familiale qu'ils retrouvèrent, organisé sur une échelle beaucoup plus vaste par les Turcs seldjoukides. L'influence de ces derniers sur Saladin fut évidente, même si elle s'exerça indirectement par l'intermédiaire de la dynastie zenguide de Syrie qui, elle-même, était une émanation du système seldjoukide.

Omniprésente, la conception familiale du pouvoir n'excluait ni l'autorité ni la suzeraineté du chef de la famille. Mais deux traditions pouvaient dans ce domaine s'opposer : celle qui était héritée de la tradition monarchique islamo-persane privilégiait la succession de père en fils tandis que celle des Turcs d'Asie centrale préférait remettre le pouvoir au membre le plus âgé de la famille, qu'il fût ou non le fils du souverain précédent. Cette double influence explique sans doute la place très importante accordée, dans un premier temps, par Saladin à ses frères et à ses neveux, puis sa décision, en 1186, de redistribuer ses territoires entre ses fils."

Mais en fait, après la mort de Saladin, la dissension et l'incompétence moindre de ses fils, hormis al-Malik al-Zahir le prince d'Alep, fit rebasculer le pouvoir dans les mains de Malik al-'Adil, le frère de Saladin.


Anne-Marie Eddé, Saladin, II : Le sultan, 9, Fonder une dynastie.

Le pouvoir de Saladin

"Dans sa marche vers le pouvoir, Saladin fut surtout aidé par ses succès militaires et par la division de ses adversaires. En outre, son héritage familial, sa détermination à appliquer la loi religieuse et à mener le jihad et surtout la caution que lui accorda le calife lui fournirent l'autorité nécessaire sans laquelle son règne serait apparu comme une tyrannie. dans nos sociétés contemporaines, un pouvoir politique trouve sa légitimité dans les élections. En terre d'islam au Moyen Âge, cette légitimité reposait sur le respect d'un système hiérarchique de délégation des pouvoirs. Le calife tenait son pouvoir de Dieu. Il en déléguait une partie au souverain (sultan, prince, grand émir) qui lui-même nommait des représentants ou des auxiliaires pour exercer en son nom la justice, contrôler l'administration, faire régner l'ordre et défendre le territoire, le tout théoriquement au service de Dieu et pour le bien des sujets."

Sur la prédilection de Saladin pour la Syrie, son pays de prédilection, sa "patrie" véritable, où il résida plus qu'ailleurs et où il choisit aussi de mourir :

"A partir de la Syrie, Saladin pouvait étendre sa domination sur la Haute-Mésopotamie, entre Tigre et Euphrate, afin d'y puiser les renforts nécessaires au jihad, tout en restant proche de l'Egypte d'où provenait une grande partie de l'argent et des hommes. Mais l'intérêt de Saladin pour cette raison avait aussi des fondements plus personnels. La Syrie était le pays de son enfance et de sa jeunesse. Baalbek, Alep, Damas étaient des villes où il avait vécu plusieurs années et auxquelles il étaitt rès attaché ; Damas tout particulièrement, dont Ibn Shaddad disait d'ailleurs : "Saladin aimait cette ville et la préférait comme résidence à toute autre." A 'Imâd al-Dîn, Saladin confia, un jour de l'année 1186, en regagnant Damas après sa campagne en Haute-Mésopotamie : "Loué soit Dieu qui nous a ramenés et qui en repoussant l'adversité nous a rendu notre pays." Un amour que les Damascènes lui rendaient bien à en juger par l'accueil enthousiaste qu'ils lui réservèrent ce jour-là."

Peu touché par les charmes de l'Egypte, ce continent à lui tout seul - "Dans une lettre adressée à al-Fâdil, il compara, un jour, la phase égyptienne de sa carrière à une aventure avec "une prostituée (l'Egypte) qui a en vain essayé de m'éloigner de ma fidèle épouse (la Syrie) - il ne fut jamais non plus, pas plus que ses frères, un prince du "pays kurde". Paradoxalement le monde de la Djézireh, de la Haute-Mésopotamie, comme celui de l'Irak, son pays natal, lui resta assez étranger, alors que les princes turcomans, artoukides et zenguides, y furent mieux implantés de son vivant. Même son beau-frère Gökburî, le prince qui rénova tout Erbil était turkmène, tout comme les princes de Mossoul et de Sindjar, de Hisn Kayfa, de Kharput, de Djézîr :

"Tout autre était la perception que Saladin avait de l'Irak. Ses premières expéditions en Haute-Mésopotamie n'eurent d'autre but que de s'assurer la possession de la Syrie du Nord, en empêchant d'abord les renforts d'arriver de Mossoul, en échangeant ensuite les villes dont il s'était emparé en Jéziré contre Alep. Après 1183, en revanche, ses expéditions à l'est de l'Euphrate furent surtout justifiées par le besoin de recruter des troupes pour son jihad contre les Francs et pour renforcer la défense des villes syriennes que l'Egypte, elle-même menacée, à l'intérieur comme à l'extérieur, ne suffisait plus à protéger. Même si Saladin fut un moment tnté d'étendre son pouvoir bien au-delà des régions frontalières de ses Etats, la maladie qui faillit l'emporter, en 1186, le ramena à des objectifs plus réalistes et plus proches de ceux qu'il proclamait officiellement. Une fois signé l'accord avec Mossoul et les principales villes de Jéziré, ses actions sur le terrain montrent qu'il renonça à ses expéditions dans cette région, même s'il continua de se plaindre de ne pas recevoir autant de secours qu'il eût souhaité. En 1191, deux ans avant sa mort, il accepta de confier la partie occidentale de la Jéziré à son neveu Taqî al-Dîn, mais en lui faisant promettre de respecter l'accord précédemment conclu avec les autres émirs. La consolidation de la présence ayyoubide dans cette région répondait moins aux intérêts immédiats de Saladin qu'aux ambitions de Taqî al-Dîn, ainsi que nous le verrons plus loin. Saladin pouvait difficilement refuser de remettre à son neveu les territoires de Jéziré qu'il réclamait, mais s'il en attendait une aide militaire renforcée, la suite des événements - c'est-à-dire la mort de Taqî al-Dîn en cette même année et le début de révolte de son fils al-Mansûr - allait lui montrer que la solidarité familiale n'allait pas toujours de soi. C'est finalement al-'Âdil qui hérita de ces territoires de Haute-Mésopotamie, disparates et morcelés, et c'est lui, beaucoup plus que Saladin, qui implanta dans cette région les fondements du pouvoir ayyoubide."

Anne-Marie Eddé, Saladin, II : Le sultan, 8, La conception du pouvoir.

mardi, novembre 25, 2008

"Sarhank" Ibn Abî Mançûr

Bibliothèque de l'Escurial, Madrid

ça et là, dans les Mémoires d'Ousamâ, surgissent quelques "chevaliers" kurdes, combattants dont nous ne savons que le nom, mais qui parfois avaient eu une renommée en leur temps, surtout par leurs exploits guerriers. Ainsi de ce "Sarhank" (lire Serheng, l'équivalent de Serdar, commandant militaire) qui fit pleurer le seigneur de Hama, dans un des énièmes affrontements entre musulmans, qui avant Saladin (et après lui), passaient autant de temps à se taper entre eux qu'à se battre contre les Francs :
"Je parlerai, par exemple, comme de choses que j'ai pu voir, du point d'honneur du chevalier qui le fait se porter au-devant du danger. Il y avait rencontre entre nous et Chihâb ad-Dîn Mah'mûd Ibn Qarajâ, alors seigneur de Hama. La guerre qui nous opposait ne se donnait nulle relâche, les détachements étaient toujours sur pied et la charge était de règle entre les plus fougueux. Je vis venir à moi un homme, l'un de nos soldats, de nos cavaliers les plus remarqués, nommé Jum'a, des Banû Numayr. Il était en larmes. "Qu'as-tu donc, Abû Mah'mûd ? demandai-je. Est-ce bien le moment de pleurer ? - J'ai reçu, me répondit-il, un coup de lance de Sarkhan Ibn Abî Mançûr. - Bon, Sarhank t'a frappé. Et après ? - Après, rien, sauf que j'aie pu être frappé par quelqu'un comme Sarhank. Par Dieu, la mort m'eût été plus légère que d'être frappé par lui. Mais c'est qu'il m'a pris par mégarde, à l'improviste. " J'entrepris de le calmer et ne minimiser l'affaire à ses yeux, mais lui de faire volte-face, en ramenant en arrière la tête de son cheval. "Où vas-tu, Abû Mah'mûd ? m'écriai-je. - A Sarhank et, par Dieu, je le frapperai de ma lance, ou alors, que je meure si je n'y parviens pas !" Il disparut un moment, cependant que j'étais occupé avec les gens d'en face. Puis il revint en riant. "Qu'as-tu fait ? demandai-je. - Je l'ai frappé, par Dieu ! Sinon, mon âme m'aurait quitté." Il avait en effet chargé Sarhank qui se trouvait avec ses compagnons, l'avait frappé, puis s'en était revenu. A croire que ces vers aient voulu parler de Jum'a et de Sarhank :

Tu n'imaginais pas, si grande est ta vaillance,
Un ennemi si fort assoiffé de vengeance,
A qui l'honneur du nom interdit tout repos.
De l'homme réveillé ton repos n'a que faire,
Mais lui ne s'endort point : tu nourris sa colère,
Et comment dormirait un homme en ce propos ?
Si la chance, qui sait ? un jour, par aventure,
Tourne pour lui, il te fera bonne mesure.

Ce Sarhank, un chef des Kurdes, comptait parmi les chevaliers les plus illustres, mais il était jeune, tandis que Jum'a, homme mûr, avait pour lui cette qualité à part que donne l'âge, et un courage plus confirmé."
Usâma rementionne plus loin dans ses souvenirs ce Sarhank en face de ses troupes, avec les autres "cavaliers de l'armée de Hama : Ghâzî at-Tallî, Mah'mûd Ibn Baldâjî, H'ad'r aat'T'ût' et le généralissime Khut'lukh. Ils étaient supérieurs en nombre, mais nous les char^geâmes et les fîmes reculer."
Des Enseignements de la vie. Souvenirs d'un gentilhomme syrien du temps des Croisades, II, Tout arrive quand et comment le destin l'a voulu, Ousamâ Ibn Munqidh, trad. André Miquel.

lundi, novembre 24, 2008

Turcs, Kurdes et Arabes

"L'attribution du poste de vizir à un lieutenant de Nûr al-Dîn ne manqua pas de soulever aussi des inquiétudes du côté égyptien. Les habitants de ce pays assistaient, en effet, à une double et profonde mutation : d'un côté, un pouvoir chiite cohabitait désormais avec un pouvoir sunnite, et de l'autre une dynastie turque, celle de Nûr al-Dîn, s'implantait aux côtés d'une dynastie arabe, celle des Fatimides. Deux mondes qui n'avaient cessé jusqu'alors de s'affronter et que beaucoup de choses opposaient a priori. La perception qu'ils avaient l'un de l'autre, faite de nombreux clichés, reflétait la méfiance réciproque qui opposait ces deux ethnies dans le monde musulman depuis le IX° siècle. Les Egyptiens désignaient la plupart du temps l'armée de Nûr al-Dîn sous le nom de "Ghuzz" (les Turcs), sans toujours faire la distinction entre Turcs et Kurdes. Ils voyaient dans ces "Ghuzz" de bons guerriers capables de les défendre contre les Francs, mais aussi des soldats souvent frustres et brutaux. Les Egyptiens détestaient les Turcs, nous dit Guillaume de Tyr, et l'auteur copte de l'Histoire des églises et monastères d'Egypte dénonce lui aussi les nombreuses destructions d'églises par les "Ghuzz".

Les Egyptiens, de leur côté, n'étaient pas toujours bien considérés par les Turcs, ni même par les Kurdes. Une anecdote est à ce sujet révélatrice. Quand le frère de Saladin, al-'Âdil, voulut accompagner l'armée de Shîrkûh en Egypte, il alla demander une sacoche en cuir à son père Ayyûb. Celui-ci lui en remit une en disant : "Si vous vous emparez de l'Egypte, offre-moi son contenant en or." Lorsqu'il arriva en Egypte, un an et demi plus tard, il réclama la sacoche à son fils. Al-'Âdil la remplit alors avec des dirhams "noirs" de faible aloi qu'il recouvrit de quelques dinars d'or. Quand Ayyûb découvrit la supercherie il s'écria : "Tu as déjà appris à tricher comme les Egyptiens !" Guillaume de Tyr ne semble pas avoir eu une meilleure idée des hommes chargés de la défense du Caire, qu'il juge "faibles et efféminés". Quant à l'auteur de la Chronique anonyme syriaque, il prétend que les Egyptiens avaient la réputation d'être des traîtres et des déserteurs. Des préjugés de part et d'autre qu'il ne faut sans doute pas prendre à la lettre mais qui reflètent bien la méfiance, pour ne pas dire l'hostilité, qui opposaient souvent les Turcs aux Arabes, la Syrie à l'Egypte."



Anne-Marie Eddé, Saladin, I : L'ascension, 3, Vizir au Caire.


Les langues de Saladin

"L'apprentissage militaire, duquel participait le polo et la chasse, n'était pas la seule occupation du jeune Saladin qui reçut aussi une éducation littéraire et religieuse. Il apprit, très probablement dès son plus jeune âge, à lire et à écrire en arabe, ainsi que l'attestent certaines lettres écrites plus tard de sa main. Parlait-il le kurde ? C'est probable, en famille tout au moins ou entre officiers kurdes. Il semble avoir eu aussi quelques notions de persan, comme en témoigne 'Imâd al-Dîn qui dit lui avoir soufflé dans cette langue, lors d'un conseil, l'attitude à adopter à l'égard d'un imâm indélicat. Si nous ne pouvons dater avec exactitude le début de son intérêt pour les sciences religieuses et les lettres, nous savons que dans sa jeunesse, il suivit les cours d'un juriste chafiite réputé, originaire d'Iran, qui enseigna à partir de 1145, à Damas et à Alep. Celui-ci composa à son intention un opuscule contenant les principes essentiels de la foi musulmane que plus tard Saladin fit apprendre à ses propres enfants.

L'histoire et la culture des Arabes, en particulier leurs généalogies et les pedigrees de leurs chevaux, l'intéressaient beaucoup et il apprit par coeur l'anthologie poétique (Hamâsa) d'Abû Tammâm, poète arabe du XI° siècle. Toutefois, même s'il marqua un intérêt certain pour les sciences religieuses et les lettres et fit toujours preuve d'un grand respect envers les oulémas, aimant à suivre leurs cours et leurs discussions, Saladin ne fut jamais lui-même un souverain savant, comme ce fut le cas de plusieurs autres princes ayyoubides."

Anne-Marie Eddé, Saladin, I : L'ascension, 2, Le temps de l'apprentissage.


vendredi, novembre 21, 2008

Saladin



Le samedi 22 novembre à 16h, Anne-Marie Eddé présentera et signera son livre 





à l'Institut kurde de Paris. Institut kurde de Paris, 106, rue La Fayette, F-75010 Paris
M° Poissonnière - Gare du Nord - Gare de l’Est.


Radio, cinéma : Gilles Veinstein, cinéma kurde

Du lundi 24 au vendredi 28 novembre 2008, à 6h00 sur France Culture : Histoire turque et ottomane. Istanbul ottomane, carrefour diplomatique (XV°-XVIII° siècles). Cours de Gilles Veinstein. L'Eloge du Savoir.



Renseignements et programmes sur le site officiel , ou téléchargable ici (pdf).

Prix Théophile Gautier 2008 : Juste un pont sans feu médaille d'argent

Juste un pont sans feu, de Seuhmys Dagtekin a reçu la médaille d'argent du prix Théophile Gautier, de l'Académie française.


« J'essaye d'habiter un souffle, une transversalité. De le faire à travers mes langues et à travers le français, sans que cela ne m'éloigne de ceux qui habitent les autres langues, les autres géographies. De tisser mes liens dans cette transversalité et les vivre intensément. Un Kafka, un Dostoïevski, un Artaud, un Deleuze, un Rûmi font partie de ma chair. Mais littéralement. Je me dis, tout comme j'appartiens à l'humain, aussi tout ce qui est humain m'appartient que je tente de relier avec ce pont, sans feu. » S.D. « Seyhmus Dagtekin, retenez ce nom, il s’agit peut-être d’un des grands poètes français de la nouvelle génération. Pas mal, n’est-ce pas pour quelqu’un qui a appris le français comme Conrad l’anglais, c’est-à-dire à l’âge adulte, et qui comme Conrad est devenu un virtuose de sa langue d’adoption. » Fouad Laroui.

Biographie de l'auteur
Seyhmus Dagtekin est venu au français à l'âge de 22 ans. Il est né en 1961 à Harun, village kurde au sud-est de la Turquie. Il fait des études en audiovisuel à Ankara, puis arrive à Paris en 1987. Récrit en turc, en kurde ou directement en français. Il est notamment l'auteur des recueils Les Chemins du nocturne, Prix international de poésie francophone Yvan Coll. Le Verbe temps, Couleurs démêlées du ciel et La Langue mordue (Le Castor Astral), ainsi que d'un roman, A la source, la nuit (Robert Laffont).

  • Poche: 92 pages
  • Editeur : Le Castor Astral (5 juillet 2007)
  • Collection : POESIE
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2859207163
  • ISBN-13: 978-2859207168

samedi, novembre 15, 2008

La formation de l'Islam, entre héritages antiques et ruptures

(Colloque organisé à Paris du 14 novembre au 3 décembre 2008)

14 novembre 2008 - L’historiographie syriaque ; Amphithéâtre de l’Institut de théologie, 83 Bd Arago, 75014 Paris.

15 novembre 2008 - Figures de Moïse - Approches textuelles et iconographiques ; EPHE, 46 rue de Lille, Paris, 75007.

17 -18 novembre 2008 - L’Orient à la veille de l’Islam : évolution du peuplement (IVe-VIIIe siècles) ; Collège de France, 3 rue d’Ulm. Paris 75005 :

Lundi 17 novembre : Évolutions environnementales à la veille de l'Islam-Évolutions de peuplements à la veille de l’Islam.
Mardi 18 novembre : Évolution des communautés chrétiennes : Le peuplement au lendemain de la conquête arabe.

19 - 20 novembre 2008 - Massacre de Najrân (Université Paris IV, Salle des actes) :

Mercredi 19 novembre : Développements syriaques.
Jeudi 20 novembre : Le Martyrion grec et ses adaptations.
Prolongements :

24 - 25 novembre 2008 - Regards croisés de l’histoire et de l’archéologie sur la dynastie Jafnide ; Fondation Simone et Cino del Luca, 10, Rue Alfred de Vigny - 75008 Paris.

28 - 29 Novembre 2008 - « Jalousie des dieux, jalousie des hommes » ; Institut national d’Histoire de l’Art, 2 rue Vivienne, 75002, PARIS - Salle Vasari.

Vendredi 28 Novembre : Jalousie au Proche-Orient ancien - Jalousie dans le judaïsme et l'hellénisme.
Samedi 29 Novembre : Jalousie, démon, démons et souffrance - Jalousie, masques et création (Auditorium.).

1er au 2 décembre 2008 - Auteurs et autorité des textes littéraires et religieux ; Collège de France, 11, Place Marcelin Berthelot salle 5 - Paris.

2 - 3 décembre 2008 - La correspondance entre souverains, princes et cités-États. Approches croisées entre l’Orient musulman, l’Occident latin et Byzance (XIIIe-début XVIe s.) EPHE, salle de conférences, 46 rue de Lille, Paris 75007).

Radio, TV, conférences, spectacle : musée aménien, Reza, De l'autre côté, naissance de l'algèbre, soufisme, Faouzi Skali, Sama' soufi,

Radio :

Dimanche 16 novembre à 8h00 sur France Culture : Le musée arménien de Paris (1949-1994). Avec Frédéric Fringhian ; Foi et tradition, J.P. Enkiri.

Du lundi 17 au vendredi 21 novembre à 20h00 sur France Culture : Entretien avec Reza. A voix nue, Ch. Caujolle.
- Lundi 17 : A la fin du règne du Shah, comment je suis devenu ce que je suis.
- Mardi 18 : Au temps de la révolution islamique et avant la révolution numérique.
- Mercredi 19 : La fabrique des images.
- Jeudi 20 : Après le départ d'Iran, l'Orient en guerre reste mon pays.
- Vendredi 21 : Un travail nécessaire et mieux qu'humanitaire : la formation de l'oeil.



TV : Vendredi 21 novembre, à 20h50 sur Canal+ Cinéma : De l'Autre Côté, de Fatih Akin, 2007.
"Malgré les réticences de son fils Nejat, Ali, veuf, décide de vivre avec Yeter, une prostituée d'origine turque comme lui. Mais Nejat, jeune prof d'allemand, se prend d'affection pour Yeter lorsqu'il comprend qu'elle envoie son argent à sa fille en Turquie, pour lui payer des études. La mort accidentelle de Yeter éloigne durablement le père de son fils. Nejat se rend à Istanbul dans l'espoir de retrouver la trace d'Ayten, la fille de Yeter. A Hambourg, Ayten sympathise avec Lotte, une étudiante allemande aussitôt séduite par le charme et l'engagement politique de la jeune Turque. Lotte propose même à Ayten de l'héberger chez elle, malgré les réticences de sa mère, Susanne. Arrêtée et placée en détention, Ayten est finalement reconduite à la frontière puis incarcérée en Turquie. Sur un coup de tête, Lotte décide de tout abandonner et de se rendre en Turquie."
Conférences :
Jeudi 20 novembre 2008 à 18h30 : Bagdad au IXe siècle, la naissance de l’Algèbre ; Institut du Monde Arabe, Paris. Salle du Haut Conseil (niveau 9)

"La capitale de l’Empire abbasside, construite par al-Mansour en 762, est rapidement devenue un foyer culturel exceptionnel, avec l’ambition de réunir l’ensemble des connaissances disponibles de l’époque. Ainsi, le règne du calife Al Ma’mun, dans la première moitié du IXe siècle, sera-t-il associé à une prestigieuse politique culturelle, incluant la célèbre entreprise de traduction des oeuvres philosophiques et scientifiques grecques. Mais Bagdad favorisa également des avancées scientifiques remarquables dans les domaines de l’astronomie, des mathématiques, de la médecine, etc. D’éminents spécialistes évoqueront ces découvertes et, plus particulièrement, la naissance d’une discipline nouvelle, l’Algèbre, dont le nom même est issu de l’arabe Al-jabr wa’l muqabalah. "

Avec la participation de : Christian Houzel, directeur de recherches au CNRS, il est l’auteur de La Géométrie algébrique : recherches historiques, éd. Blanchard, 2002 ; Régis Morelon, directeur de recherches émérite au Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes médiévales (CNRS), il est l’auteur de nombreuses études consacrées à l’astronomie et a dirigé le premier tome de l’Histoire des sciences arabes ; Roshdi Rashed, directeur de recherches émérite au CNRS, il a dirigé, avec Régis Morelon, l’Histoire des sciences arabes, oeuvre en trois volumes éditée au Seuil en 1997. En 2007, il publie, aux éditions Blanchard, l’ouvrage d’Al-Khwarizmi, Le Commencement de l’Algèbre, qu’il a traduit et commenté ; Javier Teixidor, professeur émérite au Collège de France, il est l’auteur, notamment, d’un Hommage à Bagdad : traducteurs et lettrés de l’époque abbasside, CNRS, 2007.

Du vendredi 21 novembre 2008 au dimanche 23 novembre 2008 : XIIe Rencontres Parisiennes sur le Soufisme -Forum Vaugirard - Salle Cryptes 104 rue de Vaugirard Paris 6ème M° Montparnasse, St Placide ou Duroc.

ENTREE : Tarif de la journée complète, repas compris : 25 € ( tarif réduit 20 €) Tarif de la journée sans repas 15€ (tarif réduit 10 €) Tarif de la demi journée : 10 € (tarif réduit 7 €)

Vendredi 21 Novembre de 19h30 à 22h : Conférence et débat avec Faouzi Skali.

"Faouzi Skali est anthropologue, écrivain et spécialiste du Soufisme. Fondateur du Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde et du " Forum de Fès : une âme pour la mondialisation, actuellement président de Par Chemins Concepts, agence d’ingénierie culturelle et Directeur Général du Festival des cultures soufies de Fes.

“Vivre le soufisme ici et maintenant” Le soufisme a porté un message de spiritualité universelle qui a irrigué l’ensemble de la culture musulmane et nourri ses expressions artistiques, littéraires mais aussi sociales et économiques à travers les siècles. Qu’en est-il aujourd’hui dans notre société moderne et dans un pays qui n’est pas de culture musulmane : le Soufisme a-t-il encore une place et un rôle à jouer ? Peut-il prendre des formes, qui non seulement ne sont pas incompatibles avec la modernité de notre société, son héritage judéo-chrétien et son profond enracinement dans l’Europe, mais qui éclairent et fécondent notre rapport au monde ? Si le Soufisme est toujours vivant, quel pourrait en être la réalité au coeur même de la société aujourd’hui ?

Chercheur et disciple de la voie Qâdiriya Boudchichiya, Faouzi Skali évoquera les apports possibles d’une telle spiritualité dans notre vie moderne, ici et maintenant. "

Samedi 22 Novembre de 19h30 à 22h : Sama’ avec l’ensemble Rabi’a et l’ensemble Naïm - Concert de chants soufis.

L’Ensemble Rabi’a, du nom de la sainte soufie du VIIIe siècle, est composé de femmes disciples de la voie Qâdiriya Boudchichiya issues de divers horizons (France, Afrique de l’ouest, Maghreb, Espagne et Portugal).

Le groupe Naim est composé de jeunes disciples de la tariqa (voie) qadiriya boudchichiyya. Ces jeunes choristes ont appris progressivement, et notamment lors des séances rituelles de sama’ auxquelles ils assistent regulièrement, les techniques séculaires de l’interprétation mélodique de poèmes issus du repertoire de la tradition soufie. Les thèmes du cheminement initiatique tels que le guide, l’amour, l’ivresse, le voyage... constituent la trame des chants soufis et l’émotion que suscite leur audition (sama’ ou encore audition spirituelle) fait partie de l’expérience mystique.

Dimanche 23 Novembre de 10h à 18h : Séminaire avec Faouzi Skali -“La quête du sens et la transformation intérieure”

- 10H à 12H30 : « La quête du sens »
- 12h30 à 14h30 : Repas
-14H30 à 17H : « La transformation intérieure »

Quête de sens ? Quête spirituelle ? Comment le Soufisme peut-il être une réponse pour beaucoup d’occidentaux et de musulmans de souche, en quête du sens profond de leur propre existence ? Comment le cheminement initiatique dans la voie soufie opère -t-il une transformation intérieure chez le disciple ? Quels en sont les effets ? Faouzi Skalli abordera la question de la quête du sens et du sens de la quête et évoquera comment la transformation de l’individu engagé dans une voie initiatique soufie peut être une réponse au défi de la société moderne.

mercredi, novembre 12, 2008

Detective Comics vs DTP Comiques

Il y a des films décidément marqués par la tragédie, la poisse, la malédiction des pharaons, et pis encore : Après la mort de Heath Ledger, récompensé d'un Oscar de façon posthume pour sa performance dans The Dark Knight, voici que Christopher Nolan, le réalisateur, doit affronter le retour de la vengeance du non pas du Joker, mais du maire de Batman, ennemi autrement plus effrayant, vous avouerez.

Hüseyin Kalkan, élu DTP de la ville, a en effet charitablement décidé de prendre le relais des juges turcs — peut-être un peu fatigués des célébrations nationales — pour nous faire rire. C'est très gentil à lui.

Il vient ainsi de clamer que le dernier blockbuster qui reprend les aventures de l'homme chauve-souris, n'est rien d'autre qu'un plagiat, un vol, une contrefaçon éhontée du nom de sa ville à lui, Hüseyin Kalkan. Car ce monsieur Christopher Nolan, le réalisateur, a osé emprunter le nom de la ville immortelle de Batman pour son héros, sans même demander la permission aux habitants (et surtout à son maire). Heureusement que le DTP est là pour veiller au grain, comme nous l'explique le vaillant élu : "Il n'y a qu'un seul Batman dans le monde. Les producteurs américains ont utilisé ce nom sans nous en informer."

Et Hüseyin Kalkan d'affirmer qu'il va demander des royalities, enfin des "dommages et intérêts" pour l'impact psychologique négatif que cela a eu sur ses administrés : en effet, la nouvelle a tellement affecté les Kurdes de là-bas (qui n'ont bien sûr aucun autre souci plus sérieux dans la vie) que cela a eu pour effet (anticipé) une suite de meurtres non élucidés dans la ville ainsi que des suicides de filles en série, qu'on a longtemps attribués à la pression des islamistes, des traditions de crimes d'honneur, de l'étouffante atmosphère d'une bourgade sinistre coincée entre le PKK, le Hezbollah, la mafia, les Turcs... Hé ben non, le coupable était la Warner, qui l'eût cru ?


Viennent en renfort des "anciens habitants" de la ville (les habitants actuels étant trop occupés à s'entretuer ou se suicider pour s'exprimer), qui se plaignent que maintenant, ils ne peuvent ouvrir des entreprises à l'étranger portant le nom de leur ville natale, puisque le nom du héros Batman est protégé. C'est certain que cela cause un préjudice commercial immense, tant la réputation de cette ville et sa beauté architecturale, plus le climat plaisant et détendu qui y règne poussent à la consommation...

Bien sûr, une objection va vous venir tout de suite en tête. . Il était peut-être temps que Hüseyin Kalkan se réveille, ainsi que les "anciens habitants" commercialement lésés et les serial-killers psychologiquement traumatisés. Le film ne reprend que les aventures d'un héros créé par Bob Kane en 1939, une série télévisée a été lancée dès 1966 et pour ce qui est du cinéma, Nolan n'est pas le premier à s'y mettre. Il me semble bien qu'un certain Tim Burton avait déjà commencé ses méfaits entre 1989 et 1997, avec rien moins que quatre Batman, alors que Christopher n'en est qu'à son deuxième délit.

D'autres mauvais esprits pourraient émettre l'objection que Batman n'est qu'un nom turc imposé à un petit village kurde du nom de Êlih ou Iluh, qui n'est devenu une ville que dans les années 50, après l'installation d'une raffinerie de pétrole. Bien la peine de clamer "culture kurde ! culture kurde !" et "halte à la turcification !" , mais si Paris valait bien une messe, Êlih vaut bien une poignée de dollars... Et de toute façon, ce genre d'arguments est superbement balayé par le maire, qui apparemment en connait un bout sur l'archéologie et la préhistoire de la région, puisqu'il assure qu'il va produire incessamment sous peu les PREUVES que la ville, qui "date du néolithique", s'appelait Batman avant la parution du n° 27 de Detective Comics, qui lança l'homme chauve-souris. J'ignore comment il va nous prouver qu'à l'époque néolithique il y avait là trois cahutes qui s'appelaient Batman et non Êlih, mais après tout, le PKK donne bien des cours sur "la révolution néolithique et le féminisme", alors bon, on a apparemment une poignée d'experts dans la région... (source Telegraph).


'Stupidity, however, is not necessarily a inherent trait.'
Albert Rosenfield.

lundi, novembre 10, 2008

Ousâma : un prince syrien face aux croisés

"J'ai toujours aimé Damas, la ville de mes exils, où je mourrai bientôt. Le temps presse. Cette main qui jadis terrassait le lion ou l'ennemi tremble si fort qu'elle ne peut plus écrire : il faut dicter. Se souvenir. Pardonne-moi, Seigneur, si le premier désir qui vient à ma mémoire me reporte là-bas, sur les rives de l'Oronte, vers ma jeunesse. C'est d'elle que je voudrais d'abord, et longtemps, parler. Mais non. Si ces pages doivent recueillir un jour quelque mérite aux yeux des hommes, c'est parce qu'elles leur diront que Toi seul es roi. Toi seul règles le cours de nos destinées. Toi seul sais quand et comment la mort s'apprête à nous saisir. Voyez : ce corps criblé de cicatrices n'a pas trouvé son terme au combat ni dans la chasse au lion. Qui avait prévu, sinon Toi, qu'il ne devait achever sa course qu'au bout de quatre-vingt-dix ans et plus, sur ce lit de misère où la mort même me tient éveillé ? Miracle, miracle douloureux où vient s'anéantir la gloire des vieilles batailles, pour ne plus laisser vivant que ce dernier souffle : ton nom."

Pour les petits budgets, réédition bienvenue en poche des mémoires de l'émir syrien Ousâma ibn Mouqidh, qui vécut de 1095 à 1187, et laissa un témoignage très vivant, très personnel, sur les guerres des Croisades, les rapports avec les Francs, les Kurdes, les Arabes, les coups d'épées, les parties de chasse... Ousâma est loué systématiquement de façon peut-être un peu exagérée pour sa "tolérance" envers les Francs. Il n'oublie pas d'ajouter, dans le texte original, les anathèmes de convention quand il les cite du genre "Dieu les maudisse !" qui faisait tout à fait répondant à la rhétorique d'en face. Mais il les côtoyés, les a loués ou moqués, a espéré parfois les voir enfin se tourner "vers la vraie foi", avant de se résigner à leur obstination... ou les en maudire. Bref, un homme de la Syrie médiévale, ni plus ni moins tolérant que les meilleurs des "Poulains" de Syrie, tout aussi familiers des "Turcs et Sarrasins." Il a eu pour alter-ego Guillaume de Tyr (dont l'Histoire des croisades est aussi téléchargeable sur Gallica), ce dernier dans un genre plus solennel, comme il convient à un archevêque qui fut tuteur de roi.

Fait plus notable, son éloge fréquent, son regard favorable sur les Kurdes qui détonne dans les textes littéraires où le Kurde de convention n'est guère mieux vu que le bédouin. Il est vrai qu'Ousâma est un émir, un homme de guerre et qu'il n'a donc pas pour le sang versé, que ce soit au combat ou à la chasse, la même réserve que les lettrés ou les religieux. L'émir syrien fait d'ailleurs bien la différence entre les Francs débarqués d'Europe, prêts à découdre du Sarrasin où qu'ils le voient, et les gens du cru, acclimatés et presque "civilisés" en somme. Tout comme le ton d'Ousâma diffère radicalement des récits horrifiés du voyageur andalou Ibn Jubayr découvrant la cohabitation et les arrangements paisibles entre Syriens musulmans et ceux de Saint-Jean d'Acre...

Une traduction à peu près intégrale a été publiée par le même auteur, avec illustrations en 1983 mais est aujourd'hui épuisée. Une version plus austère est téléchargeable sur Gallica; traduite par Hartvig Derenbourg, c'est lui qui a initialement découvert, recomposé les feuillets épars et les a également remanié en un ordre plus chronologique (Ousâma écrivit très librement ses souvenirs, presque sous forme de notes sans grand ordre et souvent en se trompant dans les dates).

Cette version là reprend donc l'édition de 1983, mais réécrite de façon plus fluide et dans un beau style, quoiqu'en suivant l'exacte teneur des anecdotes et récits.

Présentation de l'éditeur
L'épopée des croisades, les seigneuries franques de Terre sainte, autant d'événements et de lieux qui nous sont surtout connus à travers le récit des chevaliers chrétiens, accourus d'Occident ou natifs des États latins. Plus qu'une simple biographie du prince syrien Ousâma ibn Mounqidh (1095-1187), André Miquel livre ici une véritable leçon d'écriture et de réflexion. Ousâma, chose insolite dans la littérature de son temps, a laissé une autobiographie, dont s'inspire ce récit sur la vision arabe des croisés. Il mena la vie d'un chevalier, d'un insoumis et d'un sage. Son portrait des Francs, aussi honnis qu'intriguants, ennemis dans la foi mais égaux par la valeur, est une magnifique leçon de tolérance.

Biographie de l'auteur

Professeur et administrateur honoraire du Collège de France, André Miquel a également été administrateur général de la Bibliothèque nationale. On lui doit notamment la monumentale traduction, en collaboration avec Jamel Eddine Bencheikh, des Mille et Une Nuits dans la Bibliothèque de la Pléiade.


Avant-propos du traducteur :

"Voici un homme exceptionnel et méconnu. Né avec la première croisade, celle que prêche le pape Urbain II à Clermont, il meurt en 1188, un an après que Saladin a repris Jérusalem aux Francs. Un siècle ou presque, donc, soit deux croisades en une seule vie. Et deux croisades vues de l'autre côté, celui des Arabes et de l'Islam. Vues comment ? Par un musulman, justement, un musulman éclairé, impartial, au-delà de son engagement. Chevaleresque, oui ; car si la chevalerie, telle que la pratique alors notre Occident n'existe pas au-delà de la Méditerranée, l'esprit, du moins, en est le même de l'un et l'autre côté de la mer. Que l'on doive composer avec les Francs, aux premiers temps de leur puissance, ou bien que, l'Islam rassemblant peu à peu ses forces, on les désigne comme le vrai, le seul ennemi, reste qu'on les traite comme il se doit : à leur mesure.

Cet homme s'appelle Ousâma ibn Mounqidh. Il a deux patries : la Syrie du Nord et plus précisément Chayzar, la vieille forteresse familiale sur l'Oronte, et Damas, où il séjournera par trois fois. Dans les intervalles, il aura connu l'Egypte, auprès des derniers califes de la dynastie fâtimide du Caire, et la Haute-Mésopotamie, chez des princes turcs. Il aura vu monter, régulièrement, l'étoile de l'Islam rassemblé, dont l'ascension est scandée par les noms de trois grands capitaines et souverains, Zengi, Nour al-Dîn et Saladin.

Est-ce à dire que le livre d'Ousâma nous raconte, de bout en bout, cette histoire ? Certes pas. Elle sert, en vérité, un autre propos : Ousâma a voulu, phénomène unique dans la prose arabe classique, parler de lui. Pas comme nous l'entendrions, sous la forme d'une autobiographie ou de "confessions". Mais comme témoin, porteur d'une leçon à transmettre, celle d'un destin souverain maître de ses décisions. D'où le titre donné au livre, l'I'tibâr, littéralement l'expérience. D'où, aussi, le fait que l'histoire n'est vue ici, au travers des événements, des personnages et de l'auteur lui-même, que comme le lieu et l'occasion de cette leçon.

Ce serait, si l'on veut, l'histoire des coulisses. D'abord, dans la jeunesse d'Ousâma, sur l'échiquier très compliqué du Proche-Orient, voici les luttes que se livrent les petites principautés musulmanes, aidées l'une ou l'autre par l'alliance avec le Franc. Puis, dès que le calme revient dans le camp de l'Islam, les armes retournées contre ce Franc lui-même, en attendant que l'échiquier l'interdise à nouveau. Plus loin dans l'espace, d'autres forces apparaissent : Constantinople, les califats rivaux du Caire et de Bagdad. Enfin, sur une scène où le jeu peu à peu s'éclaire, les trois héros de la lutte finale ou du moins de ses prémices, dont les échos nous parviennent de plus ou moins loin.

Musulmans, chrétiens, Arabes, Francs, Turcs, Kurdes, Arméniens ou Noirs, ce livre est une hsitoire d'hommes. La femme y joue, comme dans la vie, un rôle essentiel, exalté même, amis discret. La famille, l'amour y cèdent la place aux aventures, aux amitiés et à l'honneur des mâles. De ceux-ci, Ousâma est évidemment le prototype. Ce n'est pas lui qui le dit, par je ne sais quelle forfanterie, mais nous, pour l'avoir vu, intraitable sur sa gloire, lucide sur ses faiblesses, et d'abord sur sa nostalgie de la jeunesse et du paradis perdu : Chayzar, le monde clos et soudé du clan accroché à son nid d'aigle et, à sa porte, le long des rivières ou sur la montagne, l'interminable aventure de la chasse."

  • Poche: 174 pages
  • Editeur : Tallandier (10 mai 2007)
  • Collection : Texto
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2847344462
  • ISBN-13: 978-2847344462



vendredi, novembre 07, 2008

Spectacles : Quartet Mahmut Demir


Le vendredi 14 novembre à 21h au Satellit Café,
concert de

Mahmut Demir : chant, saz, kabak kemané,
Jasko Ramic : accordéon,
Philippe Chahbazian : kaval, duduk, shevi,
Ercan Dursun : percussions


Musique d’Anatolie

Quatre compères se retrouvent sous la houlette de Mahmut Demir pour évoquer les paysages anatoliens : des chefs d'oeuvre paysans de la Turquie profonde (airs de danse, berceuses, complaintes amoureuses, poésie des bardes) aux musiques irrésistibles des gitans de Roumélie - avec des digressions sur les routes empruntées par ces éternels nomades.

Entre les cordes et les tambours, l'accordéon et les flûtes, l'entente est totale, la fête est là, ponctuée d'improvisations inspirées, sous le signe de ce grand melting pot culturel.

Satellit Café
44, rue de la Folie Méricourt, 75011 PARIS
Prix des places : 8/10 €, à retirer sur place ou à la FNAC.

jeudi, novembre 06, 2008

La presse et le pouvoir au Kurdistan : rapport du CPJ

Le Committee to Protect Journalists (CPJ) réclame l'annulation de la condamnation à un mois de prison infligée au journaliste Shwan Dadi par le tribunal de Sulaïmanieh. Ce journaliste avait en effet publié régulièrement des articles critiques sur ce même tribunal, lequel n'a pas dû avoir dans ses délibérés la sérénité d'esprit et l'impartialité qu'on attendait de lui. Le juge Kemal Mustafa qui, pure coïncidence, s'est retiré depuis) a donc estimé que Shwan Dadi, rédacteur en chef du journal Hawal, dont le siège est à Kirkouk s'était rendu coupable par trois fois de "diffamations" pour des articles écrits en 2004. Une amende de 300 000 dinars irakiens a aussi été réclamée.

De la prison d'Al-Salam à Suleïmanieh, Shiwan Dadi a expliqué par téléphone qu'il avait commencé d'écrire régulièrement sur les tribunaux depuis 2001 et que tout le temps où le juge Kemal Mustafa était à la tête du tribunal, les dysfonctionnements ne manquaient pas. Finalement, le journal avait révélé que Kemal Mustafa avait été mis à la retraite à la faveur d'un plan de réformes assez large mais sans citer ses sources. L'intéressé avait attaqué alors le journal pour diffamation, alléguant que son départ à la retraite était purement volontaire et n'avait rien à voir avec des questions d'ordre professionnels. Il a aussi attaqué le journaliste pour un article qui contestait la décision du Gouvernement (à l'époque celui de l'UPK, la Région n'étant pas encore réunifiée) de réinstaller dans ses fonctions en 2001. Un autre article faisait état de conflits entre le magistrat et ses employés. Bref, rien que de très banal : un journaliste affirme, l'incriminé conteste et porte plainte pour "diffamation".

Mais voilà, entre temps, la Région a été réunifié et le Parlement maintenant unique d'Erbil est en train de refondre toutes les lois, plus la Constitution. Les députés ont ainsi voté le 22 septembre une loi sur la presse (après beaucoup de méfiance et d'agitation de la part des intéressés) qui supprime les peines d'emprisonnement en cas de diffamation. L'avocat de Shwan Dadi, Khwa Rahim a déclaré avoir informé le juge de la nouvelle législation mais celui-ci a répliqué qu'il n'était pas au courant d'une "telle loi". Il faudrait veiller à améliorer les communications entre le législatif et l'exécutif, décidément. Bref, l'avocat a fait appel et le CPJ recommande à la Cour d'annuler cette condamnation : "Le Parlement régional du Kurdistan d'Irak a aboli les peines d'emprisonnement pour "offenses" dans sa loi sur la presse", répète le directeur adjoint de CPJ, Robert Mahoney. "

Cette affaire en elle-même assez insignifiante dans le climat général irakien donne l'occasion au CPJ de remettre en avant un rapport assez complet sur les rapports houleux de la presse et du gouvernement au GRK, qui date du mois de mai dernier (avant la nouvelle loi sur la presse, donc).

Dans son papier intitulé L'autre Iraq, autre surnom donné au Kurdistan quand on veut allécher les investisseurs et les touristes, Joel Campagna, le coordinateur en chef du département du Moyen-Orient et de l'Afrique du nord pour le Committee to Protect Journalists brosse un tableau critique de la difficile métamorphose d'une société en guerre depuis les années 1960, dont la presse a jusqu'ici été plus volontiers dominée par les organes des partis politiques et des mouvements de résistance que par la société civile.

Il met ainsi en exergue le cas de Nasseh Abdel Raheem Rashid, un étudiant en biologie de 29 ans, qui a finalement opté pour le journalisme, activité moins reposante. Ecrivant pour le Kurdistanpost, qui, semble-t-il est dans le collimateur des officiels, Abdel Raheem Rashid avait l'habitude de dénoncer l'ordre politique à l'intérieur du GRK et les agissements peu scrupuleux de certains hommes politiques. Quand, dans un article il a pris pour cible des vétérans peshmergas, en les accusant de "piller les ressources et les biens du peuple", la réponse ne s'est pas faite attendre. Alors qu'il se promenait dans Halabja, sa ville natale, 4 hommes armés en uniforme militaire qu'ont forcé à monter dans leur 4/4, lui ont lié les mains et les pieds, et ont couvert sa tête d'un sac. "Je ne savais pas où nous allions. Ils ont roulé quelques heures et puis sont descendus dans ce qui semblait être une route non goudronnée." Abdel Raheem raconte avoir été tiré hors du véhicule, battu à coups de poings et de pieds et menacé avec une arme d'être tué s'il n'arrêtait pas ses activités. Puis ils l'ont laissé sur place.

Partant de ce cas, Joel Campagna explique que la montée en puissance de la presse libre au Kurdistan a déclenché, de la part du Gouvernement et des institutions attaquées, des actes croissants de répression, surtout contre les journalistes qui attaquent les deux grands leaders, Massoud Barzani et Jalal Talabani, selon les dires de la presse kurde. L'enquête du CPJ fait état d'au moins 3 journalistes enlevés ou attaqués par ce que l'on suspecte être des agents du gouvernement ou des sympathisants. D'autres reporters se sont plaints de harcèlements et de menaces. Mais il est à noter qu'aucun journaliste n'a été arrêté officiellement pour avoir attaqué les autorités. Les réponses judiciaires se font de façon détournée, les journalistes arrêtés et détenus par les forces de sécurité ont été jugés selon le code pénal irakien datant du régime baathiste, encore en vigueur, qui comprend de lourdes peines de prison.

Le CPJ a donc mené une enquête sur place de deux semaines, en octobre et en novembre 2007, à Erbil et Suleïmanieh, et avoir rencontré des dizaines de journalistes, affiliés à des partis ou indépendants. A Erbil,Joel Campagna indique qu'au siège du Gouvernement, les responsables et les législateurs se disent réceptifs aux inquiétudes exprimées par le CPJ et insistent sur le fait qu'ils se sont engagés pour défendre une presse libre. Mais ces mêmes représentants se montrent incapables d'expliquer les attaques violentes contre les journalistes, minimisent les restrictions légales apportées à la presse, et critiquent eux mêmes beaucoup de journaux indépendnats et de publications Internet, les qualifiant de feuilles de choux à scandale. Le CPJ note aussi que les dirigeants des partis ne permettent pas à leurs membres de s'exprimer dans la presse sans autorisation et que les organes de ces mêmes partis lancent eux mêmes des atatques au vitriol contre les journalistes indépendants.

"Quand vous devez faire face à des problèmes sociaux et politiques, vous avez deux choix " explique Nawshirwan Mustafa, propriétaire d'un journal et ancien dirigeant de l'UPK : "Soit vous procédez à des changements, soit vous fermez la bouche des journalistes", avant d'ajouter qu'il craignait fort que la ligne dure des responsables du Gouvernement ait choisi la seconde voie.

Mais si l'on interroge ces mêmes officiels sur les contraintes imposées à la presse, ils reportent tous le blâme sur les journalistes eux-mêmes : "Nous ne prétendons pas être parfaits. .Lors des périodes de transition [vers la démocratie] vous devez passer par plusieurs étapes", répond Falah Bakir, directeur des Relations internationales pour le GRK. "Je crois au Kurdistan d'Irak, nous avons fait des pas en avant. Nous voulons une presse libre, nous voulons que les journalistes soient respectés et la voix du peuple entendue, mais ils [les journalistes] manquent d'expérience professionnelle."

Kawa Mawlud, rédacteur en chef du journal officiel de l'UPK, Kurdistani Nuwe, s'exprime encore plus rudement : "L'un des points problématiques que nous constatons n'est pas les limites imposées aux journalistes, mais le fait qu'il n'y ait pas de limite."

De fait, reconnaît le CPJ, la presse kurde n'est pas sans défaut. Les journaux indépendants, qui fonctionnent avec un budget très restreint et ont des équipes très peu formées, présentent un niveau de professionnalisme relativement bas, et leur contenu est traité d'un point de vue très politisé, comme le reconnaît Ako Mohammed ancien éditeur de lhebdomadaire Media, dont le siège est à Erbil. "Après le Soulèvement (de 1991 qui a permis à l'actuelle Région du Kurdistan d'accéder à une autonomie de fait après le retrait volontaire de Saddam Hussein des trois gouvernorats) les Kurdes n'avaient pas de journalistes. Nous avions des poètes et des écrivains, et ils sont devenus journalistes. Mais ces journaux ne fournissaient aucune information. C'était tous des articles d'opinion, idéologiques."

Lors de la période d'autonomie, qui va de 1992 à 2003, les deux partis, le PDK et l'UPK, ont donc lancé une série de media, journaux, radio, télévision, en arabe et en kurde. Leurs discours prenaient le contrepied de celui du régime baathiste "et reflétaient les aspirations kurdes". Pendant plus d'une décennie, tous ces media étaient sous le contrôle d'un des deux partis.

En 2000, quand la guerre civile a pris fin, Hawlatî, le premier journal indépendant fut fondé à la faveur de la trêve, par un groupe d'intellectuels de Suleïmanieh. Ce qui les motivait était précisément l'absence de média critique indépendant d'un parti. Ils lancèrent donc le journal avec une équipe réduite et 3000 $ de fonds. Hawlatî est devenu rapidement le journal le plus populaire de la région. "Avec un ton nettement populiste, ses informations et ses prises de position contre la domination politique des partis, le népotisme du gouvernement et la défaillance des services publics", ce journal est aujourd'hui considéré comme le plus lu au Kurdistan d'Irak, avec un tirage d'environ 20 000 exemplaires.

Depuis le lancement de Hawlatî, une poignée d'autres journaux indépendants ou semi-indépendants a vu le jour, la plupart dans la région UPK de Suleïmanieh, considérée alors comme la plus libérale. Awene, autre journal dominant dans le monde de la presse indépendante kurde tire à 15 000 numéros, critique la corruption en dénonçant des cas significatifs, ainsi cet homme d'affaire qui a détourné 38 millions de $ initialement destinés à l'achat par le gouvernement de véhicules militaires. Il y a aussi le tout nouveau Rozhnama, un quotidien fondé par Nawshirwan Mustafa. New Radio est aussi la première radio non-gouvernementale. Même si elle a reçu des aides financières du GRK et des USA., certains de ses programmes offrent un contenu critique. Mais les attaques les plus virulentes proviennent des journaux Internet, basés à l'étranger, comme le Kurdistanpost qui est suédois, et qui publie des éditoriaux, des articles engagés et des satires politiques émanant des écrivains et intellectuels kurdes aussi bien du GRK que de la diaspora.

La question de la liberté de la presse au Kurdistan d'Irak a eu une audience internationale en 2005 avec le cas du Kurde citoyen autrichien Kamal Sayid Qadir, détenu par les autorités d'Erbil et condamné à 30 ans de prison (en fait 25+10). Il avait écrit plusieurs articles dans le Kurdistanpost que même le CPJ qualifie pudiquement de très "imprudents". A côté des classiques accusations de corruption contre les Barzani, Kamal Qadir affirmait que la famille avait des liens avec le KGB, traitait Masrour Barzani, fils de Massoud et chef des services secrets de "maquereau". Après 5 mois de détention, il fut finalement gracié par Massoud Barzani. Mais ce personnage qu'on ne peut qualifier décemment de "journaliste" a rendu un mauvais service à l'ensemble de la presse kurde. En tous cas les journaux kurdes voient un durcissement de la part des autorités contre les media juste après cette affaire. Ils indiquent ainsi qu'au moins 7 journalistes ont été depuis détenus par les autorités, 3 condamnés à des peines de prison, et plusieurs autres soumis à de violentes attaques, toutes ces affirmations étant confirmées par le CPJ.

Nabaz Goren, 29 ans, qui contribue à plusieurs journaux dont Hawlatî et Awene, a été enlevé et attaqué d'une manière qui rappelle celle avec laquelle fut traité Abdel Raheem Rashid en octobre 2007. 5 hommes en uniformes militaires armés de kalashnikov l'ont obligé à monter dans un 4/4 alors qu'il quittait le club de l'Union des écrivains à Erbil, en avril 2007. Aveuglé de la même façon, Nabaz Goren a été mené en voiture une demi-heure avant d'être passé à tabac dans une zone éloignée, battu avec une tige de fer et des canons de fusils. A lui aussi on a conseillé de cesser ses activités. Nabaz s'en est tiré avec une cheville cassée, des dents manquantes et mal mal de contusions. Bien que ne pouvant affirmer qui est à l'origine de cette attaque, il mentionne qu'il a publié plusieurs articles critiques contre des responsables du Gouvernement, dont un article se moquant du cortège motorisé qui accompagne tous les déplacements du Premier Ministre Nêçirvan Barzanî : "Quand le Premier Ministre quitte son domicile, la vie s'arrête ! Aucun citoyen, aucune voiture, aucun oiseau, aucun souffle ne peut se déplacer afin que Son Altesse... puisse passer." (Ouais, ben il a pas vu les déplacements de nos dirigeants ici). Dans un autre article, il accusait le président Massoud Barzani d'être un si mauvais administrateur qu'il est "incapable de nouer ses propres lacets".
Comme on le voit, le ton de la presse libre kurde dénote singulièrement si l'on regarde ce qui se dit et se publie (et surtout ce qu'on ne peut dire et publier) dans les pays voisins. Il n'y a que la Turquie qui ait une presse aussi virulente contre les gouvernements. Goren ajoute qu'il s'était aussi querellé et a critiqué un dirigeant des media PDK peu de temps avant son passage à tabac.

Beaucoup de journalistes accusent donc le gouvernement d'être derrière ces attaques. Aso Jamal Mukhtar, un caméraman de 41 ans, l'accuse d'avoir commandité son attaque par des inconnus, dans le parc Azadî de Suleïmanieh, en mai 2007. Aso Mukhtar, qui travaille pour la nouvelle chaîne de télévision Chaw, appartenant à Nashirwan Mustafa, et dont le frère dirige de Suède le site Kurdistanpost, a été attaqué par 3 hommes alors qu'il quittait le bureau de son ancien employeur, la chaîne éducative du gouvernement : "Il faisait sombre et j'ai vu une voiture me barrer le passage. Trois personnes masquées sont sorties de la voiture, très vite. Deux avaient des matraques à la main et le troisième un pistolet. Ils ont assailli ma voiture et m'en ont sorti." Souffrant de coupures et d'hématomes, Aso dit que les officiels de l'UPK se sont plaints auprès de lui à de nombreuses reprises du Kurdistanpost, l'accusant d'écrire lui-même pour le site et insistant pour que son frère cesse de critiquer les responsables kurdes.

Mais les responsables du gouvernement, interrogé par le CPJ, nient être à l'origine de ces attaques, en alléguant que les uniformes militaires portés par les auteurs peuvent être trouvés partout. Répondant par écrit au CPJ, Falah Bakir, le directeur des Relations internationales du GRK, a indiqué que ces attaques faisaient l'objet d'une enquête. "Le Premier Ministre Nêçirvan Barzani et toutes les autorités compétentes de la Région kurde prennent ces attaques très au sérieux. La protection du droit à la liberté d'expression est une priorité pour ce gouvernement."

Le CPJ constate qu'à un certain point, ces attaques et ces intimidations (mais qui, apparemment, ne vont jamais jusqu'au meurtre de journalistes) ont atteint leur but, amenant des journalistes à changer leur emploi du temps professionnel pour éviter de sortir la nuit. Tariq Fatih, 37 ans, l'éditeur de Hawlati, dit avoir commencé de limiter ses activités nocturnes après avoir été attaqué par plusieurs inconnus dans un restaurant du centre de Suleïmanieh. Twana Osman, l'ancien rédacteur de Hawlati, révèle que des officiels ont transmis leurs conseils "amicaux" d'éviter d'aller dans les clubs la nuit et de varier leurs itinéraires quotidiens.

Les tensions entre la Turquie et le GRK, dont la source était le PKK, n'ont pas arrangé les choses. Les forces de sécurité kurdes ont fini par interdire l'accès, parfois très énergiquement, du mont Qandil, surtout depuis ocotbre 2007. De façon plus routinière les journalistes se plaignent de détentions arbitraires exercées par la police ou les Asayish (forces de sécurité), ou bien de procès pour diffamation. Les reporters couvrant des manifestations publiques se sont vus confisquer leur matériel, par exemple lors des émeutes de 2006 à Halabja.

Ahmed Mira, jeune rédacteur du mensuel Livin, basé à Suleïmanieh, raconte qu'il a eu maille à partir avec les Asayish quand son journal a publié des spéculations sur la santé de Jalal Talabanî et des possibles luttes autour de sa succession. Avec en titre "Le legs d'un homme malade," l'article faisait état des tensions politiques qui découlaient de la santé déclinante du président de l'Irak. Les Asayish de Suleïmanieh ont rapidement convoqué Ahmed Mira pour l'interrioer, le 16 avril 2007, le jour même de la sortie du journal en kiosque. "Ils m'ont dit que l'article nuisait à la sécurité nationale. Le jour suivant, un groupe d'agents des forces de la sécurité, vêtus en civil, et sans mandat, est venu me chercher pour m'emmener au bureau de la Sécurité. Ils m'ont menotté et m'ont emfermé dans une pièce, seul." Ahmed Mira sera détenu toute la nuit, questionné et réprimandé poura voir "insulté Talabani".

Hawez Hawezi, écrivant pour Hawlati, a été arrêté deux fois par les forces de sécurité, depuis 2006. La première fois en mars, pour un article traitant Barzani et Talabani de "pharaons devant quitter le pays s'ils n'étaient pas capables de le réformer". Deux mois plus tard, il fut à nouveau détenu plusieurs jours après qu'il ait raconté par écrit précisément ses mésaventures aux mains des forces de sécurité. Ses collègues du journal ont dit au CPJ qu'il avait fui en Syrie depuis pour des raisons de sécurité, (ce qui me semble un curieux choix au regard du respect de la presse et des Kurdes chez ce pays voisin).

En November 2007, des Asayish ont détenu un reporter basé à Mossoul, Faisal Ghazaleh, qui travaillait pour la télévision de l'UPK KurdSat. Faisal Ghazaleh affirme avoir été sévèrement battu aors qu'il était interrogé pour de vagues allégations de coopération avec les terroristes, alors qu'il filmait leurs attaques. Finalement, un tribunal a ordonné sa remise en liberté le mois suivant, faute de preuves fournies par ses accusateurs.

"Toutes ces arrestations ont été faites en vertu de lois existantes", explique le représentant des media de l'UPK, Azad Jundiyani, un des crtiiques les plus virulents de la presse libre. "Nous avons besoin de changer la loi et ainsi nous n'aurons plus ces problèmes d'arrestations de journalistes." La loi à laquelle fait allusion Azad Jundiyani date effectivement du régime baathiste et permet légalement aux responsables gouvernementaux de harceler, de poursuivre et de réduire au silence les journalistes indépendants.

Depuis 1991, et surtout depuis les élections parlementaires de 1992, le Parlement d'Erbil a beaucoup légiféré, même pendant la guerre civile. De nombreuses lois "incompatibles avec le bien-être de la population" ont été modifiées ou abrogées. Mais le code pénal de 1969 et le code de procédure criminelle sont restés inchangés. Le code pénal permet donc de détenir en préventive une personne qui se serait rendue coupable "d'insultes", une expression assez vague très prisée du Baath, en Irak comme en Syrie, et régulièrement utilisée contre la presse. L'article 433, qui criminalise la diffamation, surtout quand elle est publiée par écrit, avec des peines de prison ou des amendes est l'un des plus utilisés (Rappelons donc qu'il a été abrogé le 22 septembre dernier, même si le tribunal de Suleïmanieh affirme ne pas être au courant). D'autres articles de ce même code pénal prévoyaient des peines pour la publication de fausses informations, ou l'insulte envers les agents de l'Etat, "la communauté arabe" ou même un pays étranger (un pays arabe ami, évidemment, m'étonnerait qu'Israël ou l'Iran aient été compris dans le lot).

La question de l'indépendance de la justice au GRK se pose avec l'appartenance politique des juges à un parti ou un autre. Ce sont ces mêmes juges qui n'hésitent pas à condamner lourdement les journalistes. "Les juges sont nommés par les partis", explique Asos Hardi, ancien rédacteur du journal Hawlati, qui dirige maintenant l'hebdomadaire Awene. "Vous pouvez donc imaginer combien il leur est difficile de rendre des verdicts indépendants si l'un des partis est impliqué." Ainsi le jugement de Kamal Qadir a duré moins d'une heure pour une double sentence menant à 30 ans de prison.

Quelques mois après la condamnation de Qadir, un tribunal criminel à Suleïmanieh a condamné Twana Osman et Asos Hardi, à six mois de prison avec sursis pour avoir publié un article alléguant que l'adjoint du Premier Ministre avait ordonné le renvoi de deux employés d'une sociétés de téléphone qui avaient coupé sa ligne pour factures impayées. Auparavant, Hardi avait été condamné à un an avec sursis pour avoir publié la lettre ouverte d'un artiste qui accusait le Premier Ministre ne ne l'avoir jamais payé pour une oeuvre.

Selon Hawlati 50 plaintes ont été déposées contre lui, tant par des membres du Gouvernement que par des particuliers depuis sa fondation. Il a aussi été poursuivi pour avoir publié l'article très hostile de Michael Rubin, un universitaire américain notoirement hostile au GRK, contre les deux présidents kurdes.

Conscient que la sévérité des lois baathistes pose un problème, le GRK a commencé de rédigier une loi plus libérale en 2007, avant de redurcir les dispositions en décembre de cette même année, (puis de les remettre en discussion devant la protestation des journalistes).

La loi prévoyait une amende de 3 à 10 millions de dinars irakiens et six mois de suspension de parution pour des délits rédigés dans des termes très vagues : "répandre l'inquiétude", "encourager le terrorisme". De telles amendes condamnaient bien sur irrémédiablement un journal à maigre budget. Elles étaient aussi prévues pour "insulte aux croyances religieuses" "dénigrement des coutumes ou de la morale", "ou bien de "publier des faits relatifs à la vie privée d'un individu même s'ils étaient vrais, dans le but de l'insulter" (notons que la protection de la vie privée n'est quand même pas un abus, c'est juste la notion de ce qui ressort de la vie privée qui peut être sujet à caution concernant des dirigeants). Mais l'opposition fut tellement vive que le président Barzani mit son veto et demanda aux députés de réviser la loi.

"Il y a une plus grande pression contre nous, maintenant" explique le rédacteur de Rozhnama, Ednan Osman. "La situation politique est complexe et la situation sécuritaire est dangereuse. Ces partis ne veulent entendre que leurs propres opinions."

Le gouvernement kurde rétorque que bâtir une démocratie prend du temps et que les faux pas sont inévitables. Le CPJ juge cependant que la tendance est à un durcissement des mesures contre la presse et demande des gestes décisifs. Ses recommandations s'adressent à la fois à Massoud Barzanî, Jalal Talabanî, Nêçirvan Barzanî :


* Condamner publiquement les attaques et les intimidations envers les journalistes et autres délits commis envers la presse ; permettre que des enquêtes sérieuses et transparentes soient menées contre ceux qui auront perpétré de telles attaques et rendre publiques leurs conclusions ; empêcher que de nouvelles attaques se produisent.

* Mettre fin aux détentions de journalistes, que ce soit par les Asayish ou les autres autorités ; cesser d'interférer officiellement dans le travail de la presse, que ce soit par des menaces ou des renvois de journalistes, ou d'autres formes d'entraves.

* Abolire les dispositions de la loi qui violent le droit à l'information et à sa diffusion tel qu'il est défini par l'article 19 de la Convention internationale des droits civils et politiques dont l'Irak est signataire ; de ne pas voter d'article prévoyant des peines de prison, des interdictions de publications, des amendes excessives, avec des délits trop vaguement définis, et de ne faire passer en général aucun article violant les droits de la presse tels qu'ils sont entendus dans les critères internationaux standards.

* Abroger les articles du code pénal criminalisant la diffamation, l'insulte, la calomnie et la publication de "fausses" informations ; créer ou renforcer les dispositions du code civil pour protéger de la diffamation.

Concert de soutien à l'Institut kurde