vendredi, octobre 03, 2008

Les cavaliers de l'intuition


"Avoir une intuition (parcourir rapidement) vient de la racine du mot cavalerie. C'est pour cela que le cheval (faras) a été appelé ainsi. Il parcourt les distances (masâfât) avec la rapidité du vent. L'on rapporte que le cheval a été créé à partir du vent du sud. Lorsqu'il a henni, Dieu a dit : "Je t'ai béni, Je t'ai créé, et Je t'ai appelé cheval. Je t'ai fait arabe et le butin est rassemblé sur ton dos. Tu es fait pour la poursuite aussi bien que pour la fuite."

En note, Geneviève Gobillot cite du même Tirmidhî son Nawâdir al-usûl, où il revient sur cette image et relie clairement les Quarante à la Furûsiyya :

"L'intuition consiste à enfourcher la lumière des mots comme une monture (faras) qui conduit vers l'ordre caché de Dieu, de sorte que le saint parvient à connaître à l'avance les événements qui auront lieu dans l'avenir et à comprendre, à travers les mots, ce qui échappe habituellement aux autres hommes. Son nom est dérivé du mot chevalerie (furûsiyya), le cheval étant ici la lumière de Dieu et le cavalier la vision du coeur (basar al-qalb). Grâce au cheval, l'homme franchit les distances sur terre, par la lumière de Dieu il franchit la distance du coeur. Ceci vient du fait que les choses sont porteuses d'indications et de signes (simât). Dieu a parsemé sa création de signes et au moyen de sa lumière il est possible de saisir ces signes de manière à saisir ce qui n'est pas encore advenu."

Livre des nuances ou de l'impossibilité de la synonymie
(Kitâb al-furûq wa man' al-taradûf), Al-Hakîm al-Tirmidhî, traduction, annotation et commentaire Genevière Gobillot.

Faire des grands saints les cavaliers de l'intuition n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd quand Ibn Arabî a essayé de dessiner l'organigramme des saints, avec Khidr qui rôde toujours autour, comme je le notais dans un commentaire du roman de Baïbars :

"Ce dernier, qui a tenté de systémiser et de distinguer tous les walî (saints) entre eux, présente une hiérarchie un peu différente des Quarante tels qu'ils sont vus dans Baïbars et dans beaucoup d'autres traditions. Ici, Khadir est le maître des Afrâd, des sages solitaires et plutôt hors confrérie, parvenus au sommet de la connaissance initiatique. Ibn Arabî ne précise pas le nombre de ces afrâd mais indique que sept d'entre eux sont en plus des Abdal et occupent un rang au-dessus, le plus élevé étant celui des malamatî qui dépendent directement du Pôle du monde. Comme on le voit, il bouscule l'ordre plus traditionnel des Quarante abdal, mais Ibn Arabî adore ne rien faire comme les autres. Ce qui est intéressant c'est qu'il appelle les afrâd les "cavaliers".

Et naturellement le Cavalier des cavaliers (Shahsiwar en kurde comme en persan) reste Khidr et ses avatars populaires kurde, turc, alévi ou yarsan :

"Dans ses attributs marins, il est aussi, selon le poète turc Karacaoglan "le gardien des mers" et est monté sur un cheval gris, tout comme dans le Livre de Dede Korkut. Ce "coursier gris des mers" rappelle d'ailleurs de façon frappante le fameux Bozé Rawan, le cheval marin de Memê Alan, qu'il appelle d'ailleurs "le Gris qui va l'amble". Cela est aussi repris dans la légende du kalâm gourani des Yaresan (ahlé-Haqq), étudiée par Mohammad Mokri, celle du "Cavalier au coursier gris, le dompteur du vent" (JA 1974), où Khidr est assimilé à Pîr Dawûd, se portant au seecours de Pîr benyamin, incarné sous le nom de Gilim Kul, soit "l'homme en haillons", en passe de faire naufrage en mer. Dawûd chevauche le vent et sauve bateau, équipage, et Pîr Benyamin. Dans la hiérarchie céleste yaresan, on retrouve une certaine parenté avec Khidr/le Pôle et Dawûd/Benyamin, les deux ayant leur rôle dans le soutien à la structure du Cosmos. Voicu un extrait de ce très bel hymne (chanté par Ali Akbar Moradî dont nous avons parlé ici) :

Ber ew dewanî
Dawûd ha ama ber-ew dêwanî
Shah swar mabô dûstan mizganî

Hors de la cour
Oh, Dâwûd sort de la cour.
Le roi cavalier monte à cheval, Ô Compagnons bonne nouvelle !

Dâwwud gewwash-a
mêna-we-ser-a, gewher-shinas-â
Gerçek Dâwûd-a, ha Dawud ras-a

Dawûd est celui qui plonge dans la mer
Dawûd est Dawûd, Dawûd est celui qui plonge dans la mer,
Il porte un casque gris-bleu, il est le connaisseur des perles
Gerçek est Dawûd, Dawûd est équitable."

(Voir Turcs, Kurdes, fidawis et sheikhs dans le roman de Baïbars).

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