vendredi, mai 30, 2008

"A la fin, nous avons tous décidé de diviser nos dortoirs en deux parties"

Reportage intéressant sur Kurdish Globe sur la vie des interprètes irakiens, kurdes, sunnites, chiites, travaillant pour le compte de l'armée américaine. Deux Kurdes témoignent sous anonymat, et ce qu'ils racontent des divisions au sein des trois groupes "irakiens" est un condensé intéressant de la fracture d'un Irak de moins en moins "unifié". La division des dortoirs entre les interprètes est une image assez parlante de ce qui se passe à l'échelle de tout le pays.

"Vivre sur le fil du rasoir, comme interprètes pour l'armée américaine en Irak, n'aurait peut-être pas été un choix professionnel qu'ils auraient envisagé en premier lieu,mais cela leur procure sans aucun doute un niveau de vie plus élevé, du moins pour ceux qui restent en vie.

Les interprètes irakiens travaillant pour les forces de la Coalition sont réputés pour avoir le métier le plus dangereux. Deux interprètes kurdes, qui travaillent pour les troupes américaines dans le centre et dans le nord de l'Irak ont fait part de leur expérience au Kurdish Globe, sous couvert d'anonymat.

Hogir Ahmed (ce n'ets évidemment pas son vrai nom), 29 ans, travaille depuis deux ans pour l'armée américaine, comme interprète dans la province d'Anba, un des bastions d'al-Qaïda. Trois ans auparavant, diplômé d'une université de la Région du Kurdistan, il n'a pu trouver un emploi dans le secteur privé. Le seul métier possible était l'enseignement, mais le salaire était trop bas. C'est pourquoi il choisit de devenir interprète.

"Au début, j'avais peur, surtout quand nous étions à l'extérieur, en mission, ou quand nous fouillions les maisons dans les villages, mais peu à peu, cela m'a semblé normal et plus du tout effrayant," raconte Ahmed.

"J'ai toujours essayé de convaincre les soldats américains de ne pas maltraiter les gens ou ne de pas fracasser leur porte," ajoute-t-il. Une fois, une mine sur une route a explosé sous son Humvee blindé, mails il en réchappa.

Il avoue que son jour le plus pénible fut quand un de ses amis, un interprète arabe, qui ne travaillait que depuis trois jours, fut tué par un sniper insurgé, lors d'une mission dans une région rurale de la province d'Anbar.

Selon lui, les interprètes sont les auxilliaires les plus précieux de l'armée américaine.

Ahmed dit aussi qu'il y a de constantes querelles entre les interprètes kurdes, sunnites, chiites, notamment sur les chaînes de télévision à regarder.

"Les interprètes kurdes et chiites s'entendent bien, mais ils détestent les sunnites et les sunnites, de même, détestent les chiites et les Kurdes, mais surtout les chiites, explique Ahmed.

Au début, Ahmed essayait d'être amical avec chaque interprète et de ne pas entrer dans des querelles politiques. Mais progressivement, la situation est devenu insupportable et il commença à prendre parti.

"Des interprètes sunnites défendaient constamment les actions de Saddam, et nous répliquions toujours par les attaques à l'arme chimique de Saddam contre les Kurdes, et les centaines de milliers de Kurdes et de chiites qu'il a tués," raconte-t-il. "Quand Saddam a été exécuté, un interprète sunnites a pleuré."

"A la fin, nous avons tous décidé de diviser nos dortoirs en deux parties, les chiites et les Kurdes ensemble, et les sunnites tous seuls ; mais cela n'a pas mis aux disputes."

Osman Ali (ce n'est pas son vrai nom), 25 ans, travaille comme interprète pour les troupes américaines de la Base Ouest de la région de Qayara, au nord de l'Irak, dans la province de Mossoul. Il dit qu'il porte toujours un pistolet quand il fait le trajet entre son domicile à Erbil et sa base, au cas où des insurgés l'attaqueraient ou voudraient l'enlever.

Peu de temps après être devenu interprète pour l'armée américaine, Ali a été très déçu quand il apprit que des Américains avaient abandonné un traducteur derrière eux, lors qu'une attaque des insurgés.

"Il y avait une réunion dans l'un des villages arabes de la province de Mossoul, entre les armées irakienne et américaine d'un côté et les chefs tribaux de l'autre ; alors, les insurgés ont commencé de bombarder le village avec des tirs de mortiers. Les troupes américaines ont fui en laissant leur interprète."

Ali dit que lorsqu'il a commencé à travailler avec l'armée des USA il était terrifié par les mines sur les routes, mais par la suite, non seulement c'était devenu normal, mais même amusant.

"Quelquefois, quand nous étions en mission extérieure, sur la route, dans les camions, au lieu de faire attention et de surveiller si les bandits n'arrivaient pas, nous [lui et les soldats] discutions de femmes et de sujets de société, et quelquefois nous chantions ensemble,". Son sujet principal de discussion avec les soldats américains portait sur les différences entre la société kurde et celle des Etats-Unis.

Ali dut aussi qu'il y avait toujours des conflits entre les interprètes kurdes, chiites et sunnites, mais qu'ils essayaient toujours de le cacher aux Américains, en leur disant qu'ils ne faisaient que plaisanter entre eux.

"Les interprètes arabes se plaignent tout le temps aux Américains que les autorités kurdes ne laissent pas entrer les Arabes dans la Région du Kurdistan ; nous leur disions que si nous laissons entrer les Arabes au Kurdistan, alors la situation dans la Région deviendra celle de Bagdad et Mossoul.".

La population de la Région du Kurdistan ne considèrent pas comme "traîtres" ceux qui travaillent pour l'armée américaine, à la différence de la plupart des Irakiens arabes, qui considèrent quiconque travaillent pour les Américains comme "A'ameel," ce qui en arabe veut dire collaborateur, ou, littéralement : "agent."

Les interprètes arabes mènent donc une double vie, pour éviter d'être tués, en cachant leur identité et leur adresse. En patrouille, les hommes couvrent leur visage avec des bandana fournis par l'armée qu'ils portent au-dessus de leurs lunettes noires. Mais les interprètes kurdes n'ont pas de tels problèmes.

Washington a mis en place en 2006 un programme qui permet aux interprètes qui ont travaillé pour les Etats-Unis en Afghanistan et en Irak au moins 12 mois d'émigrer dans ce pays avec leur famille. Le programme, cependant, limite le nombre de "visas spéciaux", ce qui veut dire qu'une partie seulement d'entre eux ont pu obtenir le statut de réfugiés. Pour 2008, 500 visas ont été délivrés en avril, bien qu'une loi récente a élevé en octobre le quota annuel jusqu'à 5000. Ali explique qu'obtenir un visa pour les Etats-Unis est une priorité pour les interprètes arabes.

Depuis que la guerre a commencé, 5 ans plus tôt, au moins 200 traducteurs irakiens auprès des troupes américaines ont été tués, la plupart dans des assassinats ciblés, selon les chiffres donnés par la L3 Communications, une société new-yorkaise qui fournit des interprètes à l'armée américaine."

Source Kurdish Globe, Qassim Khidr.

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