samedi, décembre 08, 2007

Coup de projo sur : les Ashik anatoliens



Comme la langue liturgique des Yézidis est le kurmandjî (quoique d'aucuns parlent de "yezidiren") et celle des Yarsâns est le goranî, les hymnes religieux des Bektashis-Alévis sont chantés en turc ; et pour cause, non seulement les premiers grands poètes rattachés à ce courant, comme Yunus Emre, Pîr Sultan Abdal composaient en turc, mais aussi le fondateur et figure messianique de l'alévisme, Shah Ismaïl, poète turc sous le nom de plume de Hatay.
Cette poésie, comme la poésie persane mystique, est à double sens, pouvant se lire comme de simples chants d'amour, ou bien être décodée dans son sens religieux et gnostique. Quatre ashik de Turquie, (ashiq de 'ishq, amour passion, est un mot venu de l'arabe via le soufisme, signifiant fou d'amour et en Anatolie désignant aussi les chanteurs de ces poésies) interprètent ces chants de cem (équivalent au semâ des soufis, mais ouvert à toute la communauté alévie).
Nuray Hafiftash, de Kars, elle-même fille d'un grand joueur de sae, chante un poème anonyme, Yârim benden incinmish :
Viens ma bien-aimée
à la chevelure bouclée.
Viens ma bien-aimée,
Ne me brise pas le coeur
En t'éloignant.
Les montagnes sont couronnées de brûme
Et ses yeux de sourcils tendus comme des arcs.
Ma bien-aimée m'en veut,
Et se refuse à m'adresser la parole.
Je flaire la calomnie derrière cela.
Viens ma bien-aimée, tu es mon saz en bois de rose,
Tu es mon chant, tu es mon saz orné.
Viens ma rose, réconcilions-nous,
Parlins, rions,
Il est indigne de nous en vouloir.
Ali Ekber Ciçek, d'Erzincan, dont nous avions déjà parlé ici, est un des plus grands ashik, et celui dont la voix porte peut-être le mieux cette mélancolie gnostique de l'esseulement. Il chante Pîr Sultan Abdal, un des poètes les plus fervents, qui choisit le martyre plutôt que de ne plus chanter le nom de son Shah...
Je ne compte plus les peines,
De laquelle me plaindrais-je ?
Une blessure à mon coeur
S'ouvre de nouveau.
Où trouverais-je un remède,
Si ce n'est auprès de l'Ami ?
ô rossignol aie pitié de la rose,
La bien-aimée revêt maintes apparences,
Toutes plus fragiles que les roses.
Mon coeur est déchiré
De tant de nostalgie.
Ma bien-aimée s'approche le sourire aux lèvres.
Mon Pir Sultan,
Tu t'envoles bien haut,
Tu passes sans un salut,
Pourquoi cette défiance de l'amour et de la passion ?
Est-ce la coutûme dans votre Voie ?
Turan Engin, d'Erzurum, ashik et fameux joueur de saz chante aussi Pîr Sultan Abdal, avec sa voix plus rugueuse :
Bienvenue, ô amie,
Lumière de mon coeur, bienvenue.
Voilà longtemps que je guette ton arrivée,
Joie de mon coeur solitaire,
Mon coing, ma grenade, ma vigne, bienvenue.
Es-tu du pays de ma bien-aimée ?
Es-tu une rose de ses jardins secrets ?
Es-tu du pays de Muhammad ?
ô rose, bienvenue.
Mon Pîr Sultan vêtu de rouge et de vert,
Tu t'es accoutumé à cette passion.
Ta bien-aimée s'est vêtue de rouge et de vert,
Accueille-la comme une nature généreuse,
Ô amie, bienvenue."
Arif Sag, autre très grand joueur de saz, interprète la partie instrumentale Topal Havasi, l'Air du boiteux, et enfin Turan Engin chante Noksani, un poète du XVIII° siècle, à l'époque où les Alévis se dissimulaient fréquemment sous le manteau des Bektashis.
Venu au monde pour le régénérer,
J'eus en ce lieu la vision de moi-même.
Possédé par cette créature qu'est le Temps,
Je compris que j'avais dilapidé ma vie.
Il est venu parmi nous, il a aimé,
Nous nous sommes aimés,
Nous avons échangé les coupes, j'ai bu ses paroles de fidélité,
Et l'on sut plus tard que sa nature était vile.
Accomplissons une oeuvre pour ton serviteur Noksani,
Allons vers le seuil des douze imams.
Que faire d'une nature corrompue ?
Nous apprîmes qu'Iblis ne veut rien savoir."

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