jeudi, octobre 25, 2007

Le livre des avares

Djâhiz, dans son Livre des avares, racontant une anecdote sur Khâlid ibn Yazîd explique à la fin les différentes catégories de mendiants fripons et rusés auxquels Khâlid a fait allusion :

"M.kh.trânî : ce mot désigne l'homme qui se présente dans des vêtements d'ascète et vous fait croire que Bâbek lui a coupé la langue à la base parce qu'il était muezzin dans son pays. Il ouvre la bouche comme pour bâiller et onne lui voit absolument pas de langue, alors qu'en réalité la sienne est aussi grosse que celle d'un boeuf. Je m'y suis moi-même laissé prendre. Le m.kh.t.rânî doit avoir un comparse qui parle pour lui ou bien une planchette ou du papier pour écrire ce qu'il a à dire.


Kâghânî : celui qui fait semblant d'être possédé ou épileptique. Il écume au point qu'on le croit irrémédiablement possédé, tellement la crise simulée est aiguë, et qu'on s'étonne de le voir en vie avec une telle infirmité.


Bânwân : celui qui s'arrête devant la porte, tire le verrou et crie : "Bânwâ", ce qui signifie : "Seigneur".


Qarasî : celui qui entoure sa jambe ou son bras d'un bandeau qu'il serre fortement et garde pendant toute une nuit. Lorsque le membre est enflé et que le sang ne circule plus, il le frotte avec du savon et du sang-de-dragon, y fait couler quelques gouttes de beurre et l'entoure d'un bandeau qui en laisse une partie visible. En voyant cela, on ne peut douter que ce ne soit la gangrène ou quelque maladie infectieuse analogue.


Musha'ib : celui qui traite un enfant, à sa naissance, pour le rendre aveugle, lui dessécher ou lui atrophier un membre, afin que ses parents puissent l'utiliser pour mendier. Et parfois même, ce sont les parents eux-mêmes qui conduisent l'enfant au musha'ib ; il lui donnent, pour cette opération, une somme importante parce qu'alors l'enfant devient un capital productif. Ils l'exploitent eux-mêmes ou le louent pour un prix déterminé ; parfois, ils louent leurs enfants, moyennant une somme élevée, à des gens qui se rendent en Afrique du nord et le font mendier tout le long du chemin. S'ils sont dignes de confiance, on leur accorde crédit ; sinon, ils doivent fournir un garant qui réponde des enfants et du prix de la location.


F.l.w.r : celui qui fait subir un traitement à ses testicules pour donner à croire qu'il a une hernie. Parfois, il simule un cancer, un ulcère ou une tumeur aux mêmes organes ou encore à l'anus, en y introduisant un morceau de larynx avec du poumon. D'autres fois, c'est une femme qui simule ces affections au vagin.


Kâghân : le jeune éphèbe qui mendie quand il se prostitue ; il est doué de quelque beauté et capable de remplir les deux fonctions.


'Awwâ : celui qui mendie entre le coucher du soleil et la Prière du soir. Parfois, il chante, s'il a une voix agréable.


Istîl : celui qui se fait passer pour aveugle. Il peut quand il le veut, montrer qu'il a les yeux crevés ou plein d 'eau ou qu'il ne peut y voir parce que l'ophtalmie ou le rîkh as-sabal lui a fait perdre la vue.


Mazîdî : celui qui circule avec quelque menue pièce de monnaie et dit : "J'ai réuni cet argent pour acheter un vêtement (qatîfa) ; ajoutez votre obole, s'il vous plaît". Parfois, il s'encombre d'un enfant trouvé. D'autres fois encore, il demande un linceul.


Musta'rid : celui qui vous accoste. Il a une belle apparence et des vêtements décents. Il semble mourir de honte et craindre d'être aperçu par une de ses connaissances. Il vous aborde ensuite carrément et vous parle mystérieusement.


Muqaddis : celui qui s'occupe d'un mort et fait une collecte pour l'achat d'un linceul. Sur le chemin de la Mekke, il se tient près du cadavre d'un âne ou d'un chameau et prétend que l'animal lui appartient et qu'il ne peut pas continuer sa route. Il connaît les divers dialectes du Khurâsân, du Yémen et de l'Afrique du nord et s'est informé des villes, des routes et des habitants de ces pays. Il peut ainsi, quand il le désire, se faire passer pour originaire d'Ifrîqiya, de Farghana ou de l'un quelconque des districts du Yémen.


Mukaddî : mendiant importun."


Et Djâhiz conclut : "Nous n'avons expliqué ici que les mots cités par Khalawaih. Il y a infiniment plus d'espèces de mendiants, mais nous ne devons pas nous éloigner davantage de notre sujet."



Al-Hâritî, soucieux quand il festoyait de ne pas inviter des pourceaux, s'en était remis à Abû-l-Fâtik, "juge de fityân", c''et-à-dire de brigands pour qu'il lui dresse la liste de tous les invités offensant les bonnes manières et la noble conduite qu'un bon truand, d'âme élevée et d'éducation soignée, ne se serait jamais permis d'enfreindre dans ses banquets de confrérie (car le brigand bien élevé a la parole fleurie, le geste noble et le poignard chatouilleux) :

Nashshâl : celui qui se sert directement dans la marmite, avant que le repas soit cuit, que la marmite soit retirée du feu et que tous les convives se soient rassemblés.
Nashshâf : celui qui prend le bord d'un pain, l'ouvre et le trempe dans la marmite pour l'imbiber de graisse, au détriment de ses compagnons.

Mirsâl : il y en a deux sortes ; 1° celui qui, en introduisant dans sa bouche une boulette de harîsa, de panade, de pâte de dattes ou de riz, l'envoie d'un seul coup au fond de sa gorge ; 2° celui qui, marchant dans un fourré de jeunes palmiers ou d'autres arbres, saisit le bout des palmes ou des branches pour se frayer un passage ; immanquablement, ces branches vont frapper le visage du compagnon qui suit, sans que le premier se soucie ni se doute le moins du monde du mal qu'il peut causer.

Lakkâm : celui qui n'attend pas d'avoir mâché et avalé une bouchée pour en mettre une autre dans sa bouche.
Massâs : celui qui suce l'intérieur des os longs après en avoir fait sortir la moelle, sans se soucier de ses compagnons.

Naffâd : celui qui, s'étant lavé les mains dans la cuvette, les retire mouillées et asperge ses amis.
Dallâk : celui qui, au lieu de se laver les mains avec de la saponaire, les essuie à la nappe.

Muqawwir : celui qui découpe les pains en rond, garde pour lui le centre et laisse les bords à ses compagnons. (celle-là je l'adore; surtout que ça marche très bien aussi avec un camembert).

Mugharbil : celui qui tourne la salière comme un tamis, pour prendre toutes les épices sans se soucier de priver ses compagnons et de les laisser sans épices pour ajouter au sel.

Muhalqim : celui qui parle la bouche pleine. Nous lui disons : "C'est laid ! Attends, pour parler de pouvoir le faire."

Musawwidj : celui qui prend de grosses boulettes, manque à chaque instant de s'étouffer et se voit obligé de boire pour les faire passer.
Mulaghghim : celui qui prend le bord du pain ou aplatit les dattes avec son pouce pour pouvoir puiser davantage de beurre frais ou fondu, de colostrum, de lait ou d'oeuf à la coque.

Mukhaddir : celui qui frotte sa main pleine de graisse avec de la saponaire dont il se sert ensuite, lorsqu'elle est verte ou noire de crasse, pour frotter ses lèvres.

En plus des portraits peu ragoûtants dressés par le juge des Truands, al-Khâritî en ajoute d'autres de son cru :

Le lattâ est connu : c'est celui qui lèche son doigt et le trempe ensuite dans le plat commun contenant de la sauce, du lait, du sawîq (soupe de farine), etc.

Le qattâ est celui qui mord dans une boulette, en coupe la moitié et trempe l'autre dans la sauce.

Le nahhâsh est, on le sait, celui qui déchire la viande comme une bête féroce.

Le maddâd est celui qui prend dans ses dents un nerf insuffisamment cuit et le tend entre la bouche et la main ; parfois, lorsqu'il le tire brusquement, le nerf se rompt et va asperger le vêtement du voisin. Le maddâd est encore celui qui, mangeant avec des convives des dattes fraîches ou sèches, de la harîsa ou du riz, termine sa part et tire à lui celle des autres.

Le daffâ est celui qui, s'il y a dans le plat un os tenant à la viande qui l'entoure, l'écarte avec son morceau de pain pour qu'il ne reste que la viande ; pendant toute cette opération, il feint d'imbiber son pain de sauce, sans viser aucunement la viande.

Le mukhawwil est celui qui, s'apercevant du nombre excessif de noyaux qu'il détient, s'arrange pour les mêler à ceux de son voisin.


Le livre des avares, Jâhiz, trad. Charles Pellat.

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