vendredi, septembre 29, 2006

En Zone frontalière

Roman plutôt pas gai, plutôt désespéré, mais passionnant quoique raconté à la fois de façon minutieuse et pourtant sobre, voire minimaliste, sur un passeur de contrebande kurde, errant dans le no man's land miné entre Turquie et "Irak", au temps de l'embargo. Le style et le monde très froids, très énigmatique,s plus faits de mécaniques, de destins et de chances ou malchances que d'hommes, d'aléatoire, de bonne/mauvaise fortunes et d'émotivité, relient ce roman plus à la littérature germanique que moyen-orientale. Manquent par exemple cet humour, ce goût de l'absurde et du sarcasme dont un auteur kurde, turc, arabe, persan aurait saupoudré la tragédie. Ici, ces personnages graves, douloureux, aux gestes pesants sont tout entier pris dans leur destin et l'épousent entièrement, sans échappatoire, sans distance ironique. Le héros, le "passeur", est totalement voué à décrypter les signes plus ou moins visibles qui aident à sa survie, tout au long de son chemin, sur lequel il se déplace avec la lenteur obstinée, prudente, d'un gros insecte se traînant sur la poussière d'une route pleine d'embûches. La connaissance de ce qui se monte et se démonte, de la mémoire du terrain et des engrenages grands et petits qui décident de votre vie est prépondérante et infléchit la façon dont le héros pense, observe, parle :

"Le passeur s'arrêta devant l'un des bancs et sortit de sa poche une vieille montre à quartz qui n'indiquait plus rien. Il la brandit devant le visage du jeune homme en lançant à son neveu un regard oblique. Celui-ci l'observa un bref instant, puis hocha la tête et la prit. Il la posa sur le banc, plongea la main sur le côté et sortit trois bocaux à conserves où étaient amassés les restes de vieilles montres, comme autant d'insectes sombres et morts. Il commença par démonter la montre à quartz, pièce après pièce. Il étala tant de petites parties qu'il paraissait impossible de la recomposer un jour. A un moment, le garçon leva vers eux un visage interrogateur, étonné de voir que ses clients n'étaient pas allés attendre quelque part à l'ombre mais étaient restés là à regarder ses mains. Le passeur se contenta d'un bref geste de la tête et le garçon reprit son travail. Après avoir totalemetn démonté la montre, il poussa de l'index, vers le milieu de son plan de travail, un élément dont le fabricant n'avait certainement prévu que le remplacement complet. Il ouvrit l'objet et tripatouilla, à l'intérieur, des contacts pratiquement invisibles. C'était la partie la plus compliquée du travail. Le garçon serrait les lèvres et retira la main à plusieurs reprises lorsqu'elle était trop agitée. Il tenait la tête de biais, comme s'il voulait faire entrer plus de lumière dans ce mini-châssis, mais en vain. Le tâtonnement initial se transforma en une descente précise du tournevis. A un moment, le garçon alla jusqu'à retenir son souffle. Quand il le relâcha, il leva de nouveau les yeux vers le passager et l'on put lire quelque chose comme de la fierté sur son visage. Il commença à remonter la montre. Il s'y prenait de manière énigmatique. On n'avait pas l'impression qu'il savait ce qu'il faisait. Il tentait sans arrêt de nouveaux assemblages de pièces, puis rejetait le résultat. Mais il lui suffit de trouver l'extrémitié d'un fil invisible pour achever son ouvrage et donner à l'objet son aspect initial. Les pièces disparurent l'une après l'autre dans cette structure qui redevint effectivement une montre à quartz. Peu avant la fin - il savait déjà précisément, à présent, où allaient les parties restantes -, il lui manqua unevis minsucule. Elle était peut-être tombée du banc. Le garçon souleva les bocaux l'un après l'autre, les fit tourner et en observa le contenu. Puis il en ouvrit un, ne le renversa pas, mais alla pêcher des deux doigts un débris surchargé de rouages. Il en détacha une vis qui convenait effectivement. Avec une minutie solennelle, il ferma la montre à quartz et la laissa encore une seconde immobile devant lui avant de la tendre au passeur sans l'avoir testé. Le neveu regarda la montre dans la main de l'autre. Elle affichait des chiffres rouges et toutes les fonctions qu'essaya le passeur fonctionnaient parfaitement. Il sourit et pour la prmeière fois le garçon sourit lui aussi un bref instant, souleva l'un des bocaux et le secoua comme l'aurait fait un barman.

A cet instant, le neveu se sentir vraiment étranger, il comprit à quel point la vie ici était réduite, l'importance qu'avaient ces misérables tas de pièces détachées dans n'importe quelle espèce d'ateliers de réparation, que ce soit pour les montres ou pour les voitures. Les gens dépendaient de ce qu'ils trouvaient sur place. La ville appartenait aux marchands, mais ceux-ci dépendaient des passeurs."


Présentation de l'éditeur :
Fatah met en scène un trafiquant, le "passeur", qui transporte dans un site non désigné (mais il s'agit manifestement du triangle formé par l'Irak, l'Iran et la Turquie) des objets devenus introuvables dans son pays, l'Irak, ravagé par la guerre et la dictature : alcool, cigarettes, ordinateurs, etc. A chaque fois, le passeur doit franchir une zone minée, particulièrement dangereuse, même si les paysans qui y laissent régulièrement leurs jambes ont commencé un déminage "naturel" et si le passeur dispose d'une carte précise où sont indiquées les zones dangereuses.

Les mines ne sont pas le seul péril que doit affronter le passeur : la Sécurité intérieure l'informe qu'elle surveille son fils de treize ans qui milite au sein de l'opposition islamique. Le passeur entreprend alors un voyage dans la capitale, où il découvre la réalité de son pays.

Le récit de Sherko Fatah associe la lente progression des contes orientaux à la tradition littéraire germanophone - on pense, en lisant son roman, à Kafka ou à Handke, tant la précision du vocabulaire parvient à créer un monde auquel l'absence volontaire de repères géographiques confère une dimension universelle.

L'auteur vu par l'éditeur
Sherko FATAH est né en 1964 en RDA. De père turc, il passe à l'Ouest avec sa famille en 1975. Il vit aujourd'hui à Berlin. En zone frontalière (Im Grenzland), son premier roman, a reçu le prix Aspekte 2001.


  • Broché: 240 pages
  • Editeur : Editions Métailié (15 Oct 2004)
  • Langue: Français
  • ISBN: 2864245183
  • Dimensions (en cm): 14 x 2 x 22

mercredi, septembre 27, 2006

TV : carnets d'un combattant kurde, génocide arménien, Atatürk

Lundi 2 octobre à 22h05, sur ARTE : Carnets d'un combattant kurde, documentaire de Stefano Savona, 2006.

Ne l'ayant pas vu, je cite le commentaire de Thierry Leclère dans Télérama :
"Dans la catégorie OVNI, voici un documentaire qui ne vous laissera pas indifférent. Les premières minutes, on se demande d'ailleurs si ARTE n'a pas perdu la tête. Ou plutôt si la chaîne n'a pas été infiltrée subrepticement par des militants kurdes du PKK, ce mouvement armé en lutte depuis presque 30 ans contre le pouvoir turc ! Document de propagande ? Il en a tous les atours. Filmé par un réalisateur italien mais écrit à la première personne par un combattant kurde, ce journal de bord paraît, de prime abord, aussi crédible que le journal d'un Khmer rouge qui vous ferait un cours sur le Cambodge... Et puis, au fil des séquences, le film prend un autre relief. La propagande, inscrite dans le projet du film, se dynamite elle-même, comme si le héros se faisait un croche-pied : on découvre le désarroi de combattants désoeuvrés qui ne savent plus à quel chef se vouer. Le président du PKK, Abdullah Öcalan - évoqué dans le film par son surnom, "Apo" - a été fait prisonnier en 1999 ; depuis, il ne prône plus officiellement la lutte armée ni même l'indépendance du Kurdistan, au moins dans ses lettres, filtrées par la censure.

Après des images à couper le souffle d'un Kurdistan irakien somptueux, le meilleur arrive avec les femmes combattantes. Derrière les magnifiques regards de ces maquisardes percent des destinées douloureuses, un idéal, vrai, et des rêves de liberté. Öcalan, qui a toujours prôné la liberté des femmes - lui qui reconnaît pourtant "ne pas être un modèle en matière d'égalité des sexes" - offre là le meilleur visage d'un mouvement de résistance, le PKK, dont on ne saura rien tout au long du film. Ni de son embrigadement, ni de sa logorrhée post-maoïste, ni de ses choix stratégiques qui ont laissé desrrière lui des milliers de cadavres."

A voir comme une curiosité donc, et petit bonus, pour ceux qui comprennent le kurde ou le turc, vérifier à chaque fois la pertinence de la traduction des propos, si elle est fournie par un interprète made in PKK..."

Et pour continuer avec les sujets qui fâchent :

Jeudi 5 octobre, à 20h45 sur Planète : Arménie, histoire d'un génocide. Documentaire d'Andrew Goldberg, 2005. Suivie à 22h40 sur la même chaîne de Mustapha Kemal Atatürk, naissance d'une république. S. Labat, 2005.

Les Sassanides


Plutôt que de chercher dans les délires génético-nationalistes une filiation Mèdes-Kurdes, allez jeter un oeil à l'exposition du musée Cernuschi présentant l'art sassanide. Certains objets et thèmes artistiques sont sûrement très intéressants à comparer avec l'art de Djezireh, de Haute-Mésopotamie et d'Anatolie de la période islamique qui succéda à l'empire iranien.




mardi, septembre 26, 2006

A signaler

Mémoire de Master II d'histoire contemporaine en ligne : L'Europe et la question kurde, 1999-2006, de Jonathan Rosier.

Cinéma : Yilmaz Güney




Yilmaz Güney était un des acteurs les plus populaires de Turquie, en même temps que le cauchemar de la junte qui après le Coup d'Etat a détruit des centaines de films où il figurait, photos, documents... D'un seul coup, il ne fallait plus que Yilmaz Güney ait existé. La Turquie a décidément un penchant fâcheux pour le négationnisme.

De toutes ces pellicules détruites, il n'en reste qu'une douzaine, très abîmées. Le Gouvernement régional du Kurdistan a décidé de financer leur restauration, considérant que cela fait naturellement partie du patrimoine de tous les Kurdes.

Et c'est à cela que l'on sent la nécessité d'un Etat kurde. Car qui d'autre pouvait sauver ces films ? Certainement pas la Turquie, pays dont Güney était pourtant officiellement ressortissant. Si Güney vivait encore, il ne serait pas un cinéaste "turc" en exil, mais un artiste kurde reconnu, soutenu, financé et consacré au Kurdistan, et naturellement il pourrait continuer à tourner sur place, dans son pays, parmi les Kurdes.



Projection de 2 films - Mercredi 27 septembre 2006

18h00 "ON L'APPELAIT LE ROI LAID" En présence de son auteur Claude Weisz. Ce documentaire retrace les grandes étapes de la carrière de Güney à partir de ses films et de reportages.

20h00 "UMUT" (ESPOIR) de Yilmaz Güney (100 min, noir et blanc, v.o.st-fr.). Cabbar le cocher quitte son village pour aller gagner sa vie à Adana. Alors que ses revenus sont maigres et ses créanciers nombreux, un de ses chevaux succombe à un accident. Il n'arrive pas à saisir que le monde autour de lui s'est transformé et s'obstine en vain à vouloir acheter un autre cheval.

Studio des Ursulines 10, rue des Ursulines 75005 Paris
RER Luxembourg

Réservation (gratuite) à la réception de l'Institut kurde de Paris Tél : 01 48 24 64 64

jeudi, septembre 21, 2006

Le retour

Finalement après intervention en haut lieu et je dirais rien que pour m'embêter, une place se débloque pour le 19. C'est-à-dire qu'ils ont dû éjecter quelqu'un sans lui demander son avis. Après échange de SMS entre ministères pour donner les noms des VIP et leurs numéros de passeport (oui, le ministère n'ayant pas encore de fax, on fait tout par sms, comme des skybloggers), je suis censée être attendue au VIP Room avec d'autres congressistes plus tardifs dans leur départ.

Lever à 3h30, temps doux, on sent venir l'automne, même dans la journée la chaleur est agréable, 36-38°. Quelques chauves-souris volètent près des fenêtres de la chambre. Trajet compliqué et sécurisé pour l'aéroport, dont je ne me souvenais pas à l'aller. Gimkhana de blocs de béton en zigzag pour couper la route vers l'aéroport, un contrôle, changement de taxi, encore des contrôles.

Arrivée à l'aéroport, à 5h. Je demande le VIP Room. Un des types préposés au contrôle des bagages part se renseigner. Et revient en me disant qu'ils n'ont pas mon nom dans la liste. Ben tiens, même pas étonnée, allez savoir pourquoi. Je lui donne mon passeport au cas où ils auraient mal écrit mal épelé, entre le nom et le prénom ils mêlent souvent tout. Mais non, définitivement, ils ont d'autres noms mais pas le mien. Comme j'ai envoyé les listes en deux morceaux, un pour moi un pour les autres, ça ne m'étonne guère. En fait rien ne m'étonne à 5h30. J'explique gentiment au type qui n'y est pour rien que le VIP Room je m'en fous, mais que ça pose problème pour ma place usurpée dans l'avion. Il tilte. Repart et revient en me disant que le responsable du VIP Room sera là à 6h. Naturellement il n'a pas mis en doute mon appartenance à un congrès de kurdologie, une Française qui lui parle en kurde, ça court pas les rues.

Est-ce que j'étais contente de repousser mon départ ? Ben non en fait, parce que les adieux, le départ déchirant, plus ça se fait vite mieux c'est, alors tout recommencer dans deux jours, non, très peu pour moi. Mais en Orient devant l'aléatoire et les embûches de la fortune incertaine, une seule attitude possible quand plus rien ne dépend de soi : s'assoir, attendre, et dire "kismet". Parce qu'en général tout se résoud tout seul.
A 6 heures, un jeune homme se pointe et me montre le SMS que je lui ai envoyé la veille avec la liste des 4 VIP, que je verrai d'ailleurs passer plus tard au contrôle, mais ne m'apercevant pas car je me planquais prudemment, pas envie à cette heure de me les fader. L'une d'elle aura d'ailleurs réveillée à 6h30 l'assistante du ministre pour s'inquiéter ENFIN du déroulement des opérations, et se confondant en excuses plates en apprenant que si elle avait eu la présence d'esprit d'appeler, ne serait-ce que la veille, elle aurait su qu'elle était attendue avec son cher époux, depuis 5 heures au VIP Room. "Faden, faden faden.".. J'adore les gens qui n'arrêtent pas de se dire désolés de vous déranger avec la dernière muflerie, mais qui n'arrêtent pas de vous déranger pour autant.

Enfin, le responsable du VIP Room me dit que le directeur va faire son possible pour trouver une place dans un avion plein à craquer (cad : réejecter quelqu'un qui se sera levé pour rien à 3h). Et puis au bout d'une heure il vient en m'annonçant qu'il était maintenant sûr que j'aurais une place, ce qui est logique, il y a toujours des annulations, et il suffit d'être mise en tête de liste. Bref, on bavarde et c'est alors qu'il me remontre une 3° fois le SMS avec les noms et qu'en bon Kurde, il capte au bout de la 3° fois que c'est MOI qui lui ait envoyé ça la veille.

- AHHHHH!!!! C'est toi que j'ai eu au téléphone!!!!!
- Sans doute.
- Ahhhhh!!!!! Tu es Sandrine.
- Aussi. (ça faisait seulement une heure que je lui expliquais).
- AHHHH! Mais alors tout va bien, tu es aussi dans la liste ! Enfin presque.... enfin oui, c'est Fawzî hier qui me dit par tel. ton nom mais j'ai pas bien épelé et au VIP Room quand je leur ai demandé, tu sais quoi ? J'ai vu qu'ils avaient mis mon nom à la place. C'est drôle hein ?

Oui ça peut paraître space mais c'est ce que j'ai compris de ses explications embrouillées dans son anglais heurté (à cette heure j'avais pas assez de neurones pour capter le soranî). Le mec envoie un nom à l'aéroport et les gens de l'aéroport inscrivent en VIP le nom de l'émetteur qui bosse avec eux pourtant... Rien ne m'étonne ici.

Bon finalement il m'escortera à l'enregistrement, au contrôle des passeports où un jeune Kurde très beau mais débordé tamponne à tour de bras et se fait engueuler parce que l'embarquement aurait dû se terminer 10 minutes avant. Il proteste : "C'est ça, je suis un ordinateur, peut-être !"

Et d'ailleurs en tamponnant mon passeport il a dû se planter le computer-man car il a tamponné un visa d'entrée. Ce qui fait que sur mon passeport je suis entrée deux fois au Kurdistan, et jamais sortie. Heureusement qu'en Allemagne le contrôle n'a pas capté.

Je prends place dans l'avion, 1B la place pas mal, en fait tellement de double billets que tout le monde se place tant bien que mal, je cède mon siège à une mère et ses deux gosses afin que les marmots hurlants ne mécorchent pas davantage les oreilles parce que séparés de leur mère. Mais bon, on finit par décoller. Et imprudemment, après quelques minutes, je jette un oeil sur les collines fauves de Hewlêr et sent la boule de larmes qui monte et brûle les yeux... Allez pleurniche pas pétasse, ou tu auras ta baffe. D'ailleurs il n'est pas vrai que c'est fini, et c'est peut-être maintenant que tout commence.





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dimanche, septembre 17, 2006

Pourquoi j'aime le Moyen-Orient


Pour ses défauts. Comme on aime une personne profondément, plus pour ce qui devrait énerver que pour ses bons côtés. J'aime la poussière, la pollution, le brouhaha perpétuel des villes, les klaxons des voitures dès le matin, même un jour gris à Hewlêr n'est pas un jour gris à Paris. J'aime tout, même leurs télévisions avec les téléfilms kitsch syriens historico-sentimentales. Le matin, même devant la télévision de la cafétéria, devant la chaine al-Baghdadi qui psalmodie les sourates avec une image fixe et bien chromo, je suis aux anges. Même l'appel à la prière de 4 ou 5 heures à Hewlêr ne m'énerve pas, alors qu'à Van j'enrage... Pourtant les muezzins kurdes chantent aussi mal que les Turcs, il faut admettre. Bref, le Moyen-Orient, c'est chez moi et donc je suis à cet égard d'une injustice totale.
A Hewlêr les taxis ont mauvaise réputation, celle d'être aussi arnaqueurs qu'à Istanbul, mais je suis quand même tombée sur un paquet qui au lieu de me dire ce que je leur devais, ont répondu, la main sur le coeur avec le sourire (j'aime cette gestuelle théâtrale et gracieuses des bonnes manières de la rue) quelque chose comme : "bi kêfa te" (je traduis en kirmancî). Devant la Citadelle, mon dernier taxi était d'ailleurs en train de se faire sérieusement engueuler parce qu'il s'obstinait à se garer dans un périmètre interdit parla police histoire que je n'ai pas trop à marcher. Je descends vite fait et plaide pour le chauffeur auprès des forces de l'ordre, en disant que je vais marcher, pas de problème. Le temps que ça percute, le chef policier, un type bien ventru et chenu me demande, avec déjà un sourire irrepressible aux lèvres (signe d'un attendrissement fatal à son autorité) : "Ingilizî ?" Je réponds en kurde que je suis française mais que je parle kurde. Alors là.... il fond complètement, me demande où j'e l'ai appris : "A l'université ? Ah là là, t'es intelligente.... Comment tu t'appelles ?" Et voilà, mon taxi échappe aux foudres, et je pourrais sans doute faire sauter mes contraventions ici.
Dans les grandes villes du Kurdustan, le problème crucial est récurrent est la crise du logement. Les réfugiés chrétiens et arabes, qui se précipitent au Kurdistan pour échapper à la violence ont fait monter terriblment les prix, d'où une hostilité assez générale des Kurdes à ce flot de nouveaux arrivants, et aussi par crainte d'une nouvelle "arabisation" du Kurdistan. Il va falloir pourtant qu'ils acceptent des migrants car il y a dans la population kurde irakienne un refus du travail préoccupant pour les employeurs : les entrepreneurs, les restaurateurs, tous ceux qui ont besoin de main d'oeuvre et d'emploi de service s'arrachant les cheveux pour trouver à embaucher. Les Kurdes d'ici en général ne veulent pas travailler, car ils jugent cela dégradant (et c'est cent fois pire pour les femmes). Le buiseness, le commerce, les taxis, l'administration, les peshmergas, OK, mais servir non. Et de fait, dans les hôtels et les restaurants, les serveurs sont Turkmènes, Chrétiens, Arabes (beaucoup de Mossoul) et Yézidis. Marrant que la société kurde contemporaine reprenne le vieux schéma des tribaux kurdes faisant travailler les rayas pour eux.
Pour cette même raison, tous se plaignent du manque de perspective sociale (il faut beaucoup raquer, quand on est un garçon pour se marier, à Amadiya, la dot des filles est de 15.000 dollars), car les jeunes ne trouvent pas de logement ni ne gagnent assez. Alors l'Europe, les US, c'est le paradis facile... Cela dit, si ici ils répugnent à travailler, se retrouver à faire la plonge ou les chantiers en clandestins dans les villes européennes doit leur faire un sacré choc.
Aussi, la masse énorme des travailleurs "étrangers" vient du Kurdistan de Turquie. Après tout, si cela peut les rekurdifier et les "dépkkiser"...
Concernant mon billet, merci pour les avis, mais par Amman c'est possible aussi et l'agence du Sheraton prend les cartes VISA donc tout va bien.


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samedi, septembre 16, 2006

Ankawa, vin, surbooking

J'étais en train de rédiger un post hier quand la salle Internet s'est éteinte, en raison d une de ces innombrables coupures de courant qui empoisonnent la vie des Kurdes ici. Il faut dire que la demande est trop forte par rapport à l'énergie dont dispose la Région et qu' en plus les Kurdes ne sont pas les champions du non-gaspillage énergétique... Sinon l' internet café d'Ankawa empestait tellement l'essence qu 'il ne valait mieux pas craquer une allumette. Comme les tickets sont vendus par unité de 1h = 1 dollars, les nôtres étaient encore valables pour la prochaine fois. S en souvenir.

Ankawa c 'est a la fois le quartier chrétien et le quartier cher et chic de la ville, un classique au Moyen Orient. La plupart des officiels y résident. Il a aussi l 'avantage de fournir de l 'alcool (ventes et restaurants) à tous, y compris les musulmans (ce qui est aussi un classique au Moyen Orient). Il y a autant de boutiques d alcool qu'à Dersim, c' est dire. Ce n est pas pour ça qu 'ils savent tous déboucher une bouteille. A l 'Happy Times, le garçon est venu nous demander ce que nous préférions : qu'il ouvre la bouteille lui même ou que nous nous en chargions. Quelque chose nous a soufflé qu' il valait mieux prendre les choses en main. Du coup on nous a amené un splendide tire-bouchon électrique qui nous a laisse un peu perplexes.

Quant au vin c'était un honnête vin de table, issu de l'Hérault et mis en bouteille en Lorraine, appelé Le Patron.
La plupart des Chrétiens parlent arabe ou syriaque dans le quartier. Le kurde est moins pratique, alors que chez les Kurdes c'est l'inverse, ce qui fait qu'à Hewlêr le Prêche du Vendredi est en kurde.


Par ailleurs les muezzins kurdes n'ont pas l 'air très fameux, du moins à Hewlêr. Le pire est celui de la Citadelle. Il chante tellement faux que c 'est à se demander si ce n est pas une fois de plus Corto Maltese qui le remplace comme dans Les Ethiopiques.

Sinon, en vrac : J'ai bu sans faire gaffe l'eau du zam zam yézidis, ce que m avait formellement déconseillé Hamit Bozarslan. Mais comme pour le vin de messe, ça ne m a rien fait du tout. Je dois avoir l' estomac blindé pour les choses sacrées.

En raison d'un problème de gros surbooking, Kurdistan Airlines m'informe qu 'il n y a pas de place avant le 3 octobre. Si rien ne se débloque, je serai obligée de passer en Turquie pour attraper un vol de la Turkish, la Turquie ayant l'avantage d'être equipée pour les cartes visa, elle. Mais après l 'attentat de Diyarbakir plus la guerre qui recommence et plus le TAK, l'ambiance doit pas être jouasse a la frontière, pas plus qu'à Diyarbakir. Déjà qu'en temps ordinaire, les Turcs qui gardent le poste d Ibrahim Khalil ont la réputation d 'être de vraies têtes de cons, hargneux et racistes, je me demande ce que ça va être cette fois ci.



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lundi, septembre 11, 2006

Duhok : livres français, salle de classe et Monseigneur

Ensuite, HELAS on doit se fader encore un de ces déjeuners protocolaires qui casse les couilles de tout le monde, et fait perdre le temps qu'on aurait pu consacrer à continuer la balade. Bon, déjeuner avec le président de l'université de Duhok, j'ai à peine participé à la conversation, quand on quitte les yézidis de Lalesh, hum ce genre de mondanité, ça paraît bien fadasse et mortel. De totue façon il était déjà tard, on n'a que le temps de passer au lycée international de Duhok déposer trois sacs de livres scolaires. Le lycée est fermé mais j'avais eu au téléphone monseigneur Raban, de qui ce lycée francophone, mixte, ouvert à tous les élèves quel que soit leur culte est la grande oeuvre. Patroné et financé par Monaco, il est équipé d'une salle pleine d'ordi (un par élève) et un internat à plusieurs étages se construit à côté. Bref j'explique à monseigneur Raban qui lui était à Hewlêr qu'on vient, et il prévient les gardiens. Un petit tour au Lycée, ensuite passage obligé au supermarket de Duhok (le premier ouvert au Kurdistan) qui évidemment ne nous dépayse pas trop des Francprix, mais permet de se ravitailler en eau. Et on repart, car de Duhok à Hewlêr la route est longue, 4 heures.

Arrivée à Hewlêr à 10 heures, où je retrouve finalement monseigneur Raban attablé avec Kendal, Joyce et les Kutschera. Monseigneur Raban a les yeux bleus très chauds de certains chrétiens ici (dont le chef de rang du buffet du Sheraton), une classe terrible dans son bel habit d'évêque. Avec ça une gentillesse et une drôlerie... Il n'arrête pas de me remercier pour le risque que j'ai pris en amenant ses livres, je me demande quels risques, vu que le chauffeur était bon conducteur, mais je crois que cet évêque là, toujours actif, toujours sur les routes, a la réputation d'un Fangio. Il avait amené plusieurs bouteilles de vin de messe, un truc aussi redoutable que le marc à Minouche, aux conséquences imprévisibles paraît-il mais que moi j'ai trouvé très bon et qui ne m'a pas nui du tout. Ces évêques chrétiens du Kurdistan sont tellement intégrés à leurs montagnes et aux gens qui les peuplent, tous cultes réunis... Ainsi à un moment, je l'entend protester auprès de kndal "Tout de même, on a nos droits ! On peut les réclamer !" Je pensais qu'il s'agissait d'une querelle entre millet, mais en fait non, c'était parce que la conférence avait appelé des universitaires de Hewlêr et de Silêmanî, pays soranî, et pas de Duhok, qui est du Bahdinan. "Nous, les Bahdinanî, nous avons été exclus !" voilà ce contre quoi protestait l'évêque d'Amadiya. J'étais éclatée. Que les évêques assyro-chaldéens épousent les querelles régionales des Kurdes du Soran et du Bahdinan... On peut vivre des années avec eux, il y a toujours un moment où on reste scié.
Mais il était charmant, monseigneur Raban, en expliquant que pour lui, le paradis, il le voyait déjà, tous les matins, quand il regardait ses élèves dans la cour du Lycée. Et c'est vrai qu'il peut être fier de ce qu'il a fait, et la France est une fois de plus lamentable, en laissant Monaco financer le premier et le seul lycée francophone du Kurdistan.



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Lalesh : tawwaf, guide, zamzam



Hier, j'ai dû piloter une excursion pour Lalesh, la Mecque des Yézidis, où repose le Sheikh Adi ibn Mustafa, à l'origine cheikh d'une confrérie soufie, mais dont la personnalité étonnante, et la vénération de ses murîds après sa mort, plus maintes tribus kurdes qui lui firent allégeance sans être elles-mêmes très islamisées, donnèrent naissance à une religion à part, qui mêlent éléments pré-islamiques et soufis, comme dans la plupart des sectes ghulat de la région. Mais il y a indéniablement chez eux, comme chez les Yaresans, des éléments de culte iraniens très très anciens, bien plus anciens que le manichéisme et le zoroastrisme.

M'enfin, avec toutes les conneries que j'ai pu entendre sur le Yézidisme, qui après avoir été très mal vu par les musulmans et les chrétiens (on les suspectait à tort d'adorer Satan), est récupéré à présent par les nationalistes kurdes désireux de retourner à leurs "origine mède" et donc de se débarrasser de toute trace d'arabisation, dont l'islam (montrez-moi la culture kurde débarrassée de son passé islamique), après m'être fadée sur Roj bash Kurdistan les Yézidis de la diaspora 3° génération persuadés d'être de purs Aryens descendants de la plus vieille civilisation du monde, etc, et aussi quelque peu agacée de cet engouement des kurdologues pour une secte certe originale, mais qu'il fait sans doute plus chic d'étudier que les banales recherches en islamologie,, bon bref après tout ça, j'allais à Lalesh comme on va à une destination-bateau, tellement courue qu'elle en devient chiante d'avance, de ces visites qu'on a l'impression d'avoir déjà faite avant d'y avoir mis le pied, tellement tout le monde vous gave avec ça.

Mais déjà sur la route, rien que de quitter Hewlêr et de voir le pays, mon humeur était au grand soleil (de toute façon ici, je dois avoir le corps astral qui gambade de joie quel que soit l'humeur apparente). Et puis les campagnes ont tellement changé depuis 12 ans : déjà, comme dans les villes, on construit partout, des routes, des maisons. On voit des champs plus on sort de Hewlêr, et animaux aussi et plus seulement des chèvres, mais aussi des vaches, des ânes (Saddam avait tué toutes les mules pour priver la guerilla de ses bêtes de somme).

Et puis à l'abord des montagnes, bien sûr, le paysage devient de plus en plus beau, mais dire que les montagnes kurdes sont belles est un lieu commun, alors je ne m'étendrai pas. Allez voir, c'est tout ce que je puis conseiller...

Donc entre deux montagnes, soudain, le village de Lalesh est là, reconnaissable entre tous par ses deux grandes coupoles coniques, au dessus du Temple. En descendant de voiture, je suis tout de suite happée par l'incroyable beauté de ce que je vois, mais dont il est difficile de cerner réellement la source : un beau village kurde d'accord, mais il y en a beaucoup, les maisons, les arbres, d'accord, mais surtout ce sont ces habitants qui rayonnent. Beaucoup en costume kurde, les pîrs, les femmes en tenue, les hommes portant souvent le shalwar et le turban, et même ceux qui sont habillés à l'occidentale frappent l'oeil : ils vont tous pieds nus, ce qui leur donne une allure à la fois ascétique et libre, en fait on a envie de faire comme eux. Je m'inquiétais de savoir si on devait aussi se déchausser dans le village mais en fait non, juste dans le Temple, et eux-mêmes l'hiver vont en chaussures, mais l'été finalement tout le monde va pieds nus, ce qui permet d'aller à tout moment dans les lieux sacrés, et du coup donne à tout ce village un caractère sacré mais avec un naturel chaud et accueillant. Et puis il y a les Yézidis du village, de gens d'une incroyable beauté, beaucoup avec les yeux verts pâles, de ce vert magnifique, mi limon mi verdure des yeux iraniens que l'on retrouve jusqu'en Afghanistan. Et il émane d'eux vraiment quelque chose, une gentillesse, un amour des gens, de l'étranger, de ceux qui viennent les voir sans hostilité (ils en ont pas mal bavé des musulmans et les chrétiens ne les portaient pas dans leur coeur non plus), et il faut dire qu'ils sont assez vénérés des Kurdes à présent, même les musulmans, même ceux des autres coins du Kurdistan, car ils sont devenus pour eux une légende, celle de la résistance à l'opression, à l'assimilation, et aussi quelque chose qui pour eux est un culte ancestral, leur propre origine, un peu comme si les cheikhs yézidis étaient un peu leur arrière-arrière-grand-parents se tenant vivant devant eux. Et donc les Kurdes qui étaient avec moi étaient aussi émus et respectueux que des murîds rencontrant un grand murshîd. Mais indéniablement, la petitesse géographique de ce lieu de culte, son ancienneté, la préservation de son caractère unique) lui donne une densité spirituelle qui en fait une explosion d'ondes positives , rien que d'y poser le pied on se sent bien, détendu, traversé d'une onde dorée, bienfaisante, ils ont drôlement raison de marcher nu pied.

Bref tout le monde nous accueille avec chaleur, nous serre la main (même leurs pîrs serrent la main des femmes, ce qui avec un pieux musulman n'est pas toujours le cas). Et hop on nous pousse vers le Temple, qui lui n'a pas changé depuis 12 ans, enfin pas de façon spectaculaire. Certaines parties ne sont pas accessibles aux femmes je crois, comme la tombe de Cheikh Adi, enfin d'après ce que j'ai pu saisir de ce que me disait mon guide auto-désigné. Oui parce que bon, faut que j'explique. On arrive dans la cour, avec comité d'accueil (ils étaient prévenus de l'arrivée des kurdologues en balade), caméra de TV, et les intellos yézidis du centre culturel de lalesh avec leurs étudiants. Donc pas vraiment une visite intime et discrète, au départ c'était plutôt le plan Japonais derrière le drapeau qui courent après le guide.
Dans la cour, les vieux et les hommes assis, les gosses autour, les cuisines derrière et dans les galeries, les femmes. Devant nous, le Temple et sa fameuse porte au serpent, avec aussi des frises végétales, en arabe, et bien sûr les oiseaux-paons de part et d'autre, ainsi que les queues de serpents dragons déployées, très ressemblantes à celles au dessus de la porte de la Citadelle de Hasankayf. C'est là qu'il faut se déchausser, mais comme je l'ai dit, ce n'est pas pour une question de pureté dedans/dehors, puisqu'ils marchent pieds nus aussi en sortant du Temple. De même le marchepied du seuil et d'autres à l'intérieur doivent être enjambés, car seul Sheikh Adi a le droit de poser le pied dessus. Sinon, il n'y a pas d'autres restrictions, pas de voile pour les femmes (en tous cas pas une impérieuse prohibition puisque les visiteuses nu tête n'ont eu aucun problème, même si les tenues traditionnelles kurdes des yézidis impliquent naturellement une coiffe ou un foulard).
La grande salle du Temple, assez haute, à colonnes et voutes, est décorées de lampes et les gros piliers carrés sont enrobés de tissus verts, jaunes, rouges (ça vous étonne ?) mais aussi mauves, blancs, enfin tout ce qui se fait de joli. Faire un noeud à ces tissus porte chance, enfin aide à accomplir des voeux, un peu comme les arbres à fils et rubans des musulmans et des alévis kurdes et turcs, je suppose.

Autour, des pièces plus étroites, avec des tombes de cheikhs (Sheikh Adi n'a pas eu de descendants mais des neveux et ensuite de succession en succession il y a eu plusieurs saints).l Le Temple est paraît-il sur sept niveaux, mais pour les derniers il doit falloir y aller en rampant et avec une lampe de poche.
Bon la visite débute, en groupe, avec des guides qui sont les responsables du centre culturel. Naturellement faut que je m'éloigne et que je fouine un peu pour voir l'architecture, les motifs. Au fond de la salle, une fille tout en blanc et un homme assez jeune, en tenue kurde, avec un visage typique de cette région, cheveux et barbe châtains, yeux verts pâles, très intenses, un peu irréels, un peu illuminés. La fille, timide, s'éloigne et moi au passage je dis roj bash. Puis je ressors parce que je n'ai pas bien regardé la porte vu que tout le monde était devant. Ouais ouais ouais un petit air de famille avec Erzurum, Deir uz Zafaran, Cizre, etc. A l'intérieur, j'entends le guide expliquer en kurde que Melayê Cizrî dans un de ces poèmes dit qu'à présent sa qibla c'est Lalesh, faudra que je retrouve lequel.
A côté, l'homme aux yeux clairs s'est planté devant moi. Je lui souris et lui montre le portail "Zur ciwan e !" Puis je rentre et là il me fait tout visiter, à l'écart des autres. Enfin non, c'était pas une visite, mais un vrai tawwaf, c'est-à-dire qu'il m'a fait faire tout le rituel comme si j'étais yézidie, une façon comme une autre de vous intégrer à la famille.
D'abord il y a la pièce attenante, pleine de jarres d'huile, avec une petite lampe à huile (et les bouteilles genre Lesieur à côté) car la flamme ne doit jamais s'éteindre. Il faut toucher l'huile et s'en mettre sur la poitrine, m'explique-t-il. Oui je vois bien, ça donne la barakat, ça préserve, et mon petit doigt que c'est aussi pour une femme, un rite pour être féconde. Il y a aussi un truc marrant : un des mur a une grosse excroissance de pierre, une avancée qui ne va pas jusqu'au plafond. Il prend un tissu couleur de feu, le met en boule, ferme les yeux et placé à deux mètres, trois mètres du mur le lance. Si le tissu reste au dessus, c'est razî. Il me montre et réussit du premier coup, manque le second, re-réussit le troisième. Je suppose que les joueurs de basket auraient la cote auprès de Sheikh Adî. A mon tour. Vu mon habileté à ces trucs là, je ne me fais guère d'illusion, ça va être aussi réussi que lorsque que l'apprenti mevlevi m'a tendu son nay pour que j'en tire un son. Ou comme quand moi, j'essaie de faire un panier au basket. Bon les deux premières fois le tissu s'est cassé la gueule, mais on va dire que la troisième, comme il est resté accroché par un pan au rocher, a été presque réussie.
Ensuite on passe dans une salle où repose un cheikh, avec son cénotaphe recouvert de plein de tissus multicolores, sans inscriptions brodées, juste plein de couleurs.

Et puis dans une autre salle, un tombeau, recouvert d'un tissu entièrement noir (inutile de me demander tous les noms, détails et significations, je regarderai à mon retour, je ne pouvais pas faire à la fois le tawwaf et l'enquêteuse scientifiques, il y a un temps pour tout, là c'était celui de l'innocence et du qalb, pas du 'aql).
Ensuite on passe à l'eau, autre élément important du culte.
Une source souterraine et sacrée, bien sûr, glougloute dans les murs. On descend par un escalier très étroit et glissant (finalement pieds nus on glisse moins qu'en chaussures), et nous voilà dans une petite salle au sol de terre boueuse. Au mur opposé une petite ouverture (conçue pour la taille d'un hobbit) qui oblige vraiment à se courber pour passer de l'autre côté, alors que le sol est de plus en plus boueux. Et puis on débouche dans une autre salle, avec un bassin sur lequel mon guide se penche et prend de l'eau dont il s'asperge la tête, les bras. C'est la source zam zam, dont l'eau bénite, enfin sacrée quoi, sert à une forme de rituel plus proche de celui des sabéens-mandéens et des musulmans avec leur zimzim que le baptême des chrétiens.Il me montre, alors que je furète le nez en l'air, dans ce souterrain. Bien sûr. Et il m'explique que je dois m'en passer sur la poitrine, le ventre, les bras. Il n'arrête pas d'insister avec son tawwaf, avec une grande douceur mais intense, comme si c'était important, il faut que je fasse tous les rites, peut-être pour attraper toute la barakat possible. Il se recourbe sur l'eau, me remontre, mais je dois pas faire ça assez bien, ou pas assez, il prend de l'eau avec ses mains, me mouille les bras et les avant-bras, doucement mais fermement, de bas en haut, je suis un peu étonnée qu'il ose faire ça, il me réexplique qu'il faut asperger de même la gorge, le ventre, ce qu'il fait pour finir, en passant la main sous mon T shirt et me mouillant copieusement. Je le regarde d'abord d'un oeil méfiant en me demandant s'il en profite pas sous prétexte de rituel zélé, mais en fait, non, ses gestes sont attentionnés, concentrés, mais sans rien de louche, et ses yeux étaient d'une telle pureté, d'une telle clarté intense, presque hallucinée, alors qu'il m'expliquait ce qu'il faisait et pourquoi, que soit je suis tombée sur l'innocent béni du village, soit sur un pur mystique (la troisième catégorie que j'attire, celle des chats, étant ici éliminée d'office). Ensuite il me montre la source du bassin, alors que les autres nous rejoignent et qu'on laisse passer le troupeau. Ah et il faut aussi lover son dos dans une niche qui est juste à l'entrée, je dois avoir lu quelque part que c'est bon pour la santé. Il y a aussi un autre niveau encore plus souterrain mais alors dans le noir complet, où l'on entend l'eau mais vu l'aspect casse gueule et obscurité complète je ne reviendrai qu'en tenue de spéléo. Puis on va voir quelques femmes qui lavent les plateaux des cuisines, mais elles ne parlent que l'arabe. Ensuite des gosses, tous très mignons, et qui adorent les photos, normal, puis les étudiants me mettent le grapin dessus en m'entendant parler kurde (ici tout le monde s'extasie sur mon kurde, et de fait je les comprends mieux que les Kurdes de Turquie) et puis les autres du centre, les plus vieux, qui avaient fini leur visite. On discute, on discute, des problèmes de bourses pour les étudiants, de la biblio de l'institut, des possibilités d'échange de livres (mais sans poste, pff...), bref on s'échange nos coordonnées.
Je ressors dans la cour, mon gentil guide en tawwaf est là, il ne se mêle pas aux autres, je lui demande son nom, il a vraiment un visage très doux, serein, avec quelque chose de solaire, ce qui pour un yézidi, après tout... Je prends de lui une photo contre un des très vieux arbres de la cour. Je ne sais pas si c'est son eau mais je me sentais merveilleusement bien, ressourcée et apaisée, vraiment protégée. Tout cet endroit respire la spiritualité, il faut bien le dire.
Et puis il y a eu la présentation au super-grand cheikh venu ici parce qu'il y avait eu un deuil peu avant, tout le monde lui serre la main, chacun se prend en photo à côté de lui (pas moi, j'ai horreur de ces séances qui font un peu zoo) d'ailleurs ce grand cheikh là dégageait moins que mon guide, alors bon...
J'ai mis un certain temps à me rechausser, je crois même que j'étais une des dernières, j'étais très bien moi à marcher pied nus aussi dans la cour, sur les pierres bouillantes, la poussière, la terre, ça donne un bien-être animal, une liberté... et aussi un contact bien plus dense avec cette terre, ils ont raison. Et puis on a dû repartir, je n'ai d'ailleurs pas dit au revoir à mon guide qui avait disparu un peu avant le départ, dans une forme de raisonnement typiquement kurde qui consiste à ne pas se dire au revoir pour ne pas donner réalité au départ. Mais on peut dire que toute la journée j'ai emporté ça avec moi, j'avais l'impression d'être dans le barzakh ou le malakût de Shihâb al-Dîn.


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Hewlêr J11-J12 : Nouvelles Frontières, music hall, Big Bang kurde

Avec le staff de la conférence, on a fait le point sur tout ce qu'on nous avait demandé. Une liste à la Prévert... Incroyable comme les gens quand ils voyagent en groupe peuvent être profondément neuneus... Attention, je parle de kurdologues qui sont censés avoir voyagé sur le terrain, tout seul, et pas toujours de façon très légale... Ben après deux jours je ne voulais plus me dire kurdologue. Je me cherche un autre nom... Déjà il paraît que toute la ville de Hewlêr est foudroyé par une épidémie de gastro, alors imaginez les étrangers, qui déjà en temps normal... Eh ben c'est hallucinant le nombre de médocs de bases (Immodi, doliprane qu'on a dû fournir, pompé sur nos propres réserves, bien sûr). Partir au Moyen-Orient en été sans pharmacie ça doit être ça l'aventure. Quand même entendu la réflexion : "Quand même, ils auraient pu prévoir une valise de médicaments pour tout le monde !" J'aurai halluciné, si on avait pas dû aussi fournir deux personnes différentes en serviettes hygiénique. Car c'est évidemment le genre de choses qui arrivent aux femmes de façon totalement imprévisible, hein... Pour finir on arrivait à se dépouiller de tout, comme Sidharta sous son arbre. J'ai même dû prêter mes écouteurs d'i-pod une matinée, sachant que ma source principale de recharge d'ondes positives réside dans mes mp3 de musique soufie et d'Arvo Pärt...

Bref à la fin de la journée on était ravi de souffler entre gens potables. Donc on s'échappe au parc derrière le monument des martyrs, là où il y a un cinéma et un resto en plein air. Mis à part les inévitables brochettes et meze, ils servent des pizzas qui, contrairement à celles, délicieuses, des chrétiens de Ankawa, sont tout à fait identiques aux pizzas Lidl, de celles qu'on n'avale que lorsqu'on n'a vraiment pas le choix au fin fond du congélateur de l'Arabe d'à côté. Par contre le pain-galette (nan) est délicieux, servi tout chaud et croustillant, et finalement j'ai à peine touché à ma pizza pour m'empiffrer de ce pain, avalé nature comme ça.
Soirée musical et polyglotte : face à trois serveurs arabes (pas fufutes mais ça a l'air d'être une caractéristique du coin), deux Kurdes qui parlent turc, un Français qui parle arabe, une Française qui parle kurmandji, et deux Kurdes d'Iran qui totalisent à eux deux le persan, l'arabe l'italien, l'anglais, le suédois... Barzoo a imité à peu près tous les intervenants de la conférence, de l'italienne qui parle anglais avec un accent de Milan terribile, du Français qui parle soranî avec un accent franchouille du tonnerre, des anglophones avec le plus bel accent du Middle-East, puis une imitation de Saddam, d'un général français de la Première Guerre du Golfe, le tout avec des blagues du "menteur professionnel" de Silêmanî, impossibles à rendre en français. Pour vous représenter Barzoo : allure disco body buildée, jean et T shirt échancré sur un pendentif égypto-pharaonique, sociologue et polyglotte virtuose, avec un don indéniable pour le music hall et la faculté d'imiter à peu près n'importe qui en n'importe quelle langue.
En repartant, petite halte au monument des martyrs, pas ceux de l'Anfal comme j'ai dû le dire antérieurement, mais les victimes de l'attentat de Hewlêr en février 2004, un monument sobre, avec les noms illuminés. Depuis ils ont compris la leçon, et les ouvertures de sacs et les fouilles sont la règle dans presque tout les lieux à risque : les hôtels, les parcs publiques, etc.
En gros, ici on apprend à vivre comme en Israël mais comme les Kurdes ont réussi à isoler leur pays par une frontière non officielle mais réelle (un visa est requis même pour les Irakiens), on se sent très en sûreté ici. D'ailleurs vu le nombre d'Arabes, notamment de Mossoul ou de Baghdad qui viennent au Kurdistan, plous les Chrétiens qui fuient le centre et le sud de l'Irak par peur des excités sunnis ou chiites, il y a une crise du logement terrible ici. Pourtant la ville est couverte de chantiers, et même aux alentours on construit tout et partout. Le quartier le plus côté, le plus neuf et le plus cher est le quartier chrétien de Ankawa. Sinon Hewlêr c'est un peu l'anarchie du Far West : très grosses fortunes (souvent des anciens vendeurs d'armes qui ont su à temps prendre leur distance avec le régime), quartiers assez pauvres et souffrant de coupures d'électricité ainsi que de pénurie de carburant, et aussi une bourgeoisie aisée et snob, très conformiste et consumériste. Silêmanî est parait-il beaucoup plus moderne et dès qu'on monte dans le Bahdinan, comme on verra plus loin c'est totalement différent.
Et puis le lendemain samedi 9 c'était le tour des intervenants kurdes locaux. Là on a eu le droit à une belle brochettes de théoriciens du Big Bang kurde comme on intitule le courant de pensée : en gros, les Kurdes sont à l'origine de TOUT. Ils étaient là depuis la Nuit des temps, parce qu'un des intervenants sait qu'il y a une grotte où il y a un corps du paléolithique et à côté de lui un cailloux où il y a une encoche qui faisait un K comme Kurde, et ensuite Tell Ubayd a appris l'écriture à Sumer et non l'inverse, et les Sassanides étaient des Kurdes parce que Ardashir V dans une lettre à son frère aîné, à la ligne 7, a mentionné un mot qui ressemble à la façon dont on dit bonjour dans le village de son beau-frère...
Ah et aussi Amadiya : la citerne d'Amadiya n'est pas une citerne comme ce sale collaboratonniste menteur de Sheref Khan Bitlisî le prétend, c'est un élément du culte zoroastrien, sachant que le yézidisme est la plus vieille religion du monde comme chacun sait.
Bon cela dit, j'ai entendu d'Européens certaines théories tirées par les cheveux sur le yézidisme, en allant chercher du côté de Babylone des motifs de Lalesh qu'on trouve sur toutes les mosquées et monastères de la région du 12-13° siècle... Le pire c'est que ce paquet de conneries nationalistes, complètement décalquées sur les fantaisies nationalistes turques de la langue-soleil sont enseignées aux étudiants. ça promet pour les générations futures...
De toutes façon comme dit Khalil, l'argument majeur dans les débats contradictoires est : "Tout ce que tu dis est faux et ta soeur trompe son mari." Voilà. Dans ta face.

Pour souffler, en sortant de la salle, parlé un peu avec les deux femmes de ménages, deux vieilles femmes en tenue kurde, shalwar et coiffe, avec un enfant, le petit-fils de l'une d'elle. Comme la plupart des vieux, elles parlent un kurde très pur, ce qui fait que même étant hewlêrî, elles comprenaient mon bahdinanî aussi bien que je comprenais leur soranî. Il n'y a qu'avec ceux de Silêmanî que ça coince vraiment. Du coup à la pause, on leur a amené le thé et les petits gâteaux et on a pique niqué assis en rond dans la salle. Les vieilles n'arrêtaient pas de me complimenter sur mes bonnes manières de kurde, que j'avais été bien éduquées, (elles ont même dit "danishmend" ce qui est un vieux mot iranien, équivalent du 'arif au Moyen-Âge qui me ravit dans leur bouche). En tout cas ça me fait rire que malgré mon jean poussiéreux, mes reebock et ma façon de me vautrer sur tous les fauteuils des bureaux où j'atterris, je passe pour avoir des manières de filles de cheikhs auprès des gundî kurdes.

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vendredi, septembre 08, 2006

Hewler : J10 Otages au Kurdistan



Ouais le Kurdistan aussi est une zone dangereuse où on se fait kidnapper. Hier en fin d 'après midi on avait reussi à s'éclipser pour faire un tour au bazar. De retour au Sheraton, tout juste si on passe pas en rampant sous la fenêtre de la guérite pour échapper au énième contrôle de la journée (le Sheraton est très surveillé entouré d'un mur de béton anti-attentats avec plein de jolies dessins dessus) et à l'entrée de la réception il y a une photo du président Barzani en train de se prêter de bonne grâce à ce même contrôle, gageons que ça ne lui est quand même pas arrivé souvent).

Bon on se faufile discrètement et là, boum on se cogne sur le président de l'université, un Kurde très gentil avec un beau visage et un costume traditionnel (mais ce sont toujours les gentils qui vous mettent dans des merdes pas possibles). Bref il s'étonne de nous voir nous diriger vers l'hôtel et nous demande pourquoi on ne va pas a l'hôtel Khanzat où nous sommes tous invités par Mohammad Ihsan. "Euh... Tout le groupe ?" "Oui oui nous assure-t-on." Bon. Ca sent la soirée à laquelle on ne peut échapper. D'ailleurs on n a pas le choix. Le doyen arrive, avec son 4/4 (tous les officiels ont des 4/4), il met ses deux passagers arrière dans le coffre, lesquels se plient et se tassent comme ils peuvent, Keith Hitchins devant, nous trois derrière et nous voila en route. Une fois arrivées, nous descendons, les deux autres pliés en 4 dans le coffre se déplient et descendent aussi, et le doyen peut enfin nous présenter avec cérémonie son fils et son garde du corps...

L' hotel Khanzat est aussi chic que le Sheraton mais en dehors de la ville, sur les premières montagnes, juste face a la demeure des Barzani, parait-il. Vue imprenable, piscine, c est l'endroit idéal pour les touristes du Golfe. Le ministre nous attend, avec une table pleine de convives en costume, bedonnants et moustachus... des profs, des ministres, l 'ambassadeur d Irak à Londres... et rien que nous 4 comme convives. En fait tout le monde a déclaré forfait, prétextant la fatigue (plus une épidemie de tourista), plus ceux qui auraient sans doute fait des pieds et des mains pour diner avec les ministres mais qui n'étaient pas au courant... Les 3 filles se regardent mortes de rire et consternées à l'idée de la délicieuse soirée qu'elles vont passer. Surtout que l 'une commence a être malade et se demande dans l'assiette de quel officiel elle va pouvoir dégueuler (non ce n'était pas moi). L' autre trois secondes après s'être assise annonce que son jean préféré a craqué complètement et que seule sa tunique peut l' empêcher de se promener le cul à l'air devant l 'assemblée mais qu 'elle se fait du souci pour les lambeaux qui risquent de pendouiller, un peu comme Charlot dans les Lumières de la ville (non ce n'était pas moi). La dernière regarde avec consternation les bouteilles de flotte sur la table en disant "non seulement on va se faire chier mais en plus on pourra pas boire" (ça oui c'était moi). Les doutes se confirment quand le serveur se penche pour qu' on lui murmure à l'oreille nos désirs : coca, fanta... Yareb, on va passer une de ces soirées...

Mais en fait non, quand le jeunot passe aux hommes il propose bière, vin... Alors là je suis suffoquée. D autant que le ministre se tourne vers nous en nous engueulant presque de ne pas prendre de vin. Finalement ça s' arrange, surtout quand face à moi déboule un personnage qui a la touche Gandalf mais en plus ventru... Des cheveux et une barbe de derviche, mais l'allure artiste, ce qu 'il est d ailleurs, en plus d 'être ancien membre du Parlement. Bon lui carbure à la bière mais se donnera pour mission de remplir obligeamment mon verre de cru libanais.
Au final, comme dans tous ces moments où on se dit qu'on touche le fond de la galère, on était tellement mortes de rire tout le long du repas, que les officiels moustachus en costume-cravate avaient envie de nous rejoindre en bout de table...




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jeudi, septembre 07, 2006

Hewlêr J7-J8 : Conférence, Peshmergas, divas


Avec le début de la conférence, on est sur les rotules. Les arrivées à gérer au fur et à mesure, les ceusses qui n 'ont pas donné leur texte pour les traducteurs, le programme qui change 36 fois parce que les profs d 'ici font des pieds et des mains pour intervenir, se fâchent, des noms déplaisent et sont éliminés par les autorités de l' université, d 'autres sont rajoutés parce qu' en bons termes avec ces mêmes autorités, finalement l'équipe de traducteurs est mise sur la touche car malgré les assurances et promesses réitérées de notre cher ministre organisateur, la salle n est pas du tout équipée pour la traduction simultanée, ce qui oblige à changer tous les temps d 'intervention, et finalement, après des milliers de pages de programme sitôt imprimées sitôt obsolètes parce que modifiées pour le énième pékin venu se placer dedans, après avoir agrafé, désagrafé, fait les badges, changé les badges, le matin de l 'inauguration nous apprenons que finalement il n y aura pas de traduction, voila.
Cet infime problème étant réglé, nous voila à gérer les intervenants, chacun y allant de sa petite touche : de la princesse qui vient sans prévenir, ce qui ne pose pas de problème, la conférence est publique, MAIS fait une crise parce qu' il n y a pas de badge à son nom et exige au on lui en fasse un SUR LE CHAMP. Ah ces fils et filles a papa et même à grand-papa... Y a aussi celui qui me demande de lui démonter son badge parce que son nom est mal orthographié afin qu 'il le corrige, comme si les Sorans d 'ici étaient censeé écrire sans faute un nom germanique en latin. Plus ceux qui veulent qu 'on leur photocopie à la dernière minute leur tableaux, interventions, plus qu 'on les distribue et menacent de pas parler sans ça (y a des répliques qui démangent dans ce cas). Plus ceux qui se réveillent trop tard de la sieste et qu'on a oublie à l'hôtel, enfin le trip Nouvelles Frontières, quoi...
Enfin le soir on peut souffler et s'échapper en ville. Tout le monde dort l 'après midi et sort le soir. Au parc derrière le monument des martyrs, il y a un superbe jardin, immense, avec un écran en plein air, non pour les films mais pour regarder les clips (les Kurdes sont fous des chanteurs kurdes de Turquie). Le jardin est très coquet avec ses allées, ses arbres, ses petits lampadaires, ses jets d eau et cascade. Une partie du parc est occupée par des tables et des narguileh où l'on boit librement ce qu'on veut , ce qui fait qu'un mollah ronchon a décrété que cet endroit était un lieu de débauche.

En sortant, vers minuit on passe devant l'entrée gardée par des peshmergas. En bonnes fans on fait des photos avec eux. Mais comme c'était la garde de nuit bien relax, ils se prélassaient sur leur chaise. Du coup ils se mettent debout et prennent une pose raide et virile, sauf que l un d eux, vêtu impeccablement en uniforme de la tête aux... chevilles arborait des tongs du plus bel effet avec son AK47. Mais bon les peshmergas on les adore, les anciens ont defendu ce pays et les nouveaux lui épargnent de devenir un autre Mossoul. D' ailleurs au discours d inauguration de la conf, le ministre M. Ihsan a tenu a leur rendre hommage, car sans eux personne n'en serait là à faire un congrès de kurdologie à Hewlêr.


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lundi, septembre 04, 2006

Hewlêr J6-J7 : bazar, tesbîh, ministre



Avant hier, au ministère, entre débrouillage des fâcheries et querelles de clocher (enfin de minaret) concernant l'établissement des listes d'intervenants pour le Congrès, séance autrement plus relaxe de lecture dans le marc de café puisqu'une des responsables du ministère est experte en cette science.


Ensuite au bazar, hier, afin de conclure (espérons) le dernier épisode des aventures de mon portable hewlêrî, dont j'avais oublié de prendre le chargeur (ou bien le vendeur oublié de me le donner, comme on veut). Bref on retrouve la boutique, le vendeur nous remet bien et prend un air étonné très bien joué quand on lui explique le problème. Il finit par reconnaître qu'un portable sans chargeur présente quelques inconvénients mais que malheureusement, le chargeur en question est resté chez lui. Avec l'aplomb d'un marchand de tapis, il me propose soit d'attendre demain, soit que j'en achète un si je le veux tout de suite. Ben tiens ! (au passage me redemande plein d'espoir si mon Samsung dernier cri n'est toujours pas à vendre). Bon, voyant ma mauvaise volonté à ne vouloir ni repartir sans chargeur ni lui en acheter un, il envoie un de ses commis en quête d'un chargeur qui conviendrait chez un autre commerçant. Le gamin, qui ne semble pas avoir inventé l'eau tiède part le nez en l'air et la lippe pendante, en traînant les pieds, pour revenir bientôt : "Niyaaa" (il en a paaaas). "Et pourquoi il n'en a pas ?" "Nazaaaanim." (je sais paaas). Le patron l envoie ailleurs et il revient enfin avec un chargeur nokia. Echaudee, je veux l essayer de suite. Eih... apparemment trouver une prise est un probleme monstrueux, le boss fouillasse vaguement les etageres derriere lui, finit par se debarrasser de l affaire en chargeant son commis, dont l intellect illumine les neuf spheres du ciel de Hewler, de trouver une prise dans cette boutique qui doit faire 5 m 2. Le gamin plonge sous une table, en ressort apres de longues minutes d immersion : "Niyaaaaa." Pour finir un client se devoue et prend le chargeur, le branchant tant bien que mal sur un machin derriere lui qui devait etre une prise. En tout cas ca marche.

Puis un tour au bazar, avec les illuminations colorees du souk aux tissus, repere un marchand de tapis ami du pere de Ferhat Pirbal, et enfin trouve LE tesbih reclame contre une baguette magique que je promene au Kurdistan.
Le soir touj0urs le delice de ces nuits chaudes mais pas etouffantes. En gros il fait 46 dans la journee mais l air est tellement sec dans la plaine de Hewler que c dix fois plus supportable qu un 30 a Paris.
Le lendemain n etait pas jour banal au ministere puisque j ai pu y voir le ministre, d habitude toujours en vadrouille, sans doute pour se preparer au poste de ministre des Affaires etrangeres quand on aura le droit d en avoir un. Le Dr Mohammad Ihsan comme il faut dire (ici on adore se donner du "docteur" long comme le bras, a croire qu ils font leurs etudes pour ca) est le type meme du Big Boss. Je ne sais pas s il est grand en fait mais il a un tour de taille qui lui donne un cote gargantuesque. Avec ca un ouragan, toujours en mouvement. Il deboule dans le bureaum salutations et tout de suite explique qu il faut faire immediatement le titre pour la banniere de la conference, en anglais et en KIRMANCI ! intime-t-il (etant de Zakho il impose le bahdinani a son ministere comme langue de travail).
Les deux titres faits, on passe dans son bureau un truc immense, dore, decore. Meme pas le temps de boire la moitie de mon cafe au lait il bondit de son fauteuil et suivi d Arif Zerevan et de son assistante refonce dans le couloir, sa suite trottinant derriere lui. Jamais vu un Kurde aussi speede.
Ses manieres sont marrantes. Un peu plus tard il redeboule dans le bureau en grignotant une barre chocolatee. "You can take food from there !" Je n en doute pas une seconde. Et puis soudain il me montre son CV et la page Internet ou il figure sur son site. M explique que de tout ca il faut faire un court article biographique. J ai du mal a pas me marrer. Des fois je me demande s il se souvient que je ne suis pas vraiment de son ministere, mais bon on lui fait une jolie bio dont il semble content (il adore figurer dans les medias, quel que soit le support).
Ensuite, de facon exceptionnelle ou pour feter son retour les deux responsables du ministere avaient fait venir de quoi dejeuner tous ensemble, kebab, salade, olives. Et me voila a dejeuner/pique niquer assise entre le ministre et son conseiller (pas de quoi se mousser, ils sont hyper accessibles ici).
Mais mis part son cote 'Show man" le type a fait des choses assez remarquables (debutant en peshmerga puis devenant doctorant en politique internationale, officier de liaison pour Provide Comfort, et enfin son grand but a ete l Anfal comme on peut lire ici sur notre jolie prose.)
Pour finir redaction correction des dernieres news de Kirkuk. Et enfin on passe a l organisation de la conference. Le press release sera publie de facon imminente, les dates et lieux du Congres ayant ete tenues cachees jusqu au dernier moment par securite. Aujourd hui la premiere fournee d intervenants est arrivee.



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samedi, septembre 02, 2006

J4, J5 : Dolce Vita, supermarket et mécontents


Hier vendredi, jour férié. Dans le parc à côté du Sheraton, les familles viennent s'éclater sur les manèges et la grande roue (quel que soit l'âge), fumer le narguileh, ou piqueniquer. Les petits mecs en chemise à col ouvert, pantalon à grosse ceinture et cheveux gominés ont des airs de marlou des années 30. Deux gamins de 13 ans à peine, attablés devant deux narguileh qu'ils tétaient d'un air grave en devisant sourcils froncés nous ont éclatés.
Ensuite, grosse pizza à Ankawa, le quartier chrétien, où l'église a un clocher surmonté d'une superbe croix qui s'illumine la nuit. Manque plus que la faire clignoter. En tout cas on mange bien à Hewlêr et contrairement à la Turquie les portions sont géantes.
Aujourd'hui, heures infernales au ministère, papotage avec le peshmerga et les quelques employés présents (c'était aussi férié), soda partagé en bavardant avec le conseiller du ministre, gâteau de Mossoul avalé de force, cigarette plantée dans le bec de force, la vie d'otage au Kurdistan est un enfer...
Fait un tour en fin d'après midi au Centre commercial super moderne, hyper cher pour le pays, avec des produits tous importés, turcs, du Golfe, d'Europe.
De quoi ouvrir un beau musée du kitsch pour certains objets déco et quelques sacs et chaussures, mais ça fait tellement plaisir quand on se souvient de Hewlêr version 94. Moi je ne me lasse pas de les voir en plein dans la société de consommation.
Sinon tous les jeunes ralent et ne rêvent que de partir, écoeurés par les faillites du système mi libéral sauvage mi népotiste où ils ne trouvent pas leur place s'ils ne sont pas des "bonnes" familles, tandis que les Arabes accourent (on les comprend) et aussi les Philippins (ça doit les changer de leur gentils patrons du Golfe), des Asiatiques, et naturellement des Turcs et des Kurdes de Turquie. De quoi faire un curieux melting-pot.





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vendredi, septembre 01, 2006

Waqt et Zaman



"Qui croirait qu'un lettré juif du Sud marocain, dénommé Ya'cob Bu-'Ifergan (un patro-toponymique typiquement berbère), artisan bijoutier de son état, séjournant à Aqqa, un point géographique que peu de spécialistes seraient capables de situer sur une carte, saurait méditer sur les grands livres de la Loi écrite et la Loi orale, discuter des grands courants de la mystique juive et serait à même d'apporter une contribution éminemment importante à cette science que lui-même et ses congénères kabbalistes appellent "science de grâce et de vérité", rédigeant, dans des conditions matérielles inimaginables, une oeuvre monumentale où s'associent certes, remarquablement, une multitude de "lectures" possibles du message divin, mais où dominent l'ésotérisme de la kabbale traditionnelle, la théosophie des sefirot et la théurgie d'une interprétation de la Loi et des motifs de ses préceptes (ta'ame ha-miswot "saveurs mystiques des prescriptions scripturaires"), une interprétation où se manifeste l'irruption de l'homme et de ses activités terrestres dans le monde du divin, où fleurissent et se multiplient les techniques arithmologiques (gematriot), les procédés d'isopséphie ou équivalences numériques, les permutations et autres combinaisons des lettres du message (seruf ha'otiyot)."

Les premiers mots de la préface m'ont touchée, toujours par la même émotion qui me prend quand je reçois par la poste le livre d'un auteur qui écrivit à des siècles de là, dans un autre monde, sur parchemin, avec calame, ave cplume, sur papyrus, sur tablette... et maintenant sur papier et aussi sur écran. Les mots et les propos volent de support en support. "Qui croirait qu'un lettré juif du Sud marocain dénommé Ya'cob Bu-'Ifergan, artisan bijoutier de son état, séjournant à Aqqa, un point géographique que peu de spécialistes seraient capables de situer sur une carte" atterrirait un jour dans une boite à lettre farangî ? Même émerveillement qu'à lire Aristote en poche, ou à écouter sur CD les musique du théâtre d'Euripide, ce sont les petits temps qui se conjoignent dans le Grand Temps, les waqt qui retournent au Zaman.

Hewler J 3 : Ministere, banque "sans usure" et rats


Hier fait un saut au ministère des "régions extérieures" (soit Kirkuk et Mossul) dont on demande la réintégration dans nos frontières (quoique Mossoul ils peuvent se le garder...). Des gens adorables, mignons comme tout, rosissant, avec un sourire d'une oreille à l'autre en m'entendant parler kurde... Ils sont dans des locaux flambant neuf et super bien installés.

Le gardien pour la sécurité est un peshmerga, un grand type costaud tout gentil aux yeux rieurs, le vrai combattant kurde comme je les adore. Ici les peshmergas sont hyper respectés quel que soit le job dans lequel ils se reconvertissent car sans eux évidemment on en serait pas la.
Mais à peine 1 h après être arrivés au ministère, il faut revenir au Sheraton pour déjeuner avec Saywan qui nous attends là bas. Bon on refonce. Il était avec le directeur de la banque de Syleimanieh qui a la particularité d'être une banque conforme à la sharia cad sans crédit avec intérêt puisque l'usure est interdite. Donc il y a une entourloupe et subtilités de faqih qui datent des premiers siècles de l'islam par ailleurs pour que toute opération financière reste rentable. Les guichets automatiques existent déjà ( encore HS mais bon faut pas chipoter) seulement pas encore aménagés pour les cartes VISA tttsss.... On passe commande, moi de guichet visa, Saywan de logements préfabriqués financés par la banque puisque la crise du logement ici, entre autre problèmes sociaux, est terrible, pire qu'à Paris. Du coup Ozlem raconte son magnifique sejour à l'hôtel Dim Dim considéré comme un endroit bien smart en raison de son beau salon et bar (mais les salons des hôtels kurdes sont toujours superbes, c 'est souvent dans les chambres que ca se gate). Saywan prend son air le plus imperturtable comme quand il s apprête à lâcher une craque : "Aaah l hotel Dimdim... Sa belle facade, son salon... ses rats..."
Et de nous raconter que le conseiller de Bush s 'était retrouvé là-bas aussi (beaucoup de kurdes pensent que l 'endroit est bien et n'ont jamais eu l 'idée de tester). Bref le type emménage et à la fin l 'appelle en expliquant gentiment : "Bon. Que 2 rats tournent autour de mon poulet, d' accord. Qu 'il y ait 14 000 cafards dans ma salle de bain, soit. Mais que la douche fasse ca et ca (geste désordonné de bas en haut, sur un rythme quantique) Non !"
Bon l'aprem retour au ministère avec les locaux pour nous vu que le taf ici s'arrête à 15h. Très marrant de gérer l'organisation de conférences d 'ici et de Paris, je m' en lasse pas... De toute façon ici rien ne m 'énerve et tout me fait marrer... La preuve : pas encore allumé mon ipod depuis que je suis là. Alors qu'à Paris je l'ai toute la journée sur les oreilles, me faut ça pour supporter la condition humaine...











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Hewler J 2 : Citadelle et bazar


Lendemain un tour a la Citadelle, ou trône majestueusement la statue de mon presque-Cheikh Xani, le vrai etant l 'éponyme de ce blog sans doute. Visite au Centre Culturel francais, installé gratos au centre de la Citadelle, dans une vieille demeure très 17-18eme siècle. Mathieu s'efforce de convertir les Hewleri au cinema sans grand succès, les Kurdes étant pro chansons mais ne s'intéressant guère aux films. La biblio, cad quelques livres en francais, est très pauvre mais le problème est comment acheminer les bouquins, déjà qu on a même pas de poste (alors attendez pas les cartes postales...).

Ensuite direction le bazar pour me trouver une carte SIM locale, ces empaffés de Bouygues m'ayant fait le même coup qu'en 2000 pour la Syrie, me jurant que ça marchait. Ben tiens... Le problème est qu 'ls bloquent aussi les portables pour les autres cartes SIM et le mien est trop récent pour être facilement débloqué... Pas grave ça a permis de se faire un trip bazar... d abord achat d une carte, 50 dollars. Puis voyant que mon samsung est bloqué, recherche d'un expert en déblocage (ils en ont plein, c'est une industrie qui va avec la revente des cartes SIM et des numéros). Donc on va voir une autre boutique, qui nous envoie vers untel d 'une autre boutique etc., et après quelques maqams d'étage en étage on tombe sur LE super génie qui rentre partout dans Internet pour débloquer. Mais là rien à faire, le mien est trop neuf. D ailleurs il lui plait beaucoup et il veut me l 'acheter, ce qui nous fait marrer parce que précisement Bextyar proposait que je lui achète SON portable : "Ez telefina xwe nefiroshim, le ez dixwazim e te bikirim..." Evidemment il faut imaginer qu'à chaque nouvelle rencontre, l'attraction majeure c est une francaise qui parle kurde accompagneé d une Kurde qui ne le parle pas... Ils ne se lassent pas de s'ébaubir et de le répéter, l'agrément des conversations de bazars est de répandre la nouvelle marquante de la journée de boutique en boutique jusqu'a ce que ca revienne gonflée enjolivée deformée magnifiée aux oreilles de l'annonceur initial qui s en extasiéra derechef...

Bon presque 2 heures pour finalement acheter un portable (30 dollars) et assise sur un tabouret tailler le bout de gras avec tout le monde, vendeurs et chalands, le tout en kurde, anglais, turc, persan, arabe, car finalement on se découvre toujours une langue commune dans le lot hemdullah, le tout dans la délicieuse chaleur du soir, c est la qu 'on sent qu' on est rentre au pays : que du Bonheur...

Et puis naturellement tout occupes a blaguer et a deviser, on a oublie le chargeur, ce qui fait que demain ca sera reparti pour un tour.
Le soir j'apprends incidemment qu' Ahmet Zeki Okcuoglu est à Hewlêr ! J 'appelle tout de suite, il fonce au Sheraton, on se tombe dans les bras. Le monde des Kurdes est tout tout petit et les coincidences marrantes. Il partait juste le lendemain.


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Concert de soutien à l'Institut kurde