mercredi, mai 31, 2006

Vie des saints musulmans

"Un des disciples de Doû'l Noûn avait fait quarante pèlerinages, quarante retraites de quarante jours dans la solitude, prié la nuit pendant quarante ans et il n'obtenait, malgré toutes ces prouesses, aucune lumière de l'invisible, aucun regard de l'Ami caché. Comme il se lamentait, son maître lui dit de se coucher ce soir-là sans prier après avoirmangé tout son soûl. "Il arrivera, dit-il, sans doute que l'Ami ne te regarde pas avec l'oeil de la miséricorde, il te regardera du moins avec celui de la colère." Le disciple mangea donc à sa faim, fit néanmoins la prière du soir et vit en rêve le Prophète, qui lui dit : "l'Ami t'envoie le salut et il a ajouté : "Bien pusillanime celui qui, à peine arrivé à ma cour, a hâte de s'en retourner ! Dans cette route-là, pose le pied comme doivent faire les hommes de coeur et alors il faudra bien que nous te donnions la récompense de tous les exercices de piété que tu as accomplis pendant quarante ans et que nous te fassions arriver au but de tes désirs. Quant à Dzoû'l Noûn, fais parvenir de notre part le salut à ce bandit détrousseur de grands chemins et dis-lui :"O bandit de Dzoû'l Noûn ! si je ne te signalais pas à la réprobation des hommes, c'est que je ne serais pas ton Seigneur ; car je ne veux pas que tu continues à enseigner la ruse à mes adorateurs." Quand al-Miçrî apprit la façon gentiment cavalière dont Dieu avait parlé de lui, le traîtant d'impudent et de menteur après l'avoir salué, il pleura amèrement au milieu de sa joie."

Différence saisissante d'esprit entre la vie de Bichr le "va-nu-pieds" et celle de Dzoû'l Noûn. C'est que Bichr était plus adpete de la Sunna et des hadith et de la droite voie réglementaire que soufi... D'ailleurs je me demande si Dermenghem, comme 'Attar dans son Mémorial des Saints, ne confonds pas en un seul genre, dévots et soufis. Ou plutôt si les mystiques insouciants et les malamatî ne sont pas les seuls vrais soufis, les autres n'étant que des dévots inquiets, coupables jsuqu'à la névrose, comme Rabi'a.

"Une des conception du çoufisme sera l'idée d'une hiérarchie cachée et permanente des saints, armature mystique du monde, chacun, à sa mort, étant remplacé par un autre, tous ayant à leur tête le Pôle suprême, qui prend parfois les proportions d'un Logos, d'un résumé du Plérôme et même d'une sorte de victime vicaire assumant tous les maux. Ce qouthb (pôle) ou ghawth (grand secours) est l'axe du monde et polarise les émanations divines, répandant l'esprit de vie sur toute la nature. Il est "sur le coeur d'Israfîl", l'archange. Au-dessous de lui sont deux imâms (ou trois nouqabâ (délégués), quatre awtâds (colonnes) correspondant aux points cardinaux, sept abrâr (justes), quarante abdâl (échangés, remplacés par permutation), soixante-dix noujabâ, trois cents nouqabâ qui sont "sur le coeur d'Abraham," - saints apotropéens, sel de la terre détournant les maux du monde en les prenant sur eux et dont on peut dire que c'est non seulement grâce à eux que le monde subsiste mais en leur considération qu'il existe."



"mais il y avait toujours parmi les littéralistes des gens hérissés contre toute prétention à une science réservée et ayant la phobie de toute innovation (bida'), comme si le genre de vie des Médinois et des Bédouins du VII° siècle devait servir de norme à toute l'humanité de tous les temps, comme si l'un des principaux efforts de l'intelligence musulmane, et chez les canonistes eux-mêmes (qui montrent une virtuosité parfois inquiétante), n'était justement pas de suivre le développement du germe reçu avec le Coran et la Sounna.

Dzoû'l Noûn fut donc suspect pour avoir inauguré "une science dont on n'avait pas l'habitude".

Son élève, Yoûsouf ibn Housayn al Râzî, arriva un jour tout ému : "Les gens disent que tu es zindîq. - Ils sont encore bien bons de ne pas me traiter de juif"."

Contre la sunna et la science du hadith, Bayazîd "opposait d'ailleurs la science ésotérique et mystique reçue du "Vivant qui ne meurt pas", à la science religieuse exotérique "reçue d'un mort qui l'a reçue d'un mort."

"J'ai fait plusieurs fois le thawaf (tour rituel) autour de la Kaaba disait Bayazîd ; mais quand je fus parvenu auprès du Seigneur, ce fut la Kaaba qui vint faire le thawaf autour de moi."

Vies des saints musulmans, "Dzoû'l Noûn, Emile Dermenghem.

Concert




Enfant de l'exil, parisien d'adoption, Issa Hassan l'un des maîtres du Bouzouk, nous offre un 5ème album « La cinquième saison » (Arion ? 2005) à son image : à la fois enraciné dans sa culture kurde et imprégné des parfums de ses voyages et rencontres. Dépassant sans encombre les frontières de la musique orientale traditionnelle, Issa signe ici un répertoire captivant entre atmosphère mélancolie et élans festifs !


Extrait 1 - Extrait 2 - Vidéo (si vous avez un problème pour lire les extraits cliquez ici)

Le parcours d'Issa commence il y a bien longtemps, dans un petit village du Kurdistan de Turquie, quand ses grands parents prirent le chemin de l'exil, vers un pays qui devait à l'époque représenter une certaine sécurité : le Liban. Une trentaine d'années plus tard, y est né celui qui est en train de devenir un des maîtres du bouzouk et un des musiciens orientaux dont les rencontres avec d'autres horizons musicaux permettent d'envisager avec enthousiasme ce que nous offrira le siècle présent.

Son jeu présente en même temps la virtuosité et l'originalité qu'on attend d'un grand musicien et l'ouverture d'esprit et l'humour musical que permet son aisance dans le système modal de la musique orientale.

Mais, qu'il joue avec des jazzmen (« Tooting Broadway » Arion ? 2000) ou des flamenquistes (« Ballade kurde à Seville » Arion ? 2000), il ne se départit jamais de ce qui constitue l'âme même de sa musique: la fibre kurde. Avec son bouzouk il a parcouru le monde et chanté dans des lieux aussi variés que l'Institut du Monde Arabe, le Cabaret Sauvage, les festivals de Ris Orangis ou la Médina de Tunis, de Jérusalem ou encore le Kensington Town Hall de Londres. Autant passionné par la mémoire que par les expressions artistiques contemporaines kurdes, Issa est aussi aujourd'hui consultant culturel à l?Institut kurde de Paris...

10 ans après son premier opus « Gulînar » qui l'a révélé en 1995, ce nouvel album que le désormais maître Issa Hassan nous présentera en quartet, est un petit bijou de musique(s) orientale(s), salué par la critique. Le rendez-vous est pris pour ce voyage sonore au fin fond d?un Kurdistan cosmopolite...



La formation



lundi, mai 29, 2006

Les états mystiques des pèlerins


Décidément, il écrivait pas avec ses pieds Shihâb ad-Dîn, et Corbin est un sacré bon traducteur aussi...

"272.- Sur les Frères de l'esseulement illuminent des lumières et elles comprennent plusieurs catégories. La Lumière d'un éclair se présente aux novices, elle fulgure et se replie comme la fulguration d'un éclair délicieux. Se présente aussi aux autres la Lumière d'un éclair plus vif que celle-là et qui ressemble plus à l'éclair, sauf que c'est un éclair grandiose. Souvent l'on entend, en même temps que lui, un bruit qui ressemble à celui d'un tonnerre ou à un bourdonnement dans le cerveau. Une Lumière soudaine et délicieuse dont l'irruption ressemble à ce que serait celle d'une eau brûlante sur la tête. Une Lumière qui persiste un temps assez long, qui subjugue avec violence et qui s'accompagne d'une sorte de torpeur dans le cerveau. Une Lumière extrêment douce qui est sans ressemblance avec l'éclair, mais qui est accompagné d'un état d'allégresse subtil et tendre, étant mise en vibration par la puissance de l'amour. Une Lumière qui embrase, se mouvant du mouvmeent de la puissance qui domine (quwwa 'azzîya), et parfois qui se manifeste par un concert de timbales et de trompettes, de choses qui terrifient le débutant, ou bien qui affectent avec force l'entendement (tafakkur) et la phantasis (takhayyul). Une Lumière qui fulgure dans un rapt immense, qui se révèle, à la contemplation et à la vue, plus manifeste que le soleil, dans une jouissance ravie. Une Lumière très éclatante, extrêmement douce. On s'imagine suspendu par la chevelure un temps assez long. Une Lumière advenante en même temps qu'une emprise imaginale. On a l'impression qu'elle empoigne la chevelure, qu'elle la tire avec force et lui impose une souffrance délicieuse. Une Lumière en même temps qu'une étreinte ; on a l'impression qu'elle est implantée dans le cerveau. Une Lumière qui illumine du fond de l'âme sur l'ensemble du pneuma psychique. Il semblerait alors que quelque chose est dans son corps comme dans une armure et peu s'en faut que le pneuma de la totalité du corps ne reçoive une forme lumineuse et c'est un état d'extrême douceur. Une Lumière qui commence dans l'impétuosité. A son commencement l'homme se figure que quelque chose s'écroule. Une Lumière advenante qui dépossède l'âme alors qu'elle s'élucide à elle-même comme suspendue et pure ; elle contemple à partir d'elle son arrachelment hors des dimensions spatiales, bien que le possesseur de cette âme n'en ait pas eu connaissance avant cela. Une Lumière avec laquelle on se représente une pesanteur que le mystique est à peine capable de supporter. Une Lumière avec une puissance de mouvoir le corps, si bien que les jointures de ses membres en sont presque rompues."

Le Livre de la sagesse orientale, Livre V, Sur le retour, les prohéties et les songes ; trad. Henry Corbin.

vendredi, mai 26, 2006

Qui a tué le cheikh Machouk ?





Un an après la mort du Cheikh Maachouk al-Khaznawî, l'affaire reste toujours mystérieuse et en tous cas non élucidée. Mais le sera-t-elle jamais ?


Le 10 mai 2005, le Cheikh Khaznawi reçoit un appel de personnes prétendant avoir un vieux père malade et le réclamant à son chevet. Pouvait-il se rendre chez eux pour petit-déjeuner le matin ? Il semble que le Cheikh était sceptique sur cette histoire. Selon ses fils, il aurait même dit : "Quand les forces de sécurité cesseront-elles de me harceler ?" mais il accepta tout de même de s'y rendre (comme pour Ghassemlou, comme pour Sherefkandi, cette manie des leaders kurdes de se rendre "quand même" à un rendez-vous avec leurs assassins...). On ne devait plus le revoir vivant, après qu'il ait prévenu : "Je serai de retour dans deux heures."

Pourtant, presque un mois après sa disparition, un officiel du gouvernement avait déclaré à ses fils qu'ils auraient bientôt de bonnes nouvelles concernant leur père. Mais au lieu de cela, le 1er juin 2005, on retrouva son corps à Deir ez Zor, à l'est de la Syrie. Des agents de sécurité les amenèrent auprès du corps "retrouvé" du Cheikh Machouk. Barbe coupée, dents cassées, traces de brûlure, une blessure au front, visiblement le Cheikh a été torturé.

Les Forces syriennes disent avoir cinq suspect dont deux qui ont confessé ce meurtre, et la télévision syrienne diffusa même leur "aveu" : "Nous avons tué le Cheikh Khaznawi parce qu'il s'était éloigné du chemin religieux de ses pères, et lui nuisait par ses apparitions sur les chaînes satellite". Les meurtriers supposés disent avoir enlevé et drogué le Cheikh, l'avoir conduit à Alep, où le propre chauffeur du frère aîné de la victime l'aurait étouffé avec un oreiller. Cette version est appuyée par Khalid Hammud, le juge chargé de l'enquête à Damas, qui affirme que le corps ne présentait pas de traces de violence physique et que donc la mort la plus probable est l'asphyxie. Ce serait donc, du point de vue de l'Etat, un règlement de compte familial sur fond religieux.

Mais
la famille de la victime conteste cette version et l'absence de torture. Elle pointe aussi l'attitude étrange de la police dans les jours qui suivirent la disparition. Ainsi quand ils demandèrent la liste des derniers appels téléphoniques qu'il aurait reçu sur son portable, - "une procédure qui prend 5 minutes selon les proches, et ne coûte d'un dollar" -, les communications syriennes leur répondirent qu'il fallait pour cela une autorisation prélable des services de sécurité.

De plus, toujours selon les fils de la victime, un médecin travaillant à l'hôpital militaire de Tishrin, à Damas, aurait affirmé avoir vu le 27 mai le Cheikh dans une chambre de cet hôpital, surveillé par des agents syriens, et présentant des signes de torture. Son état de santé était très critique et il semblait inconscient. On l'aurait traité aux antibiotiques en plus d'autres soins, et transféré 15 heures plus tard vers une destination inconnue. On devait donc retrouver son corps à Deir ez-Zor, à l'autre bout de la Syrie.

Dans une interview à al-Jazeera, Islam Dari, le rédacteur en chef du journal Tishrin, contrôlé par le gouvernement syrien, soutient cependant la thèse d'un règlement de compte familial : "Ce n'était pas dans l'intérêt de la Syrie d'arrêter le Cheikh Khaznawi pour plusieurs raisons. D'abord, c'était un religieux. Ensuite il est Kurde et n'a rien àvoir avec la politique." Islam Dari évoqua des problèmes financiers (pour une question d'héritage) entre le Cheikh et son frère comme un possible motif de meurtre.

Mais les fils du Cheikh nient cette explication : "L'affaire était depuis longtemps terminée. Nous visions dans une ville, [notre oncle] dans une autre. Notre père avait cessé de réclamer l'héritage."

Etrangement, deux des trois principaux suspects sont morts, peu après le meurtre, de façon "accidentelle". Sa'id Hadeela dans un accident de voiture et Abd-al-Razzaq dans un accident de train-voiture, enfin il aurait eu la mauvaise idée de garer sa voiture sur une voie ferrée et de rester dedans. Un témoin de l'accident affirme cependant que le corps ne présentait aucun traumatisme ni choc étant donné que le train n'a pas touché le siège du conducteur. L'émotion a dû le tuer... Selon plusieurs sources kurdes, quand les autorités ont finalement voulu exhumer le corps pour enquête, le cercueil était vide. Pure distraction, sans doute.

Le Cheikh Mohammad Maachouk al-Khaznawî appartenait à une lignée de cheikhs kurdes naqshbandi. Il était le fils du cheikh Azzedîn Khaznawî et le petit-fils du cheikh Ahmad Khaznewî, auteur d'une énorme exégèse du poète kurde Meleyê Cizirî. Il fit ses études secondaires à Tell Maarouf et à Qamichlo, puis des études de théologie dans différentes universités du Moyen-Orient. Il revint en Syrie pour y assumer les fonctions d'imam à la mosquée d'Edleb près d'Alep jusqu'en 1992, date à laquelle il revint dans sa région natale et prit le poste d'imam à Qamichlo, jusqu'à son assassinat.

Le Cheikh dirigeait le Centre de recherche des Etudes islamiques de Qamichlo et était aussi directeur-adjoint de ce même centre à Damas. Il était aussi membre de la fondation Jérusalem à Beyrouth et du Comité de dialogue entre musulmans et chrétiens à Damas. A ce titre il avait été invité par le ministre des Affaires étrangères de Norvège à un congrès sur l'islam. Durant tout son exercice, le Cheikh n'a cessé de défendre sa vision de l'islam, en insistant sur la tolérance et le progrès. Il condamnait sans ambiguïté les actes terroristes commis au nom de sa religion. Par ailleurs, il exprima sans cesse son attachement à la cause kurde et dénonçait le sort réservé aux Kurdes sans papier en Syrie, dont une grande partie vit autour de Qamishlo, où il exerçait. Il chercha aussi à resserrer les liens entre les partis kurdes de Syrie, en insistant sur la nécessité pour ces partis de s'unir afin d'exercer une plus grande influence sur le gouvernement syrien.

Lors du Newroz sanglant de mars 2004, il eut pour souci principal d'éviter les effusions de sang et organisa des rencontres entre des représentants de partis kurdes et du gouvernement syrien. Le gouvernement syrien lui-même, quelque peu débordé par la tournure des événements, lui avait demandé de servir de médiateur à Qamishli afin d'apaiser les tensions. Mais cela ne l'empêcha pas de soutenir aussi les revendications des Kurdes, même s'il privilégiait pour cela une solution politique pacifique. Quand 312 détenus kurdes furent libérés un an plus tard, en mars 2005, il se trouvait là pour les accueillir, avec des leaders politiques kurdes. Et commémorant l'anniversaire du soulèvement de 2004, un an avant sa propre disparition, il se montra ouvertement critique envers le régime syrien et l'absence de droits accordés aux Kurdes. Il avait invité également plusieurs représentations diplomatiques occidentales à Qamichlo pour les sensibiliser au sort des Kurdes. "Le Cheikh était un symbole pour le peuple kurde et il voulait qu'ils s'unissent tous en un combat pacifique", avait déclaré Hassan Saleh, le Secrétaire général du parti kurde Yekitî.

Etait-ce cet activisme qui finissait par devenir gênant pour le régime baathiste ? Selon ses proches et plusieurs autres témoignagnes, le Cheikh avait été "averti" à plusieurs reprises par les services secrets syriens que ce qu'il faisait était "dangereux" pour lui. Depuis des mois en effet, les services syriens serraient de près le soufi, à tel point que le Cheikh devait appeler ses fils toutes les heures pour les assurer qu'il n'était pas arrêté. Un mois avant sa mort, il avait déclaré dans une interview téléphonique à un journal canadien, que ce régime devait changer ou disparaître, en faisant allusion à la volonté des Américains de se débarrasser des dictateurs de la région. Des officiers des services secrets politiques se réunirent à Qamachlo pour discuter du cas de ce Cheikh. "Ils ont écrit un rapport disant que le Cheikh était devenu une source de problèmes et qu'il fallait se débarrasser de lui." dit le cheikh Murshîd, son fils.

Autre point terriblement sensible dans le dossier du Cheikh, sa rencontre en février 2005, à Bruxelles, avec le leader en exil des Frères musulmans, Ali Sadreddin Bayanouni, une des bêtes noires de la Syrie après la tentative de soulèvement des islamistes en 1982. Cette rencontre ne pouvait rester impunie de la part des baathistes. De plus, cette alliance pouvait être dangereuse. Alors que l'opposition kurde peine toujours à faire admettre ses droits à l'opposition arabe syrienne, peu après le retour de Khaznawi en Syrie, les frères Musulmans avaient émis un communiqué sans précédent où ils reconnaissaient le besoin de trouver une solution au problème kurde, une étape qui avait été accueillie comme une victoire dans beaucoup de milieux kurdes.


Selon certains analystes, cette mort est aussi intervenue dans un climat de durcissement et de paranoïa envers les mouvements politiques kurdes. La stabilité de la Syrie est entre les mains des Kurdes," n'hésite pas à écrire Ibrahim Hamidi, dans al-Hayat. "Ils occupent une position unique. Ils sont organisés, ils ont une identité islamique, un soutien régional de la part des Kurdes de Turquie, d'Irak et d'Iran, et un soutien international de lobbies européens, ainsi qu'un statut politique en Irak." De fait l'émergence d'un Etat kurde de facto en Irak, principal allié des Américains n'a pas peu contribué à une certaine psychose concernant une cinquième colonne kurde pro-US infiltrant voire envahissant la Syrie... Ce genre de rumeur fit ainsi florès lors du serhildan de 2004.


Mais le Cheikh Machouk avait d'autres ennemis : les islamistes sunnites qui n'appréciaient guère ses prises de position en faveur d'un islam modéré, démocratique et réformiste. Ils n'appréciaient pas non plus sa condamnation ouverte des attentats-suicide en Irak, que lui n'a jamais qualifié de "martyres", et au sujet desquels les instances religieuses musulmanes sunnites n'opposent pas grande protestation encore aujourd'hui. Mohammed Habash, le directeur du Centre des Etudes islamiques de Damas, centre militant pour un islam moderne et modéré, soutient contre la famille du défunt, la thèse d'un meurtre par les islamistes et ne croit pas à la main du gouvernement syrien derrière ce meurtre :

"Ils m'ont averti plusieurs fois, ainsi que Khaznawi, que nous jouions avec le feu (...) Je pense qu'il y a un plan très clair des fondamentalistes pour combattre le renouveau de l'islam." Les deux dignitaires religieux étaient effectivement dans le collimateur des extrémistes ou des réactionnaires musulmans, qui les appelaient kafirs (mécréants), infidèles, et autres gracieusetés : "Nous étions dans le même combat contre l'obscurantisme et la corruption dans la religion."

Habash a signé ainsi une déclaration niant la culpabilité du gouvernement syrien dans ce meurtre, ce que les fils du Cheikh imputent à une volonté de blanchir le régime :"Il disait toujours : "si quelque chose m'arrive, cela viendra des autorités" a ainsi déclaré le cheikh Murad Khaznawi.

Par ailleurs, dans les milieux islamistes, les soufis n'ont jamais été très bien vus en général, mais ce Cheikh avait tout pour donner des cauchemars aux réactionnaires, même à l'intérieur de sa propre tariqat. Le charisme et la domination intellectuelle du cheikh sont exaltés dans la plupart des mouvements soufis. Le cheikh est vu comme le seuil qui mène à la vision d'Allah, aussi l'obéissance et le dévouement absolus du murîd (disciple) envers le murshîd (maître) sont généralement requis. Tout au contraire, le cheikh Machouk prêchait la liberté et la responsabilité individuelles, plutôt qu'une obéissance aveugle envers un leader. "Le Cheikh avait l'habitude de parler contre la majorité des usages soufis. Il disait que c'était comme une drogue pour l'esprit" explique son fils Murad.

"Il pensait que chacun devait exprimer son opinion alors que les autres cheikhs demandent silence et obéissance," explique Hassan Salih. "Les autres cheikhs demandent à ce qu'on baise leur main. Il refusait une telle pratique."

Loin d'être un malamatî (un adepte de la Voie du Blâme) cependant, ce père de seize enfants, fils, petit-fils, arrière-petit-fils de distingués naqshbandi, offrait une apparence impeccable, dans sa robe grise, son turban blanc et sa longue barbe. Mais il alliait, sembla-t-il, cette respectabilité irréprochable à un solide sens de l'humour, et n'hésitait pas à rompre avec certains comportements excessivement bigots ou scrupuleux, tel que le refus des soufis de serrer la main des femmes (ce contact étant sensé les rendre impurs pour la prière). Il combattait aussi les inégalités de statut entre les sexes dans la Sunna, par exemple le fait qu'un témoignage masculin vaille le double d'un témoignage féminin au tribunal, et prônait la séparation du religieux et du politique dans les affaires de l'Etat. Ses activités politiques semblaient gêner autant que ses opinions religieuses. La Syrie lui a refusé durant des années de voyager, mais ses livres sur l'islam ont aussi été interdits et il fut empêché de khutba (sermon du vendredi).

Il est donc très difficile de séparer son activisme kurde avec son activité religieuse, et il semble que cette conjonction ait dérangé la Syrie. Ainsi, lors de la commémoration de l'assassinat sous la torture d'un autre opposant kurde, Farhad Muhammad Ali, Khaznawi avait condamné publiquement la Syrie et comparé la mort de cet opposant avec celle d'un compagnon du Prophète, mort lui aussi sous la torture pour avoir refusé d'insulter Muhammad. Selon Ibrahim Youseff, un militant kurde ami de la victime, après ce discours, il aurait été menacé par les services syriens, pour avoir "franchi la ligne rouge et déclaré le Djihad contre le pays". L'alliance de la parole politique et de la morale religieuse semble avoir inquiété les Syriens. Après tout, dans le passé kurde, les plus grandes révoltes ont souvent été menées par les cheikhs...

Le Cheikh avait coutume de dire : "Si leur islam ne veut pas accueillir des Kurdes au paradis, alors je n'irais pas non plus dans ce paradis, et je resterais avec le peuple kurde." Peut-être cette voix kurde dérangeait-elle à la fois le nationalisme arabe et l'islam rigoriste.

Source :
Syrian comment.
Christian Science Monitor
Al-Jazeera.net
Syrian Human Rights Committee

mercredi, mai 24, 2006

Max Weber et les tribus kurdes

Je suis souvent consternée par cette invasion de la sociologie dans toutes les sciences humaines, qui va souvent de paire avec la disparition d'une belle écriture au profit d'un jargon épouvantable, dont la laideur n'égale que celle légué par le jargon philosophique allemand. Ainsi quand je bouquine des thèses ou des mémoires sur les confréries kurdes, je me tape un fou-rire quand je vois qu'il ne s'agit que de déterminer si le soufisme forme bien un groupe charismatique tel que l'a défini max Weber... (et la réponse est invariablement oui, j'imagine, pas de souci à se faire). Je me demande quand même en quoi les travaux de cet Allemand né au 19° siècle apportent de vérité essentielle à la compréhension d'une société musulmane au 21°, mais bon, on le lit à toutes les sauces dans les thèses sociologiques.

Tout de même, partir sur un terrain inconnu avec une grille d'analyse déjà faite, n'est-ce pas le contraire de l'Usage du monde ? Même Ibn Khaldoun, le premier sociologue, n'était-il pas parti de l'observation d'un monde qu'il connaissait bien avant d'élaborer ses théories ? Apprendre à lire d'après ce que l'on voit et non en sortant les notes prises par d'autres, sur d'autres lieux... C'est comme essayer de faire rentrer les ragas indiens ou les maqams musulmans dans le solfège d'après le Clavier bien tempéré. Ce serait tout de même plus logique de concevoir une théorie après observation et non l'inverse. Mais non ! Découvrirait-on une autre forme de vie intelligente sur une autre planète qu'on enverrait de même étudiants et chercheurs aller vérifier sur le terrain que cela colle avec les définitions de Weber, Durckheim ou Simmel.

Je ne sais pourquoi ça me fait penser à ce propos de l'écrivain indien Amit Chaudhuri : "Avant de décliner, dans les années 70, Calcutta possédait une des cultures les plus anciennes et les plus riches d'Inde. Et voilà qu'une nonne albanaise débarque, qui dans son immense bonté a tout aspiré ! Vu d'Occident, il n'y en a plus que pour la petite dame et ses Missionnaires." (Télérama n°2941).

L'Orient peut dormir tranquille. L'Occident dans son immense bonté, envoie ses missionnaires aux lépreux et Max Weber aux étudiants kurdes pour qu'ils apprennent à comprendre le monde des cheikhs, mullahs et gundî...

mardi, mai 23, 2006

Sur le retour, les prophéties et les songes


"Lorsque les Lumières-Espahbad ont vaincu les substances nyctiphores, lorsque leur amour et leur ardent désir du monde de la Lumière se sont intensifiés, lorsqu'elles resplendissent de l'éclat des Lumières archangéliques et qu'enfin l'habitus de se conjoindre avec le monde de la Lumière pure est actualisé en elles, alors, au moment où se dissout la citadelle de [leur corps], elles ne sont pas antraînées vers d'autres citadelles, si parfaite est leur force et si intense l'attraction qui les entraîne vers les sources de la Lumière."- 237.

"Lorsque tu as compris que la jouissance consiste en ce qu'un être atteigne à ce qui lui correspond, et en ce que cet être perçoive qu'il a atteint cette chose ; qu'en revanche la souffrance d'un être consiste en ce qu'il ait conscience d'avoir atteint quelque chose en discordance avec lui-même, et qu'il le perçoive quant à cette discordance ; [lorsque d'autre part tu as compris] que tous les actes de connaissance viennent de la Lumière immatérielle, car il n'est rien de plus cognitif que celle-ci - , alors il n'est rien qui soit plus sublime ni plus délectable que sa perfection et que d'être en accord avec elle." - 238.

241.- De même que pour celui qui perçoit la Lumière immatérielle, l'acte de perception et l'objet perçu ne se comparent pas avec les trois homologues qui leur correspondent dans les êtres de Ténèbres, de même sa jouissance ne se compare pas avec les leurs et ne saurait même être conquise par ceux-ci en ce monde. Comment les comparer, étant donné que toute jouissance physique (barzakhîya) elle-même se produit grâce à quelque chose qui a la nature de la Lumière qui émane sur les barzakhs ? Si bien que même le plaisir sexuel est une émanation (rashh) des jouissances vraies ?

Celui qui recherche ce plaisir ne désire pas le contact de l'inerte. Ou plutôt il ne désire qu'un écran (barzakhs ?) et une beauté dans laquelle il est un mélange lumineux (shawb nûrî). Enfin son plaisir est rendu complet par la chaleur, laquelle est un amant de la Lumière et l'un de ses causés, et par le mouvement, qui est aussi un amant de la Lumière et un de ses causés. Sa double puissance d'amour et de domination se met en mouvement, de sorte que le membre masculin (dhakar) veut s'emparer du partenaire féminin. Tombe alors du monde de la Lumière, sur le masculin, un amour s'accompagnant de force, et sur le féminin un amour s'accompagnant de douceur ; le rapport étant analogue au rapport entre la cause et le causé, comme on l'a exposé précédemment. Et chacun des deux veut ne faire qu'un avec son compagnon, afin que soit levé le voile du corps. Et cela, c'est, chez la Lumière-Espahbad, la recherche des jouissances du monde de la Lumière dans lequel il n'y a pas de voile."

Le Livre de la Sagesse orientale, Shihab al-Dîn Sohrawardî, Livre V, II, Où l'on montre la délivrance des âmes pures retournant au monde de la Lumière.

lundi, mai 22, 2006

Du système de l'Être


IV. Où l'on explique que le mouvement des sphères célestes est un mouvement volontaire et comment le multiple émane de la Lumière des Lumières.

"144.- Thèse sur la générosité de la Lumière des Lumières.
La générosité consiste à combler un désir, sans attendre quelque chose en retour. Celui qui recherche gloire et récompense n'est qu'un mercenaire. De même celui qui cherche par là à échapper au blâme ou à quelque chose de tel. Rien n'est plus généreux que ce qui est Lumière, dans la réalité constitutive de son être, car la Lumière s'épiphanise et effuse par soi-même sur tout réceptacle. Le roi au sens vrai, c'est celui qui possède l'essence de toute chose, mais dont l'essence n'appartient à aucune, et c'est la Lumière des Lumières."

X. Explication de la science divine conformément à ce qui est la doctrine de l'Ishrâq.

163. - Sache que le blanc semble plus proche, quand il y a quelque chose de noir et quelque chose de blanc sur une surface. C'est que le blanc ressemble davantage à ce qui est apparent, qui ressemble à la proximité. Le noir semble au contraire plus lointain, pour la raison contraire à ce que nous venons de dire.
C'est pourquoi dans le monde de la Lumière pure, dont la transcendance exclut le lointain des distances, toute Lumière qui est plus élevée dans la hiérarchie des causes est en même temps Lumière qui s'abaisse davantage vers les plus humbles, en raison de la puissance de sa manifestation."

Le Livre de la sagesse orientale, II, Du système de l'Être, Shihaboddîn Yahya Sohravardî (trad. Henry Corbin).

jeudi, mai 18, 2006

Que la Lumière n'a pas besoin de définition


"107. - S'il y a dans l'être quelque chose qui n'a besoin ni qu'on ne définisse ni qu'on l'explique, c'est cela l'apparent (zâhir). Or il n'est rien qui soit plus apparent que la Lumière. Donc il n'est rien qui soit plus que la Lumière indépendant de toute déifnition."

La Sagesse orientale, Livre premier, "Sur la Lumière et son essence ; sur la Lumière et ce qui émane d'elle en premier". Shihaboddîn Yahya Sohravardi.

mercredi, mai 17, 2006

Conférence

Engin Sustam et Véli Pehlivan
(EHESS)

La rupture et la formation de la littérature kurde dans le contexte de la migration socio-politique après 1980 en Turquie contemporaine"

"Un poète kurde de langue turque Ahmed Arif "

Jeudi 18 mai, de 16h à 18h
salle IISMM, 1er étage, 96 bd Raspail, 75006 Paris

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Axe « Littératures en pays d'Islam »
« ORIENT- LITTERATURES -Voix féminines -voix de l'exil » 2005-2006

2e et 4e jeudi du mois 14h-16h, à partir de novembre 2005,
1er étage, 96 boulevard Raspail 75006 Paris EHESS-IISMM.
(avec quelques séances intercalaires : le 1er ou 3e jeudi du mois de 16h à 18h, le lundi de 11h à 13h, salle 801, 54 bd Raspail et le 1er vendredi du mois, 16h-18h, salle habituelle, à partir de février 2006)


L'objectif de ce séminaire est de poursuivre la recherche déjà entamée l'an dernier sur les relations des littératures contemporaines en pays d'Islam : la mise en perspective, les articulations, les similitudes et différences de ces littératures, mais également les relations, influences et décalages, avec les littératures européennes et anglo-saxonnes. Il a déjà donné lieu à plusieurs publications parmi lesquelles :

-Le nouveau recueil n°45, « Villes arabes », Dossier de G. Ladkany, M. Al Yamani, et J.M. Maulpoix Paris, 1999, éd. Champ Vallon
-Darwich, n°spécial de l?IISMM-Nu(e), Nice/Paris, 2000
-Cent titres, « Poésie de langue arabe », éd. CIPM, Marseille 2002, s.d. JC Depaule (contributions de cinq membres du séminaire 2002)
-Les Annales de l'autre islam : « l'espace littéraire arabe, iranien et turc », Inalco Paris, 2004
-Poèmes d'Orient, mille ans de poésie et de peinture, éd. Diane de Selliers, 2004 (contributions de Leyli Anvar-Chenderoff et d'autres membres du séminaire)
-Alger-Beyrouth Méditerranée, éditions Karthala Paris et Espace libre Alger, 2005
-Exils, éditions ENS-LSH, 2005
-Villes, Mémoires, éditions ENS-LSH, en cours.
-Des arts en tensions, Islam et création contemporaine, éd. MSH, Paris, 2006, s.d. J. Dakhlia (contribution de onze membres du séminaire)

L'ouverture de ce séminaire correspond à la Journée poétique : L'Orient entre subversion et renouvellement, le vendredi 04 novembre 2005, 09h30-19h, 96 bd Raspail

Shaykh al Ishrâq


"Il nous faut revenir à ce qui constitue l'intuition fondamentale de Sohravardî. Elle dépouille les existants de tous leurs caractères inessentiels (quantité, qualité, relations, lieu, appartenance à telle ou telle espèce) et permet de percevoir en eux ce qui les fait être, l'origine intérieure de leur acte de présence au monde."

"il (Mollâ Sadrâ) affirme que la grande découverte de Sohravardî est celle-ci : la réalité authentique de chaque chose se situe au-delà de sa quiddité, elle séjourne par-delà l'essence l'existence de cette chose, car elle engendre, dans un même mouvement d'existentiation, essence et acte d'exister. Cette réalité, Sohravardî la nomme "Lumière"."

"Être, c'est être-Lumière, manifester un acte de présence et de cohésion."

"Ne pas être, c'est être incapable de produire, d'illuminer, de multiplier autour de soi des manifestations de soi, d'irradier de la différence. Ce défaut intrinsèque d'unité est une dispersion ontologique interne qui caractérise, par exemple, la matière des corps physiques. Voilà pourquoi Sohravardî nomme les corps "substances obscures", ou "substances ténébreuses", "porteuses de mort et de nuit".

"Les corps terrestres ténébreux ne sont pas les corps des âmes régentes, mais ils sont soumis purement et simplement à ces âmes. Le monde de l'être cesse au monde imaginal. Le monde des corps ténébreux est extérieur aux Lumières. Pourtant, cela ne l'empêche nullement d'en être l'ultime, mais paradoxal miroir."

"La vraie nature des vivants ici-bas n'est pas celle du molk, elle n'appartient pas non plus aux Intelligences, au monde du Jabarût. Leur nature se situe "entre-deux", là où des corps de Lumière exprime l'inexprimable et le symbolisent : le monde imaginal, engendré par l'imagination divine, c'est-à-dire par l'opération théurgique des Lumières de l'ordre latitudinal, à la limite inférieure du Malakût qui n'est autre que le monde des Âmes ou Lumières régentes."

"la Lumière est si apparente, si peu cachée (elle est l'apparition toute pure, la manifestation sans épaisseur) qu'elle est aussi ce qu'il y a de plus secret, de moins perceptible. Sur les corps physiques elle se rend au regard qui sait enfin la voir, pour autant qu'il apprend à reconnaître la manifestation de l'être, la présence de la Lumière, là où il croyait détenir un pouvoir sur les choses."

"Le sensible lumineux ou sonore est le véritable "suprasensible". D'où le goût de Sohravardî pour les couleurs et les musiques, pour les paysages et les visages, pour tout ce qui manifeste en la nature la présence du désir."

Christian Jambet, "Introduction" au Livre de la sagesse orientale, trad. Henry Corbin.

lundi, mai 15, 2006

Expo photos : Kurdistan d'Irak


Exposition virtuelle de Jean-Claude BOURBAULT


Samedi 13 mai 2006
à partir de 18h00


L'exposition est ouverte au public
jusqu'au 27 mai 2006
du lundi au samedi de 14h00 à 19h00
Institut kurde de Paris
106 rue Lafayette
75010 Paris M° Poissonnière

mardi, mai 09, 2006

Sur la piste des dragons... de l'Est

Quand j'avais exploré les terres des dragons kurdes, j'avais trouvé des correspondances avec les vieux mythes indo-européens, et ce notamment grâce au bouquin passionnant de Bernard Sergent sur "Les Indo-Européens". Maintenant un point qui semblait affaiblir cette correspondance (et apparemment Dumézil a buté là-dessus aussi) , était la ressemblance frappante de ce dragon de printemps et même de l'autre, celui du soleil, avec les dragons chinois. Et voilà que j'apprends du même Bernard Sergent qu'il y aurait une "énorme influence" des Indo-Européens sur la Chine, et que bien que cela ne plaise guère aux Chinois, il paraît que cette influence est à l'étude. Finira-t-on finira par trouver que le dragon est en fait né en Mésopotamie ?

jeudi, mai 04, 2006

Le Kurdistan d'Irak, coincé entre PKK et Turquie

Il y a quelques jours, Leyla Zana faisait une visite au Kurdistan d'Irak, dans le but de rencontrer Massoud Barzani et Jalal Talabani, soit les présidents kurde et irakien, afin de parler, non d'une solution négociée au problème kurde en Turquie, mais de ce qui la préoccupe davantage, c'est-à-dire l'éventuelle pénétration des troupes en Turquie pour en chasser les bases PKK. Ce qui est bien avec Leyla Zana c'est qu'on sait toujours pour qui elle roule. Remarquablement silencieuse durant les émeutes de Diyarbakir, celle qui aime prendre des poses de Pasonaria kurde, se soucie énormément, donc, des incidents de frontières en Irak. N'écoutant que sa compassion, elle se rue donc chez Barzani pour ... ? Expliquer aux Kurdes du sud comment il faut faire pour avoir un Etat non agressé par l'armée turque ? Barzani, gentiment, a en tous cas répondu indirectement à la nouvelle ligne belliciste du PKK, que le radicalisme était dépassé, que la manière forte ne pouvait qu'entraîner des incidents sanglants, que chacun savait ici (mais pas le PKK) qu'il était impossible d'arriver à quoi que ce soit par les armes. En gros : si le PKK ne multipliait pas les attaques à partir de Kandil, les incidents de frontières diminuerait de beaucoup ici.


Mais le plus comique est que sans doute agacés de l'initiative de Leyla Zana, qui n'a pourtant aucune fonction politique, ni aucun poste d'élue, les deux présidents du DTP, Ahmet Türk et Aysel Tugluk, y vont aussi de leur visite au Kurdistan, affirmant avoir été invités par le Parlement. A croire que c'est à Massoud Barzani de désigner le représentant des Kurdes en Turquie.

Egalement dans la course, Osman Baydemir, qui depuis les émeutes dans sa ville de Diyarbakir, est en butte aux attaques nationalistes comme PKK. Mais lui, pour le moment, ne semble pas chercher une légitimité chez ses compatriotes du sud, la caution des USA lui suffisant...

De son côté, Murat Karayilan, le chef militaire du PKK, hurle que toute tentative de conciliation entre Kurdes et Turcs est une trahison, que si l'Iran et la Turquie continue de menacer ses bases il va les envahir, enfin leur faire la guerre, enfin les pulvériser quoi, et semble se ficher éperdument de compromettre la reconnaissance politique du Kurdistan d'Irak, qui ne peut décemment pas se faire accepter comme pays sûr, stable, démocratique, et sans danger pour ses voisins, et continuer d'abriter 3000 guerilleros complètement paumés et manipulés dans une guerre absurde qu'ils ont perdue depuis plus de 5 ans.

Le dilemme du Gouvernement kurde est là : ne pouvant balayer cette guérilla parasite et par ailleurs totalement inutile, voire nuisible aux Kurdes de Turquie, sans heurter les sensibilités populaires kurdes qui ne verraient pas d'un bon oeil un affrontement fratricide, surtout au profit des Turcs, ils savent bien dans le même temps, qu'aucune autonomie ou indépendance kurde n'est viable au sud si Kandil sert de repli au PKK pour attaquer les voisins, ce qui reviendrait à le ranger dans la classe des "Etats-voyous" ou "Rogue-states" avant même d'être indépendants. Sans compter que l'Irak après tout, est mouillé aussi dans ces incidents de frontière, puisque c'est tout de même encore Baghdad qui, officiellement, doit demander des comptes ou en rendre dans les relations régionales et internationales.

C'est peut-être pour cette raison que les protestation du GRK sont assez molles sur les actions iraniennes, alors que Massoud Barzani s'est toujours fermement opposé à une intervention turque. C'est que les Iraniens, après avoir nettoyé les montagnes du PKK et du PJAK, ne resteraient pas au Kurdistan, alors que les Turcs ont toujours la tentation irritante de s'incruster plus qu'il ne faudrait.


mercredi, mai 03, 2006

Appel à contribution

Annales Islamologiques no 41 (juin 2007)


En juin 2007, les Annales Islamologiques publieront un numéro thématique consacré aux conventions diplomatiques dans le monde musulman. Les chercheurs intéressés sont invités à soumettre des propositions de contribution. Ces propositions d'articles (titre et résumé d?une page maximum) devront être envoyées avant le 15 juin 2006 à cette adresse email : Une réponse sera donnée aux auteurs avant le 30 juin. Les textes définitifs, en français, anglais ou arabe, devront être transmis à la coordinatrice début octobre 2006 au plus tard. Ils seront soumis à un comité de lecture qui pourra, le cas échéant, demander des modifications aux auteurs.


"Les conventions diplomatiques dans le monde musulman :
L'umma en partage
(1258-1517)

Au lendemain de la conquête mongole, des régions aux traditions islamiques anciennes se retrouvent brutalement confrontées à de nouveaux codes et doivent se soumettre à un pouvoir structuré par des représentations du monde profondément étrangères à l'Islam. Pour la première fois, une autorité non islamique s'étend sur de nombreuses populations de confession musulmane. Le Dâr al-islâm semble sur le point de sombrer, noyé dans le Dâr al-harb.

Cependant, en un laps de temps relativement bref, les nouveaux souverains, leurs cours et les peuples qui avaient migré dans le sillage des armées turco-mongoles, se convertissent à l'Islam. Au XVe siècle, à peine un siècle et demi après la conquête gengis-khanide, non seulement les territoires musulmans conquis par les Mongols ont réintégré le coeur du Dâr al-islâm mais, en outre, de nouveaux peuples se sont convertis et participent activement au renouvellement de la culture islamique et à sa diffusion. Ces peuples viennent en grande majorité de l'est et du sud-est de l'Asie : turcophones et mongolophones originaires du lac Baïkal, populations malaise, indonésienne et indienne. Au début du XVIe siècle, l'islam s'impose définitivement comme réalité mondiale et son extension connaît une envergure inédite. Les contacts entre les peuples musulmans, convertis récemment ou de longue date, s'intensifient. La circulation des hommes - que ce soit dans le cadre du commerce, de la religion ou de la politique - s'accompagne d'une circulation des savoirs et des pratiques. Le rôle primordial des réseaux marchands et soufis dans la propagation de la foi, de la langue arabe et des traditions de « l'islam classique » est aujourd'hui un fait incontesté dans l'historiographie. De même, l'existence d'une culture supralinguistique et supra-étatique créant un entrelacs de liens complexes entre la Malaisie, la Chine, l'Iran, le Yémen, le Bengale, l'Anatolie, l'Afrique du Nord, etc., est largement attestée dans la littérature historique. Des influences réciproques sont perceptibles, parfois même frappantes, à travers les sources dont nous disposons aujourd'hui.

Or, l'une des caractéristiques du monde musulman entre les XIIIe et XVIe siècles, c'est la diversité de ses centres culturels, administratifs et politiques. Que pouvait donc être la réalité pratique - et les c
nséquences sur les questions d'identité - du rapport entre des Etats que tout distinguait excepté l'idée, parfois forte, mais souvent floue, d'appartenir à une même communauté de croyance ? Peut-on percevoir, à travers pratiques et discours, la transcendance de l'umma ?

Pour aborder cette vaste problématique d'un oeil nouveau, nous proposons d'entamer aujourd'hui une réflexion collective sur la communication interétatique au sein du Dâr al-islâm et sur les conventions diplomatiques qui la structurent. Notre intérêt est motivé, de prime abord, par l'existence de sources nombreuses et de nature extrêmement hétérogène : sources manuscrites (traités, concessions commerciales, missives diplomatiques...) ; miniatures et peintures (représentations de réceptions d?ambassade...) ; monnaies et matériel archéologique (salles de réception, cadeaux d'honneur, objets d?apparat ...). Par ailleurs, malgré l'existence d'études de détail pertinentes sur la diplomatique, les relations internationales ou l'altérité au sein du monde musulman médiéval, celles-ci demeurent trop souvent isolées et souffrent d'un réel manque de coordination. Relancer le débat historiographique sur ce thème, à l'aune des plus récentes recherches et dans un esprit de synthèse, est ainsi le second moteur de ce projet.

Il est nécessaire aujourd'hui de mettre en commun des travaux sur la diplomatique persane, malaise, arabe, turque ou turcique et de faire le point sur les documents d'archives qui ne relèvent pas du codex mais du rotulus/volumen, supports ordinaires de la lettre diplomatique. Si on ne peut que constater et déplorer la disparition de nombreuses sources, en comparant les textes éparpillés dans les archives, on pourra pallier, en partie, les lacunes qui empêchent les chercheurs de produire des études d?ensemble sur ce thème. Réunir et confronter des enquêtes historiques particulières nous permettrait de tirer des conclusions d'une large portée et d'aboutir à une synthèse, laquelle, étant fondée sur les documents d'archives, aurait des effets pratiques indéniables.

Enfin, la périodisation choisie atteste d'une volonté de réfléchir sur une période souvent prise entre deux feux historiographiques : la fin de la période dite de « l'islam classique » avec l'apparition des « menaces » seldjoukides et croisées (XIe-XIIIe, jusqu'à la prise de Bagdad) ; la période de l'hégémonie ottomane (à partir de la conquête du sultanat mamluk en 1516-1517). Or, les siècles intermédiaires, de la conquête mongole à la fin des Mamluks, correspondent à une période particulièrement riche au regard des problématiques qui nous intéressent. Les Musulmans sont majoritairement non-arabes, les langues et les cultures au sein de l'umma n?ont jamais été si diverses, le Dâr al-islâm s'est étendu de manière considérable et les voies de communications, complexes et sinueuses, vont de la Chine à l'Espagne. Enfin, l'imbrication Dâr al-harb/Dâr al-islâm, phénomène déterminant à cette époque, aura des conséquences profondes sur la société et le discours des penseurs musulmans.

Ainsi une réflexion sur les « conventions diplomatiques » permettrait d'investir, non seulement les rapports de tension mais, également, les normes de conciliation - si de telles normes existaient - et les logiques de négociations. Cela porterait à aborder des questions pratiques concernant les us de chancellerie. En particulier, à propos des langues, thème majeur sur lequel nous possédons trop peu d'études et aucun recoupement à grande échelle.

Il serait important de repérer dans quel cas de figure la langue arabe est utilisée, quelles sont les expressions stéréotypées en diplomatie et, parmi elles, les formules coraniques récurrentes. Il nous faudrait traiter également des choix d?écritures, styles et alphabets ainsi que du problème des traductions: les ambassadeurs doublaient-ils oralement le message écrit du souverain et, dans ce cas, en quelle langue s'exprimaient-ils, étaient-ils accompagnés de traducteurs ? Avons-nous des supports pour penser et décrypter les usages de l'oralité en diplomatie ? Est-il fait mention dans les sources de quiproquos ou de malentendus ?

Toutes ces voies passent par une question clef qu'il faudra nécessairement soulever : celle de l'authenticité, fondamentale dans le cadre de la diplomatie, en particulier en temps de guerre. On pourrait, en effet, se demander quels sont les critères garantissant l'authenticité d'une lettre diplomatique ou d'une ambassade. Ce qui mènerait à évoquer la question de l'approvisionnement et de la fabrication des supports d'écriture, de l'encre, des sceaux? et de l'apparition, qui fut en son temps révolutionnaire, du papier filigrané. D'où la nécessité de confronter les sources et de travailler à la constitution d?un corpus commun.

Il serait enrichissant de mettre également à contribution des recherches dont les problématiques, fondées sur des questions de société, permettraient d'élargir le champ des hypothèses de travail et d'entamer une réflexion sur le « consensus social », à l'échelle étatique. La « réalité islamique », en tant qu'elle est constituée d'une multiplicité de pratiques et de discours, est-elle perceptible à travers les échanges diplomatiques ? Sur quoi se fonde un discours de guerre entre Musulmans ? Y a t-il prédominance ou exportation de certains modèles ou discours diplomatiques ? Dans quel cas peut-on parler d'une véritable politique extérieure ? La langue peut-elle être, à cette époque, un cristallisateur d'identité ? Quelle est sa place dans les représentations étatiques publiques compte tenu du statut de l'arabe dans l'islam ? La question de l'existence (ou non) d'une norme linguistique diplomatique - sorte de lingua franca - entre Etats musulmans pourrait ainsi être abordée. Cette ou, plus probablement, ces « interlangues », qui empruntent et mêlent divers lexiques, doivent-elles être considérées comme des langues mixtes ou comme de véritables unités linguistiques autonomes ? Ces langues « non maternelles » qui semblent appartenir à tous (mais sont en réalité l'apanage de voyageurs ou d'expatriés aux fonctions sociales variées) peuvent-elles faire office de creuset identitaire, corrélatif d'un lien supra étatique et supra territorial entre Musulmans ?

Ainsi, considérer que l'umma, présentée comme « en pâture » par les tenants d'un discours sur l'âge d'or de l'islam, se trouve plutôt « en partage », permet d'ébaucher de fécondes hypothèses de travail. Les divergences culturelles ne sont-elles pas autant de miroirs identitaires et les rapports de force, cristallisateurs et libérateurs à la fois ? L'étude des « conventions diplomatiques » pourrait mener à une réflexion en profondeur sur l'articulation entre les modalités d?expression d'un discours entre Musulmans et les rapports de tension, voire les conflits ouverts, qui secouent le Dâr al-islâm ; sur le point d'achoppement entre signification et réalité d'une umma qui s'étend de Grenade à Malacca."

Institut Français d'Archéologie orientale

lundi, mai 01, 2006

La Maison dorée de Samarkand


Dans La Maison dorée de Samarkand, Corto Maltese traverse l'Anatolie de 1920, alors en plein guerre d'indépendance turco-kurdo anti-arméno-russe. Comme dans Les Ethiopiques ou Le Scorpion du désert, Pratt affectionne les effondrements des empires et ces grands foutoirs où nations du monde et cultes hétérodoxes s'allient et se combattent, entre cupidité des chercheurs de trésors, idéaux patriotiques laminés, confréries secrètes, rêves, transes et passage dans le barzakh...

A Van, nous tombons sur des croquis savoureux de Kurdes. Il y a d'abord les bataillons "musulmans", donc turco-kurdes qui a priori se sont alliés, mais contre qui ? pour quoi ? Comme le dit Corto en Cilicie alors que les français s'apprêtent à se replier (et laisser dans la mouise les Arméniens sur place) :




De fait, dans le camion qui l'emmène à Van, Corto apprend de la bouche du "bandit" Reshid le Kurde que les sentiments fraternels entre ces deux peuples sont plus que mitigés. Disons que face à Kemal Atatürk, certains Kurdes prennent l'option d'Enver Pach et de son grand empire du Touran, pour des raisons toutes intéressées :




Face à ces alliances turco-kurdes musulmanes, un enemi bien clair, les Russes et surtout l'Arménien :




Et une fois arrivés à Van, nous avons un beau passage sur les Yézidis, Pratt étant friand de ces religions mystérieuses et surtout des personnages de derviches, chaman, pîrs et cheikhs. Rappelons que le génocide "arménien" toucha en fait tous les non-musulmans de la région, les chrétiens assyriens et chaldéens et syriaques aussi, et aussi les Yézidis...




D'emblée, les Yézidis apparaissent comme persécutés comme "adorateurs du diable" par nos bons sunnis, et forcés à la conversion plus ou moins volontaire, comme l'explique cet "ex-yézidi" :



Dans le monde d'Hugo Pratt, les rêves et les sorciers sont tous reliés. Ainsi, l'ange déchu des Ethiopiques, Shamaël, réapparaît dans le corps d'extase d'un sheikh yézidi, pour éclairer la route de Maltese, comme il l'avait fait dans le désert avec Cush le bédouin :




On peut s'étonner de ce que le cheikh invoque "sheitan" à voix haute, ce nom étant strictement tabou pour les yézidis. Aussi il est mentionné qu'il n'a le droit de prononcer son nom "qu'une fois l'an". Par chance, c'est précisément la fois où Corto a quelque chose à demander, mais bon, kismet, hein...

Autre passage ramemant aux massacres de Van, la mort d'Enver Pacha, le tueur d'Arméniens, l'idéaliste du Touran qui voyant la partie perdue à la fois contre Mustafa Kemal et contre les Russes décide de mourir sabre au clair, contre les bataillons arméniens des Soviétiques. Kismet, quoi !






Mis à part ces épisodes "kurdes" l'album est naturellement à savourer dans son intégralité, surtout pour le fabuleux Raspoutine, devenu Caïd Raspa, terreur des Ouzbeks...


Concert de soutien à l'Institut kurde