vendredi, février 10, 2006

Thérèse d'Avila

Pour le moment, je viens de commencer, je suis assez consternée. Mortification, masochisme poisseux, névrose d'angoisse, si c'est ça la béatitude, vive l'enfer... Enfin cette haine du corps, du plaisir, de la beauté, me sera toujours étrangère. Que vaut une religion qui ne rend pas heureux ? Culpabilité, flagellation, ramper, se morfondre, hum, même en étant éprise de Dieu, est-ce se rendre aimable, cela ?

"Une religieuse souffrait alors d'un mal très grave et très pénible. C'étaient des ouvertures que des obstructions lui avaient occasionnées au ventre, et par où elle rejetait les aliments. Elle ne tarda pas d'ailleurs à succomber. Je voyais que toutes les religieuses redoutaient son mal. Pour moi, j'avais grande envie d'une patience pareille à la sienne ; et, s'il plaisait à Dieu de m'en donner une semblable, je le suppliais de m'envoyer toutes les maladies qu'il voudrait. Je n'en redoutais aucune, ce semble, tant j'étais résolue de gagner à tout prix les biens éternels."

"Un repentir très profond s'emparait de moi, dès que j'avais offensé Dieu ; et souvent, je m'en souviens, je n'osais plus faire oraison, car je redoutais comme un grand châtiment la douleur cruelle que je devais y ressentir de l'avoir offensé. Cette disposition prit ensuite de telle proportions que je ne sais à quoi comparer un pareil tourment."

"Je n'aime ni le monde, ni rien de ce qui le concerne."

"Ainsi, durant vingt ans, j'étais prise de vomissements tous les matins ; il m'était impossible de prendre aucune nourriture jusqu'au milieu du jour, quelquefois même plus tard. Depuis que je fais la communion plus souvent, les vomissements me viennent le soir, avant d'aller prendre mon sommeil, et avec une peine plus grande. Je dois moi-même les provoquer à l'aide d'une plume ou d'autre chose ; car si j'omets de le faire, la souffrance est très vive."

En tournant les pages, comme Nieztsche soulevé de dégoût dans L'Antéchrist, on a envie de dire : "de l'air ! de l'air !"

Je n'aime décidément pas les dévots. Et comme l'athéisme devant ça, doit être une saine goulée d'air frais, de plaisir, d'altitude !


Les chapitres où elle détaille les étapes spirituelles de l'oraison jusqu'au ravissement de l'âme sont plus intéressantes. En gros cela correspond aux maqams soufis et au hal. sauf que ce qu'elle appelle ravissement est en fait lévitation. C'est assez courant chez les moines de partout, mais loin d'être impressionnant je ne peux pas m'empêcher de trouver ça comique au fond. Je crois que voir quelqu'un s'élever en l'air comme ça me ferait éclater de rire, tout simplement. Parce que c'est avant tout, très drôle. Sinon mis à part Foudre bénie qui a des visions et cet autre lama, vu par Alexandra David-Neel, qui faisait ainsi des kilomètres comme ça sans toucher le sol, on ne peut pas dire que ce soit d'une grande utilité quand on se claquemure dans un couvent.

Impression qu'il y a deux sortes de mystiques, et ce chez les soufis comme chez les chrétiens et peut-être tous les autres : ceux qui pour s'unir à Dieu s'astreignent à se retrancher du monde, ou retrancher le monde d'eux, et du coup c'est un perpétuel assaut entre l'existence terreste qui les sépare de l'Union d'où culpabilité, névrose, et quelque chose d'à la fois épuisant et pathétique... et ceux qui, comme Qays devenu fou (Majnoun) voyait Layla partout, et si on lui montrait un caillou disait "Layla", et un nuage disait "Layla" et n'importe quel passant était "Layla", il y a ces mystiques qui voient Dieu partout, en tout dans le monde. Psychose contre névrose ? C'est sans doute alors plus réussi, et plus serein. Dieu est partout pour eux et il n'y a pas besoin de se tourmenter/mortifier autant pour savoir si on a commis un adultère envers Dieu parce qu'on a posé le pied droit avant le pied gauche au lever, qu'on a repris trois fois de la compote au réfectoire ou qu'on a remarqué que le confesseur avait de jolies mains.



Sur Pierre d'Alcantara :

"Il me raconta que pendant quarante ans, ce me semble, il n'avait jamais dormi plus d'une heure et demie chaque jour. Sa plus dure pénitence au début avait été de vaincre le sommeil, voilà pourquoi il se tenait toujours ou à genoux ou debout. Le peu de sommeil qu'il s'accordait, il le prenait assis, la tête appuyée contre un morceau de bois fixé à la muraille."

"Il ne portait qu'un habit de grosse bure, sans autre chose sur la chair, encore cet habit était-il aussi étroit que possible, par-dessus un petit manteau d'étoffe. Il m'a dit que dans les grands froids, il le quittait et ouvrait la porte et la petite fenêtre de sa cellule, puis reprenait son manteau et fermait la porte, c'est ainsi qu'il reposait son corps et le mettait un peu plus à l'abri."


Le moins qu'on puisse dire, c'est que tout ça manque un peu de lâcher-prise.... Parce que ne pas dormir par excès de joie, ou parce qu'on trouve avoir mieux à faire, je veux bien. Mais uniquement pour se contrarier... Finalement ces "saints" sont toujours très occupés d'eux-mêmes. C'est à se demander si entre deux tourments qu'ils s'infligent ils trouvent le temps de penser à Celui qu'ils disent aimer.

L'indifférence aux intempéries, la victoire sur la douleur, la mortification dans le but d'obtenir une plus grande puissance, ou un avantage quelconque (vie éternelle, épiphanie, etc) on trouve ça à peu près chez tous les ascètes. C'est aussi le cas de l'épicurien, sauf que pour lui le but est de ne souffrir ni du manque, ni du plaisir lorsqu'il survient, et non de refuser les dons du bonheur, un peu comme un errant cracherait sur le pain des anges. Car en fait, refuser tout plaisir pour se rapprocher de l'Aimé, soit, mais n'est-ce pas faire fi aussi de ses dons à lui ?

"il m'a raconté avoir passé trois ans dans une maison de son ordre sans connaître un seul des religieux, si ce n'est au son de sa voix, car il ne levait jamais les yeux ;"

"Pendant de longues années il n'a jamais regardé une femme."


Celle-là aussi est gratinée quand on pense que le christianisme c'est avant tout l'amour du prochain.






Le passage le plus célèbre et le plus savoureux, bien sûr, sur lequel se sont pourléchés des bataillons de psychiatres et de mécréants ricaneurs :

"Je voyais donc l'ange qui tenait à la main un long dard en or, dont l'extrémité en fer portait, je crois, un peu de feu. Il me semblait qu'il le plongeait parfois au travers de mon coeur et l'enfonçait jusqu'aux entrailles. En le retirant, on aurait dit que ce fer les emportait avec lui et me laissait toute entière embrasée d'un immense amour de Dieu. La douleur était si vive qu'elles me faisait pousser ces gémissements dont j'ai parlé. Mais la suavité causée par ce tourment incomparable est si excessive que l'âme ne peut en désirer la fin, ni se contenter de rien en dehors de Dieu. Ce n'est pas une souffrance corporelle ; elle est spirituelle. Le corps cependant ne laisse pas d'y participer quelque peu, et même beaucoup. C'est un échange d'amour si suave entre Dieu et l'âme, que je supplie le Seigneur de daigner dans sa bonté en favoriser ceux qui n'ajouteraient pas foi à ma parole."

Moi, ce que j'aime le plus dans le groupe du Bernin, c'est le sourire de l'ange.



Je termine donc bientôt la Vie de Thérèse d'Avila par elle-même : ça se tire, ouf ! Quelques jolis passages pourtant, tout de suite gâchés par son misérabilisme récurrent, "je suis indigne" 'comment ai-je osé ?" "moi et mes si grands péchés", etc. Je me demande s'il n'y a pas là une vanité détournée ou inversée à force. A force de lire "moi, des plus misérables", on a envie de lui dire : "mais arrête de te vanter à tout bout de champ, enfin !"

Cela dit, vues intéressantes sur le catholicisme espagnol du 16° siècle. Monde confiné, ranci dans sa dévotion paranoïaque (la peur du scandale, de l'hérésie, du péché, du démon, tout ça cumulé ça fait beaucoup). Quand elle veut fonder son monastère, naturellement elle se heurte à toute la bonne société, les figures sinistres de l'autorité, le Confesseur, le Provincial, le Conseil royal... On lui souffle même la menace de l'Inquisition à un moment ! ce qui la fait rire, tant elle est assurée de sa bonne foi, et donc de passer sans dommage leur examen, peut-être de façon présomptueuse, car qui pouvait être assuré sans aucun doute de trouver grâce aux yeux de ces Messieurs ? Cette Espagne-là, c'est celle qui va chasser ses Morisques et qui a déjà chassé ses juifs (ce qu'elle devait sans doute approuver, en bonne catholique). Les pays "purifiés" sentent la mort, ensuite, ça se vérifie là encore. une fois qu'on ne peut plus décharger ses craintes névrotiques du péché sur l'infidèle, le juif, le sang souillé, il ne reste plus qu'à les retourner sur soi. Finalement, chasse le Juif et l'Infidèle de ta vue, et tu assureras le règne de tes démons intérieurs...





Je repense à Terra Nostra de Fuentès, livre prodigieux, et ce beau tableau si moqueur, que l'on fait danser sous les yeux du roi Philippe, rongé aux vers de son vivant... Il faudra que je le mette ici.

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