lundi, janvier 30, 2006

La folle sagesse

Hier, écoute For intérieur. Un inconnu (de moi, je ne connais jamais les invités de cette émission, pas plus que ceux des Vivants et des dieux. Bizarrement, mon panthéon se trouve plus dans les émissions d'Enthoven. Bref, un juif d'origine parlait de sa foi bouddhique, et son choix d'un maître déjà mort pourtant, Chogyam Trungpa. Des propos sur la chevalerie, les guerriers d'un Royaume, qui m'ont intéressée. Et aussi le fait que ce maître suive la Voie du blâme, la seule que j'aime vraiment, au fond. Celle du rieur à qui toute règle en vue de se faire bien voir de Dieu fait hausser les épaules, ils nous fatiguent ces bons croyants, ces bons élèves, qui font tout comme il faut et se satisfont si bien de leur méritante vertu, tout en conmtant bien au fond d'eux, que Dieu leur rende justement leur dû. Le fol en Dieu, ce serait plutôt : "Je T'aime mais je ne me ferai pas aimer par Toi en raison de mon obéissance." Et aussi : "Mon amour pour Toi ne sera jamais obéissance." Ce qui me fait penser à la phrase de Sollers, citée par Dominique Rolin : "Je danse sur ma vie qui t'appartient".

Déjà, en écoutant des chants soufis, hier, je pensais à cette tentation de l'âme, de me baigner dans la quête spirituelle, et le soufisme, cette échelle de lumière, ce ressort parfois qui vous fait sauter vers Dieu comme un bouchon de champagne est bien rafraîchissant... Mais ce n'est pas ma route, voilà, chez moi la quête spirituelle serait une facilité, une défaite, un renoncmeent déguisé.

Sinon le fait que Frabrice Midal n'ait pas eu d'autre choix que ce maître déjà mort me fait penser à mon coup de foudre pour Jankélévitch, là encore, mauvaise synchronisation des générations. Tant pis.

dimanche, janvier 29, 2006

Blog sur Hasankeyf

Belles photos de Hasankeyf, cette ville magnifique, un joyau du Kurdistan, condamnée par l'Etat turc à être noyée sous les eaux d'un barrage. John Wreford, le photographe vit à Damas, en Syrie, et a d'autres photoblogs, sur la Palestine, le Liban, la Syrie.

samedi, janvier 28, 2006

APPEL A CANDIDATURE

Bourse d'Aide à la Recherche (BAR)

L'Institut français de recherche en Iran met au concours une bourse d'aide à la recherche pour une durée de deux ans (éventuellement renouvelable deux ans) à compter du 1er septembre 2006. Les candidats devront préférentiellement avoir pour champ de recherche l'Iran contemporain et, si possible, mener des travaux sur l'un des domaines suivants :

- les villes, saisies dans leurs dimensions spatiales et sociales ;
- les loisirs et les activités culturelles;
- les identités régionales et ethniques ;

- la parenté et ses usages sociaux.

Ces indications ne sont cependant pas impératives. Tout dossier portant sur la période contemporaine, mais aussi sur l'archéologie de l?Iran ou sur l'Iran classique, sera considéré avec attention.

La sélection se fera sur examen du dossier de candidature par le Conseil scientifique du Pôle TIAC (Turquie Iran Asie centrale) du Ministère des Affaires Etrangères. Une audition pourrait être exigée.

Conditions d'éligibilité :

- Nationalité française ou nationalité d'un pays de l?UE.
- Inscription dans une formation doctorale française en 1ère ou 2ème année de thèse en 2005-2006.
- Maîtrise de la langue française et connaissances de base en persan (pour les candidats travaillant sur l'Iran contemporain ou l'Iran classique) exigées.


Pièces à fournir obligatoirement en double exemplaire :

- La photocopie d'une pièce d?identité attestant de la nationalité française ou de la nationalité d'un des pays de l'UE ;
- La photocopie des diplômes et de l'inscription universitaire en 2005-2006 (1 ère ou 2 ème année) dans une formation doctorale
française.
- Un CV (nom, prénoms, date et lieu de naissance, adresse postale et électronique, numéros de téléphone et fax, cursus universitaire détaillé, emplois actuel et/ou antérieurs, langues pratiquées, travaux et publications éventuelles).
- Un texte de problématique de la thèse (éléments théoriques, méthodologie, calendrier de travail, bibliographie succincte, 5 pages).
- Une lettre de motivation (1 page) précisant la nécessité d'un séjour durable en Iran (terrain et archives).
- Une lettre de soutien du directeur de thèse (transmise directement
par le directeur de thèse par voie postale).

Le formulaire de candidature est disponible auprès de l'IFRI à cette adresse ou auprès de Mme Brigitte MYARD secrétariat de la sous direction de l'archéologie et des sciences sociales (01 43 17 80 05).

Le dossier complet devra être envoyé par la poste et en deux exemplaires avant le 15 mars 2006, délai de rigueur : l'un au Ministère des Affaires Etrangères (Paris), l'autre à l'IFRI, à Téhéran. Tout dossier incomplet sera d'office réputé inéligible.

Adresses :

Ministère des Affaires Etrangères
Sous-Direction de l'Achéologie et des sciences sociales (DCSU/A)
244 bd. Saint-Germain - 75303 PARIS 07 SP

IFRI
Ambassade de France en Iran
Monsieur le directeur de l'IFRI, Valise diplomatique
128 bis, rue de l'Université, 75351 PARIS 07 SP

Envoi à doubler par Email

vendredi, janvier 27, 2006

Sombres crétins

Le PKK qui avait enlevé en Turquie un policier turc il y a quatre mois, l'ont libéré... au Kurdistan d'Irak.

ça c'est intelligent, c'est très sympa pour les copains du sud, à l'heure où la Turquie regueule pour contrôler Kirkuk et freiner l'émergence d'un Kurdistan stable et autonome et ... complet dans ses frontières.

Ils pouvaient pas le libérer au nord, dans les frontières "turques" ? Non bien sûr ! il faut bien montrer qu'on opère et qu'on stationne au sud, histoire de donner des arguments aux bellicistes turcs qui s'appuient sur l'activité des bases du PKK en Irak pour y justifier leur "présence ou future intervention militaire".

Ce qui est bien avec eux, c'est qu'on peut être sûr qu'ils essaieront toujours de dégommer l'indépendance des Kurdes d'à côté. Ils n'ont été capables ni de gagner la guerre ni d'avoir un Etat, mais ils feront tout pour empêcher que ça marche à côté.

jeudi, janvier 26, 2006

Kamal Qadir, combattant de la liberté ou homophobe ?

En gros, les mésaventures de Kamal Qadir peuvent se résumer ainsi. Il écrit depuis des années des articles fustigeant la corruption et le népotisme du gouvernement kurde, alignant pour cela des faits probablement très vérifiables et indubitables. N'est-ce pas son droit selon les critères de la liberté d'expression ?

Et de ce fait, durant son emprisonnement il a bénéficié de la défense et du soutien non seulement des voix kurdes au nom de la démocratie, mais aussi de grandes ONG spécialisées dans les droits de l'Homme et de la liberté d'expression, comme Amnesty et Reporter sans Frontière. Le Gouvernement autrichien s'est naturellement soucié du sort d'un de ses ressortissants.

Comme on le voit, à première vue cela apparaît comme un combat "intellectuels progressistes-démocrates" vs "gouvernement rétrograde et arbitraire"... Les premiers ont gagné, Kamal Qadir a été libéré, la morale est sauve.

Sauf que... personne n'a noté que la teneur des "insultes" proférées à l'encontre de certains membres de la famille Barzani contrevenait aussi à cet esprit démocratique, pro-droits de l'Homme, qui veut, en tous cas selon les critères occidentaux sur lesquels Qadir et ses partisans se sont appuyés pour le faire libérer, que nul se soit inquiété pour ses opinions religieuses, politiques... ou choix de vie sexuels.

Or, en traitant certain membre de la famille Barzani d'homosexuel à titre d'injure, ce même "Dr. Qadir" tombe sous le coup de l'atteinte à la vie privée et du délit d'homophobie, ce qui, selon les critères de la dméocratie occidentale, tombe aussi sous le coup de la loi, l'homophobie est en effet de nos jours, dans la plupart des pays européens, un fait qui suscite autant de réprobation que l'injure raciste. Dire, comme le fait ce journaliste du New York Timesi que Qadir a enfreint certaines limites dans l'insulte d'une façon qui n'est pas admise au Moyen-Orient n'est pas faux, mais on peut douter qu'en Autriche il puisse publier un papier accusant d'homosexualité les membres du gouvernement autrichien. Par ailleurs, s'il publiait en Europe de tels propos, il serait probablement attaqué en justice par toute une pléiade d'association de défenses des Gays et Lesbiennes, qui n'aiment guère qu'on utilise leurs penchants sexuels en termes d'insultes et d'armes politiques.

Par conséquent, une fois revenu en Autriche, Qadir pourrait, en toute logique, être attaqué en justice au nom de ces mêmes droits et libertés qui l'ont fait sortir de prison au Kurdistan...


On le voit, dans cette affaire qui oppose de façon intéressante deux mondes, deux échelles de valeurs, le camp des progressistes droidlomistes et les "vieilles" sociétés orientales, "corrompues" et "chatouilleuses" sur le qu'en dira-t-on sexuel, le principal protagoniste, la "victime" si l'ont veut est aussi assise sur deux chaises, en en appelant d'un côté aux principes de liberté, et de l'autre en bafouant ces mêmes principes qui veulent que chacun soit libre de mener sa vie sexuelle comme il l'entend, si elle ne nuit à personne. Le "Dr Qadir" présente donc un cas intéressant de ces intellectuels à demi-occidentalisé, se réclamant tantôt des normes démocratiques et libertaires en vigueur en Europe, et ayant tantôt aux vieilles attaques et stigmatisations "féodales" dans leur mode d epensée et d'expression écrite.


Kamal Qadir a aussi qualifié de maquereau Massrur Barzani, le chef des services secrets kurdes les Parastin, en l'accusant d'utiliser des prostitués pour leurs renseignements. Mais alors là, le seul commentaire qu'on puisse faire, c'est que ce genre de pratique n'est pas franchement l'apanage des services kurdes. A vrai dire, je me demande quels services secrets n'utilisent pas cette source d'information, vieille comme le monde...

mercredi, janvier 25, 2006

Donnez-vous la peine d'avoir des remords...

A l'annonce de la libération du "publiciste" Qadir, Ursula Plassnik, la ministre autrichienne des Affaires étrangères a exprimé son soulagement, etc et a ajouté que cette libération prouvait que la décision de l'Autriche d'ouvrir une représentation permanente à Baghdad était "la bonne décision".


Sauf que les Kurdes n'en ont rien à faire de Baghdad et que de toute façon ce sont les tribunaux kurdes qui avaient jugé, condamné, et qui ont finalement relâché Kamal Qadir, Baghdad n'a rien à voir avec tout ça (ni dans le mauvais ni dans le beau rôle) ... et c'est les Irakiens qu'on félicite !

C'est un coup à ce que les Kurdes en rogne le refoutent au gnouf, juqu'à ce que l'Autriche ouvre une représentation à Hewlêr, tiens !

TV : Où sont nos disparus ?


Tayfun Pirselimoglu, 2003, Le Pays de nulle part, Festival International Premier Film-Annonay


Dimanche 29 janvier à oh20 sur ARTE : Où sont nos disparus ? téléfilm de Tayfun Pirselimoglu, 2002. Sükran, employée à la gare d'Istanbul, se lance sur la piste de son fils disparu, une piste qui l'amène dans un petit village de Kurdistan...



dimanche, janvier 22, 2006

22 janvier 1946

Qazi Mohammad


Le 22 janvier 1946 fut proclamée la République de Mahabad, au Kurdistan d' Iran. ça n'a pas duré longtemps, un an, avant son écrasement, mais la légende reste.



samedi, janvier 21, 2006

Notre ami Saddam

Travaillant sur une route, les Kurdes d'Irak sont tombés sur une fosse commune (une de plus) à Chamchamal, près de Silêmanî.

A Rome, dès qu'on donne un coup de pelle quelque part, on tombe sur des vestiges archéologiques, ce qui pose quelques problèmes pour la construction des lignes de métro. Au Kurdistan, c'est les fosses communes qui posent problème. Bienvenue à Anfaland.

jeudi, janvier 12, 2006

Soutenance de thèse : La Question du Kurdistan irakien 1991-2005


Le mardi 10 janvier 2005, à Paris I Sorbonne a eu lieu la soutenance de thèse en science politique de Saywan Barzani sur La Question du Kurdistan irakien 1991-2005, avec Charles Zorgbib pour directeur de thèse. Les deux rapporteurs étaient Joyce Blau et Roger Tebib. Le jury était également composé de Gérard Chaliand et Bernard Dorin, et Michel Lesage le présidait.


(En attendant que ça commence, on peut voir Bernard Dorin au fond, en train de dessiner une carte comme à son habitude, c'est même à ça que je l'ai reconnu de si loin et de dos...)


Saywan Barzani expose le sujet de sa thèse et son argumentaire :

Cette thèse est la continuité de son mémoire de DEA : La Stratégie des institutions politiques du Kurdistan irakien. C'est donc la reprise et la poursuite de son analyse d'une période d'exception pour les 2 pays, l'Irak et le pays kurde. La situation d'autonomie de facto qui fut instaurée au Kurdistan après 1991 et la Guerre du Golfe, qui est pour les Kurdes une période d'opportunité, résulte d'un concours de circonstances. La période qui va donc de 1991 à nos jours est une période d'exception, inédite dans l'histoire kurde et même au regard du droit itnernational. Car cette "aubaine" politique n'a d'existence que "dans la réalité", mais le Kurdistan reste sans statut juridique, ni mandat ni protectorat... et ce n'est pourtant plus, dans les faits, une partie de l'Irak.

Ce sont aussi des années riches en événements parfois tragiques, toujours difficiles, mais qui paradoxalement vont contribuer à affermir la position du gouvernement kurde. Or cette période a été jusqu'ici peu évoquée et étudiée pour elle-même. On l'incluait jusqu'ici dans la Question kurde en général, ou à la périphérie de la question irakienne. Saywan barzani ajoute que bien sûr, son intérêt et son engagement personnels dans la cause kurde sont à l'origine de sa motivation pour ce sujet, mais qu'il était conscient que cela constituait aussi un écueuil possible, dans sa façon de le traiter.

Concernant la méthodologie de cette recherche, elle était caractérisée par un manque de sources,. Il a eu donc recours à la presse locale et internationale en plus d'une liste d'ouvrages, mais aussi a dû se déplacer en tant qu'observateur et enquêteur sur le terrain, et a eu des entretiens avec les acteurs de cette période, malgré les difficultés liées à un climat de guerre et aussi au fait que beaucoup de négociations étaient tenues secrètes. Les limites de cette recherche vient donc du manque de sources écrites ou des archives encore inaccessibles pour diverses raisons. Il fallait donc dépendre des sources orales, et donc de la sincérité ou de la bonne volonté de parler des acteurs interrogés.

La thèse commence d'abord par remonter aux origines de la cause kurde et à la création contestée de l'Irak en 1920, par les Britanniques. Cette introduction lui semblait essentielle pour faire comprendre la situation de 1991, et le fait que la population du Kurdistan a toujours revendiqué une certaine autonomie de gouvernement, avec un besoin d'institutions et de reconnaissance politiques.

Or la zone de sécurité instaurée dans une partie des régions kurdes après la Guerre du Golfe n'a aucune définition juridique. D'un point de vue géographie, elle correspond même pas au peuplement kurde, qui va bien au-delà de la zone, ni même au 36° parallèle.

A l'intérieur des régions kurdes libérées, règne un bipartisme "forcé" entre le PDK et l'UPK. Une bonne partie de la thèse détaille les causes et le déroulement de ce conflit inter-kurde. Selon Saywan Barzani, plus que des causes intrinsèques à la société kurde, il s'est agit d'abord d'un conflit entre l'Iran, la Turquie et l'Irak, qui ont pris le Kurdistan pour terrain, les trois Etats essayant de maintenir l'équilibre des mouvements kurdes, aucun des deux ne devant trop l'emporter sur l'autre. Mais paradoxalement, cette guerre a eu des effets bénéfiques. En effet, les pays frontaliers belligérants ont pris économiquement en charge le pays kurde, qui était alors sous un embargo trois fois plus sévère que celui imposé à l'Irak. Ce soutien a permis au Kurdistan, même en plein conflit, de consolider et mettre en place ses institutions.

En 2003, les Américains reviennent en Irak et renversent, cette fois-ci, le régime baathiste. D'une situation de survie, les Kurdes passent maintenant à une stratégie de consolidation des acquis. L'étape la plus récente est l'unification du gouvernement kurde, jusqu'ici séparé entre le PDK et l'UPK, qui date de quelques jours.






Joyce Blau, premier rapporteur :

" Je voudrais d'abord féliciter le candidat au nom de toute l'assemblée, pour le courage qu'il a eu de mener à bien sa thèse, en parallèle à ses fonctions de représentant du mouvement national kurde en France. De plus, il y a à peine 10 ans, Saywan ne parlait pas le français et il écrit maintenant dans une langue châtiée. C'est donc un grand bonheur de le voir soutenir sa thèse dans ce lieu prestigieux.

Je vais maintenant parler des atouts du chercheur : Saywan appartient à une famille des plus prestigieuses parmi les notables kurdes. Il est de la région de Barzan, un centre soufi, un centre d'études et de réflexion. Je voudrais dire au passage que la Longue Marche de Barzani vers l'URSS après la chute de Mahabad, cette marche à travers les montagnes, en zigzag, avec des milliers de peshmergas, est au programme des cours de l'école militaire en France.

L'histoire de sa famille est liée à l'histoire nationale kurde, et lui-même, sa propre histoire, s'inscrit dans l'histoire du Kurdistan. Il est né à la frontière iranienne, dans le QG du mouvement national kurde. Quelques mois avant sa naissance en septembre 71, son grand-père, Mustafa Barzani, survit miraculeusement à une tentative d'assassinat : des mollahs, sans doute manipulés à leur insu par les services de Saddam, lui apportent en cadeau des corans. Ils portent sur eux des ceintures d'explosifs qui sautent dans le salon où les reçoit Mustafa Barzani.

En 1975, après l'effondrement de la révolte kurde, Saywan a trois ans, sa famille part en exil en Iran, au Kurdistan d'Iran, comme des milliers de réfugiés. Il va à l'école persane, puisque l'enseignement du kurde n'est pas permis. Puis Saber, son père, responsable des blessés et des malades, doit revenir en Irak où il vit en résidence surveillée. Saywan va alors à l'école arabe.

Dans les années 80, c'est la répression, l'Anfal. Saywan Barzani survit miraculeusement alors que son père et ses oncles, ses cousins, sont massacrés. En 1991, il est à l'université de Salaheddin et en 1994, il obtient une bourse de l'institut kurde pour étudier le droit en France. Il passe son DEUG à Orléans, puis sa licence et sa maîtrise en sciences politiques et enfin son DEA à la Sorbonne.

A son arrivée à Paris, il est nommé représentant du PDK puis à la tête du bureau de représentation du GRK en France. Là ses contacts et ses activités politiques vont lui servir pour sa thèse. Il parle l'arabe, le persan, le kurde le français, ce qui lui donne un accès à des multiples sources.

La grande aventure racontée dans sa thèse commence en 1991, à la fin de la Guerre du Golfe, alors que le Baath de désarme pas, avec l'écrasement de l'insurrection chiite et l'exode kurde. Il faut un grand mouvement dans l'opinion publique, initiée par Bernard Kouchner pour déclencher finalement l'opération Provide Comfort.

Dans le même temps, Baghdad se retire brusquement des régions kurdes, et les dirigeants du Kurdistan prennent en main, du jour au lendemain, une région grande comme la Suisse, très éprouvée par la guerre et les bombardements chimiques, dans un environnement hostile, avec une communauté internationale indifférente. Comme le dit Saywan Barzani : "A cette époque, le Kurdistan ressemblait à une réserve animale. Ce n'était comparable à aucune expérience vécue."

La thèse est donc une description passionnante montrant comment les dirigeants kurdes ont eu à faire face à ce problème. Elle analyse aussi les problèmes posés par le manque de statut clair et reconnu de la région. Quelle forme juridique fallait-il évoquer pour la nouvelle entité politique kurde ? Enfin, sa conclusion est que cette situation a été finalement un atout pour les Kurdes. Car les deux puissances régionales, la Turquie et l'Iran, ont alors cessé de s'unir pour combattre les Kurdes, en appuyant chacune une des deux partis, ce qui a permis la pérennisation du Kurdistan, au lieu qu'elles s'unissent pour le détruire comme cela avait souvent été le cas.




Roger Tebib, second rapporteur :

" Je veux moi aussi féliciter très fort le candidat pour sa thèse, menée avec beaucoup d'intelligence et de passion. mais à côté de ces félicitations, je suis attristé de ce qui est fait (et surtout pas fait !) pour le Kurdistan, et qu'un pays de 25 millions d'habitants et d'une si haute culture reste sans Etat, ni connu ni reconnu internationalement. Au plan international, ces discutailles depuis 1920, sur le Kurdistan sont d'une hypocrisie lamentable, alors que tout le monde parle de minorités, que des pays avec très peu d'habitants ont un siège à l'ONU et pas les Kurdes, qui sont 25 millions !"

Il y a aussi le problème de la culture ignorée du Kurdistan. Ainsi Saladin, ce Kurde, dont l'origine est occultée ou laissée de côté. Quand on parle du Kurdistan ici, quand j'en parle à mes collègues, ils ne pensent qu'au PKK, c'est-à-dire à un mouvement terroriste. Il faudrait quand même changer le point de vue et les connaissances historiques.

Je voudrais donner comme conseils, pour des recherches ultérieures, d'analyser ce que fait (c'est-àdire rien !) le Conseil de Sécurité de l'ONU depuis Provide Comfort, et d' approfondir les actions du PDK pour un nationalisme libéral. Car c'est vraiment le parti qui peut et fait quelque chose pour le Kurdistan. En ce qui concerne les conflits régionaux, j'aurais souhaité aussi que soit approfondi le rôle des services irakiens qui infiltraient le Kurdistan, ainsi que le rapport des humanitaires avec la Question kurde.


Gérard Chaliand :

"Vous avez fait un travail remarquable, avec cette thèse rigoureuse, pas du tout manichéenne, contrairement à la plupart des thèses sur le Moyen-Orient, où tout est souvent présenté en blanc et noir. La thèse est claire, aussi peu partisane que possible, bien sûr on n'a pas le sentiment que vous êtes membre de l'UPK *rires*, mais c'est intellectuellement honnête.

Le cas des Kurdes est intéressant, car il montre bien qu'il n'y a pas de justice dans les relations internationales. A la fin de l'Empire ottoman, les Kurdes ont été désavantagés par leur retard historique face à deux groupes, les Persans et les Turcs, disposant d'une longue tradition étatique et historique. Les Kurdes à l'époque, contrairement à Mustafa Kemal, n'ont pas eu la conscience claire du passage aux Etats-nations.

Depuis que je me suis intéressé aux Kurdes en 1959, je les ai toujours connus dans l'infortune. Et là vous étudiez le premier moment favorable pour les Kurdes dans le Moyen-Orient. Les choses se sont faites peu à peu, de façon myope, et les Kurdes ont su en tirer le meilleur parti. Vous dites que sans que ce soit choisi, la rivalité interne a pu permettre aux partis de survivre. C'est une hypothèse intéressante, un point de vue de stratège.

Sur l'Autorité temporaire et l'administration de Paul Bremer, j'aurais souhaité peut-être une plus grande insistance sur les effets néfastes qu'a eu la dissolution de l'armée irakienne et sur l'erreur politique qu'a coûté cette marginalisation absolue des sunnites.


Réponse de Saywan Barzani :

"J'étais pour la dissolution de cette armée corrompue et dirigée par une minorité sunnite (comme on l'a vu aux élections, les sunnites sont une minorité en Irak). Si l'on maintenant l'armée irakienne, il y avait aussi le problème du service militaire auquel les Kurdes ne pouvaient accepter de se rendre. Pour le sort des hommes démobilisés, c'était une armée d'appelés donc le salaire des soldats ne se posait pas, mais il est vrai qu'on aurait dû trouver une solution pour les officiers, qui se sont retrouvés sans ressources.

Le problème est aussi que les Américains n'ont pas détruit les structures du Parti Baath. Ils se sont concentrés sur seulement 55 hauts dirigeants, alors qu'il y a des milliers de criminels dans la nature. Les réseaux baathistes ont pu ainsi se reconstituer en quelques mois.

Quant à la marginalisation des sunnites, depuis les élections, ils ont au parlement autant de sièges au parlement que les Kurdes à présent."


Bernard Dorin :

" Je vous adresse également mes félicitations, pour la grosse masse de documents et de recherches que comporte votre thèse. Je suis aussi frappé par son effort d'objectivité, très remarquable, auquel je ne m'attendais pas. On n'y montre pas "le gentil PDK contre le méchant UPK".

2 questions de fond : D'abord Kirkuk. J'aurais aimé une carte des débouchés de son pétrole. Kirkuk est un point essentiel pour l'avenir kurde, surtout pour son avenir économique. Or son oléoduc passe par le sud de la Turquie jusqu'à la mer et le port turc de Ceyhan qui doit recevoir l'oléoduc et le gazoduc de Baku-Tiflis.



Si en 2007 cette question, la question de Kirkuk, est réglée dans un sens favorable pour les Kurdes, ce sera une très bonne chose.

Sur le paradoxe de "la guerre civile" qui a été un atout : je l'accepte en partie, mais je crois tout de même que la guerre a eu des effets plus négatifs que positifs. Les peshmergas se sont battus entre eux, il y a eu des milliers de morts, les populations ont été blessées, endeuillées en plus du mal que cela a fait aux Kurdes sur le plan international et dans l'opinion politique.

Mais c'est une constante dans l'histoire des groupes kurdes. Peut-être aurait-il fallu montrer que quand les Kurdes se révoltent contre un Etat, ils se tournent naturellement vers l'Etat voisin (ainsi le Shah d'Iran soutenant Mustafa Barzani en 1975 et les PDK-Iran soutenu par Saddam Hussein). Je pense à ce proverbe kurde de mon ami Bedir Khan : "Quand un homme se noie, il se raccroche à n'importe quoi sur la rive, serait-ce un serpent".

Maintenant les cartes : celle de l'encyclopédie britannique... montre qu'il y a des Kurdes en dehors du Kurdistan, mais elle est un peu sommaire.


La meilleure sur le peuplement kurde est celle de l'atlas soviétique. Parce que les Britanniques n'étaient pas innocents en traçant cette carte, alors que les Soviétiques montraient plus de détails sur la popualtion au Kurdistan, ainsi que les autres minorités.

En octobre 2005, j'étais invité par Massud Barzani. J'étais avec l'ancien ministre des affaires étrangères du Québec, chez Nêçirvan Barzani. Massoud Barzani a dit : "Nous n'accepterons pas une situation moindre que celle que nous avons aujourd'hui." Or j'ai constaté sur place une indépendance de fait : Je n'ai pas vu un drapeau irakien, je n'ai pas entendu un coup de feu.

Je me suis recueilli sur la tombe de Mustafa dans le village de Barzan, qui a été détruit et reconstruit. C'était une tombe toute simple, avec 2 stèles. Il avait l'air de veiller sur son village comme sur son peuple."




Réponse de Saywan Barzani :

"Je sais que le terme "atouts" pour la guerre civile peut sembler choquant, mais elle a permis effectivement de surmonter l'embargo car les belligérants voisins soutenaient leur sphère d'influence, dans ce qui fut presque un conflit Turco-Iranien au Kurdistan. Leurs armées se sont même directement affrontées au Kurdistan, en 1997. Il ne faut pas oublier que l'embargo était plus dur pour le Kurdistan que pour l'Irak, et que le Kurdistan était alors rasé à 95%. Dès que courait la rumeur qu'un des pays, l'Iran ou la Turquie allait fermer sa frontière à l'importation des denrées, celles-ci augmentaient en un jour de 200 à 300%. Cette guerre turco-iranienne a permis que la Turquie ouvre ses frontières, et permette la circulation des marchandises comme des personnes."


Charles Zorgbibe, directeur de recherche :

"Je salue la maturité du chercheur, qui en plus écrit dans une langue claire, élégante. Je salue aussi l'objectivité de sa thèse.

Une seule petite réserve : bien sûr, c'est une thèse de science politique et non juridique, mais j'aurais aimé que soient creusés davantage les aspects juridiques de la situation évoquée.

En ce qui concerne la zone de sécurité, je pense que c'est l' application la plus importante du droit d'ingérence qui a été faite jusqu'ici. La résolution 688 est la seule résolution émanant du Conseil de sécurité à ce sujet et a donc une grande force juridique. Il ne faut pas oublier que depuis l'après-guerre froid, le Conseil de sécurité dit le droit international.

Vous dites que depuis 2003, "l'Irak n'existe plus en tant qu'Etat." Or non, au contraire, il faut noter la fascination des conseillers juridiques américains pour le précédent allemand. L'Allemagne n'a jamais été supprimée en tant qu'Etat en 1945, c'est seulement le gouvernement allemand. Ainsi la Résolution américaine sur l'Irak que l'ONU a adoptée est une imitation de l'occupation allemande dans son premier paragraphe alors que son 2° paragraphe est une imitation de l'occupation américaine en Corée.

Sur l'avenir : comment le voyez-vous ? Y aura-t-il une restructuration du Moyen-Orient avec une émergence étatique kurde ?



Michel Lesage, président du jury :

J'ai retrouvé toutes les qualités que j'avais vues chez le candidat quanbd j'ai dirigé son DEA. J'ai été impressionné par votre objectivité, l'abondante documentation, les annexes très utiles et intéressantes.

J'aimerais avoir plus de précisions sur la qualification juridique du phénomène Kurdistan. Ce n'est pas un Etat mais il en est proche. Il faudrait le comparer avec d'autres situations, Taiwan le Québec.

Et je souhaiterais aussi savoir votre vision de l'avenir ?


Réponse de Saywan Barzani :

"Juridiquement, il n'y avait pas de définition exacte : la zone kurde n'était ni un protectorat, ni mandat, cela n'avait rien à voir avec le Kosovo, ou l'Allemagne de l'est... C'était une réserve naturelle. Cette nation avait le droit de survivre, et c'est tout. La vérité était : "nous sommes indépendants mais il ne faut pas le dire."

Pour l''avenir : Les Américains veulent pour le moment sauvegarder l'unité de façade de l'Irak. Il règne un grand chaos sécuritaire chez les sunnites. Les chiites, eux, veulent un Etat fédéré, et là-dessus les Kurdes ont 15 ans d'avance sur le reste de la fédération irakienne. Un Irak fort et centralisé est impossible, même pour les douanes ou la police. Par exemple, aucun policier irakien, ou l'armée, n'a le droit de pénétrer au Kurdistan, alors que l'inverse est vrai, les Kurdes entrent en Irak, sous un autre uniforme ! Le Kurdistan, lui, aura sa propre armée. Chaque région fédérée gardera sans doute 90% de pouvoir, et en laissera 10% à Baghdad. Puisque le divorce nous est interdit, il y aura donc une séparation de corps et je pense que l'Irak restera sur les cartes en tant que pays, mais l'Irak sans la protection des Etats-Unis ne peut survivre, entre l'Iran et la Turquie. Et sous protection internationale, il n'y a pas d'indépendance possible. Comme le dit un proverbe, la main qu'on ne peut casser, il faut la baiser."

La thèse a reçu la mention très honorable avec félicitations à l'unanimité du jury.



mercredi, janvier 11, 2006

L'âge d'or des sciences "arabes"

Peut-être une exposition intéressante, mais dont le titre et le début de la présentation font quand même hausser les sourcils : " Lorsque l'on songe à l'apport des savants arabes au développement scientifique de l?Europe" puisqu'y sont présentés aussi bien des savants arabes que des Syriaques comme Ibn Bakhtishu, des Iraniens ou Turco-Iraniens ? comme al-Khwarizmi (Khwarizm est l'ancien nom de Kihva, aujourd'hui en Ouzbekistan), d'al-Qazwini (Qazwin est une ville de l'Iran occidental), d'?Abd al-Rahmân al-Sûfî (né à Rayy, Iran) ... et par souci d'objectivité, je me bornerai à dire qu'al-Jazari (c'est-à-dire de Jazirah) pouvait être aussi bien Arabe que Syriaque que Kurde.... et qu'il passa toute sa vie à Diyarbakir, à la cour turcomane des Artoukides...



Al-Jazari, traité des Automates, Topkapi Museum, XIII° siècle.


que l'on parle de Samarcande, de Jaiphur, de Delhi, et des céramiques " minaï " " haft-rang " et " lajavardina ", qui comme leurs noms l'indiquent sont iraniennes et d'époque seldjoukide, avec souvent des thèmes très "iranisant", comme les scènes de Shahnameh et des cavaliers à visage de bouddhas et longues nattes typiquement turcs...


Bahram Gour et Azadeh, Iran, XII-XIII° siècle, MET.

Idem pour les souverains et les princes ou mécènes patronnant ces sciences et ces ateliers, qui furent tout aussi bien arabes que turcmènes (comme les Seldjoukides et les Artoukides), Kurdes (comme les Marwanides et les Ayyoubides), Persans comme les Samanides...

Bien sûr la langue utilisée par les savants était l'arabe, mais doit-on pour autant appeler "sciences latines" toutes les disciplines enseignées en latin dans l'Europe du Moyen-Âge à l'péoque moderne ? Ou bien aujourd'hui, la langue de communication scientifique étant l'anglais, doit-on parler de "sciences anglaises ?"

lundi, janvier 09, 2006

Histoire du nationalisme kurde : Ahmedê Khanî

Ahmedê Khanî est né en 1651, dans la principauté de Hakkarî ( au nord du Kurdistan). Il a vécu à Dogubeyazit (au nord de Van), où il mourut en 1706. Il fut à l'origine d'une école littéraire, l'école de Dogubeyazit, qui fut active durant tout le 18° siècle. Son mausolée s'élève en face du palais des princes kurdes, le palais d'Ishak Pacha. Encore aujourd'hui, les Kurdes viennent de partout le visiter. Plus qu'un simple poète, Khanî est en effet considéré comme un grand cheikh, un baba.

Mausolée d'Ahmedê Khanî, Dogubeyazit. Photo Roxane.

La légende Mem etZîn, extrêmement populaire au Kurdistan, est peut-être la continuation orale d'une antique légende anatolienne. Par ailleurs, plusieurs versions ont dû circuler, car les chefs féodaux kurdes avaient leur poète ou barde attitré (stranbêj ou dengbêj), qui avaient appris par coeur un nombre impressionnant d'oeuvres, des chants amoureux (delal) aux épopées héroïques, comme le fameux Memê Alan, datant peut-être du 15° ou 16° siècle, qui est une variante folklorique de cette histoire. Mais à côté de cette littérature populaire et orale, une littérature savante et écrite voyait le jour, ainsi avec le poète Ali Hariri (15° siècle ?) dont malheureusement l'oeuvre a été perdue. Ces poètes de cour étaient naturellement influencés par les grands noms des littératures arabe et persane, et surtout par les oeuvres soufies, car l'islam des Kurdes fut profondément travaillé par les courants mystiques et parfois même hérétiques de Haute-Mésopotamie et d'Anatolie.


Quand Ahmedê Khanî (1650/51-1706) décide de versifier en kurde littéraire le conte de Mem et Zîn, son choix n'est pas anodin. Auparavant d'autres poètes avaient déjà composé dans cette langue. La cour élégante et raffinée des princes de Dejzireh (la ville où se déroule précisément l'action du roman) avait ainsi accueilli les poètes Melayê Cizirî (1570-1640 ?) et Feqiyê Teyran (1590-1640 ?). Khanî, dans son prologue, cite ces deux auteurs en leur rendant hommage :

Bîna ve riha Melê Cizirî
Pê hey bi kira Elî Herîrî
Keyfek we bi da Feqihê Teyran,
Hetta bi ebed bi mayî heyran

(Je réveillerais l'âme de Malayê Djaziri, je ferais revenir Hariri, Je donnerais tant de bonheur à Faqiyê Tayrân, qu'il en resterait émerveillé, à jamais ; 250-252, VI).

Mais il a conscience d'accomplir une oeuvre absolument nouvelle, qui dépasse le cadre de la jeune littérature kurde. Car son but va au-delà de la littérature, en revendiquant une culture nationale comme facteur d'unité. Cette "kurdicité" à défendre est un concept stupéfiant dans le monde ottoman où vivait Ahmedê Khanî, quand les subdivisions des millet distinguaient les peuples par leur religion et non leur langue. Ainsi, un Kurde musulman sunnite comme Khanî était d'abord le membre d'une tribu inféodée à un prince qui reconnaissait plus ou moins symboliquement l'autorité des sultans ottomans ou celle des chahs d'Iran selon les circonstances. Un Kizil Bash ou Kurde alévi était ouvertement ou secrètement en révolte contre le sultan d'Istanbul et n'acceptait comme autorité spirituelle et temporelle que le chef des Kizil Bash, et donc le chah d'Iran.

Mais Ahmedê Khanî sait que ces tribus kurdes ne forment qu'un peuple, une nation divisée entre deux empires, une nation s'usant dans des luttes perpétuelles dont elle ne tire aucun profit pour elle-même :

Bi'fkir ji Ereb heta ve Gurcan
Kurmancîye bûye s,ibhê bircan
Ev Rûm û Ecem bi wan hesarin
Kurmanc-î hemî li çar kenarin
Herdu terefan qebîlê Kurmanc
Bo tîrê qeza kirîne amanc

( Vois ! De l'Arabie à la Géorgie, les Kurdes sont comme une citadelle. De toutes parts, ils sont le bouclier de ces Persans et de ces Turcs, Et les deux camps prennent les Kurdes pour cible De leur flèche meurtrière ; v. 220-222, chap. V).

A cela, il ne voit qu'une solution : un prince kurde qui pourrait fédérer et mener ces tribus. Mais dans un trait de génie, Ahmedê Khanî pressent qu'une unité politique ne serait pas suffisante, si elle n'est pas soutenue par une unité culturelle. Pour Khanî, la culture est le moyen essentiel d'affermir un sentiment national. Et ainsi, "Un prince surgira-t-il parmi nous" :

S,ûrê hunera me bête danîn
Qedrê qelema me bête zanîn
Derdê me bi bînitin îlacê
Ilmê me bi bînitin rewacê ?

(L'épée de notre savoir sera-t-elle affermie et appréciée la valeur de notre calame ? Nos maux trouveront-ils leur remède, et notre science sera-t-elle répandue ?; v. 197-198, chap. 5).

La modernité de cette intuition culmine quand il compare une langue sans Etat à une monnaie sans cours légal :

Ger dê hebuya me serfirazek Sahibkeremek suxennuwazek Neqdê me di bû bi sîkke meskûk Ne'dma wehe bê rewac û mes,kûk Her çendî ku xalis î temizîn Neqdern-i bi sîkkeyê ezîzin

(Si nous avions un maître, affable et de bonne parole, Notre monnaie serait frappée, et ne resterait pas suspecte, sans cours; Même une monnaie pure et fine comme l'or N'a de valeur que si elle est frappée ; v. 199-201).

Deux siècles avant la montée du nationalisme et des persécutions, Ahmedê Khanî devine qu'une langue sans statut officiel restera clandestine, et que le plus puissant facteur d'unification pour la société kurde est sa langue. Cette conviction peut l'avoir influencé dans son choix de l'histoire de Mem et Zîn, qui était répandue dans toutes les couches de la société kurde, et pouvait donc trouver écho auprès du plus vaste auditoire.

Mais si Ahmedê Khanî souhaite que son oeuvre soit appréciée de tous les Kurdes, il vise un public en particulier : celui des écrivains et des savants qui, à cette époque, étaient plus enclins à versifier en persan ou en ottoman. Son choix d'écrire en kurde ce qui est aussi un traité de philosophie et de mysticisme est important, car le kurde est un "nouveau-né", un nûbar dans les sphères de la littérature et de la philosophie mystiques. Mais comme il le dit, "cet enfant est entièrement mien, ce n'est pas un étranger, et je l'aime", dans cette extraordinaire et émouvant passage :

Nûbareye, tifle, nûresîde
Her çendî nehin qewî guzîde

(Ce livre est notre premier-né, c'est notre enfant nnouveau-né)

Et comme il l'explique : mieux vaut manger et boire les produits de son jardin plutôt que de grapiller dans les vignes du voisin :

Lê min ji rezan ne kir temettu'
Manendê dizan bi kin tetebbu'

Ainsi, si rustique et simplement vêtu que cet enfant puisse être, il est précieux entre tous, car il est Kurde :

Nûrestê hediqeyê fuade
Masûme, efîfe, xanezade
Nûbare eger s,êrîn eger tal,
Metbûe ji rengê new'ê etfal
Lin hêvî heye ji ehlê halan
Teqbih-i ne kin evan tefalan
Ev meywe eger ne pir lezîze,
Kurmancîye, ew qeder li kare.

(Lui, nouveau rameau dans le jardin du coeur, Il est vertueux, innocent et de bonne naissance. Amer ou doux, il est fruit de primeur. Et je prie les savants de ne pas dénigrer cet enfant. Même si ce fruit n'est pas juteux, c'est un Kure pur. v. 340-343, chap. 7).

Affrontant par avance le dédain des locuteurs persans et ottomans, il soutient avoir agi en patriote, en "remplissant cette place vide" :


Xanî ji kemalê bê kemalî
Meydanê kemalê dîtî xalî
Yanî ne ji qabîl û xebîrî
Belkî bi teessib û es,îrî,
Hasil : ji înad, eger ji bêdad,
Ev bi'ete kir xîlafê mu'tad

(Khanî, en littérature, est imparfait. Mais ce champ de la littérature, il le trouva vide. Aussi, non par capacité et expérience, mais par patriotisme et amour du peuple, Aussi, par persévérance et nécessité, il créa cette oeuvre nouvelle. v. 235-237, chap. 6).

Aisi la légende de Memê Alan devint Mem et Zîn, et si ce chef d'oeuvre est le plus célèbre de la littérature kurde, et si son auteur peut être considéré comme le plus grand écrivain kurde, ce n'est pas injustifié. Car il atteint d'un seul coup les plus hauts sommets de la littérature islamique, avec cette épopée sentimentale de 2655 distiques, qui est, sous le calame génial de son auteur, à la fois une histoire d'amour, un poème mystique, et le récit vivant et coloré de la vie quotidienne de la cour d'un prince kurde au 17° siècle.

Sazê dilê kul bi zêr û bem bit
Sazendeyê is,qê Zîn û Mem bit
S,erha xemê dil bi kim fesane
Zînê û Memê bi kim behane
Nexmê we ji perdeye derînim
Zînê û Memê ji nu vejînim

(Que la mélodie des coeurs blessés, tantôt haute et tantôt grave, Que tous jouent la chanson de Zîn et de Mem. Je dirai l'histoire de la peine des coeurs, Et pour cela me servirai de Mem et de Zîn. Je sortirai une telle mélodie de ces notes, Que je ferai revivre l'âme de Mem et de Zîn ; v. 320-322, chap. 7)

mercredi, janvier 04, 2006

TV, Radio : mon fils sera arménien, Saddam Hussein, Gilles Mardirossian, Rabi'a

Jeudi 5 janvier, sur ARTE, un documentaire de Hagop Goudsouzian : Mon fils sera Arménien. 20h35.

Mardi 10 janvier, sur Histoire, un documentaire de Michel Vuillermet : Saddam Hussein, le maître de Baghdad. 20h50. (rediff. le 13/1 à 11h10, le 16/1 à 21h45, le 8/1 à 14h45).

Tourné en 2002, forcément juste avant la Troisième Guerre du Golfe. Mais le plateau-débat qui suit réunit Hubert Védrine, Christian Chesnot et Hosham Dawoud, soit trois intervenants opposés à l'invasion américaine, dont le dernier assez furieusement ; comme équilibre c'est douteux.

France-Musique : Alla breve, Gilles Mardirossian, avec Anouch Donabeidian au kemençe, Virginia Pattie Kerovpyan (chant) Aram Kerovpyan (percussions) et Raffi Kevorkian (duduk).

France Culture : Dimanche 8 janvier, à 20h30. Une vie, une oeuvre, Râbi'ah al-'Adawiyyah et la doctrine de l'amour spirituel. Avec A. Penot, Salah Stétié, P. Lory.

mardi, janvier 03, 2006

Les Kurdes en images

Le Kurdistan d'Irak aujourd'hui, à l'honneur dans le National Geographic.

Concerts

Le 6 janvier à 20h30 : Les Maîtres de musique d'Arménie : 5 solistes avec luth, vielle, hautbois et flûtes, sur les chants d'Anna Mayilian.
( de 9 à 22 ?).

et le samedi 7 janvier à 20h30 : Gaguik Mouradian au kamentché et Claude Tchamitchian à la contrebasse improvisent,en mêlant musiques traditionnelles arméniennes et jazz.

Maison de la Musique, 8 rue des Anciennes-Mairies, Nanterre (92). Tél. : 01 41 37 94 21

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Le 7 janvier à 18h00 :

Aynur & Mikaïl Aslan
au Théâtre du
Gymnase Marie Bell - 38, boulevard de Bonne Nouvelle
75010 Paris -Métro : Bonne-Nouvelle
Hasan Agirdag : 0633630004
Hidir Agirdag: 0607698083
Emirali Dogan: 0661814241
25 ?

(c'est-à-peu près tout ce que j'ai pu trouver comme renseignements, parce que si vous comptez sur le site du théâtre pour les renseignements et les annonces, vous pouvez vous brosser... les numéros de téléphone piqués sur le site du chanteur vous aideront un peu plus...)




lundi, janvier 02, 2006

Concert de soutien à l'Institut kurde