mercredi, octobre 26, 2005

Les animaux brûlaient aussi

"Notre village est un grand village de 200 maisons, aussi un poste de sécurité y a été installé. C'était au milieu de juin en 1993. Parce qu'il fait très chaud en été, mon père et mes frères étaient sur le toit. Soudain, il y a eu une explosion. D'abord, nous n'avons pas compris ce qui arrivait. Les gens couraient dans tous les sens. Nous avons regardé par la fenêtre. Quelqu'un dans la rue nous a dit de rentrer à l'intérieur. Les soldats ont tiré en direction du village. Nous ne savions pas où était mon père. Ma mère a entendu crier que mon oncle avait été touché. Je suppose que mon père a dû aller le chercher. Jusqu'au matin nous sommes restées sous le lit. Les tirs ont continué. Au matin les soldats nous ont tous emmené sur la place du village. C'est là que ma mère a vu le corps de mon père. Ils nous ont dit de quitter le village. Ils ont tout brûlé en criant que nous aidions les terroristes. Nous avons appris plus tard que des hommes du village ont enterré secrètement les morts après que nous ayions été obligés de partir. »

« Mon mari ne peut plus parler il a été arrêté et torturé plusieurs fois. Je ne sais pas de quoi il était accusé. Il y a toujours quelque chose. Peu de temps après sa dernière arrestation, les soldats sont venus au village. Ils nous ont tous emmenés sur la place du village. Ils nous ont demandé si nous étions d'accord pour devenir gardiens de village. Nous avons dit non. Alors ils ont brûlé toutes nos maisons et nous forcés à partir. Nous sommes allés de village en village, de la maison d'un parent à un autre. Personne ne voulait de nous plus de deux jours. Nous sommes venus ici. Regardez les murs nus, les pièces vides. Il n'y a rien. Nous n'avons rien. Et mon mari ne peut plus parler, ni travailler, ni sortir. Peut-être à cause de la torture. "

"Nous étions des paysans. Nous vivions et nous avions des espoirs. C'était notre foyer. Mais en 1995 à cause du terrorisme ils ont brûlé notre village. Et croyez-moi quand je dis qu'ils ont fait ça pour rien. Même si vous me mettiez devant le président, je dirai la même chose. Nous n'étions pas coupables. Croyez-moi. Nous n'étions pas coupables. Notre village était près du centre. Nous n'avons jamais vu un terroriste. C'était pour rien. Pourquoi ? Parce qu'ils veulent que cette région disparaisse. Les soldats sont venus et l'ont brûlé. Des soldats ont eu pitié et ont laissé des familles emporter quelque chose pour se vêtir. Certains sont partis sans rien. Notre chat est resté dans la maison et a brûlé aussi. L'Etat ne fait pas de telle choses. Mais je vous le dis. Croyez-moi l'Etat nous a fait ça. Nous sommes venus ici. Nous ne faisons que souffrir. Mes fils sont diplômés. Mais quand ils disent qu'ils viennent de cette région, les gens leur ferment la porte au nez. Nous sommes citoyens de Turquie. l'Etat ne devrait pas faire de discrimination contre nous. Qu'est-ce que nous pouvons dire d'autre ? Quelle autre histoire je peux raconter ? Mon mari est mort de chagrin après que nous soyions venus ici."

"Eh bien je peux vous dire que j'étais heureux au village. Nous avions tout. Mes fils allaient à l'école. Nous avions de l'argent. Nous avions des pâtures vertes et un beau pays. Tout poussait là-bas. C'était beau. J'avais des amies et un bon mari. Je ne sais pas si vous connaissez le travail de fermier. Mais nous avions tous les équipements pour ça. Surtout dans les dernières années, les choses s'étaient considérablement améliorées. Nous avions l'eau et l'électricité. Nous n'avons fait de mal à personne. Nous vivions en paix. Nous n'avions pas de raison de quitter le village. S'il n'y avait pas eu l'Etat. Ce qu'ils ont fait était sans raison."

"Vous connaissez la vie au village. C'est pas comme si vous aviez tout. Mais c'est vraiment mieux qu'ici. La neige en hiver. La verdure au printemps. C'est votre foyer. Votre patrie. Qu'est-ce qui peut être meilleur que votre patrie ? Vous avez votre maison à vous. Vous fabriquez vos lits. La maison fait à manger. De vrais légumes et fruits. L'eau est gratuite. De belles montagnes. Nous avons tout perdu. Nous n'avons rien pu prendre quand ils ont brûlé les villages. Tout a été détruit. Les maisons, les animaux. C'était il y a quatre ou cinq ans. Je me réveille toujours croyant que je suis là-bas. Et puis je me rappelle. Je suis à cet endroit."


Ces témoignages en avant-première du prochain numéro d'Etudes kurdes, extraits du papier de Nazan Üstündag, du département de sociologie de l'université Bogaziçi à istanbul, sur les Kurdes déplacés en Turquie. Sachant qu'ils sont des millions à avoir vécu ça, sans compter les gosses nés après, dans cet héritage de violence et de douleur, comment la Turquie va gérer économiquement, socialement, cliniquement son après-guerre ? ce qu'il restait d'Arméniens ou d'Assyro-Chaldéens traumatisés après le génocide, elle n'a pas eu à les digérer, ils sont partis en majorité de son sol. Mais ces millions de Kurdes dévastés sont là, pour la plupart. Alors oui, dans les villes, les citadins qui les ont vu affluer commencent à réaliser que quelque chose est pourri au royaume d'Atatürk, surtout si l'on continue à fermer les yeux sur ce qui fâche. Mais ça ne fait que commencer. Combien de temps et de générations faut-il pour que de tels ravages ne s'effacent ? Parce que les conséquences sur l'économie, la criminalité, la santé mentale et physique, ne sont pas près de s'arranger, surtout en l'absence de toute politique là-dessus.

dimanche, octobre 23, 2005

Orhan Pamuk




Orhan Pamuk a reçu aujourd'hui le Prix de la paix des libraires allemands. C'est très bien, d'abord parce que c'est un des meilleurs écrivains du moment et les Européens qui voudraient vraiment avoir une juste image de la Turquie, telle qu'elle est, avec ses merveilles et ses contradictions irritantes, devraient commencer par le lire. De plus, c'est encore un pied de nez aux neuneus nationalistes qui le poursuivent de leur hire depuis qu'il a osé prononcer quelques phrases brulots :

- "Trente mille Kurdes et un million d'Arméniens ont été tués en Turquie. Presque personne n'ose en parler, à part moi, et les nationalistes me haïssent pour cela".

Haine de soi ? Autoflahellation ? Pas du tout. Dans tous les livres de Pamuk rayonne un indicible amour de la Turquie, mais la vraie, celle des gens ordinaires, pas les images factices plaquées dans les livres d'écoles ou les rodomontades bellicistes des casernes et des commissariats.

-Quand on essaie de réprimer les souvenirs, il y a toujours quelque chose qui revient, je suis ce qui revient".

Tous ces livres portent sur la mémoire et sur l'identité. Les Turcs sont un peuple de qui on a gommé l'histoire depuis 80 ans, et l'écriture d'Orhan Pamuk se lance toujours sur la trace d'une faille, d'un fait caché, nié, oublié, drame familial, complot politico-historique, femme perdue, peu importe, il s'agit toujours d'un secret à redécouvrir, qui débouche invariablement sur une identité à redécouvrir.

"Le Château blanc" n'est pas un de ses meilleurs livres, à mon sens, mais il traîte déjà de l'identité, de cet homme qui sert un maître qui est son sosie, évocation de l'ambiguité d'une identité perturbée en face d'un autre qui est comme soi, qui vous a volé votre image, en vous dépossédant du coup, de ce qui fait votre particularité. Allusion aux rapports troubles, mi-haine mi-désespoir abandonique de la Turquie face à l'Europe ?

"Le Livre noir" est son chef d'oeuvre. "Avez-vous de la peine à être vous-même ?" interpelle Celal, l'éditorialiste, celui qui croque Istanbul, ses petites gens, ses intellectuels, ses épiciers... en se demandant ce qu'on a enlevé à ces gens quand on leur a imposé d'enlever le fez et de se costumer comme les héros holywoodiens des cinémas de quartiers. Istanbul, ville grise et noire sous la neige, battue d'humidité et de vent est remarquablement bien décrite jusque dans ses détails les plus fins, pour ceux qui connaissent bien la ville. "La Vie nouvelle" parlera beaucoup aux habitués des cars et des Otogars, à ceux qui connaissent ces trajets sans fin d'ouest en est et d'est en ouest, dans ces cars où l'on passe toujours les même films, où les stewarts circulent avec les mêmes thé en sachets, sodas, bonbons, où l'on descend dans les mêmes restaurants routiers, entre trois plats de viande riz, la mosquée invariablement accolée au WC : Bay/Bayan.

"La Maison du silence" est moins épique, moins porté sur des problèmes historiques ou politiques. Tout tourne autour d'un, ou deux, ou trois secrets de famille, dans l'atmosphère lourde d'une maison tyrannisée par une vieille femme malade. Là encore, c'est le silence jeté sur les faits, passés ou présents, qui tue, alors que la parole, le dévoilement aurait pu être salvateur.

J'ai moins aimé "Mon Nom est rouge", tout en reconnaissant qu'il pointe avec subtilité un problème dans l'histoire de la peinture islamique, qui s'est produit à peu près simultanément en Inde moghole et un peu plus tard en Iran sous les Qajars : l'irruption du "réalisme" de la peinture occidental dans la miniature orientale. Deux conceptions de la représentation totalement opposées, entre le peintre européen qui peint l'homme ou le cheval qu'il a précisément sous les yeux et pas un autre, ou bien, disons, un homme ou un cheval qui, même reconstitués dans un atelier, ont l'air d'être un homme ou un cheval en particulier, alors que les peintres ottomans, formés aux ateliers iraniens, voulaient, à l'instar des chinois d'ailleurs, croquer en quelques traits de pinceau, non pas un cheval, mais LE cheval, l'essence (Cewher) du cheval ou non pas un héros, par exemple Rustam ou Feridoun sous les traits d'un homme quelconque, mais le personnage figuré qui est et ne peut être que Rustam ou Feridoun. Si l'on veut, la peinture occidentale, à partir du 16° siècle, s'est voulu le miroir du monde, alors que la peinture islamique s'attachait encore, en bonne héritière du néo-platonicisme, à représenter les Idées dont les objets terrestres n'étaient que le reflet ou l'ombre imparfaite.

"Neige", que je n'ai pas encore lu, revient sur le passé historique falsifié ou tu, la mémoire arrangée, celui du génocide arménien, présenté surtout en Turuqie, à force de révisions délirantes, comme un grand massacre de Turcs par des Arméniens. Comme le dit un des personnages sur un musée de Kars :. "Naturellement, dit-elle, quelques touristes vinrent, espérant apprendre un massacre des Turcs par des Arméniens, ce fut donc un choc de découvrir quand dans un musée l'histoire se présentait d'une toute autre manière".

Orhan Pamuk doit être jugé en décembre pour "insulte délibérée à l'identité turque". En théorie, il risque jusqu'à 6 ans de prison. Il est probable (à moins que la Turquie décide de sombrer dans l'absurde, ce qui peut toujours arriver) qu'il ne sera pas condamné à l'emprisonnement. Il peut tout de même être condamné à une peine légère, voire de principe, ce qui serait une erreur politique sérieuse, au sens où elle indignera les partisans de la liberté d'expression en Turquie et ne satisfera de toute façon aucunement les nationalistes qui rêvent encore au bon vieux temps où Ismaïl Bes,ikçi était condamné à 405 ans de prison.

Quoiqu'il en soit, fervent partisan de l'entrée de la Turuqie dans l'Union Européenne, Pamuk en est le meilleur représentant, celui qui peut le plus infléchir les préjugés européens sur un pays encore décrit comme la source d'un potentiel ras-de-marée islamiste, alors que le démon récurrent des Turc est plutôt un nationalisme malade d'un passé refoulé...


mercredi, octobre 05, 2005

Où l'on voit que Saddam n'avait même pas l'esprit inventif




Belle lettre de Sheikh Sayyid Riza sur la révolte du Dersim. Le pauvre avait essayé d'ameuter l'opinion publique, la SDN, les ministères européens. Rien n'a servi, puisqu'en 1937-1938, la population dersimi a eu son anfal... enfin comme on disait déjà, Ne Mutlu Türküm Diyene... (Comme je suis heureux d'être Turc).

Cela rappelle aussi que ces cheikhs, Sayyid Riza, les Bedir Khans, loin d'être les féodaux abrutis que les Kémalistes se sont complus à présenter, parlaient très bien français, comme toutes les élites ottomanes...

(Fonds Pierre Rondot, IKP)

samedi, octobre 01, 2005

UP Conférence sur Hasankeyf


photo roxane

Samedi 1er octobre à 16h


conférence avec projection de diapositives
à l'Institut kurde de Paris

(106 rue Lafayette, M° Poissonnière)




Le sujet ? Hasankeyf, son histoire, ses princes, ses complots, ses conquêtes, ses monuments passés en revue et en détail, etc.

Concert de soutien à l'Institut kurde